lundi 6 mai 2013

De la fin des livres (1894) aux Bibliothèques de l'avenir (1901), par Octave Uzanne.



Une possibilité de mode de lecture en 2013


Voici un texte qui méritait, me semble-t-il, d'être tiré de l'oubli. Comme une sorte de pendant et de complément au texte La fin des livres publié pour la première fois en anglais, The end of books, dans le n°2 du Scribner's Magazine du mois d'août 1894 (pp. 221-231), avec des illustrations par Albert Robida, publié ensuite en français dans les Contes pour les Bibliophiles achevés d'imprimer sur les presses de l'ancienne maison Quantin le 27 novembre 1894.

Ce texte bien connu, et pour ses vues d'anticipation et pour les savoureuses illustrations de Robida (qui différent d'ailleurs entre l'édition américaine et l'édition française), est peut-être celui qui restera comme le texte d'Octave Uzanne le plus réédité depuis que l'édition électronique des textes en permet la diffusion par internet et les supports numériques. Uzanne avait vu juste, en partie. Le sonore, le visuel a pris le pas sur l'imprimé sur papier. Cependant l'invention de Gutenberg n'est pas encore, loin s'en faut, reléguée aux oubliettes de l'histoire des lettres.


La seule possibilité de mode de lecture en 1894, l'impression papier.

Couverture du numéro du mois d'août 1894 du Scribner's Magazine dans lequel a paru
The end of books par Octave Uzanne, avec des illustrations d'Albert Robida.
(Coll. B. H.-R.)


Dans ce premier texte, la fin des livres est abordée du point de vue des progrès technologiques. Dans ce second texte intitulé Les bibliothèques de l'avenir, qui date de février 1901 (soit 7 ans plus tard) c'est une vision plus générale, et disons le mot, plus philosophique, qui est mise en évidence. L'homme de la fin du XXe siècle raisonnera sa passion bouquinière pour en faire une mode select de livres sélectionnés. L'autodafé est ainsi inévitable selon Uzanne (et Mercier). Qu'en est-il aujourd'hui, en 2013, quand Uzanne tente de prédire 1995 ou 2000 ? Tout ce qu'il avait prévu s'est-il réalisé ? Que nous réserve encore demain ? en 2050 ? en 2100 ? Que deviendront nos Amis les Livres en papier ?

Les bibliothèques de l'avenir paraît de manière assez obscure et discrète dans la Revue Franco-Allemande, au mois de février de l'année 1901. Il ne semble pas que ce texte ait été repris ailleurs dans la presse. Il est ainsi resté enfoui pendant plus d'un siècle avant que l'on puisse désormais de lire à loisir et le faire connaître au plus grand nombre.

Je vous laisse lire et apprécier ce texte non dénué d'un certain humour, d'une véritable justesse ici ou là, et surtout très agréable à lire pour qui, aujourd'hui encore, s'intéresse au destin chaotique du livre imprimé sur papier.

Bonne lecture.

Partagez ce texte autant que vous pourrez. Il le mérite, à notre avis, tout autant que La fin des livres. Ce texte est peut-être un peu long pour trouver sa place naturelle dans un blog au XXIe siècle, mais rien n'est moins sûr. Nous vous offrirons très rapidement une version Ebook et une autre au format Acrobat Reader PDF de ce texte.

Bertrand Hugonnard-Roche

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Les bibliothèques de l'avenir


