mercredi 15 mai 2013

Octave Uzanne prend le contre-pied d'Honoré de Balzac pour défendre le célibat. Paroissien du Célibataire (1890). "Le Paroissien du Célibataire, c'est, pour plaisante que paraisse l'antithèse, le manuel de l'Amour libre" écrit Uzanne dans ce livre.



Vignette par Albert Lynch gravée à l'eau-forte par E. Gaujean.
Octave Uzanne à droite, débite les théories du Célibat à une jolie dame à l'éventail.


Octave Uzanne, dans le troisième chapitre de la première partie de son Paroissien du Célibataire (achevé d'imprimé le 10 décembre 1890 - mais commencé dès 1887), prend le contre-pied de Balzac dans ses tirades sur les raisons pour un homme de se marier (*). Uzanne reprend les mêmes raisons, dans le même ordre, au profit du célibat. La démonstration est convaincante et cocasse. L'auteur prend un malin plaisir à dévoiler ici ses vues sur l'état de célibataire et surtout ses haines pour l'institution du mariage. Comme il l'écrit un peu plus loin dans le livre : "Le Paroissien du Célibataire, c'est, pour plaisante que paraisse l'antithèse, le manuel de l'Amour libre." Les Dames auxquelles Uzanne s'adresse ici, hypothétiques maîtresses, femmes mariées, élèves attentives du maître es amour, sont prises à témoin d'une sorte de sermon par l'Amant magnifique. Il y aurait plus d'un point à éclaircir sur le romancé du véridique dans tout le volume qui donne à Uzanne l'alibi d'écrire. Uzanne se livre ici à mots couverts, ou pas. Octave Uzanne a entre 36 et 38 ans lorsqu'il rédige ce texte.

Bertrand Hugonnard-Roche

* * *

Balzac, alors jeune célibataire de trente ans, au cours de ses Méditations de philosophie éclectique sur le bonheur et le malheur conjugal, essaye de nous fournir les diverses raisons pour lesquelles un homme se marie, et il énumère les suivantes :
- "Par Ambition, ... cela est bien connu ;
- Par Bonté, pour arracher une fille à la tyrannie de sa mère ;
- Par Colère, pour déshériter des collatéraux ;
- Par Dédain d'une maîtresse infidèle ;
- Par Ennui ... de la délicieuse vie de garçon ;
- Par Folie, ... c'en est toujours une ;
- Par Gageure, c'est le cas le plus rare :
- Par Honneur, comme George Dandin ;
- Par Intérêt, ... mais c'est toujours ainsi ;
- Par Jeunesse, au sortir du collège, en étourdi ;
- Par Laideur, en craignant de manquer de femme un jour ;
- Par Machiavélisme, pour hériter promptement d'une vieille ;
- Par Nécessité, pour donner un état à son fils ;
- Par Obligation, la demoiselle ayant été faible ;
- Par Passion, pour s'en guérir plus sûrement ;
- Par Querelle, pour finir un procès ;
- Par Reconnaissance, ... c'est donner plus qu'on a reçu ;
- Par Sagesse, cela arrive encore aux doctrinaires ;
- Par Testament, quand un oncle mort vous grève son héritage d'une fille à épouser ;
- Par Vieillesse, pour faire une fin ;
- Par Usage, à l'imitation de ses aïeux ;
- Par Zèle, comme le duc de Saint-Aignan, qui ne voulait pas commettre de péchés.
"Mais tous ces accidents-là, ajoutait Balzac, ont fourni les sujets de trente mille comédies et de cent mille romans ; car tout y est banal comme les pavés d'une rue et toutes les vieilles idées qu'éveille le mariage roulent dans les littératures depuis que le monde est monde, et il n'y a pas d'opinion utile et de projet saugrenu qui n'aient été trouver un auteur, un imprimeur, un libraire et un lecteur."
A mon tour, si vous le permettez, je tâcherai de fixer les divers sentiments qui fixent les hommes dans le Célibat, et vous ferai aisément admettre, mes mignonnes élèves, en suivant l'échelle des causes déterminantes dressée par l'auteur de la Comédie humaine, que l'on est induit à rester célibataire.
- Par Ambition, ... un homme libre pouvant s'élever au-dessus de sa fortune, se mêler dans le monde et, - comme le remarque La Bruyère, - aller de pair avec les plus hauts personnages, ce qui n'est point possible avec un engagement, car le mariage tasse et concentre tout le monde dans son ordre.
- Par Bonté, afin de consoler avec toute indépendance les malheureuses épouses sacrifiées ou incomprises, et les aider à soulever à deux la soupape d'évaporation du pot-au-feu légitime.
- Par Colère contre tous les amis qu'on a vus tour à tour glisser dans la nasse et tomber peu à peu au niveau des tontons pivotant, des toupies et des faibles inconscients et déshonorés.
- Par Dédain, pour s'éviter les corvées mondaines, les phrases banales, les mots ressassés, les mesquineries inhérentes à la vue étuvée en commun.
- Par Ennui, afin de ne rien changer à ses chères et douces habitudes sédentaires.
- Par Folie, car il faut être fou pour s'aviser d'être sage à l'encontre de l'insanité générale.
- Par Gageure, c'est est une considérable de résister sans faillir aux marieuses, aux bons amis qui nous tendent des pièges, à tous les trappeurs déchaînés contre la liberté des vieux garçons.
- Par Honneur surtout, l'existence misogamique n'offrant pas, comme la raison sociale légitime, une cible de grande surface au scandale, au ridicule et à toutes les basses faillites de l'opinion.
- Par Intérêt, car un homme avisé, dépourvu de vanité et d'ostentation, peut, moyennant sept à huit mille écus de rente, mener une vie de maharajah occidental, tandis qu'avec douze mille écus ... étant marié, à peine peut-il songer à faire figure honnête dans un monde qui le jaugera.
- Par Jeunesse ; n'est-ce point en effet se sentir toujours jeune que de rester éternellement en nouvelle sève d'amour ? Demeurer libre, c'est demeurer ingambe, illusionné, prêt à chevaucher toutes les occasions et à laisser vagabonder son cœur dans toutes les embuscades des œillades  sans craindre les acariâtres jalousies, les scènes irritantes qui énervent, affaissent et vieillissent fatalement.
- Par Laideur ; aux yeux d'une femme légitime, la laideur est une excuse aux plus indignes et aux moins charitables cocuages ; aux yeux d'une maîtresse, ce n'est souvent qu'une disgrâce qui met dans la tendresse dont on est l'objet le piment doux des locutions simiesques. S'entendre appeler : gros sapajou chéri ! n'a rien d'effarouchant, et l'on pourrait même ajouter ... mais, chut ! passons vite.
- Par Machiavélisme, et c'est bien là une raison supérieure ! - afin de marauder sans trêve sur le domaine des amis mariés, grincheux, mécontents et jaloux, qui s'effondrent, se ratatinent et envient le camarade preste, élégant, gaillard, séducteur, conquérant dans le célibat, dont ils ne peuvent s'empêcher de dire : ... Cet animal d'Un Tel, il ne bouge pas !
- Par Nécessité ; consultez les docteurs de l'humanité souffrante. Frascator a fait un poème sur cette déterminante constitutionelle :


