vendredi 30 novembre 2012

Quelques informations concernant la propriété Uzanne à La Villotte (commune de Villefargeau, département de l'Yonne).



Grille d'entrée de la propriété Uzanne
(en direction de Villefargeau)
La grille et les piliers sont du XIXe siècle.
Le château situé dans l'enceinte date lui du XVIIe siècle.


Quelques informations concernant la propriété Uzanne
à La Villotte
(commune de Villefargeau, département de l'Yonne).


                C’est dans une lettre qu’Octave Uzanne adresse à son ami Alexandre Piédagnel[1] qu’il donne l’adresse de la propriété familiale des Uzanne. « Je pars demain pour passer près d’un mois, peut-être plus, en Bourgogne,  (…) M. Uzanne à La Villotte, Commune de Villefargeau (Yonne). » Le hameau de La Villotte est situé à la sortie du village de Villefargeau (sud ouest) en allant en direction du village d’Orgy. Villefargeau est lui-même situé à peine 5 km de la ville d’Auxerre (sud ouest). Nous n’avions jusqu’à présent pas fait les recherches nécessaires pour localiser cette propriété occupée quelques mois de l’année par la mère d’Octave et de Joseph Uzanne. C’est désormais chose faite et nous en savons désormais un peu plus. Nous avons pris contact avec la mairie de Villefargeau et grâce à sa sympathique collaboration, nous avons eu accès aux plus vieilles archives encore disponibles sur place (la suite des recherches devra s’effectuer prochainement aux archives départementales de l’Yonne).
                Nous avons ainsi pu consulter divers registres tels que les anciens registres des délibérations du conseil municipal entre 1820 et 1920. La période qui nous intéressait de prime abord (année 1890) nous a fourni plus encore que ce que nous espérions. En effet, c’est à cette époque qu’il a été décidé la construction d’un chemin (la route) permettant de rejoindre la sortie du village de Villefargeau au hameau de La Villotte, justement. Chemin vicinal n°4. Ces travaux qui s’étalèrent sur plusieurs années occupèrent les séances du conseil municipal de Villefargeau pendant de longues heures. Ce fut une chance pour nous. La propriété Uzanne est justement située sur le tracé de cette route. Nous avons ainsi pu retrouver de nombreux documents officiels à propos de ces travaux. Commençons par le document le plus important et qui permet, à la fois de situer le domaine Uzanne et d’en connaître un premier historique.
                Pour effectuer les travaux d’aménagement de la route n°4 menant de Villefargeau à La Villotte, la commune de Villefargeau a dû acquérir plusieurs parcelles de terrain le long du tracé prévu. La propriété Uzanne était principalement concernée. Nous avons pu consulter l’état des propriétés à acquérir au territoire de la commune de Villefargeau pour la construction du chemin de petite communication n°4 de Villefargeau à La Villotte, pour la partie comprise entre la partie faite au climat de la Rue Chaude et le Chemin Vicinal n°7 sur une longueur de 392 m 81 et d’une largeur de six mètres non-compris talus, fossés, banquettes ou autres ouvrages accessoires. Ce document est daté du 30 juillet 1891. D’après le tableau des terrains en élargissement, nous trouvons 2 parcelles appartenant à la Veuve Uzanne, au lieu-dit « Le Château de La Villotte ». Il s’agit de deux prés situés le long de la propriété Uzanne (parcelles n°678 et 684 du cadastre section B). La première parcelle mesure 1 are 30 centiares ; la seconde 2 ares 95 centiares. Les travaux nécessitait également l’achat d’autres prés contigus à ceux de la propriété Uzanne, appartenant à un certain Charles Delécluze (dont nous ne parlerons pas ici). La vente des terrains Uzanne a été conclue moyennant la somme de 65 francs pour la première et 177 francs pour la seconde, soit la somme de 242 francs, à laquelle s’ajoute une somme de 277,50 francs pour « dommages de toutes nature ». La somme totale payée à la Veuve Uzanne fut donc de 519, 50 francs. Voici pour une meilleure compréhension une description détaillée des parcelles. Première parcelle : Un are trente centiares de pré lieudit le Château de La Villotte, tenant d’un long au chemin d’autre long à la propriété, d’un bout à la propriété et d’autre bout au chemin à raison de cinquante francs l’are, soit soixante cinq francs. Deuxième parcelle : Deux ares quatre-vingt quinze centiares de pré, lieudit le Château de La Villotte, tenant d’un long au chemin, d’autre long à la propriété et des deux bouts au chemin à raison de soixante francs l’are, soit cent soixante-dix-sept francs. Indemnité pour cent cinquante mètres de clôture à raison de un franc soixante quinze centimes le mètre soit deux cent soixante deux francs cinquante centimes. Indemnité pour les arbres arrachés, quinze francs. La procédure fut longue et donna lieu à plusieurs atermoiements de la part des parties. Le fils de la Veuve Uzanne, Joseph, écrivit à plusieurs reprise à la mairie de Villefargeau. Finalement l’acte d’acquisition de terrains fut signé par la Veuve Uzanne le 25 novembre 1892. Cet acte est très précieux en cela qui nous donne l’origine détaillée des immeubles vendus à la commune de Villefargeau. Nous lisons ainsi : « Les immeubles proviennent de Monsieur Charles Omer Uzanne époux de la venderesse décédé le 6 avril 1886[2], lequel en avait hérité de M. Maurice Joseph Uzanne, son oncle décédé à Auxerre le 13 août 1860[3] aux termes d’un testament, reçu le 8 février 1855 par Me Rubigné notaire à Auxerre[4] ; Et par suite d’un acte de liquidation en date du 22 octobre 1872 passé chez Me Limosin notaire à Auxerre[5], par lequel Mme Uzanne est établie propriétaire du domaine de La Villotte. » Nous avons là plusieurs informations capitales pour retracer l’historique de la propriété Uzanne.

Les bâtiments de la propriété Uzanne sont cotés 681
(ancien cadastre)
                Nous avons également pu consulter, entre autres documents, la Matrice Générale des contributions directes pour les années 1839 à 1844 (deux registres distincts). En 1839 nous retrouvons propriétaire de cette même propriété Joseph Maurice Usanne (sic), par ailleurs propriétaire à Auxerre, rue des Belles Filles. Le Château La Villotte dégage alors un revenu foncier important de 809 francs (quand les autres propriétés de Villefargeau, hormis le château, ne dégagent qu’un revenu de quelques dizaines de francs voire quelques centaines, rarement au dessus de 300 francs). A l’époque l’imposition immobilière prenait en compte le nombre d’ouvertures (portes et fenêtres), le Château (partie habitable – un seul bâtiment), en compte 17. Par ailleurs un loyer d’habitation dégage la somme de 40 francs. Nous retrouvons la même imposition à la date de 1842[6]. Nous avons pas retrouvé d’autres états d’impositions foncières. Des registres manquent en mairie (sans doute ont-ils été déjà versés au AD89).

En résumé, en l’état actuel de nos recherches, voici ce qu’on peut déduire de tout ceci.

La famille Uzanne possédait à La Villotte (hameau de Villefargeau), tout de suite à la sortie de Villefargeau en direction d’Orgy (actuellement situé à la pointe du terrain de tennis), une très belle propriété. Cette propriété est composée d’un corps de bâtiment principal tout en longueur et de trois corps de bâtiments annexes (granges et écuries), le tout sur un terrain s’étendant sur plusieurs hectares, d’un bout attenant en direction d’Orgy et de l’autre au village de Villefargeau, d’un long aux environs dudit Château (actuellement parc arboré) et de l’autre au ruisseau de Baulches[7]. Le Château La Villotte est la propriété des Uzanne depuis au moins 1839 et a été transmis jusqu’au moins en 1905, date de décès de la Veuve Uzanne. A cette date de 1905 nous ne savons pas encore s’il a été vendu ou s’il est resté encore quelques années la propriété indivise des frères Octave et Joseph Uzanne (recherches en cours).
Le Château La Villotte, construit au XVIIe siècle (cf. architecture), n’a pas à ma connaissance été étudié, son histoire reste à faire. Le village de Villefargeau possède un autre château (XVIIIe s.), plus important, qui lui a fait l’objet d’un historique plus poussé.

