lundi 20 décembre 2021

Un exemplaire des Parisiennes de ce temps (1910) offert à Maurice Guérin.

 


Photo internet - consulté le 20 décembre 2021


à Monsieur Maurice Guérin (*)
en témoignage de bien sincère
sympathie,
souvenir de nos bonnes relations,
Octave Uzanne



(*)  Sur un exemplaire demeuré broché imprimé sur papier ordinaire. Nous n'avons pu établir qui était ce Maurice Guérin (journaliste ? homme de lettres ?)


Bertrand Hugonnard-Roche

mardi 31 août 2021

Félix Vallotton, Octave Uzanne, et les Badauderies parisiennes ou Les Rassemblements, physiologies de la rue. Paris, H. Floury, Pour les Bibliophiles indépendants, 1896. L'un des ouvrages commandités et dirigés par Octave Uzanne parmi les plus rares et les plus recherchés. Exemplaire relié à l'époque par Charles Meunier en maroquin mosaïqué pour le bibliophile Albert Bélinac.

Voici un exemplaire de choix du superbe ouvrage illustré par Félix Vallotton et commandité par Octave Uzanne pour les Bibliophiles indépendants.

Ce livre est parmi les plus rares mais surtout parmi les plus recherchés de ceux publiés par Octave Uzanne pour ses diverses sociétés de bibliophiles dont il a été le fondateur et directeur artistique. Le nom de Félix Vallotton a durablement été marqué par cette publication bibliophilique de grande qualité. Il s'agit du premier livre dans lequel Félix Vallatton apparaît comme graveur.

Imprimé pour les Bibliophiles indépendants, tout juste fondés par Octave Uzanne, et publié chez le libraire de la société Henri Floury, il a été achevé d'imprimer sur les presses de Crété à Corbeil, le 14 avril 1896.

C'est un volume au format petit in-4 carré (24 x 18 cm) de 232 pages. Le volume est illustré de 30 "gravures" hors-texte de Félix Vallotton (plus une grande illustration de couverture - voir photo ci-dessus) et 3 petites gravures de F. Vallotton qui ornent le prologue. Par ailleurs le volume est illustré de 120 vignettes dans le texte par François Courboin. 

Le tirage a été limité à 200 exemplaires pour les souscripteurs et 20 exemplaires pour les collaborateurs littéraires et artistiques de l'ouvrage. Le présent exemplaire porte au composteur le numéro 132. Il a été imprimé au nom du bibliophile Albert Bélinac.

Le tirage du texte a été fait sur papier vélin de cuve (le prospectus annonce un tirage du texte sur Japon, ce qui n'a pas été réalisé) tandis que les hors-texte de Félix Vallotton bénéficient d'un tirage sur papier du Japon. Le prospectus indique que le texte est composé en caractères Didot. Octave Uzanne indique, dans ce même prospectus (relié à la fin du présent exemplaire), qu'il a été tiré un exemplaire spécial contenant 110 à 120 dessins originaux de François Courboin mis en vente au prix de 600 francs (nous n'en n'avons pas retrouvé la trace). Le prix de souscription des 200 exemplaires était de 60 francs (jusqu'au 31 mars 1896). Dès le 8 avril 1896 le prix des exemplaires est porté à 80 francs.

Le présent exemplaire a bénéficié à l'époque d'une très belle reliure mosaïquée par Charles Meunier. La reliure n'est pas signée mais il ne fait aucun doute qu'elle a été exécutée par le maître relieur. Relié pour le bibliophile Albert Bélinac, on le retrouve répertorié dans le catalogue de vente des beaux livres de sa bibliothèque sous le numéro  398 (vendu 155 francs en février 1909). Dans le catalogue Bélinac il est bien indiqué que la reliure est de Charles Meunier.

