jeudi 28 mai 2015

Ordonnance médicale (1907 / 1908) Octave Uzanne énumère les traitements médicaux que son frère doit lui apporter.



Voici un mot écrit par Octave Uzanne à son frère Joseph. Bien que non daté, nous pouvons cependant avancer qu'il doit dater de 1907 ou 1908. Il fait partie des lettres conservées aux Archives Départementales de l'Yonne (Auxerre). Ce mot est extrait d'une lettre plus longue dont nous ne retenons ici que la partie médicale.

[Samedi]

Mon bon chéri,

Veux tu me faire prendre chez Poulenc 122 Bd St Germain [Joseph Uzanne habitait tout à côté au 172, Boulevard St Germain].

1° Nitrate de cuivre fondu : 50 g
2° Nitrate de sesquioxide de fer : 50
3° Sulfate de cuivre : 30 g
4° Sulfate de fer : 30 g
Sesquioxide de cuivre 30 g
Ne pas oublier le savon Lumière fils – Hermophenyl.

Je vais assez bien, toujours un peu de douleurs épigastriques.


      Cette ordonnance nous donne une idée des traitements en cours et des maladies traitées. Un médecin moderne pourra faire le bilan ad hoc.

      Sans être médecin, le savon Lumière Hermophenyl était utilisé dans le traitement local antiseptique d'appoint de la Syphilis. Cela ne fait donc à peu près aucun doute qu'à cette époque (1907 - Octave Uzanne a 56 ans) est infecté par la Syphilis (latente ?). Nous croyons pouvoir dire qu'il traîne cette diablesse vénérienne depuis ses jeunes années (1871 - il a 21 ans), quand il fréquentait assidûment les prostituées. Lui-même ne se cache pas d'avoir attrapé ce mal. Le 14 décembre 1871 il écrit à son ami Emile Rochard : « Le poulain s’est évadé ! J’ai traité ce petit animal d’une façon homéopathique « similia similibus » ; une femme me l’avait donné, je l’ai guéri en coïtant. »
      Nous avons retrouvé une publicité pour l'Hermophényl Lumière. La publicité indique : "possède toutes les propriétés des sels de mercure. Non irritant et peu toxique" (ampoules). La formule existait sous forme d'ampoules ou de savon à 10% d'Hermophényl. Octave Uzanne en usait sous forme de savon donc.
      Le nitrate de cuivre quant à lui était utilisé pour détruire les granulations (??). Le nitrate de sesquioxide de fer était connu sous le nom de "rouge anglais" et semble avoir été utilisé dans le traitement des affections pulmonaires.
      Le sulfate de cuivre, agent antiseptique encore usité aujourd'hui dans quelques préparations (Metacuprol), traitait les affections de la peau et des muqueuses, primitivement bactériennes ou susceptibles de se surinfecter.
      Le sulfate de fer apporte le fer et traitent essentiellement les anémies.
      Nous n'avons pas retrouvé l'usage médical du sesquioxide de cuivre.
      Cette ordonnance n'est qu'un exemple parmi d'autres que l'on peut trouver dans la correspondance entre les deux frères à cette époque. Nous y reviendrons bientôt.



Bertrand Hugonnard-Roche

lundi 25 mai 2015

Exemplaire enrichi d'un croquis original à la plume représentant Paul Verlaine par Jehan Rictus "pour Joseph Uzanne", signé et daté.



Copie d'écran du site Livre Rare Book consulté le 25 mai 2015


Référence : 3635 ‎VERLAINE (Paul)‎ ‎Romances sans paroles Ariettes oubliées. Paysages belges. Birds in the night. Aquarelles.‎ ‎Sens, Typographie de Maurice l'Hermitte, 1874 18,7 x 11,8 cm, demi veau vert amande à coins, dos long, titre doré, tête dorée, filets dorés sur les plats, couv. cons. (frottée), rel. signée (Bobet), 48 p. Edition originale dont le tirage total fut limité à 300 ex. sur vergé teinté (seul tirage). Six seulement ont été vendus, au dire du poète. Exemplaire enrichi d'un croquis original à la plume représentant Paul Verlaine par Jehan Rictus "pour Joseph Uzanne", signé et daté et d'un poème autographe de huit vers signé dEdmond Lepelletier, éditeur de ce recueil, intitulé La sagesse de Paul Verlaine. Carteret II, pp. 419-420, Galantaris, 31.‎ ‎Verlaine composa ces poèmes pendant les deux années où il était détenu en prison, à Bruxelles, pour avoir tiré sur Rimbaud. Ne trouvant pas d'éditeur, le poète, encore en prison, s'adressa à son ami le publiciste Edmond Lepelletier qui, à son tour, essuya plusieurs refus, éditeurs et imprimeurs rejetant l'ouvrage, même à compte d'auteur, à cause de la fâcheuse réputation de Verlaine. Chassé de Paris par l'état de siège, Lepelletier, qui s'était transporté à Sens avec son journal Le Peuple souverain, réussit finalement à y faire imprimer le livre à 300 exemplaires, entachés de fautes. Carteret II, pp. 419-420, Galantaris, 31. ‎En vente à la librairie Faustroll au 25 mai 2015 au prix de 2.800 euros.

mardi 19 mai 2015

Octave Uzanne candidat pour devenir membre de la société artistique et littéraire du Cornet (mars 1906).




      Dans le bulletin mensuel de mars 1906 de la société artistique et littéraire du Cornet on trouve l'information suivante : Octave Uzanne fut invité au 99e dîner du Cornet de février 1906. On retrouve son nom dans la liste des candidats pour devenir membre de cette société. Ses parrains furent MM. Léandre et J. Lévy. On donne l'adresse d'Octave Uzanne à cette date : 5, place de l'Alma à Paris.
      Octave Uzanne n'est pas devenu membre, comme indiqué, à l'issue du dîner du mardi 10 avril 1906. On trouve sa candidature renouvelée dan le bulletin du mois d'avril puis encore dans celui du mois de mai. Octave Uzanne a été finalement reçu au cours du 102e dîner du mardi 8 mai 1906, dans les salons de l'Hôtel Moderne, place de la République. Le menu a été dessiné par Neumont. Le droit d'entrée à cette société était de 20 francs.
     Octave Uzanne a démissionné de cette société suite à son exode à la campagne (Saint-Cloud). Sa démission a été actée lors de la séance comité du mardi 26 mai 1908. Joseph Uzanne est quant à lui resté membre de cette société.


Bertrand Hugonnard-Roche

Octave Uzanne vient d'être nommé sociétaire de l'Association des Critiques d'Art Français (octobre 1929).




      On peut lire dans le bulletin mensuel d'octobre 1929 de la société artistique et littéraire du Cornet fondée en 1896 la brève suivante : Octave Uzanne vient d'être nommé sociétaire de l'Association des Critiques d'Art Français.
      On a envie d'écrire : il était temps ! Octave Uzanne venait d'avoir 78 ans. Il mourra deux ans plus tard. Sa carrière de critique d'art, éclipsée sans ménagement par celle de chroniqueur à la Dépêche de Toulouse pendant près de 30 ans (1902-1931), n'a pour ainsi dire pas été considérée alors que dès les dernières années du XIXe siècle elle était une des principales composantes de son œuvre publiée.
      Octave Uzanne écrivait dans son Miroir du Monde publié en 1888 : « Nous nous vendons au monde à si bas prix, que son service nous coûte à la fin fort cher ; nous lui sacrifions corps et âme, et il ne nous récompense que de fumée et de vaines espérances. »
      A défaut d'avoir attiré à lui la célébrité Octave Uzanne avait en lui cette lucidité désenchantée qui rend impassible devant la vie comme devant la mort.

Bertrand Hugonnard-Roche

lundi 18 mai 2015

Souvenirs d'Octave Uzanne pour servir d'introduction des Deux Jeunesses (1909) de son ami Emile Rochard (1850-1917).