Les Bibliophiles sont des sages ; ils ne paraissent guère s'inquiéter de la postérité. L'idée de la mort, de la vente après décès, du destin des livres qu'ils ont réunis ne les préoccupe qu'à de rares instants ; ce sont des Épicuriens qui ne veulent pas empoisonner leurs jouissances du jour par la crainte du lendemain. C'est tout au plus si la vanité de la possession les pousse à supputer à quelles honorables conditions ils pourraient céder les plus rares exemplaires qu'ils ont acquis « au bon moment » et qu'ils ont fait habiller par le meilleur faiseur, avant que celui-ci ne fut à la mode et ne fit payer ses reliures au poids des bank-notes.
Le bibliophile vit donc parmi ses livres joyeusement, l'esprit en fête, comme l'amant au bras de sa maîtresse ; il aime à s'aveugler sur cet avenir, sur ce lendemain des choses, que les âmes inquiètes scrutent avec ardeur en cherchant à violer ses secrets et ses mystères. — Toutefois, au risque de troubler les heureux béati-possidentes, hypnotisés dans le rêve et d'éveiller des somnambules qui côtoient, comme tous les humains, d'invisibles abîmes, il nous sera bien permis de nous demander ce que la postérité réserve à nos chers livres contemporains et quel accueil les publications de cette fin de siècle recevront de nos petits-neveux.
Beaucoup d'amateurs répondront : « Qu'importe ! Après nous la fin des livres ! — Pourquoi nous soucierions-nous de ce que peut devenir le verre où nous avons sablé nos ivresses champenoises ! »
Nous ne saurions blâmer les amoureux des Livres de cette belle insouciance et de ce désintéressement que d'ailleurs nous partageons, mais encore, la curiosité, cette épouse tracassière de notre imagination, nous pousse-t-elle à concevoir ce que pourra bien être la passion bibliophilesque d'ici un siècle environ, vers 1990 ou l'an 2000 . . . . C'est toujours l'histoire du mur qui se trouve sur notre route, il nous arrête un instant au passage et pendant l'espace de quelques minutes, nous cherchons à savoir ce qui peut bien se passer derrière cette barrière de pierre. — Le temps présent, disait Leibnitz, est gros de l'avenir, et nous avons parfois le désir de connaître le résultat de l'accouchement.

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Sébastien Mercier, l'écrivain des tableaux de Paris qui fut le plus extraordinaire précurseur de nos idées actuelles et qui eut la vision aiguë de nos mœurs et de notre civilisation essaya, en 1775, dans un livre imaginaire plus curieux que tous ceux de Jules Verne et intitulé L'AN Deux Mille quatre cent quarante, rêve s'il en fut jamais, de prophétiser l'état de nos façons d'être au XXVème siècle de notre ère chrétienne.
Un chapitre de son bouquin est particulièrement intéressant ; il a trait à la Bibliothèque du Roi, aujourd'hui nationale, où s'entassent les exemplaires de tous les livres et de tous les journaux publiés jour par jour. — Dans son rêve, Mercier parvient aux portes de ce monument de nos gloires littéraires ; il s'apprête à marcher longtemps tout le long d'immenses galeries, à parcourir de considérables étendues de livres mis en rayons superposés et sa surprise est grande de découvrir un bâtiment d'aspect modeste.
Il y entre, et, dans le hall central, il ne rencontre que cinq bibliothèques vitrées de petite dimension. — Dans la première, il voit conservées parmi les œuvres grecques, celles d'Homère, de Sophocle, d'Euripide, de Démosthène, de Platon et de Plutarque. Dans la seconde armoire réservée aux Latins, il constate la présence de Virgile, de Pline au complet, de Tite-Live, et de fragments de Cicéron, d'Ovide, d'Horace et de Quintilien. — La troisième bibliothèque porte le pavillon d'Angleterre, il y rencontre tous les philosophes qu'a produit cette île guerrière, commerçante et politique, Milton, Shakespeare, Pope, Young et Richardson . . . .
Le quatrième corps de bibliothèque inspectée par le visionnaire, s'ouvrait à la littérature italienne et on y distinguait l'Arioste, le Tasse, Dante et beaucoup de grands lyriques de cette nation philosophe, rêveuse et poétique.
La cinquième armoire, enfin on le devine, donnait l'hospitalité aux écrivains français et ils n'y étaient qu'en fort petit nombre, Descartes, Montaigne et Charron, Fénelon, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine et Voltaire, à l'état de squelette, diminué des trois quart de son œuvre, ainsi que Rousseau très réduit, ratatiné en quelques tomes.
Sébastien Mercier de s'exclamer : « Mais qu'a-t-on fait de tant de milliers d'auteurs, de tant de millions de livres, publiés de mon temps et auparavant, sans compter ceux qui ont dû voir le jour de 1775 à 2.440 ? — Où sont tant d'éditions de nos hommes célèbres ? — Le bibliothécaire répond : « De votre temps, on écrivait, puis on pensait. — Nos écrivains suivent une marche toute opposée. — Nous avons immolé tous les auteurs qui ensevelissaient leurs pensées sous un amas de mots et de vains discours ; rien n'égare plus l'entendement que la multiplicité des livres. Une bibliothèque nombreuse est le rendez-vous des plus grandes extravagances et de continuelles répétitions ; comme nos jours sont bornés et qu'ils ne doivent pas se consumer dans une puérile philosophie, nous avons, d'un consentement unanime, réuni dans une vaste plaine tous les livres frivoles, inutiles ou dangereux, nous en avons formé une pyramide aussi haute que la tour de Babel et nous avons mis le feu à cette masse épouvantable comme un sacrifice expiatoire offert à la vérité au bon sens, au véritable bon goût. — »