Bertrand Hugonnard-Roche
(21 septembre 2012)




[1] Lettre datée du 25 juin 1877. Octave Uzanne a 26 ans et son frère Joseph 27, leur mère est veuve depuis 11 ans et est alors âgée de 54 ans.
[2] La date indiquée dans l’acte est fautive, Charles Auguste Omer Uzanne est décédé à Auxerre le 16 avril 1866 à l’âge de 53 ans (source : AD89).
[3] Acte à vérifier aux AD89.
[4] Acte à rechercher au minutier des notaires de l’Yonne.
[5] Acte à rechercher au minutier des notaires de l’Yonne.
[6] Le prénom est ici transcrit Jean Marie et non Joseph Maurice comme pour l’année 1839.
[7] Nous avons trouvé de nombreux documents relatifs au curage de ce ruisseau à la même période. Ces documents intéressants feront l’objet d’analyses ultérieures.

Trois documents iconographiques pour Le Livre et Le Livre Moderne (1889-1890) Portraits d'Alexandre Dumas. Bon à tirer et épreuves légendées de la main d'Octave Uzanne.


Alexandre Dumas
à vingt-neuf ans
d'après la lithographie de Devéria, éditée par Motte en 1832

Bon à tirer signé par Octave Uzanne de son paraphe "Octz"
avec la mention "plus faible" indiquée pour le fond de la gravure.
Épreuve sur papier de Chine
Cette estampe a paru dans la livraison du 10 décembre 1890
de la revue
Le Livre Moderne
(elle n'a pas paru dans Le Livre)



Alexandre Dumas
à l'âge de trente cinq ans
d'après Giraud.

Lithographie de 1838, publiée dans l'Echo des Feuilletons.

Épreuve avant la lettre imprimée sur papier du Japon mince,
légendée de la main d'Octave Uzanne
(Uzanne indique par erreur 32 ans au lieu de 35 dans Le Livre Moderne)

Estampe parue dans Le Livre (Xe année) puis réutilisée dans Le Livre Moderne,
livraison du 10 décembre 1890.



Alexandre Dumas
à l'âge de vingt-six ans
d'après une lithographie de 1829, publiée par Chaillou.

Épreuve avant la lettre imprimée sur papier du Japon mince,
légendée de la main d'Octave Uzanne
(Uzanne indique par erreur 29 ans au lieu de 26 et la date de 1832 au lieu de 1829 dans Le Livre Moderne)


Estampe parue dans Le Livre (Xe année) puis réutilisée dans Le Livre Moderne,
livraison du 10 décembre 1890.



Les deux portraits tels que parus dans la revue Le Livre
en mars 1889.


Amusant de constater la démarche de travail d'Octave Uzanne en personne pour l'illustration des articles de ses deux revues Le Livre (1880-1889) et Le Livre Moderne (1890-1891). Amusant également de constater qu'Octave Uzanne réemploie un article publié dans Le Livre en 1889 (livraison de mars 1889). L'article s'intitule alors "L'oeuvre poétique d'Alexandre Dumas" par Charles Glinel. Les mêmes gravures sont en partie réutilisées pour l'article qui parait dans la livraison du 10 décembre 1890 du Livre Moderne, article intitulé "Portraits et charges d'Alexandre Dumas" (pp. 321 à 338). L'article n'est pas signée mais est très probablement sorti de la plume d'Octave Uzanne. Le contenu de l'article, comme l'indique le titre, est foncièrement différent de l'article précédemment paru dans Le Livre.

Enfin, amusant de constater qu'Octave Uzanne change les légendes de deux gravures au moins (celles que nous présentons), avec de notables erreurs dans les âges et les dates de publication.

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 29 novembre 2012

Trois lettres de Georges Monval à Octave Uzanne (1878-1886).

Lettres de Georges Monval à Octave Uzanne.
(Lettres de notre collection)

* * *

Mardi 10 décembre 1878

Cher Mr. Uzanne,

à peine étiez-vous sorti hier que je recevais la visite de mon jeune frère, sous-lieutenant de cavalerie, qui va rejoindre son régiment à Bar-le-Duc.
Il part jeudi matin et nous devons passer en famille la dernière soirée.
Vous seriez bien aimable de remettre notre rendez-vous à samedi, puisque j'ai deux ventes jeudi et vendredi.
Sauf avis contraire, je serai samedi à 6 h 1/2 précises sous les galeries de l'Odéon. Nous nous verrons seul à seul chez Marpon !

Bien à vous,

Georges Monval,
Archiviste


* * *

Samedi 7 octobre 1882

Mon cher Uzanne,

J'ai été très heureux du bon hasard qui m'a conduit chez M. Bouvenne le soir même où vous y étiez ; j'ai si peu d'occasions de vous voir depuis que le mariage m'a retiré du monde des vivants !
J'ai fait aussitôt la petite recherche qui vous intéresse, et je puis vous annoncer que Godard d'Aucourt appartient au Théâtre-Français par la petite comédie qu'il y fît représenter, en collaboration avec Bret et Villaret-Dorval, comédie de province, sous ce titre :
"Le Quartier d'Hyver."

Cette pièce, en 1 acte, en vers libres, avec divertissement dont la musique était de Grandval père, fut donnée pour la 1ère fois le 4 décembre 1744, et eut sept représentations.
Elle parut imprimée in-12 à la date de 1745, et la brochure doit être assez rare, car nous  ne l'avons pas dans notre bibliothèque, et elle ne figure pas dans les Oeuvres de Bret.
Heureusement, le manuscrit est conservé dans nos archives, vu et signé par Crébillon, avec le permis de représenter.
Il est fort curieux, car il contient d'énormes suppressions (dont le rôle d'Apollon en entier) qui n'ont pas été rétablies pour l'imprimeur, et des corrections de la main d'un des auteurs, ce qui peut permettre de pénétrer le secret de cette collaboration.
Avez-vous des lettres de Godard ? Nous, nous n'avons que l'écriture de Bret. Tout cela est curieux à examiner, et j'espère vous voir un de ces jours, à nos archives, entre 2 et 5 heures, muni de la pièce imprimée, si vous avez pu vous la procurer.
Pensez à moi toutes les fois que vous verrez ou entendrez le nom de Molière, et croyez-moi toujours, mon cher ami,

Votre bien dévoué,

Georges Monval

Si vous désirez une analyse de la pièce et quelques détails sur le genre de succès qu'elle obtint, voyez donc le Mercure de Janvier 1745 : il doit y avoir quelque chose. Ah ! si les frères Parfaict avaient poussé plus loin que 1721 ! et personne ne les a continués !


* * *



Vendredi 12 novembre 1886

Mon cher Uzanne,

En vous félicitant de votre spirituelle et amusante causerie sur les Femmes Bibliophiles, je vous demande la permission de vous dire que je constate avec chagrin l'absence du sommaire de notre Moliériste à la page 610.
Vous signaler cet oubli, c'est vous dire, mon cher ami, le prix que j'attache à la simple mention de mon modeste périodique dans le Livre que vous dirigez avec tant de goût. Je n'ai jamais fait ni désiré de réclame, sollicité d'éloges de qui que ce soit ; je ne demande qu'un certificat de vie, à ma place alphabétique, dans une revue qui doit rester et qui restera.
Croyez-moi toujours, mon cher Uzanne, en dépit des Livet, Ménard et consorts,

Votre tout dévoué,

Georges Monval

Qu'a donc fait Auguste Menar (faussement dit Louis Ménard) à votre collaborateur F. G. pour que ce dernier ait fait un tel éloge de son Hamlet au préjudice de Dumas et Meurice, et de la Comédie Française ?


