lundi 28 septembre 2015

Exemplaire remarquable : L'Éventail et L'Ombrelle d'Octave Uzanne illustrés par Paul Avril (1882-1883). Exemplaire du bibliophile Charles Cousin (1822-1894) dit Le Toqué. Somptueux exemplaire de dédicace du tirage de luxe sur Japon.


Octave UZANNE - Paul AVRIL, illustrateur

L'OMBRELLE, LE GANT, LE MANCHON par Octave Uzanne, illustrations de Paul Avril.

Paris, A. Quantin, imprimeur-éditeur, 1883

1 fort volume grand in-8 (28 x 19 cm) de 138-(1) pages. Illustrations courant autour du texte en camaïeu de différents teintes. Tirage à part des illustrations (intercalées dans le volume).

Reliure janséniste plein maroquin caramel, dos à nerfs, titre et millésime dorés au dos, doublures de maroquin bleu nuit, encadrement intérieur de filets et roulettes dorés, tranches dorées sur témoins, couvertures de soie rose imprimées conservées montées en pages de gardes, gardes de papier peigne (reliure de l'époque signée LOUISE REYMANN). Splendide reliure doublée et décorée, en excellent état. Un léger accroc à la coupe supérieure du premier plat, coins légèrement frottés. Quelques ombres au maroquin. Intérieur immaculé.


UN DES 100 EXEMPLAIRES SUR PAPIER DU JAPON.



EXEMPLAIRE AUQUEL IL A ÉTÉ A AJOUTÉ LA SUITE DES ILLUSTRATIONS TIRÉES A PART SUR JAPON.

EXEMPLAIRE DE DÉDICACE OFFERT PAR L'AUTEUR A SON AMI LE TOQUÉ ALIAS LE BIBLIOPHILE CHARLES COUSIN.



"à mon cher collègue et ami, à l'archi-toqué Charles Cousin, qui à l'heur de posséder ce livre sous une royale enveloppe, je fais témoignage ici de ma plus basse envie, son archi-Japonais, Octave Uzanne. 18 X. 1887."

Provenance : Bibliothèque Charles Cousin, avec son ex libris gravé avec la devise : C'est ma toquade. Collection Bertrand Hugonnard-Roche (BHR 2015 - marqué au verso de la première garde blanche).


Ce livre est, avec L’Éventail donné un an plus tôt, contrairement à l'image qui en a souvent été donnée de légèreté et de fanfreluche pour bibliophiles, une belle et intéressante étude sur ces indispensables ornements de la mode de ces dames à travers le temps. Uzanne, d'ailleurs très déçu voire marqué à vie d'avoir été considéré par trop de monde comme "le Monsieur de ces dames à l'éventail, à l'ombrelle, etc" (dixit Antoine Laporte, bouquiniste et auteur d'un violent pamphlet contre Uzanne publié en 1893), donnera en 1892 une édition bon marché, de format in-12, et sans illustration, dans laquelle il expliquera en préambule souhaiter donner à un public de lecteurs, et non plus à un public d'esthètes bibliophiles, ces textes pour pouvoir les apprécier à leur juste valeur. "cette fois-ci, ce n'est plus aux iconophiles que je m'adresse, mais à ces lettrés qui prétendent lire, apprendre et connaître..."

Il offre ici à son ami et collègue (futur Bibliophile contemporain) Charles Cousin (1822-1894) un bel exemplaire sur Japon de son livre phare et lui exprime toute son admiration pour la reliure que le bibliophile a fait faire à Louise Reymann. Octave Uzannne s'avoue ici Archi-Japonais (on sait le goût prononcer d'Octave Uzanne pour la japonisme).


SUPERBE ET ÉMOUVANT EXEMPLAIRE.

Exemplaire mis en vente par la librairie L'amour qui bouquine


samedi 19 septembre 2015

Exemplaire unique entièrement aquarellé à la main. Les Ornements de la Femme par Octave Uzanne : L'Ombrelle (1883). Splendide illustration par Paul Avril. Superbe exemplaire finement relié à l'époque par Moscovitz.


Octave UZANNE - Paul AVRIL, illustrateur

L'OMBRELLE, LE GANT, LE MANCHON par Octave Uzanne, illustrations de Paul Avril.

Paris, A. Quantin, 1883

1 volumes grand in-8 (26,5 x 17,5 cm) de 143-(1) pages pour l’Éventail et de 138-(1) pages pour l'Ombrelle . Illustrations dans le texte imprimées dans différentes teintes, autour du texte (ici toutes mises en couleurs à la main, voir plus bas).

Reliure demi-maroquin avec coins bleu nuit (reliure de l'époque signée Moscovitz). Dos lisse orné mosaïqué d'une ombrelle et d'ornements divers. Exemplaire du tirage à petit nombre du vélin de Hollande. Excellent état de la reliure, intérieur immaculé.


EXEMPLAIRE UNIQUE ENTIÈREMENT AQUARELLÉ A LA MAIN.

Les exemplaires sont normalement imprimés dans différents tons de sépia, bleu, noir, sanguine, etc.

Plusieurs hypothèses peuvent être émises pour cet exemplaire. Soit il peut s'agir de l'exemplaire de Paul Avril lui-même, aquarellé pour lui ou pour un ami. La qualité de la mise en couleurs, l'exactitude des coloris choisis nous fait pencher pour cette hypothèse. Soit il pourrait s'agir d'une commande par un amateur à un aquarelliste connu et reconnu à Paris à l'époque comme le fut, par exemple, Chauvet, spécialiste de ce genre de travaux. La qualité de mise en couleurs est époustouflante (voir photos). On compte 1 page de titre et plus de 70 feuillets aquarellés.

A notre connaissance, même l'auteur de l'ouvrage, Octave Uzanne, ne possédait pas dans sa bibliothèque un tel exemplaire unique ! Lui qui pourtant aimait avoir de ses propres ouvrages des exemplaires "hors ligne" comme il l'écrivait lui-même.


MAGNIFIQUE EXEMPLAIRE UNIQUE DE L'UN DES DEUX OUVRAGES QUI ONT LANCÉ LA CARRIÈRE DE LITTÉRATEUR DU JEUNE OCTAVE UZANNE.


Belle et intéressante étude documentaire sur ces indispensables ornements de ces dames à travers le temps. Ouvrages, au style empreint d'une certain préciosité et non dénué d'auto-dérision sur la légèreté de ces bluettes, dans lesquels Uzanne, d'ailleurs très déçu voire marqué à vie d'avoir été considéré par trop de monde comme "le Monsieur de ces dames à l'éventail, à l'ombrelle, etc" (dixit Antoine Laporte, bouquiniste et auteur d'un violent pamphlet contre Uzanne publié en 1893), donnera en 1892 une édition bon marché, de format in-12, et sans illustration, dans laquelle il expliquera en préambule souhaiter donner à un public de lecteurs, et non plus à un public d'esthètes bibliophiles, ces textes pour pouvoir les apprécier à leur juste valeur. "cette fois-ci, écrit-il, ce n'est plus aux iconophiles que je m'adresse, mais à ces lettrés qui prétendent lire, apprendre et connaître...".