      Voici un texte difficile qui était jusque là très difficile d'accès. En effet, Emile Rochard (1850-1917), ami de jeunesse d'Octave Uzanne (1870-1874), n'est aujourd'hui plus connu que d'une poignée de chercheurs, notamment ceux qui s'intéressent au théâtre parisien des années 1875 à 1910 environ. Son oeuvre poétique, théâtrale et religieuse n'est pas rare, elle n'est tout simplement pas recherchée, et il y a fort à parier que bons nombre de volumes signés de son nom ont été immanquablement détruits volontairement, passés par les armes de Monsieur Poubelle.
      Emile Rochard fut un directeur de théâtre très en vue, directeur du Châtelet puis de l'Ambigu, puis à nouveau du Châtelet, où il monta et mis en scène de nombreuses pièces à succès qui firent dates parmi les festivités du tout Paris fin de siècle et encore dans le Paris d'après 1900.
      Octave Uzanne fut un ami très proche tout au long de son ascension et même jusqu'à sa retraite dans les années 1910. On sait qu'Emile Rochard vira bigot au cours de l'année 1912 pour finir en totale odeur de sainteté à son décès en 1917. Entre ces deux dates il avait su se racheter une conduite auprès des évêchés en publiant plusieurs ouvrages de piété théâtrale ou plutôt de théâtrale piété. Nous en reparlerons prochainement.
      Le texte que nous présentons ici se trouve placé en tête d'un volume pour ainsi dire perdu pour la littérature, perdu pour l'histoire de la poésie. Emile Rochard, sur le tard (il a près de 60 ans), se trouve à nouveau attaqué violemment par la muse élégiaque et anacréontique. Les Deux Jeunesses, c'est ainsi que s'intitule ce petit volume de vers presque tous dédiés à la femme et à l'amour, fut publié (sans doute à compte d'auteur) chez Lemerre en 1909.
      Par une indiscrétion de l'histoire nous savons les conditions de la rédaction des Souvenirs d'Octave Uzanne qui ouvrent ce volume, comme pour introduire la bêtifiante et presque sénile poétique du vieil ami Rochard. Octave s'en est expliqué à son frère Joseph dans une correspondance qui ne laisse aucune place aux ambiguïtés. Le texte est suffisamment long pour que nous remettions à un prochain article cette justification des Souvenirs d'Octave Uzanne qui n'ira pas sans en surprendre plus d'un.
      Mais pour le moment, laissons Octave Uzanne présenter son ami et son Oeuvre. Volontairement j'ai choisi de ne pas illustrer ce billet pour laisser tout la place à l'imagination. Il faut imaginer des Jeune France, des Hirsutes, vieillis, devenu chauve (Rochard seulement), qui racontent leur jeunesse.

Bertrand Hugonnard-Roche


* * *


SOUVENIRS (*)

      Voulant ironiser certain jour le nom étrange d'un de ses éphémères contemporains, le spirituel rimeur des Odes Funambulesques s'exclamait drôlement :


Vérux de la Nonge,
Étronge, étronge, étronge !

      Après l'arrivée du facteur qui venait de déposer sur ma table un énorme pli recommandé, contenant des épreuves poétiques, et sur la suscription duquel je reconnaissais la calligraphie familière d'un fidèle camarade, la large écriture onciale de l'ex-directeur du Châtelet et de l'Ambigu, je m'écriai, parodiant à ma façon l'imparodiable Banville :


C'est d'Emile Rochard !
Bizard ! bizard ! bizard !

      Je trouvais là, en effet, - bizarrerie imprévue, - des vers comme le même Rochard en faisait pleuvoir naguère sur mes vingt ans : poésies de tous mètres, de tous rythmes, de toutes factures orthodoxes.
      Je n'en croyais guère mes yeux.
      A l'apparition de tant d’œuvres rimées, je m'effarai : "Ah ! ça, mais il est fou ! - pensai-je, - voilà que, tout à coup, ça le reprend sur le tard ; presque hors saison, pour semblable cueillette.. Il me semble à bon droit qu'il y a ici quelque chose d'anormal, d'inquiétant, de morbide même... Diagnostiquons : Incontinence de Rimes."
      Une lettre accompagnait cette moisson particulière :

            Cher vieil ami,

      Retiré du monde depuis quelques années, tu n'ignores point que j'ai élevé mon nid sur la colline du Cannet, dominant Cannes et les îles de Lérins. J'ai bâti ma maison au soleil... Bâtir ! Passe encore ! La cinquantaine sonnée, il faut bien chauffer son automne !... Mais, ce qui est plus téméraire, penseras-tu, c'est que, dans ma thébaïde, entre deux chapitres de roman-feuilleton ou deux tableaux de mélodrame, je rêve encore comme un page de légende qui compose des Romances à Sa Dame.
      Or le propre du rêve est de se condenser et transmuer en rimes sonnantes et trébuchantes. N'accable pas de tes sarcasmes cette seconde jeunesse surgie d'un cœur sans rides et faire pour exalter un cerveau toujours amoureux de la forme et des formes ...
      La Muse de ma vingtième année, si longtemps délaissée pour les fées du théâtre, n'a-t-elle point vieilli à mon image, ne paraît-elle pas trop duègne ?
      Si à tes regards clairvoyants elle conserve encore quelque ingénuité, en souvenir de nos jeunes années d'ardent enthousiasme littéraire, présente-la, présente-nous tous deux au public, à ce public qui, s'il se souvient encore vaguement du directeur ou du dramaturge qui contribua à ses plaisirs, doit certes avoir oublié depuis belle lurette le plus que modeste rimeur dont tu es, peut-être, le seul à te souvenir... etc.

      Je fourrageai aussitôt curieusement ces placards d'épreuves typographiques.
      Toute la lyre y présentait ses cordes altières, ces fameuses cordes légendaires, traditionnelles, que firent vibrer avec tant de majesté, de souplesse, d'élégance, de vigueur, d'esprit, tous nos anciens maîtres tisseurs de poèmes, de virelais, de ballades, sonneurs de sonnets, carillonneurs de larges stances sinon guitaristes de pizzaciti épigrammatiques et de canzones énamourés.
      L'ami Rochard, à coup sûr, témoignait en ces œuvres qu'il ignore profondément les vers-libristes, les décadents, les symbolistes, les sans-métrique, les raboteurs de rimes, les amorphes, les déséquilibristes, les briseurs de césure, les désarticuleurs de rythmes, les balbutiants et tous les anarchos de la prosodie, qui se contrefichent de la mesure, de la rime et de toutes les règles et discipline par quoi vécut si longtemps notre poésie.
      Il est demeuré, son nom l'indique, aussi ferme qu'un roc d'art : parnassien. Sa foi poétique, je l'interprète tout de suite, est comparable à celle d'un intransigeant émigré qui entend fermer ses oreilles aux théories nouvelles, et ses yeux aux témoignages des écoles de l'irrespectueuse jeunesse révolutionnaire, chambardeuse de formes consacrées.
      Allons ! allons ! Tant mieux ! - Si le poète assoupi trop jeune qui survit à l'homme de théâtre ressuscite aujourd'hui, peut-être de façon désuète aux regards des derniers venus, il a, en tous cas, le consciencieux mérite d'être resté carrément de son temps, du notre, du temps des générations montantes du dernier quart du siècle dix-neuvième, du temps des folles passions, qui est toujours le temps des croyances opiniâtres, de ce temps béatifique qui fait dire aux hommes des maturités tardives, non sans raison : "C'était le bon temps !"