* * *


Georges Hippolyte Mondain dit Monval est né le 1er avril 1845 à Monceau-près-Avon (Seine-et-Marne) et décédé le 28 juin 1910 à Paris. Avocat, acteur et archiviste français, il fut archiviste à la Comédie-Française. Il fonde en 1879 une revue consacrée à Molière, Le Moliériste. Elle paraîtra pendant 10 ans. En 1891, il retrouve par hasard un manuscrit autographe original du Neveu de Rameau de Denis Diderot. Sa publication du texte est la première en français basée sur un manuscrit original. (Source Wikipédia)

Chaque lettre est rédigée sur papier à en-tête de la Comédie Française. Trois lettres comme autant de fragments d'une correspondance qu'on imagine beaucoup plus importante entre 1878 et 1886 au moins. Uzanne avait à sa disposition les archives de la Comédie Française par l'intermédiaire de Georges Monval, son archiviste.




Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 28 novembre 2012

Une intéressante lettre de Firmin Boissin à Octave Uzanne au sujet de projets et d'articles pour la revue Le Livre (1886).

Toulouse, le 9 avril 1886 (1)


        Mon cher monsieur Uzanne, (2)

Il y a quelques jours, notre ami Racot (3) m'a retourné un petit travail sur le père Gagne (4), qui ne vous a pas déplu et que vous pourriez insérer dans le Livre, une fois retouché selon vos indications.
J'ai a peu près refait l'article complètement, et voici comment j'ai procédé :
D'abord, une étude biographique sur l'archi-poète, en élaguant tous les détails inutiles et en ne conservant que ceux qui pouvaient intéresser vos lecteurs.
Ensuite, un résumé de ses idées les plus extravagantes et les plus inouïes.
Enfin, une nomenclature bibliographique détaillée de toutes celles de ses publications qu'il m'a été possible de connaître.
Je termine par quelques renseignements sur le côté extérieur des ouvrages de Gagne et sur la manie qu'il avait de s'éditer lui-même.
Je vous envoie l'article, cher monsieur Uzanne, et je crois que, tel qu'il est, il rentre pleinement dans vos intentions.
Il va sans dire que s'il s'y trouvait quelque détail que vous supposiez ne pas être du goût des lecteurs du Livre, vous avez toute liberté de l'élaguer - en ayant soin néanmoins de raccorder les passages qui se trouveraient scindés par la coupure.
Si cet article était goûté, j'aurais, pour plus tard, une proposition à vous faire. Celle-ci : pendant mon séjour à Paris, de 1860 à 1870, j'ai rassemblé une multitude de livres, brochures, plaquettes, ayant trait aux opinions singulières et bizarres. Mon idée était de faire une Histoire de l'Illuminisme, et j'en avais même exposé le plan à mon ami Anatole France. Les évènements m'ont empêché de mettre ce projet à exécution, et j'ai complètement renoncé au travail en question. Ici à Toulouse les éléments me feraient défaut. Mais, à temps perdu, je pourrais utiliser ma collection pour le Livre, de cette manière :
Faire une série d'articles (sous ce titre : Opinions singulières, ou Visionnaires et Illuminés, à votre choix), dans lesquels je passerais bibliographiquement en revue une foule de publications curieuses, aujourd'hui totalement dispersées ou perdues - en tous cas à peu près inconnues. (5)
J'indiquerais très exactement le titre de la publication, en indiquant, quand il y aurait lieu, ses singularités matérielles.
Je donnerais sur l'auteur les détails intéressants ;
et je ferais des extraits de ses conceptions les plus drôles.
Le tout en notes précises, claires, sans prétentions oratoires - m'inspirant toujours du sujet.
Je crois que les Livriers n'en seraient pas mécontents. Dites-moi ce que vous en pensez.
Je n'ai pas oublié nos bonnes relations d'autrefois. Vous avez bien voulu signaler avec éloges ma publication sur Restif de la Bretonne (6), et de mon côté, j'ai souvent autrefois parlé de vos livres dans le Messager de Toulouse. (7)
Si j'ai cessé plus tard, ce n'est pas de ma faute ; mais celle de votre éditeur M. Quantin, qui a cessé de me faire le service de ses publications.
Quoi qu'il en soit, je remercie Racot de m'avoir permis de renouer les relations interrompues.
Croyez, cher monsieur Uzanne, à tous mes meilleurs sentiments.

                                   Firmin Boissin

P. S. Si Gagne passe, vous voudrez bien être assez bon pour m'en faire envoyer les épreuves avant l'insertion. (8)


(1) Lettre à l'encre violette, 3 pages in-8, sur papier à en-tête du Messager de Toulouse, moniteur du Midi, 39, rue Saint-Rome, Rédaction. Lettre de notre collection.
(2) Lettre de Firmin Boissin adressée à Octave Uzanne alors directeur et rédacteur en chef de la revue bibliographique Le Livre qui a paru de 1880 à 1889. Firmin Boissin est né le 17 décembre 1835 à Vernon (Ardèche) et mort en 1893. Journaliste et écrivain catholique et régionaliste français. Il fait des études secondaires au petit séminaire d'Aubenas et au séminaire de Viviers. Licencié ès lettres de l'université de Montpellier, il est professeur de grammaire à Cavaillon et à Avignon, puis passe quelque temps en Espagne où il gagne sa vie comme écrivain public. Ensuite, il est employé à la bibliothèque de l'Arsenal à Paris (qui avait alors comme conservateur-administrateur Paul-Mathieu Laurent dit Laurent l'Ardèchois ) où il écrit des articles dans des revues et des journaux et où il publie ses premiers ouvrages sous le pseudonyme de Simon Brugal (patronyme de sa grand-mère maternelle ). En 1871 il devient rédacteur au Messager de Toulouse. Bien que la plus grande partie de sa carrière se passe à Toulouse, il reste attaché à sa région natale, le Vivarais, sur lequel il écrit plusieurs romans historiques, dont le plus connu est Jan de la Lune. Il mène également une carrière de critique littéraire. En 1887, il est élu Mainteneur de l'Académie des Jeux floraux. Il est aussi membre de l'Ordre de la Rose-Croix. Prieur de Toulouse et Commandeur de l'Ordre, il reçoit dans ses rangs en 1858 Adrien Péladan, médecin homéopathe et frère de Joséphin Péladan. Son cousin, Camille Vielfaure fut député de l'Ardèche. Devenu malade des yeux, Firmin Boissin retourne en Ardèche, où il meurt en 1893 à l'âge de 58 ans. C'est peut-être lors de son passage à la bibliothèque de l'Arsenal que Firmin Boissin a fait la connaissance du jeune Octave Uzanne, dans les années 1874-1875 ? 
(3) Adolphe Racot (1840-1887), homme de lettres, traducteur et journaliste. Il signe cette même année 1886 un article intitulé Les Épaves des grandes Restaurations pour Le Livre (p.171, biblio. rétrospective, 1886). C'est l'article qui suit juste celui donné par Firmin Boissin sur Paulin Gagne. Voir note 8.
(4) Paulin Gagne est né à Montoison (Drôme) le 9 juin 1808 et mort à Paris le 22 août 1876. Avocat, journaliste et poète français, auteur entre autres de L'Unitéide, poème en 60 actes et 25 000 vers où l'on « rencontre la plus bizarre agglomération de noms fantastiques et de vers saugrenus que puisse inventer le cerveau humain » et « candidat universel, perpétuel, surnaturel et inamovible » à toutes les élections, il figure parmi les fous littéraires recensés par Pierre Gustave Brunet, Raymond Queneau et André Blavier.
(5) Firmin Boissin, sous le pseudonyme de Simon Brugal, a fait paraître en 1890 (Paris, A. Savine) un volume intitulé Excentriques disparus. Le projet dont il est question ici pour Le Livre n'a visiblement pas connu de suites. Il n'y a pas eu d'articles sur le sujet jusqu'à la fin de la revue en 1889. Le livre de 1890 Excentriques disparus est sans doute l'aboutissement de ce projet.
(6) Firmin Boissin avait publié son Restif de la Bretonne en 1875 chez Paul Daffis. Tiré à 150 exemplaires seulement. 108 pages.
(7) Firmin Boissin devint rédacteur au Messager de Toulouse en 1871. Octave Uzanne n'était pas encore l'homme de lettres connu qu'il est devenu en 1886. Les premières publications d'Uzanne datent de 1875. On peut supposer que Firmin Boissin a rendu compte de la Guirlande de Julie publiée à cette date et des ouvrages suivants publiés chez Quantin.
(8) L'article en question sera bel et bien publié sous le titre Le Poète Paulin Gagne et ses publications excentriques, dans la revue Le Livre, section bibliographie rétrospective, année 1886 (livraison du mois de juin), pages 161 à 170. Il est signé SIMON BRUGAL (pseudonyme de Firmin Boissin). Il n'est pas illustré.