Au delà du contenu, ce livre est avec L’Éventail paru un an plus tôt (1882), l'un des premiers essais d'impression en couleur autour du texte. Les essais et les tâtonnements furent nombreux avant d'arriver à un résultat satisfaisant. Octave Uzanne s'explique sur ces difficultés dans une lettre datant de décembre 1881 qu'il adresse à un Ami des Livres :


"[...] Comment résumer l’établissement d’un ouvrage qui est si compliqué et dont la fabrication – sans parler du texte – m’a demandé de si longues recherches et m’a fait franchir tant d’obstacles ? Le lecteur ou le curieux n’a pas à s’inquiéter de toute cette cuisine terrible d’un beau livre, et je vais tâcher de répondre succinctement à votre obligeante demande, dans le sens de l’insertion que vous pouvez faire. Les illustrations de ce livre offrent cette originalité qu’elles contournent le texte et l’encadrent ingénieusement. L’auteur et l’illustrateur ne font qu’un, le dessin interprète dans les marges les idées de l’auteur, et ces dessins sont d’une variété et d’une finesse d’exécution dont l’héliogravure seule pouvait rendre en les fac-similant les divers caractères : fusain, gouache, crayon, sépia, camaïeu, croquis au trait, sanguine, esquisses à la plume très poussées, tous les procédés en un mot dont un artiste peut se servir pour réaliser ses conceptions. Toutes ces illustrations gravées sur cuivre et tirées suivant les « manières » en différentes couleurs, ont d’abord été imprimées sur des presses en taille douce et il a fallu repérer ensuite, sur des presses à bras typographiques, le texte noir de l’ouvrage ; travail difficultueux au possible, si l’on songe au retrait du papier mouillé, aux inégalités du pointage, au foulage « à rendre imperceptible » dans la « retiration », à tous ces labeurs d’impression dont le public se rend malaisément compte. Pour arriver à la possibilité réelle de cette mise en œuvre originale, il a fallu que l’auteur fut à la fois inventeur, calculateur, artiste, chromiste, taille-doucier, typographe metteur en page et le reste – car ses idées même devaient se repérer dans les dessins déjà imprimés, alors que pour le lecteur, les dessins ne font que paraphraser le texte. Il faudrait plus de dix pages de détails techniques pour conter l’histoire de ce livre qui ouvre la série des ornements de la femme et qui ne pouvait être exécuté que par celui qui en a conçu la nouvelle manière. [...]". (Octave Uzanne)


UNICA DE TOUTE BEAUTÉ.



samedi 12 septembre 2015

Octave Uzanne et le Mirouer de Sorcellerie (28 octobre 1884). « [...] le féminin sexe attise les buschers d'Enfer comme ung vent de désolation et Femmes et Dyable ensemble vont icy-bas bras dessus, bras dessous ayant mesme but et mesmes moyens. » Texte intégral.



Le vray Mirouer de Sorcellerie ; histoyre miraclificque, diabolycque et horrificque, où sont encloses mille verites très precieuses à cognoitre pour les gentilles et honnestes Dames et énamourées Bachelettes bien fournies en sapience et entendement. (*)



Ô précieulx mirouer qu’entre tous biens j’estime.
(vielx poesies)



    
L'Incantation par Félicien Rops

Ores,


     Sachez en temps et heure — opportune et guise de presation, Messiores Gruditi, Drolis — simi, Curiosissimi Savantissimi vous friquets, Damoiseaux et musquins, Lecteurs gaubrégeux Pantagruelistes de tous estages ëtres Lunatiques, hétéroclytes poëtes esventés.


    Advocats baraguineux, grimauds espantés, vous plus que tout, cointes et frisques lectrices dont le ioli bec affylé est ià non moins affriandé que la rose oreille, vous quy sçavez ouïr et garber les ioyeulx proupos, retenez in globo, sans lantiponner davantaige, que la docte histoyre que ie m’en vay vous iabotter cy-aprèz n’est point espécialement inventée pour vous faire esclaffer des mandibules et rire à gueule bée, comme la fente d’un royal pourpoinct.

     Ie vous iure mon grand Hurluberlu — (ains clamoyt maistre François, le ioyeulx abstracteur de quintessence), — qu’aulcunement ne prestends vous amieller l’esprit sur l’horrificque, miraclificque et veridicque adventure que vécy. Longues et grosses proumesses ne sont souventes fois que piperies quy dévallent au vent ; œuf meshuy vaut mieux, ce dict-on, que poulet demain, et point n’imiteray icy ces donneurs de gabatine quy usent froustatoirement de la raspe doulce et d’expressions à mi-sucre pour lanterner les paouvres gobeurs et les escoute s’il pleut iusques à la venue des coquesigrues.

     Foing de ces ioncheries et momeries entre nous. Ventre de petit poisson ! Ie ne veux que iudicieusement grabeler et dévider jusqu’au bout de son peloton, loin de la truandaille et des musardies, le fil diabolycque de ce récit. À petite fontaine boyt-on à son ayse et à petit conte s’esiouit-on à loisir. Adoncques, très chers compaings, petites roynes sadinettes Altesses et Siresses qui me baillez audience en vostre chaire auprez du feu, prestez-moy souëfve attention. Si ie ne vous chatouille délicatement la rate prouvocatrice des ris, point aultrement ne vous taquineray la lacrymale glande. Il fault que bavardaige d’auteur ayt son cours comme rivière de Loyre ou caquetaige de femme, c’est le pourquoy (sans plus nous admuser aux baguenauldes de l’huys) ie vous soubhaite et coniure de vous tenir esveillez tout le long de ceste histoyre ainsy que pottée de souris ou chat qu’on chastre, car il me chault grandement de vous veoir enlyessés au poinct de rire, non pas seulement du bout des dents comme une vieille idole, mais avecques tant moult esclat que si ie vous desbagoulois mille sornettes dignes de faire pasmer d’ayse tous les fols, les mignons goguelus et festus de la Chrestienté.

     Ça, ne battelons plus et venons à iubé. Ie tire resvérences, et sans plus esperonner votre curiousité, ie m’en vay hystorier tout aussitost comme la mère Grand faisant récits à ses petits enfans :
 
    Le docteur Iehan Manigarole, lequel vescut sa vie entière en estat de bachelaige, avoit esté dans son primetemps ung ioyeux escholier, ballant et drillant là où souffloit le plaisir et ne hochant point du nez sur les bonnes et douces chouses. Nul ne sçavoit mieulx que luy savantement mettre a quia flacons, bassins, hanaps ou pintes, aussy bien que filles, femmes et archers du guet. 
 