*
* *

      Ah ! oui, le bon temps ! malgré ses impécuniosités !
      Cette lecture d'épreuves me faire revivre tout ce passé distant, lointain... et cependant si proche, si voisin encore, auquel Emile Rochard se trouve si nettement associé.
      C'était à Paris, au sortir du collège, en pleine piaffe d'émancipation, à l'heure des fours à bachot.
      Avant même d'avoir obtenu nos diplômes essentiels, nous nous plaisions à jouer à l'étudiant, au vieux quartier latin, et cet éternel Café d'Harcourt où nous avons tous fait nos humanités, en compagnie de tant de braves filles accueillantes que nous avons estimées à tour de rôle comme les dernières grisettes aimantes et désintéressées.
      Parmi le petit clan littéraire qui se réunissait sur cette place de la Sorbonne, à la veille même de la guerre Franco-Allemande (printemps de 1870), le jeune Emile Rochard attirait l'attention, non point seulement en raison de sa figure énergique et hirsute, de sa toison à la Samson, que tondirent depuis tant de Dalilas successives, mais surtout par ce fait qu'à peine âgé de dix-neuf ans il arrivait de chef-lieu de la Vienne avec déjà un important bagage poétique, parmi lequel, ce qui nous imposait le respect, une pièce en un acte, en vers, jouée - s'il vous plaît, non sans succès - dans toute la région poitevine, imprimée et mise en vente sous ce titre : Un amour de Diane de Poitiers.
      Le poète Rochard, fringant, bien campé, aimé des belles, marqué pour réussir, était la cariatide de nos espoirs, l'homme de serein et heureux avenir, le jeune maître possible et probable du groupe en marche pour les conquêtes idéales. Il était, à la fois, - étrange bâtardise, - Mussetiste et Baudelairien jusqu'aux moelles. Toutefois, ses goûts d'étude, ses appétits de glouton bouquineur des quais, lui avaient déjà permis de se nourrir des poètes petits et grands, connus ou méconnus, du XVe au XVIIIe siècle. C'était un lettré ; le bibliophile qui bientôt allait s'épanouir en moi trouvait en lui un émule. Dans nos ivresses intellectuelles, nous nous jetions à la tête des strophes de Ronsard, des rondeaux de Voiture, des stances de maître Adam Billaut, menuisier de Nevers, des épigrammes de Mathurin Régnier, des épîtres gaillardes des satiriques tels que Mottin, Berthelot, Maynard ou Scarron, des fragments de Voltaire, de Boufflers, de Gresset, sinon cette géniale et indicible ode priapique du grand lyrique Piron.
      On savait aussi dans notre milieu que l'ami Rochard était quelque peu un révolté, un indépendant, un insoumis. Son père le destinait à l'Eglise, mais le jeune homme avait affirmé ses droits à la vie, aux plaisirs païens, aux folies naturelles. Cela nous agréait et l'auréolait d'une petite flamme d'enfer, ou plutôt d'un panache d'indiscipline qui complétait, à nos regards, sa physionomie romantique.
      Lorsque fut déclarée la guerre néfaste, le jeune poète, tout à coup cocardier, enthousiaste, patriote, s'engagea dès la première heure au 20e bataillon de chasseurs à pied. Il fût vitrier-poète avec autant d'ardeur que Deroulède, combattit en brave sur la Loire, fut blessé à Coulmiers et fait lieutenant sur le champ de bataille.
      La carrière militaire le séduisit. Maintenu après la paix et la Commune par la commission de révision des grades, il s'en alla tenir garnison en Avignon, où il fut officier d'ordonnance du général Nicolaï. Je le revois encore à cette époque : fringant, brillant, sanglé dans son uniforme bleu et argent, faisant une pointe de chic dans sa tenue, avec ses gilets de casimir blanc, à boutons serrés à la façon des zouaves, mais demeurant semblable malgré tout à ces fiers soldats de la même arme, que peignit si bien dans ses deux célèbres toiles : Le matin avant le combat et Le soir après l'attaque, le maître artiste du genre que fut Protais.
      Comment, démissionnaire trois ans après de brillants débuts dans les armes, cet aimable lettré qui alors semblait nous promettre un écrivain soucieux de son art, plutôt un lyrique doublé d'un romancier d'action, évolua-t-il vers la direction théâtrale ? Mystère et destinée ; Chacun ne doit-il point suivre sa voie,- sequere deum, disaient les stoïciens ?
      L'ami Rochard était encore sous les drapeaux lorsqu'en 1874, il publia, chez D. Jouaust, à la Librairie des Bibliophiles, un volume de vers : Les petits Ours, avec, pour épigraphe, cette phrase de la reine Marguerite de Navarre : "Cette oeuvre dont d'une après-disnée ira vers vous comme les petits ours, en masse lourde et difforme, pour y recevoir sa formation."
      Ces Petits Ours, à ne le point celer, étaient léchés quelque peu à la diable, caressés avec insouciance, élevés sans discipline. On y sentait l'empreinte profonde qu'avait eue sur l'auteur le chantre de Rolla et de Mimi Pinson. La muse de Musset avait baisé sur les lèvres le jeune officier. Il en était passionné ; il en délirait comme tant d'autres. D'ailleurs qui peut se vanter d'avoir échappé complètement aux influences de son temps ? Il y a des tyrans littéraires qui s'imposent despotiquement aux nerfs, à l'esprit, au génie d'une époque.
      Musset, poète génial, romantique jusqu'à l'hystérie, qui, dans ses nombreux poèmes éperdus, célébra avec une intensité shakespearienne la douleur, l'amour et la beauté, régna sans conteste sur l'âme de la jeunesse jusqu'aux environs de 1875. Tous, sauf cet habitant du Kamchatka littéraire que fut Baudelaire, en furent influencés, et aucune oeuvre poétique parue de 1850 à 1875 n'est tout à fait exempte de l'ascendant d'Alfred de Musset. Même chez les Parnassiens du début, chez les soi-disant impassibles, on trouve encore quelques vagues réminiscences des Contes d'Espagne et d'Italie, des échos affaiblis des Nuits.
      Musset, ce Byron français, ravagea la mentalité de la jeunesse poétique, aussi profondément que l'auteur de Childe Harold avait inspiré, par son oeuvre tourmentée, toute la génération européenne de 1820 à 1840. L'histoire des Lettres n'est qu'une succession d'influences.
      Les Petits Ours reçurent assez bon accueil du public. Théodore de Banville les goûta au point de conseilleur par la suite le bon apprenti forgeron de rimes qu'il croyait avoir découvert, et Monselet, qui aimait les galanteries du XVIIIe siècle, avait pris plaisir à extraire du nouveau recueil quelques jolies stances de spirituelle allure qu'il s'en allait déclamant, avec sa rondeur d'abbé poupin, dans les nombreux cabarets où il fréquentait volontiers.
      La même année 1874, Emile Rochard - qui imprimait alors son prénom AEmile comme un "jeune France" attardé - publiait un monologue, la Conscience, dédié à François Coppée. Il convient de rappeler que la Grève des Forgerons avait mis le monologue dramatique à la mode, et celui du lieutenant-poète, débité par l'acteur René Luguet, obtint un succès appréciable. Je citerai encore un à-propos : Pourquoi je me nomme Lyrique Dramatique, qui servit de prologue d'ouverture à l'ancien Théâtre-Lyrique reconstruit après l'incendie de la Commune et devenu théâtre de drame, aujourd'hui Théâtre Sarah-Bernhardt.
      C'est le moment où, abandonnant en même temps l'uniforme qui le destinait peut-être à de hauts grades et la chasse aux rimes, opulents papillons, si passionnants à poursuivre dans l'azur et l'éclat solaire du rêve, l'éleveur des Petits Ours, simple et prosaïque pékin désormais, pénétra dans cette terrible fosse aux ours qu'est le théâtre contemporain. Il y descendit allègrement, inconscient de l'engrenage qui devait l'y saisir, l'absorber tout entier, le ravir aux lettres sinon à l'art.
      D'abord secrétaire du Châtelet, il ne tarda pas à en devenir directeur. Dès lors il fut exclusivement "de Théâtre", comme disait drôlement Coppée, qui voyait avec mélancolie ce jeune homme quitter le culte des Muses pour le plateau de la scène et cantonner désormais sa vie entre cour et jardin, selon l'argot du lieu.
      Les années passèrent. Le nouvel amant de la mise en scène prenait de la maîtrise rapidement, se distinguait par ses prodigalités. Pierre Véron à son sujet écrivait : "La presse entière le reconnaissait pour le plus éblouissant continuateur des merveilleuses prodigalités d'Hostein et de Marc Fournier, et les courriéristes l'appelaient fastueusement : Rochard le magnifique. Magnifique, il le fut en effet jusqu'à la mégalomanie théâtrale.
      En même temps ce vivant tempérament scénique se passionnait pour le mélodrame. Quand il eut assez du Châtelet, il passa à l'Ambigu. Quand il eut assez de l'Ambigu, il revint au Châtelet, non sans s'être arrêté en route à la Porte Saint-Martin. On trouvera plus loin d'ailleurs ses impressions de ce voyage de vingt-cinq ans, dans un amusant virelai intitulé : Ma retraite.
      Pendant ces longs jours de triomphe du boulevard, trop audacieux peut-être, ce favori de la victoire faillit rencontrer un Waterloo. Ce fut en quelque sorte ce qui l'éclaira, car il eut la sensation que jusqu'alors il s'était trop extériorisé, jusqu'à ne plus pouvoir rentrer en soi-même ; il sentit le besoin soudain de reforger son âme, comme disait Montaigne, et d'y retrouver les chères intimités de naguère, les voix poétiques, les échos de tendresse et d'amitié, les appels des coquettes ambitions intellectuelles. Il avait eu, en somme, la plus décevante existence, celle d'un directeur d'exploitation condamné à l'altruisme jusqu'à l'oubli complet de sa propre culture. Dans cette vie d'avant-scène, comment lire ? Comment suivre les évolutions littéraires, les connaître et les interpréter ?
      Lorsqu'il prit sa retraite sur ces rives méditerranéennes aimées des Dieux, le metteur en scène de Michel Strogoff, des Mille et une Nuits, du Collier de la Reine et de la Poudre de Perlimpinpin eut plaisir tout d'abord à camper son nid tout en décor, en perspectives, en colonnades, en jardins d'Armide, mais tout a une fin. Bientôt il comprit qu'il lui fallait se résigner à ne plus rien ajouter à ce Trianon des rêves, à rester chez soi, à rentrer en soi. Il lui apparut nettement que toute sa vie théâtrale, en dehors de l'action dramatique, constituait une lacune. Il avait perdu contact avec cette poésie française si accueillante aux inspirations nouvelles et qui est à la fois comme on l'a exprimé, musique et couleur, saveur et parfum, son et lumière, embarquement de tous les sens vers des Cythères irréelles, vers des rives inconnues, vers de l'ailleurs.
      C'est alors que se montra tout à coup, fantôme du passé, toujours jeune, encore romantique, l'amie d'autrefois, la vieille muse, maîtresse depuis si longtemps abandonnée qu'on la pouvait croire défunte. Elle revint à petits pas feutrés chez son ancien adorateur, reprit un beau soir, sans crier gare, sa place sous la lampe, fut attentive, enveloppante, insinuante, cajoleuse et douce comme doit être une camarade évocatrice des jours de jeunesse qui seuls sont les jours de gloire.
      L'attendait-il, le bon Rochard ? L'espérait-il à son foyer ? On ne saurait le dire. Elle vint, elle s'imposa pour son bonheur, cela suffit. Elle fut de nouveau son amuseuse, elle apportait avec elle un souci nouveau de la forme, une recherche d'impeccabilité, une correction volontaire, même dans ses fantaisies les plus érotiques. Elle vint, consolatrice et berceuse, comme la nourrice encore jolie et coquette, chanter les chansons d'autrefois et en inspirer de nouvelles au vieil ami heureux de cette reprise soudaine et imprévue de poétique jeunesse.
      Cela n'est-il pas touchant ?
      Aussi après avoir lu ces épreuves qui me faisaient revivre le temps du vieux quartier latin, je ne pouvais me défendre d'une certaine émotion attendrie pour ce compagnon qui réengageait si drôlement dans le régiment de royale-jeunesse, et c'est un peu par esprit de blague, pour réagir contre toute sentimentalité, que je répétais cette pseudo-Banvillerie :