Bertrand Hugonnard-Roche
Notes et mise en ligne

Envoi autographe d'Octave Uzanne à l'ami Escarguel de Perpignan.



"à l'ami Escarguel (*),
célibataire bon teint et qui ne regrette rien de la vie célibe qu'il embrassa ;
avec un cordial souvenir de son bon accueil en Perpignan.
Octave Uzanne"

Source du document : catalogue de libraire (internet)


Le Célibat et l'Amour a paru en 1912 aux éditions du Mercure de France. Uzanne était alors journaliste régulier pour la Dépêche de Toulouse. On comprend qu'il ait eu des rapports avec Jules Escarguel, directeur de l'Indépendant, plus grand journal de la région. Nous n'avons pas trouvé d'autres écrits permettant de faire le lien plus précis entre ces deux journalistes.

(*) il doit s'agir de Jules Escarguel, fils cadet du premier député-maire républicain de Perpignan (Lazare Escarguel). Il devient à partir de 1893 le nouveau rédacteur en chef du journal l'Indépendant des Pyrénées Orientales. Il est directeur de ce même journal pendant de nombreuses années, jusqu'à la fin des années 20 au moins. Jules Escarguel est qualifié de "truculent" par un des historiens du journal l'Indépendant. Organe influent de la droite modérée, l'Indépendant est le premier journal du département par son tirage.

Bertrand Hugonnard-Roche

dimanche 25 novembre 2012

Octave Uzanne préfacier de Mme de Duras (1879). Le romantisme, les bas-bleu, l'amour en littérature, etc.

Octave Uzanne rédige la Notice pour l'Edouard (*) réédité de Mme de Duras chez Jouaust dans la collection des Petits Chefs-d'oeuvre. Cette notice est datée du mois de juin 1879. Il n'y a pas d'achevé d'imprimer au volume.
Uzanne se défend de donner ici une préface, tout au plus « quelques pages de légère causerie sur le seuil de la porte »« un salut au lecteur avant d'entrer (...) un signe de tête aux amis et aux fidèles qui daignent nous lire, mais assurément ce n'est pas une préface. Nous aimons trop l'intégrité des festins littéraires pour ne pas savoir être sobre en arrivant au dessert. »
En quelques pages bien tournées, le jeune Octave Uzanne (il a 28 ans) donne sa vision du romantisme, des bas-bleus, de ces femmes écrivaines qui pullulèrent alors en France ; et donne en passant (et c'est loin d'être le moins intéressant) quelques intéressantes considérations sur l'amour, sujet qui l'occupera tout au long de sa carrière d'écrivain et d'homme libre (célibataire).

Savourons ces quelques pages.

"A notre époque de vilaine photographie littéraire, où le naturalisme, impertinent comme une inconvenance et vaniteux comme une sottise, paraphrase les procédés réalistes de la veille ; en ce temps de conceptions étranges où la sécheresse est un talent, le terre à terre un art qu'on voudrait définir, et le défaut d'imagination la plus heureuse qualité du monde ; en face du mépris de ces nihilistes des lettres, desquels se détournent tous ceux qui pensent et aiment leur nation dans la tradition et l'essence de sa langue, il nous est particulièrement agréable d'avoir à tracer ici ces quelques lignes sur un ouvrage intéressant à plus d'un titre, mais qui porte l'empreinte d'une période de littérature correcte et honnête, dont la mièvrerie, l'idéalisme outré et la folie sentimentale ont préparé l'heure présente.
Les réactions littéraires ont quelquefois la violence et la hideur des représailles, lorsqu'elles ne sont pas nobles et belles comme les révolutions fortes et pacifiques ; ordinairement c'est le fumier qui fait pousser les roses ; mais, dans l'histoire des belles-lettres de ce siècle, on pourra dire que de la fleuraison de trop de roses on a tenté de faire un purin infect et nauséabond. — On peut suffisamment constater les effets ; nous ne devions, pour ce qui nous intéresse, considérer que les causes.
Après la Révolution et les victoires, ces fleuves de sang, de l'Empire, le pays, pâmé, exsangue, sans force, volonté ni vigueur, ne songeait plus aux rouges fantaisies des encyclopédistes, ni aux jolies licences osées des conteurs du siècle précédent. L'esprit français, après avoir été si lourdement casqué, était alors plus mesuré, mais aussi moins fanfaron, moins coquet et moins coquin ; c'était un réveil de convalescent qui se souvient, regrette et veut être sage, et, dans cette convalescence d'un peuple d'élite, il y avait forcément impuissance charnelle, mais, par contre, pléthore de désirs vagues, outrance absolue des sensations du coeur. A force de pleurer des victimes de la guerre ou de la discorde, d'attendre dans les larmes et la solitude de l'exil, les sentiments élégiaques s'étaient implantés dans les âmes malheureuses, et une sorte de névrose noire tyrannisait tous les cerveaux.
La littérature sous la Restauration se ressent de cet état de malaise : elle n'est pas forte ni souriante, elle demeure mélancolique et larmoyeuse ; il y bruine de la tristesse au milieu d'une atmosphère de passions timides. Dans toutes les œuvres de 1815 à 1830 on sent la fièvre du découragement et le nonchaloir de l'incertitude. La plupart sont écrites d'un style clair, pénétrant et doux ; mais elles semblent dictées par une âme inquiète et toute en deuil. On les a lues pour bercer son tourment imaginaire, on doit les relire de temps à autre comme un écho exquis de tristesses lointaines; on peut les respirer comme ces fleurs délicates et pâles qu'on cueille dans les jours où la mélancolie, cette grande pensive, vient prendre place au banquet des rêves impossibles et décevants.