    Touiours le veoyoit-on levretter la gueuse, courir la pretentaine, grenouiller ez cabarets, se gargariser sans cesse la gargamelle et se butter de nuict aux murailles comme chauves-souriz aux lanternes. Forcluz sa braguerie et son incontinance, pleing de braveté et fin merle, sans hargne ni laidures d’esprit, se sentant idoine de s’entregenter pour ung bon drille et de hustiner ung rabat-ioie à tout proupos, car iamais teigneux n’ayma le peigne et qui dyable achette, dyable vend, dict ung proverbe gallicque.
 
    Au demourant, ce n’estoit pas, on le conçoipt, ung dameret, ung mariolet, ung amoureux nubileux, ung de ces gars qui se gorgiasent sottement et qu’on nomme « mirouërs à gouines » ; c’estoit ung masle rasblé, plein de force et de ioyosité, exempt de mignotise, sçaichant moins iouer du cueur que de la navette, ne se mouchant point sur la manche, et gaignant chasque fois au ioli ieu de dame touchée, dame iouée. Aussy, tousjours chantoyt-il l’anticque chanson des anciens escholiers libertins de parisienne Université :

Je mène bonne vie, Semper quam possum,
Le tavernier m’appelle ; ie dys : Ecce assum.
A desfendre mon bien semper paratus sum.
. . . . . . . . . . . . . . . . . .
Femmes, dez et taverne trop libenter colo ;
Iouer après mangier cum dociis volo.
Et bien sai que le dé non sunt sine dolo.


   Mort-don bleu ! il ne paroissoyt guesre estudier la phylosophie, la théologie ou la psychogonie et il se gaussoyt du droict comme ung rat d’un pomme. Il falloyt aussi le veoir chanter Lirelanlère aux béiaunises du sentiment et faire barbe de paille à Dieu, lorsqu’il alloit le dimanche se panader à YOrémus. En oultre, sans qu’il crias t ville gaignée hors deproupos, il restoy t en grande resputation de Cornificetur et les marys de la bonne cyté d’Aurélia (Aurelianenses) en cognoissoient quelque chouse, car point ne perdoyt son temps pour mettre cornards en gerbe et oncques ne manquoyt l’occasion de leur bayller la cape du cocuaige, répettant le dicton de la gent ribaulde : « Alors que le chien pisse le loup s’enfuit », et déduisant de cela qu’il falloit touiours sans vergoingne attaquer femmes et melons pour en cognoistre au goust la saveur et le fondant.
     Iehan Manigarole cuydoit doncques, comme un saige, que le meilleur enseignement pour supporter sans trop pastir les humaynes grevances estoyt :Bene vivere et lœtari ; — aussy, se sentant le soleil et le vent au dos, il demeuroyst esveillé et advenant comme un esmérillon, fugace comme papillon, espiesgle comme pie, ayant accoustumance de fretin-fretailler dans les bons coins et de se gualantir les nerfs sans vouloir se doloser et entretenir ses augusties en sa fressure pour les meschiefs de l’humanité ; sa devise estoyt : « Bouche en cueur aux saiges et cueur en bouche aux fols ». Disciple de Sylenus et d’Anacréon, il philosophoyt comme Pantagruel, plutost en vin qu’en vain, beuvant voulontiers pour la soif présente, la soif passée et la soif advenir et ne cryant iamais Basta ! comme freluquets d’Italie.
 
    De mesme qu’aprez les raisins courent les estourneaux, nostre Iehan devalloyt touiours vers la grant pinte au cabaret de l’Abreuvoir ou parmy les tavernes de la ville : dès Potron Iacquet ses lèvres appettoient le divin ius d’octobre et ses yeulx estoyent tournés à la friandise. Il ambuloyt à travers les compites de l’urbe ainsy qu’ung pou affamé sur teste de savantasse ; sans cesse en pourchas de quelque estudiant amy des franches lippées, de quelque mignon capuleur et gouliard encore à ieun, ou qui mieulxest d’ung bon moine ventru, moufflard, cagnard et braguard, tous gens de coustume altérez sicut terra sine aqua, en compaignie desquels il se rendoyt vers l’hostellerie la plus prouche et la mieulx achailandée, car iouxte son bon cueur ouvert comme sa bourse, il logeoit d’ordinaire dix aulnes de boyaux vuides pour festoyer ses bons amys.
 
    A la vesprée, il gambilloyt follement dans les sentes de la ville où Vénus estendoyt ses fiefs, œilladant aux cloistrières, folieuses, galloises et autres damoiselles de iubilation, baillant l’accolade aux lévriers d’amour qui monstroient aur le seuil des huy s leurs ceintures tyssues d’or et de soie, se resgaudissant l’esprit de mille sornettes et hustynant sur sa route les gouliafres, casse museaux et franc-gontiers qui peuploient les carrefours. — « Ah! se disoyt le paillard, comment se garder de preindre et d’estre preint par le milieu ! Poissons et femmes sont meilleurs soubs le ventre. Aussy, amys, aymons les putes-créatures, les ialinetons et les linottes coiffées !… » Car, en amour, Manigarole estoyt délicat comme ung esplucheur de chardon et son âme se trouvoit fournie de sentiment comme ung oignon l'est de creste.
 
    Iamais il n’estoyt deschassé de plaisir, il se guémentoyt auprez de toutes les esquoceresses, les muguettant au passaige, depuis Margot la Maigrette iusqu’à Isabiau la Clopine ou Agnès L'Enraigiée. Il falloit le veoir surtout guittariser auprez des courratières, qu’il traitoyt comme femmes de gros grain, haultement atournées; se gorgiasant comme ung Roy, sans pour cela vuider ses poches sous forme de paraguante ou de guerdon. Puis, à la nuictée, lorsqu’il quittoyt cette truandaille, il revenoyt à son giste dans les ruelles pleines de noir té, désertes et silencieulses, courant à son trou comme ung rat empoisonné et faisant falotement fanfare de sa voix en clamant quelque chanson dans ce goust :
 
Quand les petites villotieres
Treuvent quelqu’hardy amant
Quy veuillent mettre un dyamant
Devant leurs yeulx ryans et vers,
Crac! elles tombent à l’envers.
 
    Ou bien, si le bon pèlerin avoyt esté par trop pippé au ieu du Reversis par ces débonnaires dames, il souspiroyt alors en sourdine ce refrain d’un poëte hesberge de tous vices qui eust nom : Villon.
 
Vray, ce sont femmes diffamées
Si elles n’ayment que pour argent.
On ne les ayme que pour l’heure ;
Rondement ayment toute gent
Et rient, lorsque bourse pleure.
 