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Pensez-vous que cette hypothèse de destruction par la flamme de toutes les frivolités et sottises écrites par les hommes soit si folle, et ne croyez-vous pas que fatalement, faute de trouver place pour les loger, il faudra anéantir avant deux siècles nos productions imprimées ? —
Ne le ferait on pas, que bien peu des ouvrages qui causent aujourd'hui encore notre admiration seraient jugés dignes de survivre à la Mode.
Tout est révolution, aussi bien sur la surface du globe que dans les variations de l'esthétique qui préside à la conduite de nos esprits. — La génération présente sera ridiculisée par celle qui la suivra, et de même que nous nous moquons de la littérature de nos devanciers, nos successeurs riront largement de la nôtre, si toutefois ils ont le loisir de s'occuper encore de nous ce qui paraît plus qu'incertain. Avons-nous une idée de ce que sera demain ? Pouvons-nous concevoir les secrets qui sortiront de la nature, les inventions qui bouleverseront nos mœurs, les nouvelles combinaisons sociales qui peuvent se manifester ?
Nous connaissons peu, quoi que nous en puissions penser, l'ensemble de l'intellect humain. Où est l'ouvrage, s'écriait un philosophe, qui soit réellement fondé sur la connaissance profonde du cœur de l'homme, sur la nature des choses, sur la droite raison ? — Notre physique ne nous présente-t-elle pas un Océan dont à peine nous commençons à côtoyer les bords — Ne devons-nous pas nous hâter de mépriser ce misérable orgueil qui nous aide à croire que nous pavenons à fixer les limites d'un art.
Tout est soumis ici-bas à la loi incertaine des modes ; nous croyons parfois les dominer, mais elles nous subjuguent et nous conduisent à notre insu. — Nous n'avons point, à vrai dire, d'indépendance de jugement, de vision ou d'esthétique ; nous subissons les contingences multiples de notre temps, de l'art et de la littérature qui nous enserrent le cerveau aussi bien que des préjugés dont on nous allaita, et aussi nous accueillons des opinions que nous jugeons souveraines et indiscutables par ce que chacun les accepta sans les contrôler. — Notre époque nous marque, dès le berceau, de l'empreinte spéciale à notre génération et nous faisons partie d'un convoi de moutons qui bêlent, pensons-nous, avec art, et qui, d'une même allure, s'en vont au fatal abattoir du Destin, sans pouvoir jamais nous convaincre du rôle inconscient que nous avons joué ou que nous allons jouer ici bas. — Nos livres, que nous jugeons comme des chefs d'œuvre, que nous habillons avec une joie vaniteuse, que nous conservons précieusement en nos demeures n'ont pas plus d'importance et de durabilité que nous n'en avons nous-mêmes ; ce sont nos jouets qui risquent de nous survivre ou bien d'être brisés avant nous. S'ils résistent au temps, ils passeront aux mains des générations suivantes comme de curieux bibelots qu'on feuillettera distraitement mais qu'on ne lira plus.