C'est de ce temps réellement que datent les romans d'analyse, les seules fictions véritables lorsqu'elles sont bien conçues et bien conduites, car elles réclament un talent d'observateur et de psychologue que ne vient pas masquer la trame grossière de l'action. La sentimentalité demande et impose l'analyse, et les écrivains d'alors ont mis au service de leurs conceptions un talent souple et sincère en forçant la note des désespérances amoureuses. C'est le bas-bleuisme, selon nous, qui est le grand coupable dans les belles-lettres romancières du début de ce siècle ; Mmes de Krudner, Anne Radcliffe, Sophie Gay, la princesse de Salm, la baronne de Montolieu, Mmes de Staël, de Souza, Jenny Bastide, Guizot, de Gottis, et tous les bas azurés de second ordre, ont apporté dans la délicatesse de leurs manières la plus déplorable mal'aria. Si elles n'en meurent pas toutes, toutes en sont frappées. Jusqu'à l'apparition d'Indiana, de Lélia et de Valentine, l'épidémie se propage ; les héros de romans se traînent plus qu'ils ne vivent ; l'amour n'est plus qu'une maladie de langueur, une passion qui gravit son calvaire ; le mythologique brandon du dix-huitième siècle s'est transformé en une pâle veilleuse qui vacille, crépite et s'éteint. Tous ces romans cependant ne s'échafaudent que sur l'amour, mais l'échafaudage est chancelant, il repose moins sur la terre que dans l'éther idéalisé. Les jeunes premiers dans ces drames fictifs de la vie semblent deshommés et n'ont aucune effervescence virile. Les pauvres amants que voilà ! ils sautent dix chapitres avant de réclamer un baiser, et c'est à peine si, au dénouement, ils recueillent le fruit de leurs doléances. Le coeur, dans un noble langage, plaide fort bien pour lui-même, mais il abandonne la cause des sens. Dans le royaume des âmes dégagées de la matière, cela serait fort logique, de même que chez un peuple où circulerait la chlorose ; mais dans le gai pays de France, encore ensoleillé du rire rabelaisien et de la verte morale de Montaigne, l'esthétique de ces œuvres nous parait évidemment fausse et par trop germanique. Il est des instants où les littératures reviennent au gothique comme les vieillards reviennent à l'enfance, par lassitude et besoin de repos.

Edouard est conçu dans le même esprit que Werther, Child-Harold, Oberman, Valérie, Adèle de Sénange et Eugène de Rothelin. A une époque où M. de Jouy écrivait Cécile ou les Passions, une œuvre aussi mesurée que celle de Mme de Duras devait être considérée à bon droit comme un chef-d'œuvre de délicatesse et de sentiment. Cette connaissance et cette profonde pitié des souffrances d'un cœur envahi d'amour, ce récit sobre, juste, sans éclat, mais empreint d'un caractère de vérité, la manière elle- même pleine de discrétion dont la duchesse de Duras avait publié ce livre, tout contribua à lui assurer le plus vif succès. L'épigraphe placée sur le faux titre de l'œuvre en résume admirablement l'esprit ; on ne pouvait mieux choisir, et le vers du Tasse jadis tant applaudi est bien la devise qu'on devait transcrire sur la bannière amoureuse d'Edouard :

Brama assai, poco spera, e nulla chiede.

Il désire beaucoup, il espère peu et il ne demande rien : voilà bien la grande passion timorée du roman décrite en trois mots. C'est le cri d'Olinde, amant de Sophronie, mais c'est aussi la terrible exclamation d'une âme qui souffre et qui ne peut rien devant cette funeste hiérarchie des classes élevées où la naissance croit creuser entre les rangs sociaux un abîme infranchissable et indéfini.
« Edouard, plus développé qu'Ourika, est le titre principal de Mme de Duras, dit Sainte-Beuve. Dans ce livre, on voit deux siècles, deux sociétés, aux prises, et le malheur qui frappe les amants devient le présage d'un évènement nouveau. L'effet des mêmes catastrophes sociales, qui ont leur retentissement dans les écrits de Mme de Souza et dans ceux de Mme de Duras, est curieux à constater par la différence. L'une perdit son premier mari, l'autre son père, sur l'échafaud, toutes deux subirent l'émigration; mais les idées de ces personnes distinguées étaient déjà faites, pour ainsi dire, les impressions la plupart étaient prises. Les romans de Mme de Duras sont bien de la Restauration, écho d'une lutte non encore terminée, avec le sentiment de grandes catastrophes en arrière. Une de ses pensées habituelles était que, pour ceux qui ont subi jeunes la terreur, le bel âge a été flétri, qu'il n'y a pas eu de jeunesse, et qu'ils porteront jusqu'au tombeau cette mélancolie première. Ce mal, qui date de la Terreur, mais qui sort de bien d'autres causes, qui s'est transmis à toutes les générations venues plus tard, ce mal de Delphine, de René, elle l'adore ; elle le poursuit dans ses variétés ; elle tâche de le guérir en Dieu. »
« Analyser Edouard, ajoute le critique des Lundis, marquerait bien peu de goût, et nous ne l'essayerons pas. On ne peut rien détacher d'un tel tissu et il n'est point permis de le broder en l'admirant. Entre toutes les scènes si finement assorties et enchaînées, la principale, la plus saillante, celle du milieu, quand, un soir d'été à Faverange, pendant une conversation de commerce de grains, Edouard aperçoit Mme de Nevers au balcon, le profil détaché sur le bleu du ciel et dans la vapeur d'un jasmin avec lequel elle se confond, cette scène de fleurs données, reprises, de pleurs étouffés et de chaste aveu, réalise un rêve adolescent qui se reproduit à chaque génération successive ; il n'y manque rien ; c'est bien dans ce cadre choisi que tout jeune homme invente et désire le premier aveu : sentiment, destin, langue, il y a là une page adoptée d'avance par des milliers d'imaginations et de cœurs, une page qui, venue au temps de la Princesse de Clèves, en une littérature moins encombrée, aurait la certitude d'être immortelle. »
Edouard cependant est bien oublié aujourd'hui où l'on ne cite qu'Ourika, ce touchant récit qui, avec Le Frère Ange et Edouard, devait, dans l'esprit de son auteur, former une trilogie vivante. Ce fut par hasard que Mme de Duras, vers 1820 et sur le conseil de ses amis, se prit à écrire ; Ourika fut le premier essai, tandis qu'Edouard, plus mûri, mieux caressé, écrit avec moins de fièvre, représente à nos yeux l'œuvre capitale de la fille du comte de Kersaint. La conception première de ce roman, cette idée d'inégalité de position sociale, fut prise, nous assure-t-on, dans la famille même de la duchesse de Duras : un jeune homme, M. Denis Benoist (de la famille Benoist d'Azy), professait la plus tendre inclination pour sa fille Clara, plus tard duchesse de Rauzan. Bien accueilli dans l'intimité du home, ce fils de conseiller d'Etat était traité en ami, presque en frère ; mais sa passion malheureuse devait discrètement se cacher, car, au grand jour du monde, le futur auteur d'Ourika ne pouvait songer à en faire ostensiblement son gendre. Mme de Duras nota-t-elle sur le vif le désespoir du triste amoureux, ou bien pénétra-t-elle par l'imagination dans l'âme torturée du jeune homme, nous ne saurions dire; mais il est certain qu'Édouard est une oeuvre de lente incubation : pour peindre de telles souffrances morales dans des pages si tendres, si éloquentes et si élevées, il faut faire mieux que créer, il faut enfanter dans les larmes et bercer avec sincérité les ardentes douleurs qu'on a mises au jour.  