    C’est ainsy, en songeant qu’il n’est trésor que de vivre à son ayse, en iocquetant et grabelant avec des raffineurs de sans-soucy, des maistres clercs en gay sçavoir et des grands abatteurs de raison sotte ; c’est enfin en s’emplissant la cornue pancréatique, en se décrottant les mandibules pt margauldant des bourbeteuses, que vivoyt le ieune Manigarole, traistre à Dieu et aux commandements de nostre saincte catholicque Esglise.
 
    Si tel fust ce ioyeux compère en sa prime îeunesse amoreuse, combien devoyt-il apertemènt changier après avoir vescu ainsy quinze ou vingt années queussi-queumy avec quelques archis-fous de nature, mieulx munis en espiègleries et bons tours qu’en escus et ducats « Alors qu’il approuchoit du neuvième lustre de son aige, on veit Iehan soubdain s’assaigir et tomber de fièvre libertine en sombre mélancholie.
 
    Gomment ce faict advint-il ? Bien rusé seroy t qui le pourrait dire ; on ne sçavoit trop s’esbaudir d’une telle mutation cérébrale et ung chascun s’estonnoyt de veoir le bon compaing qui eust ioué la veille sa dernière livre parisis sur le nombril de son aïeul en si noire cogytation. Plus ne bouchonnoyt les filles, plus ne desbagouloyt de ioyeux proupos, plus surtout ne bacchanalisoyt comme devant ainsy que chats sur faistières, et, s’il vidoyt de rencontre ung broc, ce n’estoyt plus à la leichée, d’ung seul traict, en se délayant les badigoinces, mais avec hesbétude ; de mesme le philosophe anticque beuvoit la cigûe.
 
    La chronicque demeure bouche close sur les causes qui apportèrent tant de noirté en cette âme changeresse, mais si bien Thystoire fasse-t-elle la retenue-miiaurée, nous sçaurons faire venir à raison la belle dame nue qui faict son naturel séiour en ung puits et la pourchaisserons guallamment dans cette idée. Ce n’estoyt point que Manigarole se fust mis sous le chief des billevesées. Il ne songeoit point aux lyesses de l’amour extra-coniugal; il demeurait assez saige pour ne point arder cognoistre ces plaisirs licites et n’estant chaussé de mariaige, oncques ne vouloyt en faire expérimentation, cuydant que l’estoile fixe guaste le firmament. De mesme n’estoyt- il pas davantaige féru de passion pour aulcune fille, femme ou veufve, bien au contraire, il ne s’estoyt que trop frippé la mouelle à les fourraiger en son printemps; mais vieil chien n’aboie pas sans cause, et si le ribauld Iehan se sentoit effacé du livre déioie, s’il se monstroit blesmy, l’œil estainct, l’esprit gris comme ciel automnal, il y avoyt une origine dissimulée, à l’exemple de ces sourcettes qui pluvinent doulcement l’eaue et n’en fournissent pas moins larges fleuves limonneux. Doncques ne cachons mie que le paillard docteur avoyt tant clamé sur toutes les gammes Pater noster à messer Priapus, à la romaine mesthode, que la voix lui avoyt dict adieu et que vieillesse le tenoit avant le temps en ses climats neigeux, car ainsy qu’il fust dict en un rondeau pour ce faict :
 
Lubricité deffait et corrompt l’homme,
Jeunes et vielz elle assault et dégaste,
De retourner en enfance les haste.
Sainct Grégoire nous enseigne bien comme
Roys, princes, ducs, et ceulx que je ne nomme
Subject à ce, les rend molz comme paste.
Lubricité.
 
Suivans ce train, mort mordante les taste
Et faict leur cueur devenir foible et mate
En bien brief temps, car âme et corps consomme
Lubricité.
 
    Le maistre gaudisseur sembloit défunt, tant estoyt inconvenienté. — Manigarole ne pouvoit se despersuader qu’il estoy t attaqué aux sources de vie ; son crasne blanchissoy t, il despérissoy t et se desseschoyt, semblant ung squelette à peine vestu de peau; ung feu ardent le consumoyt dans sa maigre té, et il ne cessoyt de se douloir sur sa vieillesse anticipée qui flestrissoyt en leur fleur ses mignardises de masle iadis si plein d’esiouissance. Il prenoyt plaisir à se ramentevoir ses folles adventures et ses; forfaicts anciens. Sans les chauldes entrelassures, les accointances d’amour, avec transports et ruades tempestueuses, la vie lui paroissoyt comme ung monde désorbité roulant dans le noir néant, privé des baisers du rutilant Phœbus, et il geignoyt, songeant à se destruire, puisqu’estant si fort desvotieux de dame Vénus, plus ne pouvoyt approucher de ses autels si gentement achailandés. — Rien ne le pouvoyt sereiner.
 
    Certain jour il se print à lire et estudier les deux livres De la hayne de Sathan et malings esprits contre l’homme, du resvérend Grespet, et ce fut là grave mescheance pour le paouvreteux. Il s’estomira fort de n’avoir point songié plus tost aux sortylèges et dyabolicitez de cettuy monde et dès lors se mugnit de toutes œuvres traictant De Demonialitate. — « Ça, amy, dict-il, se parlant à soy-mesme, esbaudis-toi de ton oultre-cuydance, petite beste vit encore et ne peut estre qu’endormie; souventes fois messire Belzébuth est abuseur d’homme et iette ses maléfices pour arrester ses naturels appétits ; si doncques, le castel de mon cueur est sathaniquement assiégé, point ne demeureray sans résistance et tenteray de le rafraischir d’aulcuns vivres de ioyeuse plaisance. »
 
    En cela il fust aussy peu subtil qu’une dague de plomb. Aprez avoir prins cognoissance du Livre des Secrets de magie, il se meit à porter à son doigt de la dextre un anneau dans lequel estoyt enchâssé l’œil droit d’une belette, et soubs le chevet de sa couche, il eust accoustumance de placer à la nuictée un long chalumeau de paille emply de vif argent. Ces exorcismes n’opérèrent oncques mieulx qu’aultrefois les baisers d’Héloïse sur le corps desguarni du deshanimé Àbaylard. Iehan Manigarole se choléra en vain. Il estoit plus usé par excès et incontinances que maleficié.
 
    A datter de cet essay, rien ne le put allégrer. Il sembloyt que tout en luy fust brisé. Il se disoyt en corn i fi sli bu lé, en dyspathie des soûlas d’an tan, il se stomachoyt devant les vieulx pots que iadis il beuvoit à lut. Lors, touioursnoiseux, grogneux avec siens amys, incurieux de toutes chouses, iaspinant sans raison, se lugubrant de mesme, balourd, monstrant pour ne rien celer visaige d’excommunié comme ceulx dont il est question dans le traicté : De Frigidis et Maleficatis.
 