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Mais revenons à des régions de philosophie moins pessimiste et générale et ne nous inquiétons pas de rechercher la valeur de ce mot d'Immortalité, qui n'a pas plus de poids que tous les autres vocables humains.
Comment s'amuseront les bibliophiles futurs ? — Quels seront leurs jouets préférés ? A quelle source de vanité nouvelle accommoderont ils leurs passions pour le livre ? — Tels sont les points qui nous peuvent complaire à envisager rapidement. 
Matériellement parlant, deux hypothèses se présentent. — La première nous fait admettre que l'impression par caractères mobiles et que la formule jusqu'ici admise du livre typographique plié au format et broché, soient abolis, qu'une invention nouvelle remplace la méthode de Gutenberg.
La seconde hypothèse nous porte à croire à la durée de la typographie avec des améliorations déjà prévues pour le tirage et l'illustration des livres.
Dans l'un et l'autre cas la bibliomanie persistera. — Le livre toujours sera collectionné et l'abolition de la formule typographique ne ferait qu'accentuer la recherche des beaux spécimens d'impression de la fin du XIXe siècle ainsi que des bibelots rares, et comme les derniers témoignages d'un art réformé. — On a recherché les incunables, c'est à dire les ouvrages du berceau de l'Imprimerie, on recherchera, peut être avec non moins de passion, les éditions funébrables ou pour mieux me faire entendre, les exemplaires qui marqueront l'agonie des presses rotatives.
D'autre part, plus la vie future deviendra fiévreuse, combative, occupée, dure à maintenir, même à force de travail, plus les sages apprécieront les refuges du home, la thébaïde de la bibliothèque, la vie retirée nécessitant un minimum d'effort et de dépenses. Pour ces philosophes amoureux des ivresses intellectuelles, curieux de vie rétrospective, le choix sera difficile dans l'encombrement formidable d'ouvrages que le XIXe siècle aura jetés sur le marché littéraire, tant en France qu'en Angleterre, en Allemagne, en Amérique et sur tous les points du globe. — Des millions, des milliards peut-être d'ouvrages se disputeront l'attention de la postérité, car s'il y eut un Malthus accusé d'exercer ses ravages sur la reproduction de la Race, il n'y eut pas, hélas ! de philosophes ni d'avocats de l'abstinence pour les productions de l'esprit et personne ne vint mettre sur les livres le moindre embargo. C'est pourquoi la parole biblique : Croissez et multipliez fut observée avec une déplorable exagération par des nuées d'écrivains bi-sexués, sans compter les bas-bleus.

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Les bibliothèques de l'avenir, pensons-nous, ne contiendront qu'un choix de livres très judicieux. — Aucun roman, fort peu d'ouvrages de poésies, quelques rares récits historiques, de nombreuses bibliographies, des Dictionnaires spéciaux à pleins rayons, et des Oeuvres de Référence, autant que possible. — A ce fonds de roulement, on joindra une pharmacie de l'âme, c'est-à-dire une sélection de moralistes « Blacks and Whites » faits pour être lus selon les éclairages intérieurs et d'après les élévations du thermomètre intellectuel, à niveau des mélancolies ou des joies excessives.  
Les romans, ces dupeurs d'imagination et ces inutiles gaspilleurs de temps, seront à jamais proscrits ainsi que les œuvres de théâtre qu'on pourra voir interpréter — et encore ! — mais qu'on ne lira plus. — Le bibliophile, devenu pratique, considérera sa bibliothèque comme un immense directory des littératures universelles, comme un guide à travers les connaissances générales de la bibliographie, comme une source claire de tous renseignements littéraires. On collectionnera les index de toutes natures, les encyclopédies condensées, les glossaires des mots et des choses, les compendiums des sciences modernes, de façon à posséder sous la main en un cabinet confortable, une sorte de bibliothèque servant d'office à toutes les littératures du monde. — Tous les livres seront solidement reliés avec certaines allégories ou symboles sur les dos, afin de faire reconnaître leur classement, leur nature ou leur genre.
Il m'est avis qu'aucun Bibliophile de l'avenir ne possédera plus des masses de livres très encombrants et d'autant plus pénibles à consulter que trop souvent y manquent les tables et les index. Mais, comme la curiosité, la science, l'amour de l'étude, la passion des écritures d'art ne perdront pas leurs droits, le lettré du XXe ou XXIe siècle sera abonné à quelque cercle considérable, sorte de Polybiblion Club, où il aura, à sa convenance, pour lire sur place en de merveilleux salons silencieux — sinon pour emporter à domicile, tous les ouvrages dont ces index auront bien pu lui révéler l'existence. Ces Polybiblion Clubs seront constitués aisément au capital de 2 ou 3000 sociétaires, lesquels, par esprit de tranquillité et aussi d'économie, après avoir calculé les prix énormes que leur passion bouquinière leur pourrait coûter, à l'état de liberté, ne trouveront pas excessif de verser comme cotisation annuelle à ces Bibliophilic Clubs un millier de francs afin de constituer à cette maison de science une rente générale de 2 à 3 millions nécessaire à l'achat et à l'entretien des livres et au train des conservateurs.