Dire qu'ça vient de Rochard !
Bizard ! Bizard ! Bizard !


* *

      La vieille associée du bon ami Rochard - je pus aussitôt le constater - ne lui fut, durant tant d'années de lâchage, aucunement infidèle au profit des petits jeunes hommes des nouvelles écoles. Elle ne courut point, son allure seule en est garante, le guilledou dans les clans décadents et symboliques ; elle ne fut point harpiste chez René Ghil et autres chefs évolutifs et instrumentistes.
      Elle ignorait les batailles soutenues par les générations ardentes de 1880 à 1885 contre les Parnassiens ; les coruscances, les flagrances, les rutilances des néophytes du symbolisme et les œuvres intéressantes de tant de nouveaux venus si vivement couronnées par le succès.
      Si elle s'était sur le tard familiarisée avec les Maurice Rollinat et les Albert Samain, que savait-elle des Lafargue, des Mikhaël, des Charles Morice, des Louis Le Cardonnel, des Maurice Maeterlinck, Henri de Régnier, Emile Verhaeren, Francis Jammes, Jean Moréas, Pierre Quillard, Saint-Pol-Roux et de combien d'autres d'une valeur indiscutable, malgré les formes et originalités qu'ils nous imposèrent ? - Avait-elle pénétré chez ses sœurs nouvelles, chez ces femmes poètes, aujourd'hui si nombreuses, et qui dégagent de leur sensibilité exquise tant de lumière pénétrante : la comtesse Mathieu de Noailles, la duchesse de Rohan-Chabot, la princesse Bibesco, Mmes Lucie Delarue-Mardrus et Catulle Mendès, Hélène Picard et Rodemonde Gérard, Renée Vivien et Valentine de Saint-Point, toutes accueillies victorieusement dans les vallons parfumés de la double colline ?
      Mais qu'importe ! cette brave Muse orthodoxe revint plus attachée que jamais à ses ascendances dont elle appréciait la grandeur et la force, elle était conservatrice des modes soi-disant périmés, ambitieuse de découvrir les mines d'or des rimes sans alliage, amoureuse des poèmes traditionnels.
      Ne convient-il pas de la louer ?
      A mon sentiment, en effet, un poète qui ressuscite doit être le Lazare des formes de sa vingtième année et ne point tâcher de tromper son monde en entrant dans la ronde des jeunes abolitionnistes des règles et de la discipline des vers. Le tempérament poétique ne se refait pas à distance. On reste toujours de forme le poète qu'on était à vingt ans. Hugo et Lamartine, Gautier ou Heredia ne transformèrent point, sur le tard, leurs rythmes ni leurs conceptions des mesures. "Pour qu'il y ait vers, il faut qu'il y ait rythme," disait Verlaine qui plaisamment, en sa jeunesse, s'amusa à des versifications de quatorze pieds, mais il ajoutait alors : "J'ai pu élargir la discipline des vers, je ne l'ai jamais supprimée." - Tout est là. Élargissez, n'abolissez pas.
      Pieux sectateur de Théodore de Banville, Emile Rochard manie avec agrément et prédilection les poèmes traditionnels à forme fixe anciens, (tels que la Ballade, la double Ballade, le Rondel, le Rondeau simple ou redoublé, la Villanelle, le Virelai, etc.) et modernes tels que le Triolet, la Sextine si périlleuse et le Pantoum dont on connaît fort peu de modèles parfaits.
      Hasard ou préméditation, ç'a été pour moi une agréable surprise de trouver réunis dans un seul volume, aucunement didactique, absolument tous les poèmes traditionnels. Ne fût-ce qu'à ce titre, ce livre des Deux Jeunesses mériterait l'attention de tous les lettrés. Aussi ai-je immédiatement suggéré à l'auteur-ami d'y ajouter une table spéciale de ces curieux poèmes si "vieille France" comme en musique les menuets, les pavanes ou les gavottes. Et, pour en faciliter la lecture intelligente, je lui ai conseillé d'adopter l'italique pour tous les refrains, ainsi que cela se pratiqua parfois au XVIe et XVIIe siècles.
      Je le répète, Rochard est un conservateur outrancier, j'allais même dire un réactionnaire déterminé dans sa croyance aux vieilles formules poétiques légitimes de France. Il prouve d'ailleurs qu'elles sont variées à l'infini. Il regarde avec sévérité, comme des antimilitaristes ou des déserteurs de la grande armée traditionnaire, les vers-libristes, les négligents de la rime, les indisciplinés de la mesure, les contempteurs de l'harmonie des rythmes. Il admet, m'écrivait-il, que seuls les poètes de génie prennent des licences, puisque toujours ils les consacrent. Ce à quoi je lui répondis que tous les poètes se croient du génie et s'autorisent de cette croyance pour transiger avec les règles et s'évader hors des bornes licites. Le temps se charge de classer et justifier tout cela.
      En tous cas, il faut, pour acquérir une sûre maîtrise, avoir manié longtemps sur l'enclume sonore des Rimes les métaux précieux des mots, les avoir forgés et martelés noblement à la façon d'un Heredia, dans la dimension rigoureuse et précise des formes admises comme les immuables canons de la poésie de tradition française.
      Notre auteur des Deux Jeunesses ne peut logiquement admettre d'ailleurs d'autres maîtres que ceux qu'il admira naguère, qu'il admire encore aujourd'hui, c'est-à-dire les maîtres éducateurs de ses premières ivresses poétiques.
      Lors d'une fameuse "Enquête sur l'évolution littéraire", il y a une dizaine d'années, les derniers maîtres parnassiens défendaient crânement notre héritage poétique fait de clarté, de mesure et de bon sens, contre les jeunes qui, à leur avis, le galvaudaient vraiment avec trop de sans-façon et de dédain des ancêtres.
      Selon Leconte de Lisle, les réformateurs, ce sont les amateurs de délire dont parle Baudelaire : "Lancez en l'air, disait celui-ci, des caractères d'imprimerie, et cela retombera en vers sur le papier." - "Le vers français vit l'équilibre, ajoutait le grand lyrique des Poèmes Barbares ; il meurt si l'on touche à sa parité."
      - "La Rime, proclamait Heredia, n'est pas une gène pour le poète, c'est un tremplin. La difficulté même excite le génie de l'artiste."
      Tous les autres, Coppée, Mendès, Sully Prudhomme, Verlaine même, répondaient à M. Jules Huret, qui conduisait l'enquête, que la Rime était le balancier de la poésie française, qu'on cesse de faire des vers français dès qu'on la supprime. Ce qu'on peut faire alors, c'est autre chose, disons de la prose rythmée tout simplement.
      Comme eux, l'ami Emile Rochard est resté, malgré l'évolution, l'apôtre des Rimes et des Rythmes d'autrefois, de toujours.
      Cela est logique et méritoire. Les hommes de sa génération lui sauront gré de n'avoir point maquillé et truqué son habile prosodie et de nous montrer d'agréables poèmes conformes aux vieilles mesures. C'est sur un excellent métier qu'il opéra le tissage de ces brocarts passementés de rimes opulentes et confectionnés de trame régulière et serrée.
      Il ne conviendrait point à mon amitié de lui décerner ici des éloges dithyrambiques et de ceindre sa tête des lauriers dont seuls les lecteurs inconnus disposent. En présentant au public ce vieux camarade égarant pour la seconde fois - après trente ans d'entr'acte - sa jeunesse dans la double colline, j'avais surtout à tâche de silhouetter d'un trait rapide sa physionomie et de fournir le petit curriculum vitae nécessaire au frontispice d'une pareille oeuvre. Je n'entends pas davantage passer en revue toutes les pièces de ce recueil, en signaler la grâce, la tendresse, la vigueur, la solide composition, non plus qu'en dégager l'émotion, l'esprit ou la verve, ou en discuter les tendances. J'estime simplement que ces poésies peuvent rencontrer des lecteurs d'esprit fraternel, des juges distingués, des appréciateurs délicats, des lectrices surtout, charmées de trouver toujours la femme au premier plan des rêveries du poète.
      La femme, lumière et sourire des sentiers de la vie, cause dominante de toutes les folies des hommes, fragilité qui alimente notre force, ange et démon tour à tour, la femme, l'amie, la mère, l'amante, est chantée par cet obstiné chanteur sur toutes les cordes de la lyre, avec une sensualité élégante traversée presque toujours par une irisation de tendre spiritualisme.
      On sent que les Deux Jeunesses du poète furent consacrées avec ferveur à l'amour, créateur suprême de poésie.
      Les jeunes générations n'ont plus même façon que les anciennes de chanter et d'aimer la femme. Pour nous, amoureux d'hier, parfois encore d'aujourd'hui, il n'y eut, il n'y a de bon dans la vie que d'aimer ; tout le reste doit être considéré comme du remplissage. Est-ce excessif ?
      Nous naquîmes, quoi qu'il en soit, avec cet excès dans la peau, il fallut bien le dépenser sur tous les champs de bataille de l'amour. Rochard, comme ceux de son temps, avait l'étoffe de Deux Jeunesses. Il a brodé cette étoffe avec une réelle belle humeur et une fantaisie claironnante dont on trouvera dans ce livre les très variés témoignages.
      Les femmes d'aujourd'hui, celles de demain, aimeront ces fleurs poétiques qui leur sont dédiées par un de leurs plus immarcescibles amoureux. Elles sentiront les parfums de ces hommages sur le rosier remontant de ces Deux Jeunesses. La galanterie, cette suprême politesse, aplanit les rides, les madrigaux n'en ont jamais.
      "Comme ce nectaire de l'abeille qui change en miel la poussière des fleurs, - écrivait le délicieux et profond Joubert, - ou, si l'on préfère, comme cette liqueur qui convertit le plomb en or, le poète a un souffle qui enfle les mots, les rend légers et les colore. Il sait en quoi consiste le charme des paroles et par que art on batit avec elles des édifices enchantés."
      Ainsi Rochard-Amphion fit encore du théâtre.