    Ains, ne Dieu, ne femme, ne friquenelle, ne fée ne lui bailloyt la fressurade tant soubhaitée. Aupréz des filles, plus n’avoyt-il le bec affilé comme un papegay. Il se tenoyt prez d’elles froidement, comme le bénitier en une esglise, prez de la porte, loin du chœur, et son esprit tant estoyt empoisonné, martyre et guasté de chouses desplaisantes qu’il ne contrœilladpit mesme plus aux gouges fenestrières qui l’appeloient au passaige. Pour tout dire, il gualloyt en loup marin, faisant d’une mouche ung éléphant et cuydant que l’appétit sensitif ne luy devoy t advenir que trois iours après iamais.
 
    Il cheut enfin de fièvre en chauld mal, bientost il ne sortoyt plus de son logiz, deveneu lycanthrope, homme loup et daemonomane ; parfois il haraudoyt le Dyable et parfois l’esvocquoyt. Plus a Sathan, dict-on, plus veult avoir ; Manigarole eustphantaisie de converser avec les essences des chouses occultes ; il emplist sa demeure de livres de magie, de traitez ; d’apparition, de cabale, de devination qu’il dévoroyt gloutonnement avec des yeulx escarbillards, ardent en ceste estude comme une commère à flairer le mal. Il s’adressa aux esprits planéttaires, usa d’œuvres et de recettes magicques et se donna tout à la fois à la magie blanche et à la magie noire, à la Thèurgie et à la Géotie.
 
    Ores, certain soir, il leut avec délectation la mirificque Mesthode d’Arnauld de Villanova pour operer le grant œuvre de raieunissement. Il veit que sans que besoing fust de voyaiger èz pays lointaings où feurent si favourables fontaynes de Iouvence, il pouvoyt faire sur soy-mesme un estonnant miraicle par la manière du grant œuvre. Suyvant les préceptes du docte médecin Villanova, l’amy Iehan, dèz le prime iour de l’opération, se mist sur le cueur durant la nuictée ung emplastre d’une once de saffran oriental, d’une demie-once de roses rouges, de deux gros de santhal de pareille couleur, d’ung gros de bois d’aloës et d’aultant de bon ambre ; ces drogues pulvérisées, incorporées avecques une demie livre de cire blanche et malaxées dans une quantité notable d’huile rosat. Durant seize iours il eust pour mangier des poules nourries avec vipères escorchées, trempées dans du vinaigre et bouillies avec fleur de romarin, fenouil, calamenthe et anet, herbes de cumin, eau pure et froment prouprement lavé. Il choisit pour ce grant œuvre les mois d’apvril et may, en raison du renouvellement de la nature qui met sève animale en verdeur. Trois fois en sepmaine se baygna en eaue claire et tiède où s’infusoyent des racines de bistorte, de brionne, de couleuvrée, des fleurs de seureau, des deux sthécas, de nénuphar et de melilot. Sortant du bain, il absorboyt six cuillerées de vin d’infusion de romarin, et se reposoyt longtemps ; puis incontinent, pour compléter l’opération, il faisoyt dissouldre philosophiquement de la semence de perles, des saphirs, esmeraudes, rubis, topazes, du bois des trois santaux, du coral blanc et rouge, de la rapure d’yvoire, des os du cueur de cerf, de chascun ung demy gros, six grains d’ambre et de musq, le tout incorporé avecques conserves de citrons, de bouraches et de sucre rosat, et prenoyt à l’aurore et à la vesprée demy-cuillerée de cette mixture inventionnée pour réparer caducité et descrépitude.
 
    Las ! le pauvre Iehan demoura desparti de ieunesse, en grant détresse, deuil et tristesse, plus incommodé que devant, plus flestry, pasly qu’on ne sçauroit dire. Le grant secret de raieunissement d’Arnauld de Villanova n’eust aulcun pouvoir sur sa triste guenille humayne en dyabolicque possession. Il ne tomba pas nonobstant en désespérance ; il s’adressa au docte traicté d’Artéphius : De vitâ propaganda sans davantage d’heur : sans que le Bois de vie lui donnast moult flamme iuvénile ; il ne perdist point de cette fois fiance en l’advenir et pensa descouvrir le secret de sa palingenesie ou périr de désespérance en sa cotte, comme les melons, la semence dans le corps.
 
    Ce fust lors qu’il livra son esprit obturbé aux devinations ; à l’astronomancie et aeromancie, à la cartomancie, à la sciamancie, à la géomancie, à l’arithmancie et enfin à la cataptromancie ; cette ultime science lui convint plus qu’aultre ains que la crystallomancie, et s’y adonna avec passion extresme. Après moult aegyptiaques consultées, et ayant leu dans le Tractatulus de Iuventute du vieil sorcier AnthelmusVarnus que celuy qui trouveroyt le Vray miroùer de Sorcellerie, conformément au Pacta Demoniorum, se verroyt retourner en son printemps fleury, avec l'accortise, la coïntise, la souplesse, l'incarnadine fraischeur de ieunesse, moulvant beauté et masleté, dans l’esiouissance des engonnages d'amour, Iehan prespara tout incontinent pantacles et talismans, il cheut en la façon et tricturation des philtres, envousteries et sorcelleries diabolicques et tomba en puissance des esprits infernaux, de Lucifer, Belzebuth, Astaroth et des daemons de subalternité : Lucifuge, Satanachia, Agaliarept, Fleurety, Sargatanas, Nebiros et cent autres petits diablotins fallots.
 
    Il ne feut ià sortilèges qu’il ne conceupt et mist en œuvre. La grant chambre de son logiz fust eschangiée en laboraitoyre de sorcellerie et vouée ainsy à Sathan, bien qu’une catholicque vierge en composast le gentil vitrail où filtroit la lumière colourée. De la fenestrelle, on veoyoit dans cette officine estrange et mirificque, la brune chouette et le hibou noir, le marabout espaillé, les rouges pommes d’amour, le parchemin vierge pour pactes sathanicques, les cueurs d’enfants nouveaulx nez en bocal, bien clos et scellé, la salamandre et la hyoscyame plongez en vase crystallin, selon les admirables préceptes de Pierre le Vénérable en son docte Livre des Miracles. La mandragore apparoissoyt soubs le pilon d’ung mortier, jouxte la figurine des eftvoustements où une allumelle estoyt plongée en la place du cueur ; une grenouille verte sautilloyt sur ung membre génital de loup, prouche une anguille despouillée ; une cornue plongeoyt son bec en ung cueur d’agnelet estouffé à l’heure de minuit à la prime vesprée de la lune nouvelle, et aux entours de la chaire où siégeoy t Manigarole absorbé et resvant près d’ung Compendium Maleficarum, cettuy qui eust visité le nécroman auroyt asseurement aperçeu ung diabolicque chat noir resguardant une teste de pendu de laquelle sailloyt encore la corde de strangulation ; — en des pots différents, paroissoyent la sauvaige mariolaine, les feuilles de myrthe, des souches de fenouil et aultres herbes odourantes cueillies à la veille de la Sainct-Iean.
 