L'édition d'Ourika, qui a été publiée dernièrement dans cette même collection de petits chefs-d'œuvre où Edouard paraît aujourd'hui, est précédée d'une attrayante préface, dans laquelle M. de Lescure a écrémé, pour ainsi dire, et presque épuisé le sujet de notre courte notice. Nous n'aurons donc pas à dire que Mme la duchesse de Duras, née Claire Lechat de Kersaint, vint au monde à Brest en 1778 ; que, réfugiée aux Etats-Unis après la mort de son père, elle revint en France vers 1801 et mourut à Nice le 16 janvier 1828. Tous les détails bio-bibliographiques relatifs à cette rivale de Mme de Tencin et à ses œuvres ont été consignés dans l'avant- propos de l'édition susmentionnée, et nous nous bornons ici à ces quelques pages de légère causerie sur le seuil de la porte : c'est un salut au lecteur avant d'entrer, c'est un signe de tête aux amis et aux fidèles qui daignent nous lire, mais assurément ce n'est pas une préface. Nous aimons trop l'intégrité des festins littéraires pour ne pas savoir être sobre en arrivant au dessert.
Le style de Mme de Duras, comme le fait observer justement l'auteur de Volupté, ce style sans préméditation ne se sent ni du tâtonnement ni de la négligence. Il est né naturel et achevé, simple, rapide, réservé pourtant ; un style à la façon de Voltaire, mais chez une femme ; pas de manières, surtout dans Edouard : un tact perpétuel, jamais de couleur équivoque et toutefois de la couleur déjà, au moins dans le choix des fonds et dans les accompagnements ; en tout des contours très purs. Ce qu'on voit au travers de la trame du roman, c'est une faculté de sentir extraordinaire et une facilité d'exprimer charmante ; les sentiments de Mme de Duras étaient passionnés et dévoués, son esprit puisait aux sources élevées de son âme délicate, et sa nature franche se frayait dévotement un passage entre l'envie et la haine.
Mais on va lire Edouard, et l'on comprendra l'idéalisme raffiné de ce cœur souffrant, qui résuma sa manière dans cette jolie pensée : « Il en est des maladies de l'âme comme de celles du corps : celles qui tuent le plus sûrement sont celles qu'on porte avec soi dans le monde ; il y a des désespoirs chroniques (si on osait le dire) qui ressemblent aux maux qu'on appelle ainsi : ils rongent, ils dévorent, ils détruisent, mais ils n'alitent pas. »
Dans l'ouvrage qui suit, le malade, atteint d'un tel désespoir, quémande la mort sur un champ de bataille. « Le propre de l'amour, disait Virey, est de s'immoler. » Cela est fort beau, mais nous avouons que la sentimentalité ainsi comprise conduit au ridicule quand elle ne mène pas au sublime. L'amour vaut mieux que des larmes ; Hésiode s'écriait avec raison : « C'est l'architecte de l'univers ». Restons en là, c'est le vrai naturalisme ; un naturalisme qui aura toujours sa poétique, car, s'il faut dans la passion habiller ses désirs, on ne doit pas absolument nuager le corollaire, et la sagesse réside dans ce juste milieu si difficile à observer : « Ni trop ni trop peu ; ni jamais ni toujours. »

Octave Uzanne.

Paris, juin 1879."

Bertrand Hugonnard-Roche
transcription sur l'édition originale de 1879


(*) Edouard par Mme de Duras, précédé d'une préface par Octave Uzanne. Paris, Librairie des Bibliophiles, 1879 [D. Jouaust imprimeur, non mentionné au colophon, sans achevé d'imprimer - marque à l'ancre sur la page de titre imprimée en rouge et noir]. 1 vol. in-12. XII pages de Notice et 144 pages. Tirage à petit nombre sur papier vergé teinté. Couverture de brochage imprimée en noir sur papier vert. Il a été fait un tirage spécial à 90 exemplaires (30 ex. sur Chine et 60 ex. sur Whatman).

samedi 24 novembre 2012

Deux envois autographes d'André Suarès à Octave Uzanne (1914-1915).

Envoi autographe d'André Suarès à Octave Uzanne daté du 29 avril 1914,
sur Essais, nrf, 1913.

"à MR. O. Uzanne,
qui vient de me marquer
tant de généreuse
intelligence et de
libre esprit."

[signé] Caërdal
[daté] 29 avril 1914

Collection B. Hugonnard-Roche, 2012




Envoi autographe d'André Suarès à Octave Uzanne daté du 19 avril 1915,
sur  Italie, Italie !
Paris, Emile-Paul frères, 1915

"à O. Uzanne,
en bon souvenir
de S."

[daté] 19 avril 1915


Collection B. Hugonnard-Roche, 2012


André Suarès publie le volume de ses Essais ou Chronique de Caërdal en 1913 aux Editions de la Nouvelle Revue Française (nrf). Il a été tiré 50 exemplaires sur vergé d'Arches réimposés. Notre exemplaire est du tirage ordinaire sur papier Alfa. Il a été achevé d'imprimer le 20 décembre 1913. Suarès signe son envoi à Uzanne de son pseudonymé Caërdal. Cet envoi laisse supposer une rencontre récente entre les deux hommes ainsi qu'un échange intellectuel fructueux pour Suarès. Suarès a 47 ans et Uzanne 63 ans.

Le deuxième ouvrage Italie, Italie ! sort des presses au mois d'avril 1915. Suarès offre un exemplaire tiré spécialement pour lui (le nombre n'est pas précisé), celui-ci portant le n°22 (imprimé). Cette petite plaquette de 23 pages est ici imprimée sur un beau papier vergé blanc épais.

Un an tout juste sépare ces deux envois. Le second marque indiscutablement un éloignement  entre les deux hommes marqué par le "bon souvenir".

Quels furent les échanges intellectuels entre Octave Uzanne et André Suarès ?

A suivre...

Bertrand Hugonnard-Roche

Envoi autographe d'Octave Uzanne à Julien Stirling sur un exemplaire de la Française du Siècle (25 février 1899).


Envoi autographe d'Octave Uzanne à Julien Stirling
daté du 25 février 1899
sur un exemplaire de la Française du Siècle (*).
(achevé d'imprimer le 4 novembre 1885).


"à M. Julien Stirling,
ce volume de la Française du siècle que j'estime,
à la distance de douze années, comme l'un des meilleurs et de plus parfaits, au point de vue d'art
bibliophilique, de cette série d'ouvrages de luxe
successivement publiés chez l'éditeur Quantin
de 1882 à 1895.

Octave Uzanne
25. II 99."


(*) La Française du Siècle. Modes - Moeurs - Usages par Octave Uzanne. Illustrations à l'aquarelle de Albert Lynch gravées à l'eau-forte en couleurs par Eugène Gaujean. 1 volume grand in-8 de XVI-273-(3) pages, frontispice et 9 eaux-fortes en couleurs hors-texte, bandeaux et lettrines en couleurs ou camaïeu. Tirage sur beau papier vélin des Vosges.

Ce volume est passé dans trois générations de Stirling. Offert par Uzanne à Julien Stirling en 1899, il passa ensuite dans les mains de son fils André, puis en 1945, dans les mains de Jacqueline Stirling à l'occasion de ses vingt et un ans, avec un envoi autographe d'André Stirling : "Pour ma fille Jacqueline, à l'occasion de ses vingt et un ans, et en souvenir de son grand père. [signé] André Stirling [daté] Ier mai 1945." Le volume, resté broché, en excellent état, porte également l'ex libris d'Octave Uzanne Bibliophilosophe (dessiné par Guérin et gravé par Frédéric Massé) ; ex libris probablement ajouté postérieurement par l'un ou l'autre des membres de la famille Stirling.

Julien Stirling fut connut pour être un éminent Hugolâtre. Voir à son sujet Un Hugolâtre [Julien Stirling], Le Carnet, XVI (1903) p. 413 et suiv. Il est décédé en 1919. Il écrivait sous le pseudonyme de Georges Colas dans diverses publications littéraires et scientifiques.
André Stirling, son fils, s'essaya à la poésie (Les Extases, Poèmes, 1908) et publia divers ouvrages de littérature et d'érudition.

Nous ne savons rien des liens qui ont pu unir Octave Uzanne avec Julien Stirling à la fin du XIXe siècle.

Bertrand Hugonnard-Roche

Envoi autographe d'Octave Uzanne à Marius Vachon sur un exemplaire de l'Eventail (achevé d'imprimer le 1er décembre 1881).


Envoi autographe d'Octave Uzanne à Marius Vachon
sur un exemplaire de l'Eventail (*).
(achevé d'imprimer le 1er décembre 1881).


