En décembre 2013, nous nous
interrogions : « Il est
curieux de constater qu'il manquait à Uzanne un exemplaire du Vice suprême, publié par Chamuel en 1884. L'a-t-il conservé ? Ou ne
connaissait-il pas encore le Sâr Péladan en 1884 ? »
Avec la lettre que nous dévoile pour la première fois Jean-David
Jumeau-Lafond, nous avons désormais une réponse. Nous avons même là un
témoignage d’admiration sans condition de l’œuvre naissante de Péladan.
La publication de cette lettre vous donne l’occasion de lire ou relire
les deux articles déjà publiés concernant Péladan :
- Opinion d'Octave
Uzanne sur le Sâr Joséphin Péladan et son oeuvre (février 1894)
- Octave Uzanne commente le nouveau roman du Sâr Joséphin
Péladan : A coeur perdu (1888) in Le Livre, livraison du 10 mai 1888.
Bertrand
Hugonnard-Roche
* *
*
Copie d'une lettre d'Octave Uzanne à Joséphin Péladan |
[Papier à en-tête du Livre.] Paris, le 27 octobre 1884 (*)
Mon cher Monsieur, (**)
Je viens de terminer votre vice suprême, contre
lequel, je ne sais pourquoi, je nourrissais dès les premiers jours de sa
réception de vagues soupçons, de ceux qu’on éprouve en parcourant un livre de
ci de là, avec le nonchaloir ou la sottise d’une femme qui cherche à amorcer sa
curiosité, ou plutôt avec le profond écœurement d’un critique encombré par la
vase montante des grotesques romans de ce temps, qui ont la fadeur du bouillon
de veau et la désespérante platitude
du « Panmuflisme » contemporain.
Ores, je suis charmé, émerveillé, réconforté par votre œuvre
mâle, débordante d’un talent fier basé sur la plus profonde érudition et
brillant par le style le plus chaud et le plus coloré dont je vous félicite d’être
le virtuose.
Ne vous connaîtrais-je point que je vous écrirais encore –
Merci, car votre livre me met en appétit [mots illisibles] votre
décadence latine n’est point complète, et que le roman aura encore de belles
envollées dans le domaine du beau – Vous êtes dans la belle tradition française
de Balzac et de Frédéric Soulié et votre livre puissant m’a donné des
sensations que je croyais avoir oubliées depuis la lecture des Mémoires du
Diable, œuvre sans grand style peut-être, ce qu’on ne peut point dire de la
votre, mais œuvre humaine entre toutes et qui remue plus d’idées que tout le
fatras romancier des Zola, des de Goncourt et des Daudet.
J’eusse désiré, si j’en avais eu le loisir, analyser
longuement votre vice suprême dans le Livre mais j’ai dernièrement
excursionné de côté et d’autres et j’ai du confier votre ouvrage à un de mes
collaborateurs pour que le compte rendu puisse paraître en novembre prochain.
Croyez, cher Monsieur, à ma plus vive sympathie
littéraire, et trouvez ici l’expression admirative que m’inspire votre héros
Merodack.
Octave Uzanne (***)
72 bis Rue Bonaparte –
(*) Cette lettre autographe d’Octave Uzanne à Joséphin Péladan a été copiée sur l’original il y a de longues années. La trace de l’original s’est perdue. Cette transcription a été faite sur une photocopie que nous a aimablement fournie M. Jean-David Jumeau-Lafond, historien de l’art.
(**) Octave Uzanne possédait les premiers ouvrage du Sâr Péladan : La Décadence latine (1886) -Curieuse ! (1886) - L'initiation sentimentale (1887) -Istar (1888) - La Victoire du Mari (1889) - Cœur en peine (1890) - L'Androgyne (1891) - La Ginandre(1891) - Typhonia (1892). 9 volumes in-12, tous brochés. Exemplaires avec envois autographes du Sâr, à l'encre verte, d'allure originale et kabbalistique, précise Uzanne. L'ensemble a été vendu 47 francs.
(***) « Les romans de Péladan, frontispicés par de véritables artistes, resteront marqués d'originalité et seront longtemps sympathiques aux néo-bibliophiles. Quoi qu'on puisse penser du Sâr et de son esthétique, son talent d'écrivain reste indéniable et ses fictions sont toujours nobles, élevées, dégagées des bassesses et des ordures naturalistes. Au milieu de son oeuvre évidemment trop touffue, des pages superbes apparaissent, des conceptions grandioses se dégagent. Parfois la phrase du mage atteint au mystère et s'égare dans un impénétrable occultisme, mais elle ne traîne jamais, il faut le dire, dans la fange ou la vulgarité. La postérité sera clémente à ce laborieux. Elle oubliera les excentricités de l'homme pour ne se souvenir que de l'oeuvre vaillamment accomplie dans la constante recherche du rare et du beau, toujours au-dessus du banal. Le cri de guerre du Sâr : Ohé ! les races latines ! n'a rien en soi de si fol. - Ces pauvres races sont bien vieillottes, bien exténuées, bien calamiteuses sur le fumier des âges où elles expirent avec l'orgueil des vieilles coquettes qui prétendent ne jamais déchoir. » in Octave Uzanne, Livres contemporains d'un écrivain bibliophile, (n°331 du catalogue de la vente d'une partie de la bibliothèque Octave Uzanne), Paris, Durel, 2 et 3 mars 1894
(*) Cette lettre autographe d’Octave Uzanne à Joséphin Péladan a été copiée sur l’original il y a de longues années. La trace de l’original s’est perdue. Cette transcription a été faite sur une photocopie que nous a aimablement fournie M. Jean-David Jumeau-Lafond, historien de l’art.
(**) Octave Uzanne possédait les premiers ouvrage du Sâr Péladan : La Décadence latine (1886) -Curieuse ! (1886) - L'initiation sentimentale (1887) -Istar (1888) - La Victoire du Mari (1889) - Cœur en peine (1890) - L'Androgyne (1891) - La Ginandre(1891) - Typhonia (1892). 9 volumes in-12, tous brochés. Exemplaires avec envois autographes du Sâr, à l'encre verte, d'allure originale et kabbalistique, précise Uzanne. L'ensemble a été vendu 47 francs.
(***) « Les romans de Péladan, frontispicés par de véritables artistes, resteront marqués d'originalité et seront longtemps sympathiques aux néo-bibliophiles. Quoi qu'on puisse penser du Sâr et de son esthétique, son talent d'écrivain reste indéniable et ses fictions sont toujours nobles, élevées, dégagées des bassesses et des ordures naturalistes. Au milieu de son oeuvre évidemment trop touffue, des pages superbes apparaissent, des conceptions grandioses se dégagent. Parfois la phrase du mage atteint au mystère et s'égare dans un impénétrable occultisme, mais elle ne traîne jamais, il faut le dire, dans la fange ou la vulgarité. La postérité sera clémente à ce laborieux. Elle oubliera les excentricités de l'homme pour ne se souvenir que de l'oeuvre vaillamment accomplie dans la constante recherche du rare et du beau, toujours au-dessus du banal. Le cri de guerre du Sâr : Ohé ! les races latines ! n'a rien en soi de si fol. - Ces pauvres races sont bien vieillottes, bien exténuées, bien calamiteuses sur le fumier des âges où elles expirent avec l'orgueil des vieilles coquettes qui prétendent ne jamais déchoir. » in Octave Uzanne, Livres contemporains d'un écrivain bibliophile, (n°331 du catalogue de la vente d'une partie de la bibliothèque Octave Uzanne), Paris, Durel, 2 et 3 mars 1894