    En cet assemblaige horrificque, mal mondé et empuanty, Iehan vivoyt et se dyablifioyt quinze heures de iour dans le labeur de ses espérances iuvéniles et génératives, s’ingéniant à n’omettre auculne cognoissance ou manipulation de cuisine magicque, aspre à l’estude comme si, en sa grevance, il eust souhaibté rachepter sa folle vie d’antan. Lorsqu’il cuyda proufondément et apertement sçavoir le livre Secreta secretorum et ne point ignorer les chouses les plus celées de la bible du dyable, quand il cognut tous les préparatoires horoscopes, les coniurations et invocations à Belzébuth, Prince des Dyables, il prespara ce miraclificque miroûer avec une plaque polie et très luy santé d’acier en ung cadre de bois ébenin gravé de feuilles d’acanthe d’or ez encoignures escripvit les noms de Thamus, Hécate, Moloch et Baal, daemons des mois qui l’avoyent desia visité sous forme de bouc, puis lorsqu’aperceut la lune nouvelle aprez la prime heure du soleil endormy, il approucha le dict miroûer dans la clarté de l’astre argentin et, assis devant son Compendium, cria par trois fois : Luc ! Luc ! Luc ! in hoc, per hoc et cum hoc ! ! !
 
    Lors, en la vespérale accalmie, ung bruict esclatant se prouduisit qui parust esbranler la maison de messire Manigarole ; le miroûer métallique se crevassa, se fendist, jettant au loing ses desbriz et soubdain apparust issant du mitan, parmi les esclatz, ung corps de femme, nue comme Eva en paradiz, de beaulté si superlative et magistrale que le logiz entier en feust esclairé ; ains l’esclair brillant en la nuict.parmy le ciel d’oraige. Ung mantel d’escarlate voltigeoyt sur son humérus et repoussoy t la lumière sur une croupe iumentale ; sa peau blanche ainsy que le prime laict de génisse frissonnoyt comme meue par sensations extatiques et voluptueuses et ses hanches avoyent telles ondulations souefves et tantalesques qu'on se ramentevoyt les remuements des morisques en saltation erôticques. Ses coussins de nature si poupins estoyent soublevés par le respire de sa gente poictrine et le tetin rosoyant imitoit la fraize èz bois, tant donnoict d’appétance aux lèvres et proumettoit grant soûlas. Prez d’elle, iuché sur le mirouër, ung chat huant hululoyt plaine tivement.

     Adoncques, tournant son resguard noir sur le magicien, — le dict resguard sade et ardent eut mis en rut et folie passionnelle les saincts des célestes demeures, car œil de sorcière est une areignée qui prend les cueurs, — ouvrant ses lèvres purpurines et ne celant ià sa gentille balustrade ivoiripe en ung mielleux soubrire, au rebours du proverbe des marouffles, lequel dict irreverencieulsement : « A son tour femme va parler, quand la poule va uriner, elle se guémenta de la sorte » :
 
    Iehan, ce clama-t-elle, de voix musicquée et harmonicquèe, que veulx-tu de moy ? le suis grande meschine au logiz de Proserpine, c’est en mes yeulx que Sathan s’arreguarde et mire ses ironicques visaiges avant d’apparoistre aux humains, car il n’ignore que je reflecte la vie. — C’est sur mes lèvres qu’il boyt le mal, car il cognoyt ce que dystille ma langue amoreuse et meurtrière ; c’est dans la possession de mon corps qu’il puise ses sortylèges et mauvaisetez, car il sçait qu’en ma nature est le receptaicle de toutes les nuisances, altercas, mescheances qui grèvent le monde, lequel fesclaire plus que Soleil, et de tous mes meschiefs tes frères paoulvreteux se dolosent froustatoirement. — Ne crains mie ma cythèreique Dyabolicitè…, en ma fressure est le Grand Tout, la genèse humayne, la nature fécondatrice, la concupiscence bestiale, le génie du mal adaornèe de Vapparence du bien, la tentation, la contagion, la peste, Vincongruité, la ruyne cachée, la glu envenimée, la blessure incurable du monde. De moy sourcent l’ambition, l’inconstance, la mesdisance, la vengeance, tous les caprices et tous les crimes hypocrites, les traistrises et laschetez. — Tu m9as évocquée… ; Le vray Miroùer de parfaicte sorcellerie, dont tant ont parlé les Egyptiens, Assyriens, Indiens, Turcomans, Germains et Gaulois, Gentils, Juifs, Maures et Chrestiens, ce miroùer qui baylle la vie, la ieunesse et aussy vieillesse, descrépitude et mort…, voy-le en moy…. le suis cettuy Miroùer de VUnivers où ung chacun se contemple, s’enjalouse, s’aparesse, se mignotte, se gorgiase ; ie suis l9organe dyabolicque, le serpent des serpens, le familier ennemy de Vennamourè, le cochet à vent qui mue à tout instant ;… ie suis la décevance, le plaisir malèficque, la discordance soubs le masque de Vamourf la sentine de toute imperfection, le péché inesvitable, le savon qui dissoult l’homme ; la pourvoyeuse du De profundis, l’exil du Paradiz. Iehan ! lehan ! tu m’as esconiurèe et évocquée lorsque l’heure des sagesses estoyt venue pour toy et que, sevré de passions, tu viyoys comme Adamus devant que Dieuneprist sur lui la coste surnumerayre quidevoyt créer Eva la perfyde. Malheur à toy, lehan ! qui as doublé de la sapience et qui n’as cogneu ton heur… le suis le mal désolateur, tempestueux et soubriant, le parangon de vice duquel parle ton sainct Patron lehan l’Évangeliste, portant la robe pourprée, estoffèe d’or et de precieulses pierres, estendue sur la beste à sept testes, tenant en la main coupe pleine d’immondices en laquelle boy vent falhtement tous grands pescheurs d’icy-bas… Tu m’as évocquée, lehan… Le prophète Elie m’a mauldite ; le suis ange à l’esglise, dyable en la maison, singe au lict ; ie te bailleray la ieunesse et l’amour et te ferai cheoir en l’enfer des damnés… — le suis le feu, tu es estoupe, ie suis dyable qui souffle… lehan, tu es à moy…, escoute…
 
    Manigarole n’escoutoit mye ; en la vue de ce corps nud si degourd, il esprouva grande appétence de vie, sentent sous son chief fluer ung sang ieune, ardent comme ignicion d’amour ; son cueur féru soudainement par cette lumière de chaulde beaulté sadinette sautilloyt comme ung escrimour, il estoyt pleing d’uberté, gay comme Perot et ne songeoit pas à gourmer cettuy succube à coups de bréviaire, car prez de si frisques et succulentes formes charnelles c’eust esté crier famine sur taz de blé. La Ieunesse inondoyt son corps de la teste aux pieds, ses rides se décorrugeoient, la vieillesse fondeoit comme neiges d’hy ver en son âme ; tel ung escholier qui franchist la géosle d’Université. Il s’allégroyt, s’enlyassoyt peu à peu, s’amignardeoyt, tandis que le miroûer femelle en vain le harangueoyt ; — lors, treuvant en son esprit les accortesses d’antan :
 