Si Philis l'eût voulu, François n'en fût pas mort.

- Par Obligation ; on en a souscrit de si nombreuses et de si douces, 
dont on se plaît encore à payer les coupons sur présentation, qu'il serait condamnable de faire banqueroute à tant d'affections pour enfouir tous les titres de son cœur dans le froid coffre-fort de la grande Société brevetée pour l'accroissement moral d'une inutile population.
- Par Passion, pour avoir l'espoir de permuter des passions ardentes aux passions frileuses, et dans le désir de se réchauffer plus tard aux feux qu'on aura allumés, après avoir soi-même réchauffé de son brûlant soleil d'amour les filles de marbre de la première adolescence toujours bébête.
- Par Querelle, pour tenir tête à sa famille et avoir raison de sa mère, de ses sœurs  de ses frères, oncles, tantes et petits-cousins qui répètent en chœur : Tu ferais un si bon mari, ou encore : Tu es jeune, ça va bien ! ... mais songe à la cinquantaine !
- Par Reconnaissance ; c'est donner un gage de reconnaissance à l'Amour qui sait combler ses favoris que de ne pas abandonner ses conquêtes et augmenter encore avant la tombée de la nuit sénile le sérail enchanteur de ses souvenirs.
- Par Sagesse ; à la suite de Minerve, les philosophes de tous les temps n'ont-ils pas conseillé le Célibat, et la logique n'implique-t-elle pas qu'il est toujours loisible de ne plus être Célibataire et de se constituer tardivement prisonnier à la maison de ville, tandis qu'une fois incarcéré ...
- Par Testament... Il peut se rencontrer, par exception, un oncle assez serein et lumineux d'esprit, pour désirer que son neveu ne puisse jouir librement de sa fortune qu'en état parfait d'indépendance orientale ; on en a vu, dit-on, - souhaitons-le !
- Par Vieillesse ; quand l'arbre n'a plus de sève, à quoi servirait-il d'appeler la bûcheronne !
- Par Usage, afin d'attendre, ainsi que font les mondains, jusqu'à l'extrême limite du possible le moment de faire une fin et d'entrer en pénitent au couvent de la miséricorde.
- Par Zèle, pour accroître les contingents futurs, en vertu de la juste théorie des polygames qui consiste à prétendre qu'un homme peut, sans gêne ni fatigue, procréer trois cent soixante-cinq enfants par an, en confiant ses espérances à différentes oreilles de la nature, tandis qu'une femme unique, durant trois fois trois mois, couve en son sein un seul être, ne permettant pas à son mari, alors que la grange est pleine, de battre utilement son grain au dehors.
Convenez donc, maintenant, Mesdames, bien que cachées derrière les éventails qui ombragent votre pudeur atteinte par cette dernière observation, convenez que les mêmes raisons qui poussent les hommes au mariage les peuvent également inciter au Célibat. Tout dépend de l'angle visuel, des aperçus et des façons diverses de sentir la vie, qui, pour les uns, est une comédie amusante, comique et burlesque, et, pour les autres, une tragédie sombre, amère, effroyable et angoissante.


OCTAVE UZANNE


(*) Le Paroissien du Célibataire. Observations physiologiques et morales sur l'état du Célibat, par Octave Uzanne. Illustrations de Albert Lynch gravées à l'eau-forte par E. Gaujean. Paris, Ancienne Maison Quantin, Librairies-Imprimeries réunies, May & Motteroz, 1890. 1 vol. in-8, XXX-294-(2) pp. Le passage relevé ici est aux pages 19 à 25 et fait partie de la première partie intitulée : Traité du Célibat et Physiologie du véritable Célibataire.


Vignette par Albert Lynch gravée à l'eau-forte par E. Gaujean.
Octave Uzanne, à sa table de travail, entouré de nymphes dénudées et attentives ...

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