La reliure de Charles Meunier qui recouvre notre exemplaire est en maroquin havane, dos à deux nerfs saillants, titre doré au dos en diagonale, les deux plats sont ornés de fleurs et feuillages mosaïqués de maroquin vert, caramel et ivoire. Sur le premier plat sont poussées à froid (en noir) deux grandes hirondelles voletantes. Sur le second plat trois petites hirondelles volètent autour d'une composition florale centrale. Au dos du volume quatre petites hirondelles volètent également (poussées à froid). En encadrement intérieur des plats se retrouvent une nuée d'hirondelles dorées. Les doublures et les gardes sont de papier marbré. Les tranches sont dorées. La grande couverture illustrée par Félix Vallotton est reliée en tête et conservée d'un seul tenant repliée. Les plats de chemise sur papier doré avec fleurettes en semis ont été reliés au début et à la fin du volume.

Nous avons répertorié un autre exemplaire de cet ouvrage relié par Charles Meunier de manière similaire avec les hirondelles dans un maroquin de même coloris (exemplaire de la librairie Lardanchet, catalogue Paris 2005, n°38). Nous n'en n'avons pas trouvé d'autres reliés par ce maître relieur.

Le texte est un ensemble de 30 physiologies de la rue par divers auteurs la plupart du temps liés à la Revue Blanche : Paul Adam, Tristan Bernard, Léon Blum, Romain Coolus, Félix Fénéon, Gustave Kahn, Jules Renard. Les autres auteurs sont : Alfred Athys, Victor Barrucand, Ernest La Jeunesse, Lucien Muhlfeld, Thadée Natanson, Edmond Pilon, Pierre Veber et Eugène Veek. Le Prologue est écrit par Octave Uzanne.

Voici le détail des textes et de leurs auteurs :

1 - Le Bureau d'omnibus par Gustave Kahn

2 - Le pêcheur à la ligne par Tristan Bernard

3 - L'enterrement par Romain Coolus

4 - L'Epervier par Pierre Veber

5 - Travaux de voirie par Thadée Natanson

6 - L'Accident de voiture par Ernest La Jeunesse

7 - Le Noyé par Victor Barrucand

8 - Le Ballon par Eugène Veek

9 - L'Ivrogne par Paul Adam

10 - L'Affichage moderne par Lucien Muhlfeld

11 - L'Oiseau envolé par Jules Renard

12 - La Sortie du Palais Bourbon par Léon Blum

13 - La Musique militaire par Alfred Athys

14 - La Bombe par Edmond Pilon

15 - Le Camelot par Tristan Bernard

16 - Les Affiches lumineuses par Romain Coolus

17 - Chanteurs des cours par Victor Barrucand

18 - Le Mariage par Gustave Kahn

19 - Sortie de Théâtre par Paul Adam

20 - Autour du Café-concert d'été par Thadée Natanson

21 - Le Panier à salade par Tristan Bernard

22 - L'Incendie par Félix Fénéon

23 - L'Hercule de carrefour par Edmond Pilon

24 - Le Cheval emporté par Pierre Veber

25 - Le Président par Ernest La Jeunesse

26 - A la porte des casernes par Thadée Natanson

27 - Le Charmeur d'oiseaux par Félix Fénéon

28 - L'Attente par Eugène Veek

29 - Outrage aux agents par Lucien Muhlfeld

30 - Les Manifestants par Ernest La Jeunesse

Reparlons des illustrations de Félix Vallotton pour ce livre. Octave Uzanne explique que contrairement à ce qui se passe habituellement, c'est Félix Vallotton lui-même qui a d'abord dessiné ces "Rassemblements", ces foules de la rue ; les textes n'ont été écrits qu'ensuite, de manière à coller le mieux possible aux illustrations fournies par l'artiste. C'est Octave Uzanne lui-même qui demanda à Félix Vallotton une série d'estampes brutalistes sur la badauderie parisienne. Octave Uzanne lui donna les sujets sur lesquels il devait fixer son observation. Octave Uzanne explique dans son Prologue qu'il avait l'intention d'écrire ce livre lui-même, mais finalement il laissa tracer ces physiologies de la rue à d'autres.

Concernant la technique de la gravure sur bois propre à Félix Vallotton, il faut dire qu'il s'agit ici en réalité de reproductions par gillotage, non pas de bois gravés mais bien de dessins à l'encre de Chine réalisés par l'artiste. La preuve en est la suite complète des dessins originaux ayant servi à l'illustration de ce volume qui a été proposée à la vente aux enchères publiques en décembre 2012 (estimation 250.000 / 350.000 euros - Drouot, Piasa, Paris - mercredi 19 décembre 2012). Lire à ce sujet l'article que nous avions donné pour l'occasion (http://www.octaveuzanne.com/2012/12/suite-complete-des-30-dessins-originaux.html). Le dessin original de la couverture manquait à cet ensemble extraordinaire.

