Une Campagne (1880-1881), par M. Émile Zola. 1 vol. in-8. — Prix : 3 fr. 50. G. Charpentier, éditeur. (*)
En recevant le nouveau livre publié par M. Émile Zola, sous ce titre qui rappelle les plus mauvais jours de notre histoire, — je veux parler de la campagne de 1870-1871, — je me suis imaginé que l’auteur des Rougon-Macquart, devenu commandant d’un corps d’armée, éprouvait le besoin de nous raconter ses prouesses militaires dans une guerre quelconque, en Indo-Chine ou chez les Kroumirs introuvables, ni plus ni moins que nos vrais généraux pendant la guerre franco-prussienne, lesquels firent paraître d’énormes volumes pour nous prouver, — ce que nous savions trop bien, hélas ! — qu’ils avaient été battus dans les règles. Cette imagination n’était pas si folle qu’elle pouvait le paraître au premier abord. A cela près qu’il n’y a eu personne de mort, la Campagne que nous conte M. Émile Zola rappelle celle de nos généraux. C’est en effet le récit des combats livrés par l’auteur de Pot-Bouille, un peu à tort à travers, et malheureusement pour lui sans succès définitif, que je retrouve dans ce fort volume de 400 pages.
Dans sa préface, M. Zola dit modestement : « Je n’ai jamais voulu être que le soldat le plus convaincu du vrai. » C’est juger le procès par avance et décider que la cause qu’il soutient est celle de la vérité absolue. Malgré cette affirmation il est permis d’en douter. J’aurais préféré qu’il dît simplement : de ce que je crois la vérité. Cependant ne le chicanons pas trop là-dessus. Le naturalisme sera peut-être la vérité de demain. Je le regretterais pour ma part ; mais quoi ? mon humble opinion ne fera rien à l’affaire.
J’avoue que la nécessité de réunir en volume les articles que M. Zola a écrits, durant un an, dans le Figaro, ne me paraît pas absolument démontrée. C’est attacher un singulier prix à tout ce qui émane de soi que de donner la forme du livre à un recueil d’improvisations courantes, lesquelles ont pu avoir quelque valeur — fût-ce une valeur d’actualité — à l’époque où elles ont été écrites, mais qui, lorsqu’on les relit à un an de distance, n’ont plus aucun intérêt, si ce n’est celui que l’auteur touche en passant à la caisse de son éditeur. J’espère pour M. Zola que cet intérêt sera conséquent.
Quoi qu’il en soit, esclave de mon sacerdoce, j’ai relu consciencieusement les quarante articles dont se compose le volume, et si je n’ai pas été enthousiasmé, du moins dois-je reconnaître que parmi un trop grand nombre de feuilles inutiles, il s’y trouve quelques pages intéressantes. Un homme très fort, les Trente-six républiques, l’Encre et le Sang, Futur ministre sont de bons articles de journal. Mais encore une fois valent-ils la peine de ressusciter un livre ? Je persiste à ne pas le penser.
A. d’A.
(Armand d'Artois)
(*) Ce compte rendu a été publié dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne (Troisième année, Cinquième livraison, 10 mai1882, pp. 299-300. L'article est signé A. d'A., pour Armand d'Artois qui collaborait avec Uzanne pour cette revue.
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Résumé du texte
Le critique examine Une Campagne (1880-1881), recueil de 40 articles qu’Émile Zola publia dans Le Figaro et qu’il réunit ensuite en volume. Le titre évoquant une « campagne » militaire trompe d'abord le lecteur : il ne s'agit pas d'une guerre au sens propre, mais d'une lutte idéologique et littéraire. Le critique ironise sur cette analogie, comparant Zola à un général malheureux racontant ses défaites, comme les généraux de 1870.
Dans sa préface, Zola affirme n’avoir voulu être que le « soldat du vrai », ce que le critique conteste, préférant qu’il dise défendre ce qu’il croit être vrai plutôt que de revendiquer une vérité absolue. Il s'interroge aussi sur la légitimité d'une publication en volume d'articles de presse d’actualité, jugeant leur valeur passagère et doutant de leur intérêt littéraire à distance d’un an.
Malgré cette critique sévère, l’auteur concède que certains articles comme Un homme très fort, Les Trente-six républiques ou Futur ministre sont de bons textes journalistiques. Mais il persiste à penser que cela ne suffit pas à justifier leur réédition en livre.
Analyse critique
Ce compte rendu, signé « A. d’A. », témoigne d’un scepticisme marqué vis-à-vis du projet de Zola. Il s’inscrit dans une critique plus large du naturalisme et de l’ambition zoléenne à vouloir incarner « la vérité ». Le ton est ironique, parfois mordant, et révèle une posture critique vis-à-vis de l'autorité intellectuelle que Zola entend exercer dans le champ littéraire et politique.
Plusieurs points méritent attention :
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Méfiance envers la prétention à la vérité : Le critique refuse de concéder à Zola le rôle de porte-voix de la vérité, préférant la modestie d'une opinion subjective. Ce refus d’une vérité littéraire ou journalistique unique vise directement le naturalisme tel que Zola le conçoit.
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Critique de la valeur littéraire du recueil : Pour le critique, transformer des articles d’actualité en livre semble une opération commerciale douteuse. Il met en cause la pérennité et la profondeur de ces textes, n’y voyant qu’un intérêt temporaire.
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Reconnaissance partielle : Malgré sa sévérité, le critique reconnaît que certains articles se détachent par leur qualité, mais il les juge noyés dans un ensemble trop inégal et trop verbeux.
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Un Zola assimilé aux généraux vaincus de 1870 : L’image d’un écrivain en guerre contre ses adversaires, mais sans victoire éclatante, contribue à une mise en scène ironique de Zola comme « général littéraire » battu, malgré sa rhétorique combative.
Conclusion
Ce texte critique, tout en étant érudit et d’une plume agile, révèle les résistances de certains contemporains face au projet naturaliste et à l’essor de la figure de l’intellectuel engagé incarné par Zola. Il illustre aussi les débats sur la frontière entre littérature et journalisme, sur la légitimité de l’écrit périodique dans l’édition de livre. Si Zola s’y pose en combattant de la vérité, ce critique, lui, se présente en modeste veilleur de l’intérêt littéraire.
Publié le 21 juin 2025 par Bertrand Hugonnard-Roche
Pour www.octaveuzanne.com
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