     « Par le seing du Griffon Vert, ce dict-il, ie fais confidence, mon beau soleil, que vostre lumière pénètre proufondément en mon cueur et y faict semence et germe d’amour. Je vous attendoys ; je ardoy s en désir de vous cognoistre, car vous fécondez mon corps de iuvénilité et mon âme ie vous cède librement en eschange. Ains sy suis à vous, ie soubhaite que soyiez à moy et que pacte en soyt scellé dans la doulce accointance de nos lèvres et entrelassures de nos corps pour laschier en vous les liens de la sève nouvelle qui m’aiguillonne, et vous bailler preuve de l’ardeur de ma iouvence par vous rescupérée. »
 
    Ah ! lehan, feist-elle, paouvre fol, en guerdon de mon corps ; saute souefvement en la croupe de ta haquenée, de ta bachelette, de ta dyabolicque espouse et sitost te conduiray au sabbat de nos fyançailles ; — guirlande tes bras sous mon col ; acreste-toy comme coq sur sa gèline ; harnache moy de ta maletè ! — Tous deux irons ainsy en Vespace au dessus des villes et de la terre, en les vuides campagnes de Yaer, comme l’aigle bicéphale, nous meslant parmy le bruict des vens ; tous deux sacquebuteront en exemple de Sathan semant les mondes et les germes des grevances voluptueuses… Estreins moy, mon maistre evocquateur t si doulx sera mon vol que bercé te cuydras en un resve ; ie suis d’ores la quenouille où sont filez tes jours, ie suis ton essence de vital fluilde, ta mie succube, o mon incube ! — Aux festinz de Belz tu es convié et attendu… Ne quitte point ton hippogryffe, mon cavalcadour ; Vheure est proupice, le mystère empoupe nos âmes… Iehan, tu es mien ; le hibou piaulard nous invite…, viens, ma Chouse… !
 
    Manigarole, fasciné, sentit sourdre en luy une flamme incognue ; il se dressa et accola sa cavale, se voyant soubdain emporté dans le silence de la nuict, puis se veit en ung pré parmy grande assemblée de demoniacques meslez et furieulx, tandis que sa chiére compaigne s’estoit soubs luy transmutée en un loup hideux et puant. Moult sorciers dansoient en cryant : Har, har, dyable, dyable…, faulte ici, faulte là, iouë là ; d’aultres disoient : Sabbath, haussant les mains et ballays en hault pour donner tesmoignaige d’alaigresse ; d’aultres encore, filles, femmes et daemons se tenoient par la main en honteuse confusion, faisant gestes lascifs et indecens, clamant licencieulses chansons etlubricques paroles ; puis les danses finies, venant à s’accoupler charnellement.
 
    D’aultre part, il veit de grandes chauldières, pleines de crapauds et vipères, cueurs d’enfants non baptisés, chair de pendu, graisse d’excommuniez, horribles chairognes, bouillon infernal presparé pour nopces nocturnes, — Ores, le dyable lui apparust soubdain soubs forme de bouc horrible et barbu, parmy le tourbillon des danses, les exécrations et ordures de la compaignie fantasticque, dans le bruissement des sorcières eslancées en l’air sur ballays comme estoiles filantes, Iehan eust sitost à supporter la ceresmonie des novices.
 
    Premièrement, il conclust ung pacte avec Sathan par quoy il se livroyt à son service, abiurant la foy catholicque, se soustrayant à l’obédience de Dyeu, fesant renoncement au Christ et à la bienheureuse vierge Marie, à tous les sacremens de nostre apostolicque esglise. Il foulla aux pieds la couronne et le rosayre, la croix, les médailles et Agnus dei, feit proumesse d’honnesteté et vaisselaige au dyable et iura de fréquenter assideument les réunions du sabbat.
 
    Aprez qu’il eust renoié parrains et marraines au baptême du Christ, Belzébuth lui baylla le sacrilège baptême de sa griffe bruslante. Dyables etdyablesses feirent folle saltation à l’entour de son corps et daemons succubes l’entraisnement en monstrueuses chevaulchées qui luy parusrent liquœfîer sa cervelle.
 
    Iehan s’esveilla au matin au grand Doloison et géhenne dans l’herbette perleuser les vestements detrayez ; il s’en revint au logiz et dez cettuy jour il creust avoir rescuperé saiouvence, il malificia moult ieunes filles et engendra immense désordre en sa ville relatées en chroniques espécialement manuscrites de la bonne cité d’Aurélia.
 
    Chasque nuict Manigarole le mauldict se rendoit aux détestables convocations avec aultres magiciens d’Espaigne, de France, d’Allemaigne ou de Turcquie pour faire hommaige au bouc, et parfoys les dœmons, lorsqu’il vouloyt, l’emportoyent, en païs estranger où il iouissoyt de quelque princesse dont il avoyt évocqué la beaulté, puis le ramenoient en sa demeure avant le soleil naissant
 
    Ainsy feist-il durant longues années nombreuses prouesses dont ie ne puis icy bailler le récit tant incongrues et ordes seroyt la description. Ça, mes gentes lectrices qui souspirez d’ennuy sans doubte au cours de Thistoyre que vecy, tant la treuvez naïfve et peu fournie de haulte graisse, ie ferois esclaffer le sang à vostre front poly, si ie vous desglubeois les adventures eroticqûes de maistre Manigarole le sorcier. —. le passeray oultre, pour vous tesmoigner lerespect qui vous est deu et feray la nique à vostre curiousité. — Trente moines et un abbé né feroyent point pisser ung asne contre son gré, aussy bien cent femmes né feroient point faillir mon pudicque mutisme trop cogneu en la matière.
 