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On peut concevoir aisément quel allègement ce sera pour les bibliophiles que d'être relevés du souci d'entretenir une grande bibliothèque. Ils obtiendront téléphoniquement de leur club, des renseignements et des assurances d'envois de livres et ils ne conserveront à leur disposition, en une seule armoire, que le matériel nécessaire à l'aiguillage de leur intelligence sur toutes les voies possibles de la littérature, de l'histoire, de la science, de la théologie et des voyages.
Toutefois, comme la passion des livres est soudée assez fortement à l'idée de possession, le futur Polybiblion Clubs fellow se réservera d'acquérir à de rares exceptions, des livres bibelots d'art, tirés à une centaine d'exemplaires au prix de 200 à 300 francs et qui réaliseront tout ce que le goût moderne, interprété par des artistes de premier ordre, sera susceptible de produire dans le domaine de la plus subtile bibliotechnie. — Ces livres, dans le but d'encourager les jeunes artistes et les élèves-éditeurs pourront être le sujet de compétitions ou de concours sur divers sujets ; les illustrateurs arrivés ou connus n'auront pas droit au concours, le but sera de chercher à faire sortir de l'ombre des décorateurs de génie et de les produire dans une aristocratie de gens de goût. Ces productions contemporaines, véritables keepsakes d'art, n'encombreront pas la bibliothèque de l'homme de demain. Deux ou trois, tout au plus, par année, seront par lui jugés dignes de prendre place sur ses tablettes de bois précieux ; ce seront des perles qui lentement formeront un collier d'ensemble.

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Mais nos livres actuels, ceux que nous aimons à voir, que nous choyons, que nous habillons de maroquin à mosaïques, que nous enrichissons d'autographes, de dessins originaux, de jolies aquarelles sur marques, et qui portent comme ex-libris, de si hautes marques de possession . . . . . Nos chers livres de cette fin du XIXe siècle, que deviendront-ils ?
Hélas ! à de rares exceptions ; nous craignons de deviner leur sort ! — Le temps matériellement aura fait justice de leur mauvaise constitution, le papier de coton, la mauvaise qualité de l'encre les vouera à une prompte destruction. —
Ainsi que l'on dit dans les prophéties, des milliers et des milliers périront, des éditions entières seront englouties. De tous nos romans, de toute notre librairie journalière et de pacotille, il ne restera rien, sauf peut-être quelques grands papiers du Japon décolorés ou certains exemplaires sur Hollande affreusement jaunis et peut-être encore peu présentables.
C'est à peine si l'on peut supposer que les œuvres de luxe résistent beaucoup mieux ; mais le peu qui subsistera se dispersera selon les remous des révolutions sociales et les déplacements des centres de civilisation. — Bibliopolis c'est encore actuellement Paris ou Londres. - Mais quelle sera la Bibliopolis de 1995 ou de l'an 2000 ?
Nous sommes un peu myopes pour regarder si loin et tout ce qu'on peut prévoir devient fantaisie.
« La littérature, disait de Bonald, est l'expression de la société », mais la société passe, se transforme, s'abolit et tout ce qui constituait ou reflétait son expression s'évanouit peu à peu et dis- paraît — les livres de ce temps pour les êtres pratiques des générations futures, ce seront des poids morts dont il faudra s'alléger pour la marche rapide en avant.

OCTAVE UZANNE
Revue Franco-Allemande, février 1901

1 commentaire:

  1. il est un peu trop optimiste sur les générations futures : prédire la fin des romans au profit des oeuvres de référence...

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