Ce ne sont donc pas des gravures sur bois qui sont à l'origine de ce livre contrairement à ce qu'on aura essayé de faire croire. Cet état de fait n'enlève rien à la beauté des tirages sur papier du Japon.

Le reste nous vous laissons l'admirer ci-dessous en images.

Bertrand Hugonnard-Roche



























Photographies Bertrand Hugonnard-Roche - Librairie L'amour qui bouquine
Tous droits réservés. Août 2021

lundi 14 juin 2021

Un exemplaire remarquable. Antoine Laporte (bouquiniste). Les Bouquinistes et les Quais de Paris ... Pamphlet contre Octave Uzanne. Rare sur Japon (1/25 ex.). Très bel exemplaire habillé par Edouard Pagnant (relieur recommandé par Octave Uzanne).

[Octave Uzanne - bouquinistes des quais de Paris]. Antoine Laporte (bouquiniste).

Les Bouquinistes et les Quais de Paris tels qu'ils sont Réfutation du Pamphlet d'O. Uzanne, le Monsieur de ces Dames à l'Eventail, à l'Ombrelle, etc. Par Ant. Laporte, Bouquiniste Auteur de : l'Histoire littéraire du XIXe siècle, de la Bibliographie clérico-galante, de la Bibliographie jaune, du R.P. Cornutus, des Estiennes magnuskisés, etc.

Paris, chez tous les bouquinistes des quais, dans les boîtes à prix divers, 1893

1 volume in-12 (19,3 x 12,5 cm) de 82 pages.

Reliure strictement de l'époque signée Pagnant plein vélin à la bradel à petits rabats, tête dorée, non rogné (relié sur brochure), les deux plats de couverture conservés, riche décor doré couvrant les plats et le dos à la façon des reliures du XVIIe siècle. Excellent état. Intérieur parfait.

Tirage à 525 exemplaires.

Celui-ci, 1 des rarissimes 25 exemplaires de tête sur Japon, celui-ci portant à la plume le n°10 et paraphé des initiales de l'auteur éditeur.

Le volume a été imprimé à Tours chez Deslis Frères.


Violent pamphlet dirigé par le bouquiniste bibliographe Antoine Laporte contre son ennemi juré Octave uzanne, à propos du livre de ce dernier sur les bouquinistes des quais de la Seine à Paris. Antoine Laporte y avait été maltraité par Uzanne qui l'avait désigné comme un moine défroqué ... Ce sont donc 82 pages de bile fumante et cuisante qui se déversent ici en totale liberté sur beau papier Japon pour l'occasion de cet exemplaire. Outre le côté pamphlétaire, ce livret est un rare témoignage des années 1880-1890 sur la vie des bouquinistes des quais, leurs us et coutumes, le tout rédigé avec verve et style par un membre de la confrérie.












Rarissime sur ce papier.

Superbe exemplaire très joliment habillé par Edouard Pagnant.

Pagnant, Edouard (1852-1916), relieur-doreur. Né en 1852, commence son apprentissage à 12 ans chez Camille Lavache, puis rentre comme jeune ouvrier dans la maison Chambolle-Duru où il reste 7 ans. Pagnant travaille ensuite successivement chez Parisot, Lesort, Weber et Marmin. En 1876, il s'établit rue Saint-Dominique et, en 1881, il joint à sa maison celle de Marmin. Il s'installe ensuite au 30 rue Jacob, où il meurt le 28 janvier 1916.

Le travail de M. Edouard Pagnant est recommandé par Octave Uzanne dans son ouvrage intitulé La reliure moderne artistique et fantaisiste publié en 1887, ouvrage dans lequel plusieurs reliures signées de son nom sont reproduites en fac-similé.

L'édition courante sur papier vélin (500 ex.) se trouve déjà difficilement !

Très rare dans cette superbe reliure d'époque décorée.

