Octave Uzanne (1851-1931) - J.-H. Rosny aîné, Joseph Henri Honoré Boex (1856-1940)
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J.-H. Rosny aîné, oraison funèbre d’Octave Uzanne, manuscrit autographe signé,
[novembre 1931], 8 f., 8 p., 20,7 x 13,4 cm.
« Octave Uzanne est mort ! Combien de nos contemporains se souviennent de l’homme —
de l’homme dans sa jeunesse et dans la force de l’âge ? Bien peu, hélas », déplore l’auteur de La
Guerre du feu en introduction de l’oraison funèbre d’Octave Uzanne qu’il fait paraître dans La
Dépêche du jeudi 5 novembre 1931, journal « dont il fut des anciens et des plus fidèles
collaborateurs », quelques jours après son décès survenu le 31 octobre.
Dans ce bel hommage à l’auteur de Son Altesse la femme, Rosny évoque, outre des aspects
connus de la vie d’Uzanne « bibliophile », « érudit », « globe-trotter », « bon observateur »,
« grand voyageur devant l’Éternel », d’autres moins connus, me semble-t-il, des amateurs des
deux auteurs, à savoir leur amitié littéraire : « Que de fois n’avons-nous pas déambulé, Octave
Uzanne et moi, de la rue Montmartre à l’Opéra ou à la Madeleine […] on pouvait le consulter
comme un livre, avec la certitude d’emporter quelque notion neuve ou rajeunie ».
L’article s’achève sur une inquiétude, celle de la postérité de l’oeuvre d’Uzanne sur une voie
« de plus en plus embouteillée » où « les gloires du passé occupent une place démesurée ».
C’était sans compter sur la passion des bibliophiles de notre époque pour les livres d’Uzanne et
les travaux passionnants, et passionnés, menés par Bertrand Hugonnard-Roche depuis une
dizaine d’années.
Jonathan Devaux, Librairie A la Demi-Lune
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Transcription du manuscrit (et reproduction couleurs avec l'autorisation de Jonathan Devaux).
en 10
Octave Uzanne
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Octave Uzanne est mort ! Combien de nos contemporains se souviennent de l’homme — de
l’homme dans sa jeunesse et dans la force de l’âge ?
Bien peu, hélas ! Presque tous ceux avec qui il vécut des jours d’illusion et d’espérance sont
vivants.
Dans un an, il aurait été octogénaire, un de ces hommes qui, pour les jeunes,
déjà disparu du monde.
Pourtant, comme il était resté jeune d’imagination et de verve, comme il acceptait
allègrement,
transformations de l’esprit français dans un milieu aussi différent,
matériel, du temps de son adolescence, que la technique hellénique et la technique
ces hommes de la Madeleine
mais savaient déjà sculpter et graver
beauté…
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Ce matin, Uzanne évoque puissamment le temps des fiacres, des omnibus et des tramways
à impériales — ces impériales propices aux rêveurs
les
Je revois nettement Uzanne, mon aîné de quelques ans, Bourguignon de taille moyenne,
solidement charpenté ;
causeries où les chefs de file
[
Montmartre à l’Opéra ou à la Madeleine. Il était
en ethnographie et bibliophile passionné —
contemporains ; — on pouvait le consulter comme un livre, avec la certitude d’emporter quelque
notion neuve ou
Avec
Il disparaissait pendant des saisons entières, parcourant en
rapportant chaque fois un nouveau butin d’idées, d’observations et de souvenirs.
[
souvent davantage, soudain je le retrouvais à l’un de ces
avec ardeur, où l’on jugeait les oeuvres et les hommes avec sévérité.
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[
errant, passionné d’indépendance, individualiste [
modestement, et
Lorsque l’argent était rare, il fréquentait, à Rome, à Berlin, à Londres, de petits restaurants
pas chers, qu’il savait découvrir et où,
savoureux, parfois exquis.
Il racontait ses vagabondages à la recherche du gîte et [
repas avec une bonhomie charmante, [
quartiers inconnus ou mal [
être n’a aussi
Il a fini par se fixer, ou à peu près,
nécessitaient l’intervention des chirurgiens,
voyait plus du tout, l’ancien [
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Son oeuvre, nombreuse, toujours vivante et primesautière, encore que nourrie d’érudition,
[
Paris, Figaro et La Dépêche, surtout La Dépêche, dont il fut des anciens et des plus fidèles
collaborateurs ; ai-je besoin de rappeler aux lecteurs ses brillantes chroniques où la fantaisie,
l’expérience, la raison, se mêlent de si agréable manière ?
Il a beaucoup écrit sur le passé —
tous la lecture des Poètes des ruelles au dix-septième siècle, des Petits conteurs du dix-huitième ;
ils y apprendront bien des choses qu’ils ignorent, exposées avec un talent sûr. [
Il faut connaître aussi : Nos amis les livres, La Française du siècle, Son Altesse la Femme,
les Quais de Paris (qu’il les connaissait bien, ces quais délectables au rêveur et à l’érudit !)
Partout vous trouverez de l’éclat, du brio, de la belle fantaisie et
enseignements sûrs, bien contrôlés par un homme qui avait soigneusement lu, observé, comparé.
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Que restera-t-il de cette oeuvre copieuse ? La Postérité est de plus en plus
embouteillée… Une production
démesurée.
N’importe, il
esprit exquis,
qualités de [
J.-H. Rosny Aîné
de l’Académie Goncourt.
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J.-H. Rosny aîné, billet autographe signé adressé à Octave Uzanne, 17 quai Voltaire, Paris,
[Paris], [16 juin 1903], 9,8 x7,4 cm.
Amusant billet de Rosny aîné à propos de la chronique d’Octave Uzanne publié dans La Dépêche
du 9 juin 1903.
"Un rapide remerciement cher Uzanne. Mais pourquoi la réticence de la fin ! Nous n’avons
jamais pu croire que le Crime du Docteur était autre chose qu’un hors d’oeuvre. Et certes, ce n’est pas
vous, esprit si divin et si curieux, qui voudriez condamner vos amis à ne servir que des plats de
résistance ! Une bonne poignée de mains.
J H Rosny"
Uzanne rendit compte du roman en ces termes :
"Que dire de MM. J.-H. Rosny qui n’ait été dit déjà ? Leur talent substantiel, qui est propre à
affronter les questions psychologiques les plus graves, à résoudre les plus difficiles problèmes de
morale et de sociologie, aborde aujourd’hui avec le Crime du Docteur, l’examen d’un cas de
conscience délicat et terrible. Le machiavélique docteur Herbeline, dont MM. Rosny ont étudié la
pauvre vie tourmentée de vilenies et de remords, ne tend point à laisser soupçonner tout le cors
médical. Les auteurs le donnent bien à entendre, et c’est seulement le roman d’un médecin. Dirai-je
que le crime du Docteur est digne des premiers ouvrages de MM. Rosny ? Je doute sérieusement que
ce soit là l’aboutissement de ces magnifiques prémices qu’avaient donné aux lettres des oeuvres
telles que Marc Fane, Daniel Valgraive, les Origines ou les Xipéhuz."
Bonne journée,
Jonathan Devaux, Librairie A la Demi-Lune
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Bertrand Hugonnard-Roche
Article publié dans La Dépêche du 5 novembre 1931