OCTAVE UZANNE.


(*) Nous avons choisi pour un plus grand confort de lecture à l'écran de publier ce texte en caractères romains et non en italiques comme dans le volume imprimé par Lemerre. Les noms et termes imprimés en romain dans le volume ont ici été rétablis en italiques. Pour avoir accès à ce volume il nous a fallu demander la numérisation payante de l'exemplaire de la Bnf (cote FRBNF31229782). Ce volume ne se trouve ni sur le marché des livres anciens et d'occasion actuellement (18 mai 2015) en ligne, si numérisé sur Gallica (Bnf). Il s'agit d'un volume in-18 (19 cm - format Lemerre classique à couverture jaune imprimée), de XX-229 pages. Une note du catalogue de la Bnf précise : "Réunit : "Première jeunesse . L'éternelle idylle" ; "Seconde jeunesse. Le corps de la femme en rondels. Autres rondels. Deux douzains de sonnets. Poèmes traditionnels. Poèmes divers".

dimanche 17 mai 2015

Petite nouveauté sur le site www.octaveuzanne.com ! Un champ de recherche intégré au site assez performant (plus performant que celui proposé par Blogger dans la Navbar).



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Bonne navigation !

Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 13 mai 2015

Les deux amies (Les Fricatrices selon Octave Uzanne) attribuées à Fragonard ne sont pas de Fragonard ! Tableau attribué à Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821).


Les deux amies, tableau attribué à Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821) par les experts Christie's
Tableau attribué à Fragonard par Octave Uzanne

Copyright Christie's (copie d'écran), 2015


      "Le tableau de Fragonard ne serait pas de Fragonard !", c'est ainsi qu'un ami bibliophile m'annonce et m'indique, avec page web et illustration à la clé, que le tableau "Les Fricatrices" attribué à Fragonard par Octave Uzanne publié à 300 exemplaires seulement pour les Contes pour les Bibliophiles (1895), tableau faisant partie de sa collection puis de la collection de son ami Emile Rochard (mort en 1917), n'est en réalité pas du maître français du XVIIIe siècle.
      C'est une vente Christie's du 21 octobre 1997 qui donne une partie de la réponse aux interrogations que l'on pouvait légitimement se poser. Nous n'avions pas retrouvé de reproduction en couleur de ce superbe tableau libertin. La page web du site Christie's en ligne actuellement (archive) nous donne une belle reproduction (voir ci-dessus) et quelques détails. Il s'agit d'une huile sur toile de dimensions 48,3 x 60 cm. Elle est intitulée par Christie's "Les deux amies" et est attribuée à Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821). L'estimation de ce lot n°245 (vente 8756 du 21 octobre 1997, New-York) est de $30.000 / $50.000. Lot adjugé $129.000.
      Voici l'intéressante note qui est jointe à la fiche de vente :

Although a significant body of erotic writing from 18th century France has come down to us (often illustrated with explicit engravings), few sexually graphic works of fine art seem to have survived, and it is uncertain whether very many were produced. Even the most enlightened collector living in an age of anti-clericalism and materialistic thought might have blushed to display on his walls the sort of imagery he would savor when it was bound behind the discreet moroccan covers of a livre philosophique. There can be no doubt, however, that as the century progressed, a market for erotic pictures of high aesthetic quality was sustained by reputable artists willing to satisfy the demands of 'libertine' patrons. However, only a few of these pictures are known today. For example, days before he died, Watteau destroyed most of his works which he felt were lewd, and one that escaped destruction--the glorious little panel, The Remedy, in the Norton Simon Museum, Pasadena--was mutilated, either at that time or in the years that followed. Boucher certainly made the occasional explicit picture, but only two--an oval pair depicting toilettes intime (A. Ananoff, François Boucher, 1976, I, pp. 325-7, nos. 210 and 212)--have been identified. The present painting of two nude lovers still has the power to startle, in part because of the very incongruousness--for modern eyes--of the treatment the subject receives. With meticulous attention paid to the harem-like setting, and shimmering brushwork in the bedclothes that is reminiscent of Fragonard's 'Dutch' interiors of the 1780s, Les Deux Amies is a remarkably pretty scene of voluptuous abandon ; its candid subject matter might suggest Courbet avant la lettre, but its charming sensibility is entirely dix-huitieme siècle. The attribution of the painting to Jean-Jacques Lagrenée is traditional, and has been supported by Marianne Roland Michel, who knows the painting from a photograph. Its manner is in keeping with that of Lagrenée the younger, the brother and pupil of the better-known history painter, Louis Lagrenée (for whom, see lot 160 in this sale). 

      Référence fournie par Chrisitie's : F. Tels, L'Art et L'Amour, 1952, I, p. 170, illustrated.

      Fragonard n'est pas l'auteur reconnu ce petit chef-d’œuvre licencieux, mais il est cité en bonne place, marquant une influence certaine sur cette peinture. Croyons donc les experts Christie's plutôt qu'Octave Uzanne qui très probablement, toute sa vie (durant laquelle il eut ce tableau sous les yeux chez lui ou chez Emile Rochard), a cru de bonne foi que ce tableau était du maître de la Liseuse.
      Le plus important dans cette histoire de Fricatrices est sans aucun doute que ce tableau existe encore. Nous en avons désormais une vision polychrome, plus juste, plus pertinente.
      Christie's indiqe la provenance de ce tableau : Mme. Chastel, Paris. Galerie Cailleux, Paris, jusqu'en 1959, acquis dans cette galerie par le possesseur actuel (resté anonyme). Nous pouvons donc ajouter à ce pedigree : Collection Octave Uzanne (jusque vers 1893 ou 1894), puis offert à son ami Emile Rochard (mort en 1917). Emile Rochard le libertin directeur de théâtre parisien étant mort en odeur de sainteté (converti bigot de première classe), il est fort probable qu'il se soit débarrassé de ce tableau encombrant bien avant son décès. Sa conversion datant des années 1913-1914, on peut supposer qu'il s'en sépara vers cette période. A moins qu'il n'ait fait partie de la vente de ses meubles et objets d'art après son décès. Nous en apprendrons certainement encore beaucoup sur le destin assez sympathique de ce tableau qu'il faut mieux cacher que montrer.
      Nous vous invitons à lire ou relire les articles consacrés aux Fricatrices (ici aussi) déjà publiés sur ce site.
      A suivre.


mardi 12 mai 2015

"Lorsque le travail dont vous me parlez sera rédigé et mis en forme, je serai très heureux de le voir et d'examiner s'il conviendrait de le publier dans le Livre." Octave Uzanne, 22 janvier 1889.