Notice extraite du catalogue de la librairie L'amour qui bouquine

mardi 18 mai 2021

Quelques "nouveaux" mots d'Octave Uzanne à la gloire du vin Mariani (1902) : Dans le Mariani-Coca, de l'ennui Nous trouvons le plus sûr antidote. Il nous invigore, et sans lui, L'homme ne vit pas, il vivote.

 



Dans le Mariani-Coca, de l'ennui
Nous trouvons le plus sûr antidote.
Il nous invigore, et sans lui,
L'homme ne vit pas, il vivote.

Octave Uzanne (*)



(*) cette photographie d'Octave Uzanne, accompagnée de ce quatrain à la gloire du vin Mariani, se trouve imprimée dans une page publicitaire montrant plusieurs portraits de personnalités du moment, toutes écrivant quelques mots à la gloire du célèbre vin tonique à la coca. Ce n'était pas la première fois qu'Octave Uzanne écrivait quelques mots pour la gloire du vin de son ami Angelo Mariani. Il avait écrit quelques mots dans le premier album (Figures Contemporaines) publié en 1891, puis encore quelques autres mots dans l'album des Figures Contemporaines de 1894. C'est ici une petit découverte que ces quelques nouveaux mots publiés dans un article daté de 1902.

Vous pourrez lire les précédents messages à la gloire du vin Mariani par Octave Uzanne sur ce même site www.octaveuzanne.com (tapez vin Mariani dans le moteur de recherche pour les retrouver).


Page entière du journal.




Bertrand Hugonnard-Roche pour la mise en ligne le 18 mai 2021.

jeudi 8 avril 2021

Une pensée mystique d'Octave Uzanne (1896-1897 ?). " [...] L'artiste qui tient ses dons du ciel sent plus ou moins vaguement qu'en v(r)endant au riche il restitue à dieu."


Autographe signé de la main d'Octave Uzanne, non daté (le papier
utilisé - celui du Dictionnaire Biblio-Philosophique indiquerait une écriture en 1896 ou quelques mois ou années après tout au plus).

Copie d'écran - Vente Roumet, 2021



L'esprit humain, a-t-on dit, doit à la Religion ce qu'il a de plus élémentaire et de plus pur dans les expressions de la nature morale ; je veux dire de sentiment de la maternité marié à la virginité, idée inconnue à l'art ancien, à l'art du paganisme.
Or, cette maternité virginale qui donne la vie sans le péché originel, n'est-ce pas le plus beau symbole de la charité qui puise en soi ses germes de bienfaisante fécondation.
L'art a trouvé ses inspirations les plus nobles dans ce symbole de la maternité chaste. L'artiste qui tient ses dons du ciel sent plus ou moins vaguement qu'en v(r)endant au riche il restitue à dieu.

Octave Uzanne (*)



(*) ce morceau autographe signé s'est retrouvé dans une vente récemment. Etrange document que celui-ci ! Document qui nous dévoile un Octave Uzanne empreint de mysticisme et de religiosité, ce qui n'était pas franchement son habitude dans les années 1896-1897, date probable de la rédaction de ce petit billet. Pour qui ? Pour quelle occasion ce billet a-t-il été écrit ? S'agit-il simplement d'une note prise sur le vif de sa pensée qui vagabondait ? Nous ne savons pas. Quoiqu'il en soit, cette pensée mystique à propos de la maternité virginale (de la Vierge Marie) reliée à l'Art, le tout couronné d'une conclusion des plus hasardeuse "L'artiste qui tient ses dons du ciel sent plus ou moins vaguement qu'en vendant au riche il restitue à dieu", méritait d'être sauvée de l'oubli et permet de parfaire un peu plus le portrait psychologique de notre auteur.

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 18 mars 2021

Figures de Paris. Ceux qu'on rencontre et celles qu'on frôle. Publication dirigée par Octave Uzanne pour les Bibliophiles Indépendants (1901). Exemplaire offert par Octave Uzanne à Hugues Rebell (auteur de deux textes de l'ouvrage).