    Ains sans hongrer reprenons nostre chèvre à la barbe, Sang, sainct-gris ! avant de faire Iacques desloges. — Manigarolefust en l’histoyre le type naturel du Docteur Faustus avant que la légende germayne n’en eust guasté le caracthère. Il estoyt mainctenant en telle ieunesse et verdeur, qu’il portait le dommaige sous une pieulse appairence en toutes demeures de la ville où se trouvoyent tendrons frais et pucelettes ; tel ung renard en ung gelinier. Il avoy t la belle croyance de ceulx qui se sont donnés à Sathan, à sçavoir qu’il cuydoit aprez sa mort devenir dœmon de l’air, comme les malings esprits qui tourmentent les hommes et disoyt soubvent avec la sybille Ericée :
 
    « Lors que le grant Appolo tirera mon âme hors de ce corps, elle s’envolera libre et se pourmenera dans l’aër, se meslant à la voix des vents invisibles, presdisant parmy leurs confuses haleines, aux oreilles des mortels, l’heur et le mal-heur de leurs futures adventures. Mon corps mesme, adioutoyt-il, engraissera la terre, luy fera pousser des herbes et des racines ; les brebis quiy paistront sentiront couler dans leur foye une science véritable deschouses secrettes et incognues et les oyseaux qui mangieront de ma chair presdiront à ceulx qui se meslent d’augurer le succez des chouses advenir. »
 
    L’ung des désirs exprimés par nostre sorcier estoyt d’engendrer l’antéchrist ou .de vivre jusqu’à sa venue pour ioindre sa raige avec celle du filz de perdition, car il recognoissoyt avecques les Pétrobusiens deulx génies créateurs de cettuy monde, Dieu et le Dyable. Mais la patience et clesmence divine ne pouvoyt supporter plus long-temps les detestaibles peschez et crimes qu’il commettoyt chasque iour et que ma plusme ne sauroyt destailler, tant monstrueulx et gros seroyt le dossier. Manigarole fust arresté comme sorcier, convaincu de magie, sortilèges, et son procez feist grand bruict et scandale quand fust iusgé en Parlement. Il y eust audycion, confessions, déposicions de trente damoiselles de la ville, de douze à seize ans d’aige, qu’il avoyt mises en dyabolicque possession en leur bayllant charmes et amours désordonnez.
 
    Le dict Parlement, par ung arrest solennel enregistré ez archives de la bonne ville d’Aurélia, desclara Manigarole attaint de crimes à lui imposez, et, pour resparation d’iceulx, le condamna d’estre livré ez mains de l’exécuteur, pour estre conduict et mené par tous les lieulx et carrefours accoustumez de la cyté et au debvantde l’esglise métropolitaine pour y faire amende honorable, teste nue et pieds nus, la hart au col, tenant ung flambeau ardent en ses mains et illec à genoulx, demander pardon à Dieu, au Roy et à la Iustice, et, ce faict, eslre mené sur la place principale de la dicte ville pour y eslre ards et bruslé tout vif, sur ung buscher, qu’à ces fins fust dressé, jusqu’à ce que son corps et ossements feussent consumez et resduils en cendres et icelles aprez, iettés au vent et tous ses biens acquis et confisquez ; et avant estre exécuté fust mis et appliqué à la question ordinaire et extraordinaire, pour avoir de sa bouche la vérité sur ses crimes.
 
    Telle fust la fin tragicque du puauvre Manigarole, si ioyeulx escholier en sa prime ieunesse, et qui, pour n’avoir sçeu renoncer de son pleing chief au libertinaige et amour sexuel et demeurer sur la voye du salut, feust prescipité en détestable idolastrerie. Ains lisons-nous dans les livres de Fantïcquité payenne que Canidie enterra ung petit garson iusques au menton, le fist périr lentement et de sa moelle composa ung amoureux breuvage qui le remist en iouvence.
 
    De telles praticques sont iustement pugnies par Dieu et les hommes, mais devons-nous aussy en tirer ceste moralité, c’est que la Femme est suppost du Dyable et que tous meurtres, crimes, abominations que commettent les hommes lui peuvent estre imputés. Ce fust et sera toujours la Femme qui a mené et conduira la grant danse des vivans et des morts, et au cours de ce conte phantastique les gens de hault entendement treuveront que le Vray Mirouër de Sorcellerie est le parangon muliéresque, le reflect des ruzes amoureuses qui nous porte seurement aux mefaicts les plus contraires de nostre dignité. Sainct Paul n’a-t-il point dict avec moult cognoissance et sapience : Melius est nubere quant uri, « Il vault mieulx prendre femme qu’estre bruslé, » cuydant en soy que l’ung revient à l’aultre, que le féminin sexe attise les buschers d’Enfer comme ung vent de désolation et que Femmes et Dyable ensemble vont icy-bas bras dessus, bras dessous ayant mesme but et mesmes moyens.

Octave Uzanne


(*) Aurez-vous eu le courage et la curiosité de lire ce long texte dans son intégralité ? Ce texte est imité de l'ancien françois, ou pour tout dire plus sûrement de la langue fleurie des Contes drolatiques d'Honoré de Balzac. C'est à notre connaissance la seule tentative par Octave Uzanne dans ce genre. Publié en tête du volume intitulé Son Altesse la Femme (achevé d'imprimer le 28 octobre 1884), nous retiendrons de ce texte fastidieux à lire dans son intégralité (il faut en convenir) la seule conclusion, assez limpide cependant : "la Femme est suppost du Dyable et (...) tous meurtres, crimes, abominations que commettent les hommes lui peuvent estre imputés. Ce fust et sera toujours la Femme qui a mené et conduira la grant danse des vivans et des morts (...). Octave Uzanne de finir ainsi : "Sainct Paul n’a-t-il point dict avec moult cognoissance et sapience : Melius est nubere quant uri, « Il vault mieulx prendre femme qu’estre bruslé, » cuydant en soy que l’ung revient à l’aultre, que le féminin sexe attise les buschers d’Enfer comme ung vent de désolation et que Femmes et Dyable ensemble vont icy-bas bras dessus, bras dessous ayant mesme but et mesmes moyens." Félicien Rops, grand ami d'Octave Uzanne à cette époque, illustre ce conte muliéresquement diabolique (qui ne devait pas être pour lui déplaire) d'une superbe aquarelle (L'Incantation) reproduite en héliogravure. Elle est reproduite en tête de cet article.

samedi 5 septembre 2015

Qu'aurait bien pu penser Octave Uzanne des échanges via les réseaux sociaux au XXIe siècle ? "La vie épistolaire nous crée des relations, des amitiés, des affections, des tendresses, des dévouements souvent plus sincères que la vie réelle mondaine lissée en communauté par la navette des fréquentations suivies. (...)"


Qu'aurait bien pu penser Octave Uzanne des échanges via les réseaux sociaux au XXIe siècle ? Voici en tous cas ce qu'il pensait des échanges épistolaires :

"La vie épistolaire nous crée des relations, des amitiés, des affections, des tendresses, des dévouements souvent plus sincères que la vie réelle mondaine lissée en communauté par la navette des fréquentations suivies. Cette vie tout idéale des esprits qui osent de valables échanges est exempte de certaines mesquineries des habituelles contingences sociales. Il n'y a ni heurts, ni vulgarités matérielles., ni fausses interprétations de frais ; ce sont les corps astral, comme dirait un occultiste théophilanthrope qui se rencontrent, se pénètrent et font échange de leur chemise de lumière." (*)

Octave Uzanne


(*)  Octave Uzanne, Le Sottisier des Moeurs, Paris, Emile Paul, 1911. p. 205.

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