Ce billet autographe écrit sur papier à en-tête de la revue Le Livre, Octave Uzanne rédacteur en chef, bien qu'insignifiant de prime abord, permet de comprendre comment Octave Uzanne remplissait, au moins partiellement, les colonnes de sa revue bibliographique Le Livre. On voit ici qu'il laissait parfois venir à lui les articles qu'on lui soumettait et qu'il était le seul à décider finalement de leur publication ou non (souvent il sollicitait auteurs et bibliographes comme d'autres courriers en attestent). Uzanne entame ici la dernière année d'existence de cette revue foisonnante (janvier 1880- décembre 1889). Ce petit billet a été ajouté en tête d'un exemplaire de L’Éventail (1882) relié en maroquin (*). Nous ne savons pas à qui ce billet était adressé.


Bertrand Hugonnard-Roche

* * *

Paris, le 22 janvier 1889

Monsieur,
Lorsque le travail dont vous me parlez sera rédigé et mis en forme, je serai très heureux de le voir et d'examiner s'il conviendrait de le publier dans le Livre.
Agréez je vous prie, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

Octave Uzanne 

* * *

(*) TESSIER & SARROU, Mercredi 27 mai à 13h30 à PARIS : LIVRES ANCIENS ET MODERNES, MANUSCRITS ET AUTOGRAPHES. N°288. UZANNE Octave : L'’Éventail. Quantin Editeur Paris 1882. E.O. l’un des ex sur fort papier. Jointe montée sur onglet une lettre manuscrite signée de Uzanne. Illustrations de Paul AVRIL. Très belle reliure in- 8 plein maroquin bleu nuit, plats à encadrement de liserés or et décors aux angles, contre plats doublés et à encadrement à la roulette, dos à 5 nerfs richement orné de décors de tulipes, tête dorée, couvertures conservées (reliure signée Lenoir). Estimation 700 / 800 euros.

lundi 11 mai 2015

UZANNE. Octave. ‎ ‎Anecdotes sur la Comtesse du Barry. "Exemplaire unique fait en papier bleu d'eau - Tirage spécial pour la collection du publicateur. Octave Uzanne". Ex-libris Octave Uzanne.


Exemplaire remarquable des Anecdotes sur la Comtesse du Barry en vente actuellement à la librairie Pierre Prévost, Paris :


UZANNE. Octave. ‎ ‎Anecdotes sur la Comtesse du Barry. ‎ ‎ Paris. Quantin. 1880. 1 volume grand in-8, demi-maroquin bleu à coins, à la Bradel, dos lisse légèrement passé, tête dorée, couvertures conservées. Reliure signée Carayon. [10] ff. ; XXXII pp. ; 288 pp. ; [4] ff. ‎ ‎Tirage à petit nombre, celui-ci justifié manuscritement par Octave Uzanne : "Exemplaire unique fait en papier bleu d'eau - Tirage spécial pour la collection du publicateur. Octave Uzanne". Ex-libris Octave Uzanne. Est reliée au début de l'ouvrage une affiche sur papier vert annoncant la parution de l'ouvrage. Le titre et la justification de tirage sont tirés à 4 exemplaires. Frontispice en 2 états, dont 1 en bistre avant la lettre. Est collée en début d'ouvrage une lettre de Paul Lacroix, dit le Bibliophile Jacob, en partie imprimée, mais comprenant de très nombreux ajouts autographes, racontant la formation de la bibliothèque de la Comtesse du Barry, célèbre maitresse de Louis XV. "La marquise avait plus de livres, disait (Louis XV) avec une sorte d'orgueil, mais ils n'étaient pas si bien choisis ni si bien reliés que ceux de la comtesse, qui mériterait d'être nommée bibliothécaire de Versailles". Grâce à cette bibliothèque, Mme Du barry se perfectionna dans la lecture, mais elle ne réussit point à corriger l'orthographe de ses pères!". Bel exemplaire unique, ayant appartenu à l'auteur, et enrichi. Prix : 1.500 euros.

Cet exemplaire a figuré sous le n°142 au catalogue de la vente de Quelques livres contemporains choisis tirés de la bibliothèque d'un bibliophile parisien (Octave Uzanne) - mars 1894. Si le frontispice est bien en 2 états comme ci-dessus, la lettre autographe du Bibliophile Jacob collée en début d'ouvrage ne s'y trouvait pas lorsque l'exemplaire est sorti de la bibliothèque Uzanne. Il aura été ajouté après. Si cet exemplaire indiqué comme unique sur papier "bleu d'eau" possède des atouts bibliophiliques, Uzanne possédait un autre exemplaire du même titre (sous le n°141) : exemplaire sur papier Whatman contenant le frontispice en 6 états dont un tiré sur satin et un autre sur parchemin, avec quelques portraits ajoutés. Cet exemplaire a été relié pour Uzanne par Amand en plein maroquin rouge avec doublures et gardes en papier japonais. Cet exemplaire reste à redécouvrir.

Bertrand Hugonnard-Roche


Copie d'écran Livre-Rare-Book.com

samedi 9 mai 2015

Octave Uzanne et le tunnel sous la Manche (1922) "un grand pas sera fait pour la conquête de la paix mondiale et le pacte de garantie cessera d'être un chiffon de papier que tant d'éventualités peuvent réduire à néant. ".


      Retrouvé un peu par hasard dans les méandres numérisés de Gallica hier au soir, voici un petit entrefilet qui nous indique encore une fois combien Octave Uzanne pouvait s'éparpiller dans tous les journaux, y compris les journaux locaux. Ce paragraphe paraît dans l'Homme libre du jeudi 30 mars 1922 et fait référence à un article publié par Uzanne dans le Progrès de Saône-et-Loire. A ce jour, nous n'avions pas connaissance de cette participation, même ponctuelle, à ce journal bourguignon. Voici le paragraphe en question :

Le tunnel sous la Manche

      Il y a quelques jours, un membre de la Chambre des communes proposait que pour employer les chômeurs anglais, on commençât les travaux du tunnel sous la Manche. De nombreuses raisons économiques et militaires rendent l'exécution nécessaire d'un projet si souvent remis.
      M. Octave Uzanne, dans le Progrès de Saône-et-Loire, qui rappelle toutes les raisons d'être du fameux tunnel, donne la meilleure, peut-être :
      "Le jour prochain, espérons-le, où les Chambres d'outre-Manche, se décideront enfin loyalement, après tant d'atermoiements, à voter la construction du tunnel anglo-français, ce jour-là, un grand pas sera fait pour la conquête de la paix mondiale et le pacte de garantie cessera d'être un chiffon de papier que tant d'éventualités peuvent réduire à néant. Le vrai trait d'union n'est autre que l'ouverture du tunnel et son exploitation intensive."

      Ce tunnel tant espéré et plébiscité par Octave Uzanne en 1922 verra finalement le jour. Il aura fallut attendre cependant 72 ans. La mise en service du tunnel sous la manche date du 1er juin 1994. Les travaux ont débuté le 15 décembre 1987 et ont été achevés le 10 décembre 1993. La société Eurotunnel qui exploite cette infrastructure a réalisé un résultat net de 32 millions d'euros en 2012, 101 millions en 2013. Le bénéfice net s'élève à 57 millions d'euros pour 2014. L'activité se partage entre le transport de marchandises et le transport de voyageurs.

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 7 mai 2015

Mallarmé (Stéphane). Carte autographe signée à M. Uzanne. Paris 28 avril 1890. 2 p. in-16. 2.800 F. Catalogue Librairie Michel Castaing février 1993.



Photo. cat. Librairie M. Castaing, février 1993.


      Nous avons trouvé cette notice dans un catalogue de février 1993 de la librairie Michel Castaing spécialisée dans les autographes et manuscrits (Cat. N°804). Sous le numéro de référence 43608 on trouve une carte autographe signée de Stéphane Mallarmé à (Octave) Uzanne datée de Paris le 28 avril 1890. Voici le texte de la notice :

Émouvante carte. Il [Mallarmé] a appris que la veuve de De Villiers [de L'Isle-Adam] était dans une grande gêne. Il [Mallarmé] lui [à Octave Uzanne] envoie son adresse [de la veuve de De Villiers] et lui demande [à Uzanne] de la mettre en relation avec des parents de son fils. "Je me figure que s'ils pouvaient faire pour elle quelque chose, sans qu'elle connût la source du bienfait ... cela durerait davantage...".