Octave Uzanne décide de publier ce très beau volume alors qu'il va fêter son cinquantième anniversaire. C'est une très intéressante collaboration d'écrivains qui fournit ici un corpus de textes sur le Paris 1900. Octave Uzanne réussit à rassembler autour de lui et d'un même thème de jeunes écrivains en devenir, d'autres déjà arrivés.
      C'est à notre connaissance la seule collaboration effective autour d'un livre entre Octave Uzanne (éditeur-directeur), Jean Lorrain et Alfred Jarry, pour ne citer que les deux auteurs les plus connus encore aujourd'hui.
      Nous avons eu la chance de tomber récemment sur un des 16 exemplaires de collaborateurs. Il s'agit de l'exemplaire d'Hugues Rebell qui donne deux textes pour ce beau livre (Snobs et Snobinettes de Sport et Femmes du d'Harcourt).
      Une chose très étrange est à remarquer concernant la publication de ce volume. A la justification du tirage (verso du faux-titre) et au colophon (achevé d'imprimer), on peut lire que ce livre a été édité "pour les Bibliophiles Contemporains". Volume achevé d'imprimer sur les presses typographiques de l'imprimerie Firmin-Didot et Cie au Mesnil (Eure) le 20 avril 1901. Or, la société des Bibliophiles Contemporains avait été dissoute depuis plusieurs années déjà (dissolution réclamée par Octave Uzanne lui-même et votée le 10 novembre 1894). En cette année 1901 cette société n'existe plus et n'a plus de réalité. C'est sous le vocable des Bibliophiles indépendants qu'Octave Uzanne publie désormais ses beaux livres d'artistes. On retrouve d'ailleurs cette mention "A Paris, pour les Bibliophiles indépendants, chez le libraire Henry Floury, 1901." Ont été déjà publiés sous l'adresse des Bibliophiles indépendants : 1896 - Badauderies Parisiennes (Les Rassemblements - Physiologie de la Rue) (collectif), illustrations par F. Valloton et Fr. Courboin. 1896 - Voyage autour de sa Chambre par Octave Uzanne, illustrations par Henri Caruchet 1898 - La Leçon bien apprise par Anatole France, illustrations par Léon Lebègue 1899 - La Porte des Rêves par Marcel Schwob, illustrations par George de Feure 1900 - Contes Blancs par Jules Lemaître, illustrations par Blanche Odin. A la suite de ces Figures de Paris (1901) viendront les Chansons de l'Ancienne France avec des illustrations de William Graham Robertson (1905). Alors pourquoi avoir indiqué par deux fois dans ce volume "Edité pour les Bibliophiles Contemporains" avec les majuscules d'usage. Une erreur n'est pas envisageable. Par contre, un méchant coup de patte aux anciens Bibliophiles Contemporains qui lui ont mené la vie dure au sein d'une société de bibliophiles qu'Octave Uzanne entendait mener à sa guise sans qu'on lui imposa d'autres vues artistiques que les siennes, voilà certainement la solution à cette incohérence.
      Autre particularité de l'exemplaire. Ceux que nous avons pu voir possèdent les illustrations hors-texte avec quelques rehauts d'aquarelle. L'exemplaire Hugues Rebell est resté en noir. Les couvertures imprimées ont été conservées en deux morceaux (reliés au début et à la fin du volume).
      L'exemplaire que nous avons en mains (Ex. Hugues Rebell) a été très simplement relié en demi-basane aubergine. Il porte le n°212 imprimé au composteur et cet envoi autographe d'Octave Uzanne : "à Hugues Rebell avec mes remerciements, [signé] Octave Uzanne".

      Nous reproduisons ci-dessous le texte donné par Octave Uzanne pour cet album : Trottins. Octave Uzanne est ici encore alerte question "Feminies" malgré ses 50 ans approchant. La carrière d'éditeur-bibliophile touche à sa fin avec cet ouvrage réussi. En 1905 paraîtra un ultime volume publié sous les hospices de cette société bibliophilique "libertaire" : Les Chansons de l'ancienne France illustrées par William Graham Robertson (ce volume tiré à seulement 150 exemplaires).