"au vieil Ami Marius Vachon
pour clore toutes hostilités
Ton très "sincerly"
Octave Uzanne"



(*) L’Éventail par Octave Uzanne. Illustrations de Paul Avril. Paris, A. Quantin, 1882 (achevé d'imprimer le 1er décembre 1881). 1 vol. gr. in-8, 143-(1) pages. Illustrations en couleurs en héliogravure. Tirage sur beau papier vélin des Vosges.



Marius Vachon, étude critique
par Michela Passini pensionnaire à l'INHA


L’œuvre de Marius Vachon s’est développé en trois directions : les études sur la Renaissance française, les travaux sur le vandalisme de 1870 et sur les dévastations de la Première Guerre mondiale, l’engagement en faveur du renouveau des arts industriels. Un seul fil conducteur unit ces différents intérêts : la volonté d’affirmer la grandeur de l’art et de la culture français, que ce soit contre l’envahisseur allemand ou qu’il s’agisse de montrer la supériorité de l’architecture française de la Renaissance, à ses yeux complètement indépendante de la tradition italienne, ou, enfin, qu’il soit question de la réorganisation de la production d’objets d’art contre de puissants adversaires tels que les Anglais ou les Viennois. Né en 1850, Vachon entra très jeune à la rédaction de La France d’Émile de Girardin, et il en fut pendant plusieurs années le secrétaire général. Son parcours fut donc celui d’un journaliste et d’un critique militant, et sa formation, acquise par une collaboration assidue avec différents périodiques : Le Temps, L’Art, la Gazette des Beaux-Arts, La Nouvelle Revue. Cette dernière, ainsi que La France, sont connues pour leurs positions d’un nationalisme intransigeant, et, lors de l’Affaire, pour leur penchant anti-dreyfusard. À ce propos, il est utile de rappeler que Vachon était lié au peintre Édouard Detaille, auquel il consacrera une monographie, et que celui-ci était fort proche de la Ligue des patriotes de Paul Déroulède. Les premiers ouvrages importants de notre auteur remontent à la fin des années soixante-dix. Il s’agissait d’une série de volumes consacrés aux édifices, aux monuments et aux œuvres d’art détruits ou endommagés pendant la guerre de 1870-1871 : le château de Saint-Cloud (1878), la bibliothèque du Louvre (1879), la cathédrale de Strasbourg avec les musées et les bibliothèques de la ville alsacienne (1882). À ce groupe d’écrits se lie, pour la violence du propos, un ouvrage tardif dédié à un problème analogue : celui des dévastations perpétrées par l’armée allemande lors de la Grande Guerre. Paru en 1915, Les Villes martyres de France et de Belgique est l’un des derniers travaux de l’auteur : il conclut sur des tons virulents une carrière commencée sous le signe d’un anti-germanisme exacerbé. Nous reparlerons de cet aspect de la pensée de Vachon, qui devait aussi déterminer de manière évidente les développements de sa réflexion sur les arts industriels. Les années quatre-vingts marquent le début de nouvelles recherches : avec un ouvrage sur L’Ancien Hôtel de ville de Paris (1882), sujet qui le passionnera tout au long de sa carrière, Vachon inaugure une période d’études sur l’architecture de la Renaissance en France. Déjà, à partir de ce premier essai, sa démarche s’avère fortement conditionnée par un parti pris politique. Le volume visait à démontrer que l’hôtel de ville n’était pas l’œuvre de l’architecte italien Domenico da Cortona, dit le Boccadoro, comme des témoignages « intéressés » l’avaient laissé supposer jusque-là : bien au contraire, l’auteur en était un maître français dont le talent paraissait injustement méconnu, Pierre Chambiges. Cette reconstruction tendancieuse sera attaquée à plusieurs reprises, notamment par Fernand Bournon en 1888 (Gazette archéologique, XIII), et par Bernard Prost en 1891 (Gazette des Beaux-Arts, V et VI, deux articles). Néanmoins, entre 1903 et 1905, Vachon en arrivera à présenter trois mémoires au conseil municipal de la Ville de Paris pour conjurer le projet d’apposer sur à l’Hôtel de Ville une plaque commémorative à l’honneur du Boccadoro, en revendiquant l’attribution du bâtiment à « un architecte parisien ». Les mêmes sous-entendus nationalistes dominent la monographie sur Philibert de l’Orme, publiée en 1887. Ce dernier était, aux yeux de Vachon, « un vrai Français de tempérament et de caractère » (p. 4). Son ouvrage devait d’ailleurs servir à combattre les « légendes » répandues par une historiographie « fantaisiste », qui avait le défaut de faire la part trop importante aux artistes italiens appelés en France par Charles VIII, Louis XII et François Ier. Ces prises de position s’expliquent plus clairement si l’on s’efforce de les situer dans le contexte de l’histoire de l’art de l’époque. Avec les années quatre-vingts, on assiste à l’affirmation d’une historiographie franchement revancharde : les travaux de savants tels que Léon Palustre et Louis Courajod esquissaient l’image d’une Renaissance française autonome, indépendante de l’évolution des arts en Italie et nourrie de la vigoureuse tradition gothique nationale. Les maîtres italiens attirés par les rois de France, non seulement n’avaient rien apporté de significatif, mais en plus avaient introduit en France les germes du maniérisme et de la décadence. À cette condamnation Vachon unissait une tendance marquée à attribuer aux hommes du XVIe siècle un patriotisme qui était plutôt celui du XIXe : il avait ainsi beau jeu à exagérer la rivalité entre Philibert de l’Orme et Primatice, en faisant de ce dernier « son ennemi juré et le chef ardent de la coterie ultramontaine » (p. 22) et en décrivant De l’Orme comme le héros d’une authentique résistance anti-italienne. La critique la plus sévère et la plus juste viendra en 1900 de Louis Dimier : en opposant Philibert de l’Orme aux Italiens et en le rapprochant aux maîtres maçons de l’époque précédente par une sorte solidarité nationale, Vachon méconnaissait le véritable caractère de l’art de De l’Orme et d’une Renaissance française qui avait puisé son originalité dans le mélange d’influences différentes. Cela dit, il est assez surprenant de constater que Philibert de l’Orme parut dans une collection dirigée par Eugène Müntz, maître de Louis Dimier et un des rares défenseurs à cette époque de la primauté de la Renaissance italienne, et que les deux auteurs échangèrent une correspondance qui frappe par des tons extrêmement amicaux. Seul après la mort de Müntz (1902), Vachon avancera un commentaire explicitement hostile et traitera le grand savant de chantre d’une vision « trop italianisante » des temps modernes (La Renaissance française, 1910, p. VIII ). Après une courte monographie sur Jules Breton, parue en 1899, les recherches de Vachon sur la Renaissance marquent un point d’arrêt : la fin des années quatre-vingt, et surtout la décennie suivante sont traversés par une série d’études et de missions visant la réorganisation et la promotion du système des arts industriels dont il sera question plus bas. Les travaux plus proprement historiques reprennent en 1907 avec le volume Une famille parisienne d’architectes maistres-maçons. Les Chambiges. En reconstruisant la biographie et la carrière des différents représentants de cette famille d’artistes, Vachon donnait un tableau assez complet de l’architecture en France au XVIe siècle. Comme Pierre Chambiges, son héros, Vachon fut obligé de se confronter avec « l’invasion des décorateurs italiens » (p. VII), qui – bien qu’il cherchât à en diminuer la portée – ne pouvait pas être niée. Ainsi il employa toutes ses énergies pour discréditer les « envahisseurs ». Comme la plupart de ses collègues à la même époque, Vachon n’avait pas de mots assez durs pour stigmatiser la conduite des maîtres italiens de Fontainebleau, souvent traités de malfaiteurs sur la base d’une lecture trop crédule de la Vita de Benvenuto Cellini. « L’essentiel pour ces artistes étrangers était d’avoir des places et des fonctions, de gagner de l’argent, des titres et des honneurs » (p. 8), expliquait-il, en opposant directement les ruses des Italiens à l’honnêteté et à la dignité professionnelle des Français. Ce