      Nous avions déjà publié ici même la transcription d'un billet de Mallarmé à Uzanne à propos du dîner Bouchor (lettre du 26 janvier 1890). Comme nous l'avions précisé, on sait qu'en cette année 1890 Octave Uzanne organisa plusieurs « dîners occultes » rassemblant plusieurs personnalités des arts et des lettres, tels Claude Monet, Paul Cézanne, Stéphane Mallarmé, Octave Mirbeau, J.-K. Huysmans, Maurice Bouchor, etc. On ne sait rien de ces dîners seulement mentionnés ici ou là dans quelques rares correspondances ou notes. Ainsi Octave Mirbeau écrit-il de son côté à Stéphane Mallarmé, vers le 15 avril 1890 : « Cher ami, Monet et moi nous irons au dîner du 18. J'aurais grande joie à vous y rencontrer [...] ». Octave Mirbeau, pas toujours très sympathique écrit aussi à Gustave Geoffroy le 17 avril 1890 : « Mon cher ami, Demain soir Monet et moi allons à Paris dîner à cet imbécile de dîner occulte. Vous seriez bien gentil de venir nous y demander de très bonne heure, vers les 9 heures et 1/2 si vous pouvez. [...] P.S. Le dîner se tient au café Riche ». D'après la lettre de Mallarmé citée plus haut, il semble donc que ces dîners aient commencé, s'ils s'agit bien du même type de dîner, dès fin janvier ou début février 1890.

      Avec ce billet du 28 avril 1890, nous sommes en plein dans cette période où les deux hommes se côtoient. Nous n'en savons pas plus pour le moment.

Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 6 mai 2015

Octave Uzanne et Léon Conquet : Envoi autographe sur Nos Amis les Livres (1886). "à L. Conquet à l'éditeur très dilettante et très affiné, au libraire-bibliophile le plus serviable Souvenir cordial Octave Uzanne 26 IV 1886."



"à L. Conquet
à l'éditeur très dilettante et très affiné,
au libraire-bibliophile le plus serviable
Souvenir cordial
Octave Uzanne
26 IV 1886."

Coll. Bruno Conquet


      Je me fais ici un plaisir de remercier celles et ceux, marchands, institutions, collectionneurs, bibliophiles ou simples particuliers, qui partagent documents et informations inédites relatives à Octave Uzanne et son frère Joseph. Les rencontres aussi furtives ou virtuelles qu'elles soient n'en sont pas moins toujours riches d'enseignement, sans compter l'humanité qui s'en dégage forcément.
      Ainsi, c'est à Bruno Conquet, descendant direct du célèbre libraire de la rue Drouot, Léon Conquet, que je dois la communication de cet envoi autographe d'Octave Uzanne à son aïeul sur un exemplaire de Nos Amis les Livres publié en 1886. On sait qu'Octave Uzanne ne fut pas toujours tendre avec Léon Conquet. Certainement même qu'une brouille (vers 1889 ?) vint rompre les relations entre les deux hommes qui jusque là entretenaient, comme on peut le voir ici, des liens d'amitié et de reconnaissance.
      En 1891 (Le Livre Moderne), Octave Uzanne dénonce le genre Conquet, mou, creux, sans aucune expression digne de satisfaire les gens esthètes. Que les amis d'hier peuvent aisément devenir les plus farouches ennemis d'aujourd'hui et de demain ! Dolus an virtus quis in hoste requirat ?
      En juillet 1882, Octave Uzanne écrivait à propos de la sortie en librairie de la luxueuse réimpression du Lion amoureux de Fréféric Soulié : "M. Conquet a publié là une des jolies éditions de ce temps, une de ces rares impressions où rien ne heurte le bon goût, où la grâce du dessin et la correction de la gravure sont en communion directe avec le texte [...]".
      En avril 1886, date de cet envoi autographe sur Nos Amis les Livres, Octave Uzanne est encore tout feu tout flamme pour cet éditeur très dilettante et très affiné et ce libraire-bibliophile le plus serviable.
      L'exemplaire Léon Conquet dévoilé ci-dessus est relié demi-toile bleue avec coins et pièce de titre de cuir marron, fleuron doré au dos. Reliure d'attente assez simple qui contraste avec un exemplaire de bibliophilie comme on pouvait en trouver au catalogue de la vente de sa bibliothèque (mars 1898).
      Comme nous l'a aimablement confié Bruno Conquet : "Certains livres de la bibliothèque de Léon Conquet sont restés dans la famille, depuis maintenant trois générations. Dans le catalogue de la vente de la "Bibliothèque particulière de feu Léon Conquet" (mars 1898), que j'ai sous les yeux, quelqu'un a noté au crayon les noms des acheteurs ( Peut-être mon arrière grand mère?). On retrouve Carteret, Durel, Rouquette, Téchener, Morgand, etc... c'est assez émouvant d'imaginer la salle ce jour-là, et les conversations entre libraires... Il y a plusieurs Uzanne (sept), tous très illustrés (aquarelles originales de Paul Avril, Robida, etc...), mais pas celui-ci, qui devait se trouver au domicile du libraire.".
      Quoi qu'il en soit, ce document est précieux pour la petite histoire de la bibliophilie à la fin du XIXe siècle. Léon Conquet meurt en décembre 1897. On consultera avec fruit la notice consacrée à ce libraire sur le site de notre ami Jean-Paul Fontaine Histoire de la Bibliophilie.


Bertrand Hugonnard-Roche

lundi 4 mai 2015

Le Pigeon, Conte de Pâques, une aventure à Monte-Carlo en 1905, par Octave Uzanne (Dépêche de Toulouse, 10 avril 1909).


Table de roulette
Casino de Monte-Carlo, vers 1905
      Il faut replacer le récit de cette chronique dans le contexte du décès de la mère d'Octave Uzanne le 24 janvier 1905. On sait par une lettre qu'il envoya à son frère un mois après le décès de leur très chère mère qu'Octave Uzanne, 54 ans, fut littéralement hanté par cette mort. "Je suis encore bien hanté par notre chère maman, le soir en me couchant – ces chagrins sont lents, lents à perdre de leur acuité." (Paris, 24 février 1905). Nous avons déjà esquissé dans un précédent article un semblant de réponse à ces questions relatives au décès de la mère d'Octave Uzanne et au changement de mode de vie qui s'ensuivit. Edmond Haraucourt, ami des deux frères Uzanne, écrit à Octave le 4 février 1905 : "Mon cher Uzanne, Je sais, pour l'avoir maintes fois remarqué, que vous étiez restés, ton frère et toi, des enfants devant votre mère, - et, par la façon dont vous parliez d'elle, j'imagine la peine que son départ vous laisse : je l'imagine toute, et je t'envoie mes cordiales condoléances.".
      C'est donc dans ce contexte, vers le 18 ou 20 avril 1905 (*), qu'Octave Uzanne vit cette drôle d'aventure Monégasque. Une extrapolation qui ne nous paraît en rien fantasmée nous invite à croire que cette insomnie décrite ci-dessous et ses causes naturelles ne sont pas sans rapport avec ces insomnies liées à la mort de sa mère trois mois auparavant.
       Nous vous laissons apprécier ce récit intimiste qui en dit encore une fois assez long sur la psychologie du personnage Uzanne. Bien loin de la seule facette bibliophile jusque là connue des amateurs de beaux livres, c'est encore une fois un homme hypersensible qu'on découvre ici.