* * *


TROTTINS


      Gracieuses, légères, sautillantes, musardes, le visage curieusement chiffonné, la frimousse drôle, vaguement perverse, l’œil quêteur et fouinard dans l'anémie des traits, Mesdemoiselles les Trottins, carton au bras, jupes retroussées sur les fausses maigreurs irritantes des hanches, s'en vont sur les boulevards, excitant les désœuvrés, éveillant les instincts des faunes modernes qui aussitôt entrent en chasse à la poursuite de leurs charmes de fruits verts.
      Elles sortent de l'atelier de la Couturasse ou de la boutique de la modiste du quartier de La Paix. Elles ne sont encore que Coursières, Arpettes ou Groulasses, — comme disent les grandes du métier, — et elles traînent leurs tristes bottines sur le bitume et le pavé de bois à cette fin d'aller aux rassortiments dans le gros ou de porter aux clientes du dernier v'lan un chouette Bagnolet à plumes ou quelque frais paillasson tout fleuri, au goût du jour.
      Elles ont de quatorze à dix-sept ans ; presque toutes sont de vraies gosselines de Paris, des momignardes des faubourgs, élevées à la diable dans des milieux grouillants et tapageurs, parmi les disputes, les gros mots ou les scènes d'amour des parents, et les récits des grandes sœurs. Elles ont subi tous les contacts malsains, connaissent le vocabulaire et l'argot des Cythères les plus crapuleuses et elles s'épanouissent délicieusement dans la curiosité du vice et dans le désir instinctif de la perdition avec une sorte d'ingénuité extravagante dont le contraste irritant n'est pas un de leurs moindres charmes.
      Blagueuses, drôlichonnes, futées, chercheuses de mots drôles, de gestes délurés, ces gavroches en jupe sont les singes de l'atelier, celles dont on s'amuse et qu'on malmène aussi parfois durement, car elles doivent servir à toute besogne, porter les billets doux des ouvrières en titre, faire les commissions chez le troquet, chez le cochonnier ou le darioleur et rapporter en cachette les pains fourrés, les demi-septiers et les « choses » à la crème. — Interpellées, commandées par toutes à la fois, elles ne s'ahurissent point, les petites, et c'est miracle qu'elles puissent encore apprendre dans ces tohu-bohu à coulisser, apprêter, laitonner et à chiquer « l'envollée d'un nœud », selon le terme des modillons.
      Le soir, quand elles quittent la boîte, à l'heure où les amoureux poirottent sur le trottoir, jusqu'à l'instant où apparaissent leurs petites amies, les Trottins s'ensauvent bruyamment comme une bande de moineaux francs à travers la chaussée. — A les voir gambader, se tirer des flûtes, se faire des niches, rire éperdument et chantonner des refrains à quiproquos, à sous-entendus osés, on ne soupçonnerait guère les menues misères qu'elles ont endurées toute la journée, les courses fournies, les médiocres nourritures grignotées au coin des tables, et les insalubrités, l'inconfortabilité qui les attend encore aux logis du Paternel, dans les galetas lointains ou les mansardes du centre.
      Leur jeunesse triomphe de tout, leur insouciance leur permet d'oublier, aussitôt la sortie de la cage, les vexations de la patronne ou les insolences de ces demoiselles arrivées et pécores. Et les voilà en route, seules ou groupées pour la joie des vieux Messieurs, œilladant pour rire, heureuses d'être suivies, emboîtées par des types, de s'entendre murmurer à l'oreille des propos inconvenants ou de se sentir frôlées, pincées même dans leur marche rapide par des « espèces de saligauds » qui les font pouffer.

*  * 

      Les chers petits Trottins, ivresse de la rue parisienne, charme du regard, minois nécessaires dans le décor de la grande ville, combien ne les a-t-on pas chantés, poétisés, stylisés en littérature et en art ! Du café-concert au Livre, de la chromogravure au tableau de genre, le goût moderne s'est plu à faire trottiner leurs gentillesses élégantes, leurs silhouettes fines, à montrer leur rire gamin, leur regard de côté ou leur flânerie de gosse tout le long des boutiques de chiffons ou de bijoux.
      On ferait un recueil extraordinaire en collectionnant tout ce qui a été écrit en tout genre sur ces menues gigolettes des modes. Il y aurait même une Biblio-inconographie du Trottin à essayer et qui ne serait pas sans agrément. — Au hasard, parmi les poètes plutôt obscurs qui les enfermèrent dans les papillotes de leurs vers, citons ces quatrains de M. Abel Letalle :

Trottant, trottant, trottant, trottant,
Trottinant, toutes très gentilles,
Le pied menu, l'œil éclatant,
Elles s'en vont, les belles filles.