contraste domine tout l’ouvrage : dans sa défense des vieux maîtres français, Vachon faussait les perspectives historiques en exagérant délibérément la séparation entre les artistes des deux nationalités. En particulier il tendait à souligner la dimension encore toute artisanale, manuelle, du travail des artistes français, qu’il qualifiait d’architectes et « maistres-maçons ». Les Italiens, au contraire, n’étaient que des « diviseurs de plan », étrangers à tout savoir-faire spécifique, à toute connaissance véritable des techniques de construction : ils se bornaient à fournir un plan très général des bâtiments, leur apparition n’avait entraîné par conséquent aucun changement dans l’organisation du travail propre aux Français. Ces prises de position, cet éloge du maître-maçon, artiste complet qui unit dimension intellectuelle et pratique de la création, n’est pas sans relations avec les batailles pour les arts industriels français que Vachon conduisait en ces mêmes années. Le volume La Renaissance française. L’architecture nationale, les grands maîtres-maçons, paru en 1910, ne fit que confirmer ces prises de position. Par cette vaste synthèse, Vachon formulait explicitement le principe qui est à la base de sa conception du développement de l’architecture française au XVIe siècle : celui d’une filiation directe, immédiate, du gothique. « Une émulation continue transformait l’éclatante supériorité de notre grandiose Moyen Âge en cette exquise Renaissance française, toute pénétrée de l’ingéniosité de nos habiles ornemanistes » (p. VII). C’était là une manière de se débarrasser définitivement de l’hypothèse importune de l’influence italienne : en affirmant une continuité ininterrompue entre gothique et Renaissance, Vachon retraçait l’histoire d’un art français complètement indépendant de toute « contamination » étrangère. Proche en cela de Louis Courajod, sans toutefois en avoir la science, notre auteur s’efforça tout au long de sa carrière de promouvoir l’image d’une France du XVIe siècle parcourue par un renouveau artistique et culturel qui ne comportait pas une fracture avec la glorieuse tradition nationale, mais qui au contraire puisait directement aux sources du « génie français ». En ce sens Vachon fut un représentant typique de ce courant de l’historiographie française qui vers la fin du XIXe siècle opéra la redécouverte de la Renaissance en insistant surtout sur la spécificité nationale du mouvement. Si l’approche de Vachon à ces études s’avère intensément conditionnée par une conception nationaliste de l’histoire de France, son engagement en faveur du renouveau des arts décoratifs le fut d’une manière encore plus évidente. Les dernières décennies du XIXe siècle furent marquées par le sentiment fort répandu d’une véritable crise dans le domaine des industries d’art : Vachon fut l’un des critiques les plus concernés par ces problèmes. En 1881, Edmond Turquet, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, le chargea d’une série de missions en France et à l’étranger : l’aboutissement en fut une recherche très complète sur l’état des arts décoratifs dans les différents pays d’Europe, publiée par le gouvernement (Rapports à M. Edmond Turquet, 1885-1994), et relatant avec une extrême précision les conditions sociales des ouvriers, la situation de l’enseignement, les particularités locales de la production, le résultat des réformes entreprises dans certaines régions. Décentralisation administrative et retour à l’organisation corporative du travail : tels étaient pour Vachon les principes auxquels se tenir pour rendre à la France un rôle de premier plan parmi les nations européennes. Le démantèlement des anciennes corporations survenu en 1791 constituait à ses yeux une des principales causes de la décadence actuelle des industries d’art françaises. Hors du contrôle sévère des corporations, mais aussi du système de relations qui assurait la survivance d’une tradition séculaire, l’ouvrier avait perdu tout sens d’appartenance : la chaîne de la transmission des savoirs, des techniques, des compétences spécifiques à chaque corps de métier s’était ainsi interrompue, avec un dommage incalculable pour la qualité de la production. Contre l’action centralisatrice des institutions, Vachon prônait une organisation sur une base locale, selon le modèle anglais et allemand : le pivot devait en être le musée d’art industriel, conçu comme un lieu d’apprentissage, de partage des connaissances. Sur ces bases théoriques se fondait en effet son engagement pour la création du musée d’Art et d’Industrie de la ville de Saint-Étienne, dont il fut conservateur à partir de 1889. Source de modèles, instrument actif de la perpétuation de la tradition nationale, le musée devenait dans les projets de Vachon un espace social par excellence, où les générations nouvelles rencontraient les maîtres déjà affirmés, et se formaient dans le culte du grand art français du passé. De ce point de vue s’explique la critique serrée que Vachon fit de l’Union centrale des arts décoratifs. Après avoir collaboré avec l’Union à l’occasion de l’exposition Les Arts de la femme (1892), il lança une véritable campagne de protestation : l’institution qui devait servir à encourager une production de qualité s’était avérée un lieu de rencontre pour de riches dilettantes et collectionneurs, s’intéressant à l’achat d’objets rares et précieux plus qu’au problème de l’éducation des artisans et à l’enrichissement des collections didactiques. Celle de Vachon fut évidemment une solution conservatrice de la question des arts industriels. Par ses appels aux valeurs de la tradition, un ouvrage tel que La Crise industrielle et artistique en France et en Europe (1886) témoigne directement des aspects passéistes de sa pensée. Plus tard, ses attaques virulentes contre l’art nouveau et contre toute tentative de renouvellement des arts décoratifs qui lui semblait relever de l’« internationalisme » firent de Vachon un des partisans les plus acharnés d’une esthétique nationaliste. Le déclenchement de la Grande Guerre contribua à exaspérer ces tendances, et tout spécialement le penchant anti-germanique qui s’était déjà révélé dans ses écrits précédents. En 1916, Vachon publia un nouveau volume d’études sur la question des arts industriels intitulé La Guerre artistique avec l’Allemagne. L’organisation de la victoire. Les thèmes sont les mêmes que ceux de l’avant-guerre, mais doublés d’un ressentiment farouche contre le peuple qui avait déclaré la guerre non simplement à l’État français, mais « à l’âme française et à la tradition artistique nationale » (p. 133). L’année suivante il renchérissait avec La Préparation corporative à la guerre artistique et industrielle de demain avec l’Allemagne. La dévastation de monuments et d’œuvres d’art tels que la cathédrale de Reims, bombardée par l’armée allemande en septembre 1914, suscitèrent des protestations extrêmement violentes par les historiens de l’art, les écrivains, les artistes français. Les interventions d’Émile Mâle, d’Henri Focillon, d’Étienne Moreau-Nélaton, de Louis Dimier et d’André Michel sont restées célèbres. Vachon aussi participa à un débat qui devenait plus âpre au fur et à mesure que les destructions se poursuivaient. Après avoir prononcé en Suisse une série de conférences visant à dénoncer les « crimes allemands » devant l’opinion publique des pays neutres, en 1915 il faisait paraître Les Villes martyres de France et de Belgique. La condamnation de la « barbarie » des ennemis, unie à l’exaltation des « vieilles pierres de France », « témoins éloquents et fidèles de la vie nationale, sociale et artistique d’un passé lointain, actif, fécond et glorieux en toutes manifestations de l’intelligence humaine » (p. 12), font de cet ouvrage un des plus représentatifs des années du conflit. (SOURCE, INHA).

Nous ne savons pas quelles étaient les raisons des "hostilités" entre Marius Vachon et Octave Uzanne dans ce début des années 1880.

A suivre ...

Bertrand Hugonnard-Roche

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