Bertrand Hugonnard-Roche


* * *

CAUSERIES

LE PIGEON
Conte pour Pâques


La façade du Casino de Monte-Carlo, vers 1905
      L'aventure, pour mince qu'elle soit, en vaut bien une autre. Je l'ai vécue, non sans angoisse, et son souvenir ne m'est point encore indifférent, bien que je n'en diminue point l'apparente puérilité. Souffrez que je vous la conte.
      C'était en 1905, il y a de cela quatre années, précisément quelques jours après les Rameaux. Avant de gagner Rome par le rapide du matin, je m'étais arrêté pour un soir à Monte-Carlo, au fameux hôtel qui communique par sous-sol avec le Casino des jeux. J'avais là des amis d'Angleterre fort cordiaux et qui apportaient à s'amuser, à regarder la vie de fête, des âmes neuves, de candides regards d'enfant encore sans lassitude et sans navrance. En leur compagnie, cette cité cosmopolite érigée en palais d'expositions et en décors artificiels m’écœurait un peu moins que lorsque je m'y sentais à l'état de solitude dans un monde principalement composé d'aventuriers, de filles, de marchands à la toilette, de ruffians et de snobs, avec une majorité de braves badauds prêts à être aimablement dévalisés, entôlés, pressurés par tant d'intéressés à vider leurs poches.
      Après dîner, mes hôtes qui avaient un goût décidé pour la roulette et le trente et quarante, m'entraînèrent vers les salles de fortune envahies par un peuple de joueurs presque silencieux et dont toute la tension d'esprit était uniquement absorbée le résultat du rouge ou du noir, de l'impair ou du pair, du manque ou du zéro dénoncé par le croupier avant la rafle magistrale du râteau ramenant presque tous les enjeux dans la caisse.
      Comme toujours, en pareil lieu, je me sentais mal à l'aise, inquiet, vaguement dégoûté par le spectacle, par l'ensemble, autour des tables à tapis vert, de ces physionomies aux regards avides, métalliques et sans nulle expression de sereine et douce humanité. Les yeux des femmes surtout m'effaraient. Ils n'avaient plus leur profondeur de charme velouté, leur attirance mystérieuse faite de tendre sensualité et de rêve. C'était une transfiguration ; je ne voyais je ne voyais plus que des iris d'aimant fixés avec attirance sur l'or semblables à de froides prunelles de vautour hypnotisant la proie entrevue. Lorsque roulait la bille, tous ces visages convulsés par l'attente, même les plus impassibles masques de professionnels, me semblaient effroyables à observer et analyser - un vrai cauchemar.
      Mes camarades qui s'étaient installés à un tapis de roulette me firent place près d'eux. Je sortis une dizaine de louis (**) et, sans aucun entrain d'ailleurs, pour me conformer à l'usage. Je plaçai mes jaunets un peu à l'aventure, souvent à cheval sur des bandes de numéros, parfois même hardiment en plein sur le 17 ou sur le 11 qui, pour des raisons superstitieuses, me semblaient devoir m'être favorables. Je ne prenais aucun intérêt à mes gains ; ils étaient cependant estimables. Le 17 et le 11 étaient sortis plusieurs fois m'apportant de belles moissons de pièces d'or. Vers onze heures et demie, je comptais environ 500 louis de profit à mon actif et je m'apercevais de mon succès à la façon dont j'étais oeilladé avec complaisance par ces dames, plutôt que par le poids de mon butin que je dus changer en bleus fafiots, avant de quitter la table de mes triomphes.
      J'invitai mes compagnons à souper dans un restaurant renommé un peu éloigné. Comme nous nous promenions par une superbe nuit étoilée dans les jardins dominant la mer et que mes amis plaisantaient sur le joli magot que la providence venait d'attribuer à un joueur aussi réfractaire que je le suis aux grandes passions de la déesse aveugle je me sentis suivi, frôlé par des êtres à mine patibulaire qui me pistaient assurément depuis ma sortie du Casino dans le but évident de barbotter mes poches et de me soulager des beaux billets de mille hospitalisés dans la poche intérieure de mon smoking. Je compris que les gentlemen pickpockets qui rôdaient autour de ma personne me suivraient ce soir-là comme les requins suivent les navires et, sous un prétexte, je rentrai un instant dans ma chambre d'hôtel pour y déposer ma petite fortune, que je dissimulai entre deux matelas, dans le pli d'un journal du jour. Ceci fait, je me sentis plus libre de mes mouvements et plus apte à m'abandonner à l'imprévu des cabarets selects de Monte-Carlo.
      Nous rentrâmes à l'hôtel vers deux heures du matin. Je n'avais bu que du soda, sans whisky, du soda à peine coloré de champagne ; je me sentais donc en parfait équilibre, avec des spasmes stomacaux se traduisant en bâillements successifs et prolongés qui annonçaient un profond désir de bon sommeil. Inspection faite de ma cachette, le produit de la roulette était intact. Je me couchai vraiment en excellentes conditions pour sainement dormir et, l'électricité éteinte, je songeais avec plaisir au voyage du lendemain, à la Ville éternelle et aux petites villes italiennes que je me proposais de visiter. Déjà, je perdais doucement connaissance, lorsqu'un bruit étrange comme un soupir étouffé suivi d'un froissement strident d'étoffe dans la chambre même me fît rallumer l'ampoule et inspecter les alentours avec curiosité.
      Je songeai tout d'abord aux fameux rats d'hôtel, dont Jean Lorrain peuplait ses dramatiques récits de la Riviera, et qui, en maillots noirs ont coutume de se glisser sous les lits, derrière les tentures souples comme des anguilles, prêts à cambrioler les malles et les meubles. Sous ma couchette de cuivre, je ne vis que le vide ; derrière les meubles, dans le cabinet de toilette, personne. Je me recouchai. La lumière à peine éteinte, le bruit reprit plus fort, souffle d'angoisse tout près de moi, sursauts de coups rebondissants en tambourinant sur un corps sonore ; crissements saccadés et convulsifs, et encore ce sourd hoquet d'épouvante qui dans la nuit silencieuse me semblait si inquiétant, si déchirant que les palpitations de mon cœur s'accéléraient à l'entendre sans que je puisse arriver ni en situer la provenance ni à en reconstituer la valeur des accents.
      Je m'étais mis sur mon séant, les lampes électriques donnant toute leur lumière, je regardais, j'interrogeais les murailles, les sièges, les rideaux, la fenêtre. Le lit était sans tentures, les armoires ouvertes étaient parfaitement vides et les saccades bruyantes, les souffles d'oppression, les sonorités d'étoffe de soie froissées se multipliaient très différentes, sans isochronie, toujours nouvelles et plus troublantes. Et cela était si proche, si douloureux, si anormal et inexplicable que je commençais à croire à des manifestations surnaturelles, à quelque drame de l'au-delà, à l'âme d'un joueur suicidé revenant pleurer sa vie dans la chambre même où il s'était donné la mort.
      J'essayai de la lecture, mais les résonances, les sons indicibles, les accentuations de faibles plaintes, les vibrations sèches d'éventail ouvert et fermé se renouvelaient et il n'y avait dans la nuit de cette chambre d'hôtel tant de lourd mystère que mon attention ne pouvait se prêter au récit d'un roman ou même s'intéresser au fait divers d'un journal. Par delà les cloisons j'entendais comme une orchestration des ronflements de voyageurs voisins dont j'enviais l'heureux sommeil réparateur, l'oubli de toute chose, l'inconscience heureuse.
      Vers cinq heures du matin, les nerfs en loque à force de sonder l'insondable, doutant de mon sens auditif, me supposant halluciné, je sonnai, longtemps en vain. Cependant, une heure plus tard, un valet de chambre mi-vêtu se montra. Je lui fis part des bruits insolites. Il parut ne point comprendre, douter de ma raison. Je le forçai à s'asseoir, à demeurer silencieux, à écouter. Les surprenantes palpitations crissantes, les gémissements imprécis, les coups de tympanum reprirent. Le larbin, les yeux hagards, cherchait à deviner. Le jour montait. Brisé de fatigue, je laissai l'homme dans la chambre, passant dans la salle de bains voisine, espérant un peu de réconfort d'une ablution totale.
      Comme je rentrais dans ma chambre, le valet, un peu plus pâle, me montra le baldaquin alors sans usage, puisque sans rideaux, et affirma : "ça doit venir de là, monsieur, ça ne peut venir que de là !... Faudrait voir !
      - Peut-être bien, allez chercher une échelle.
      Il revint, grimpa, explora à bout de bras le vide du cadre tendu et ramena dans sa main ensanglantée le corps d'un pauvre ramier qui se débattait encore.
      - Un pigeon fis-je, c'était un pigeon.
      - Ah ! oui, monsieur, dit le garçon, maintenant souriant, un pigeon, je m'explique, c'est une victime du tir ; il se sera envolé blessé, aura pénétré ici par la fenêtre ouverte et aura fait son nid dans le baldaquin. C'est dans son agonie, voyez-vous qu'il causait ce sacré pétard.
      Un pigeon, à Monte-Carlo, un pigeon expirant, quel symbole !
      Combien d'autres pigeons blessés qui meurent sans bruit et qu'on cache.

OCTAVE UZANNE
Dépêche de Toulouse, Samedi 10 avril 1909


(*) Une rapide recherche dans le calendrier de 1905 nous indique que le dimanche de Pâques était le 23 avril. Le Dimanche des Rameaux était le dimanche précédent à savoir le 16 avril. Uzanne indique que l'action se déroule "quelques jours après les Rameaux". Nous interprétons donc "entre le 18 et le 20". Nous ne savons pas encore la date exacte de son départ pour Rome.

(**) Octave Uzanne précise les montants joués : une dizaine de louis. Si l'on s'en tient à ce qu'on appelait un louis d'or à l'époque (1905), il doit s'agir d'une pièce de 20 francs or (Napoléon d'or de 20 francs). Autrement dit il joue pour environ 200 francs or sur le tapis à la roulette. Il indique également avec précision ses gains : 500 louis ! Ce qui signifierait que ce soir là Octave Uzanne réalise un gain de près de 10.000 francs or ! Somme énorme. Doit-on le croire ? Pourquoi pas. A titre d'information, le cour actuel de la pièce de 20 francs or est d'environ 200 euros. Si l'on fait un calcul rapide, ce soir là Octave Uzanne joue environ 2.000 euros pour un gain final de près de 100.000 euros ! On comprend son stress de se faire dépouiller par des pickpockets. Pour quelqu'un qui n'aime pas jouer ... qui n'aime pas le jeu ... c'est ce qui s'appelle la chance du débutant.

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