Qu'elles sont reines, quand leur main
Soulève un petit pan de robe,
Qui laisse flotter en chemin
Un parfum que l'air nous dérobe !

Oh ! qu'on aime à les voir souvent
Avec leur gaîté claire et blonde !
Comme, avec leur sourire au vent,
Chacun ferait le tour du monde !

Jusqu'au jour où, peu résolus
A trottiner, trotter sans cesse,
De par la faveur d'une. altesse,
Les beaux trottins ne trottent plus.

      Ce sont là des versiculets légers, faciles à mettre en musique ; beaucoup d'autres sont de la même famille et pourraient servir de couplets à des romances de beuglants qui seraient frontispicées d'un dessin suggestif à la façon de M. Jean Béraud, le grand provocateur de la chromolithographie contemporaine et le maître de l'article de Paris.
      Mais les Trottins, lors d'une grève récente des Demoiselles de la couture, ont eu mieux que la chanson sentimentale. Ils ont obtenu la Marche Révolutionnaire des Couturières et des camelots vendirent et chantèrent même dans les rues et carrefours une Carmagnole faite pour leur complaire :

I

Que demande un petit Trottin (bis)
De chez Worth ou de chez Paquin? (bis)
Un peu plus de salaire,
Moins de travail à faire,
Et trois coups de torchon,
Vive le son, vive le son,
Et trois coups de torchon,
Vive le son du violon !

II

L'Industrie a des chevaliers (bis)
Qui régalent leurs ateliers. (bis)
Mais, ô jeunes compagnes,
Il vaut mieux, hors du bagne,
Se nourrir de chanson !
Vive le son, vive le son,
Se nourrir de chanson,
Vive le son du violon !

 Les pauvres filles durent vite retourner à leurs ateliers. Leurs escapades à la Bourse du travail ne furent point de longue durée. Aucun député ne leur vint en aide. Étaient-elles électrices ? — Certes non ! Donc, elles ne comptaient guère. Notre démocratie, basée sur ses suffrages, pourrait-elle s'inquiéter du sort de femmes qui ne votent pas et dont par conséquent elle ne redoute rien ?

*
*  *

Le Trottin parisien existe depuis le dix-huitième siècle. Les voyageurs étrangers qui ont laissé des relations de leur visite chez nous ne manquent guère de vanter le charme de gentilles trotteuses de modes rencontrées dans la rue. Dans le Voyage Sentimental, Sterne nous montre la visite d'une jolie marchande à son hôtel et dessine d'une façon exquise les coquetteries et le curieux maniérisme de la demoiselle. En parcourant le « Recueil de la Mésangère », on voit d'amusants spécimens du Trottin sous le Directoire, avec le large carton à chapeau couvert de papier moucheté et les cheveux à l'évaporée sous la cornette ou la marmotte nouée joliment sur le front. Plus tard, au temps des Grisettes, le Trottin Romantique nous est montré, combien joli encore sous sa guimpe de dentelles, avec les larges manches à gigot, le tablier mignon et festonné, le jupon court et ample, montrant le bas de la jambe et le pied minuscule embrodequiné avec esprit. — Déveria, Johannot, Henri Monnier et Gavarni immortalisèrent les demoiselles de modes de cette époque de renaissante Renaissance en des pages qui ont conservé un charme infini.
      L'histoire du Trottin est parallèle à celle de nos mœurs et de notre parisianisme. Restif de la Bretonne, l'amoureux du Pied de Fanchette et des jolies boutiquières de Paris, est le premier à nous parler de ces jolies fleurs du Pavé, dont Sébastien Mercier, dans son Tableau de Paris, évoqua maintes fois la grâce et la beauté.
      Combien de reines du théâtre et de la galanterie entrèrent dans la vie parisienne sous figure de Trottin ! — La liste en serait longue à faire, les aventures plaisantes à écrire et la psychologie surtout étrange à présenter, car le plus souvent, ce titi femelle dégingandée, si voyante d'apparence, si facile au quolibet et si pervertie en surface, n'attend que l'amour pour se métamorphoser, pour révéler la limpidité d'une âme ingénue, d'un esprit bienheureux et délicieusement gobeur. La petite coursière, comme tant de ses semblables, est généralement une crâneuse de vices, une fanfaronne de précoce dévergondage ; elle prend un genre pour faire comme les autres, pour qu'on ne la blague pas. Elle fait volontiers croire qu'elle a vu le loup pour qu'on ne l'ennuie plus à la taquiner à ce sujet, mais au fond de ses curiosités de gosse, le loup lui fait grand'peur. Elle se réserve, elle est toute à son rêve sentimental intime et la Romance bébête qu'elle chante en gouaillant et en grasseyant à l'atelier, la fait plutôt vibrer et pleurer quand elle est seule ; la romance lente, traînarde, toute trempée de sentimentalisme, convient absolument à son état de cœur.
      Nini et Musette sont en majorité dans la corporation de ces frêles marcheuses qui, dans le relevé des faits divers, au chapitre des suicidées par amour contrarié, forment la majorité. Tant que le Trottin existera, la grisette n'aura point disparu.

Octave UZANNE.(*)


Autres illustrations de l'ouvrage
























(*) Figures de Paris. Ceux qu'on recontre et celles qu'on frôle. Illustrations de Victor Mignot (l’illustration comprend 20 planches en couleurs à pleine page par Victor Mignot, et des lettrines et ornements dans le texte en noir - une couverture illustrée qui court sur les deux plats et le dos). Proses de MM. Maurice Beaubourg. — André Beaunier. — Saint-Georges de Bouhélier. — Louis Codet. — Franc-Nohain. —Alfred Jarry. — Gustave Kahn. — Tristan Klingsor. — Albert Lantoine. — Jean Lorrain. — Charles-Louis Philippe. — Edmond Pilon. — Georges Pioch. — Hugues Rebell. — Octave Uzanne. Imprimé pour les Bibliophiles Indépendants et se trouve chez le libraire Henry Floury 1, Boulevard des Capucines, à Paris, 1901. 1 volume in-4. Cette Publication des Figures de Paris éditée pour les Bibliophiles Contemporains par les soins et sous la direction de M. Octave Uzanne a été tirée exactement à 218 exemplaires numérotés : 200 pour les souscripteurs sur vélin de Hollande, 16 pour les collaborateurs sur vélin de Hollande et 2 sur Japon à la forme pour contenir les dessins originaux. Achevé d'imprimer pour les Bibliophiles Contemporains par les soins et sous la direction de M. Octave Uzanne sur les presses typographiques de l'imprimerie Firmin-Didot et Cie, au Mesnil (Eure) le 20 Avril 1901. Ce volume contient, dans leur ordre d'apparition, les textes suivants : Snobs et Snobinettes de Sport, par Hugues Rebell ; Sergot, par André Beaunjer ; Pierreuse, par Jean Lorrajn Camelot, par Alfred Jarry ; L'Invalide, par Franc-Nohain ; Terrassiers, par Maurice Beaubourg ; Le Crieur de dernières nouvelles, par Edmond Pilon ; Cochemuche, par Albert Lantoine ; Silhouettes de Montmartre, par Gustave Kahn ; Trimbaleur de Refroidis, par Saint-Georges de Bouhélier ; Petite Blanchisseuse, par Edmond Pilon ; Ramasseur de mégots, par Tristan Klingsor ; Femmes du d'Harcourt, par Hugues Rebell ; Troubades, par Edmond Pilon ; Cipal (Garde de Paris), par Charles-Louis Philippe ; Le Garçon de Café, par Franc-Nohajn ; Coltineurs, par Louis Codet ; Porteurs de Babillardes (Facteur), par Georges Pioch ; Fleuriste, par Saint-Georges de Bouhélier ; Trottins, par Octave Uzanne.



Bertrand Hugonnard-Roche


NDLR : Cet article a été commencé de rédigé le 21 janvier 2018. Il a été achevé le 18 mars 2021 suite à l'acquisition de l'exemplaire Hugues Rebell.

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