jeudi 21 février 2013

Le Bric-à-brac de l'Amour devait s'intituler primitivement "Le Bric-à-brac de l'Amour, Feuilles volantes d'un jeune célibataire" (1876-1878).


Page de réclame dans le Conseiller du Bibliophile.
Livraison du 1er décembre 1876.


C'est en feuilletant le Conseiller du Bibliophile que nous avons découvert placé entre deux articles, une "réclame" pour deux ouvrages à paraître, une étude sur Alfred Delvau (déjà repoussée en raison du retard pris dans l'exécution des gravures), ensuite un ouvrage d'Octave Uzanne dont le titre est annoncé comme suit :

LE

BRIC-A-BRAC DE L'AMOUR

Feuilles volantes d'un jeune célibataire

colligées par

OCTAVE UZANNE
___

UN VOLUME IN-18° JÉSUS, ORNÉ D'EAUX-FORTES ET DE NOMBREUSES VIGNETTES.


Cet ouvrage est indiqué "pour paraître à la même époque" que le volume sur Alfred Delvau, c'est à dire à la fin de février 1877.

Qu'en a-t-il été réellement ?

Le Bric-à-brac de l'Amour a paru sans le sous-titre "Feuilles volantes d'un jeune célibataire" et a été achevé d'imprimer le 5 décembre 1878, c'est à dire avec presque deux années de retard. C'est dire toutefois si le texte d'Octave Uzanne était déjà bien avancé voire terminé lorsqu'il fait cette annonce dans le colonnes du Conseiller du Bibliophile dans la livraison du 1er décembre 1876. Le volume est annoncé "pour paraître" seulement trois mois après l'annonce faite dans la revue. On peut considérer que pour faire une telle annonce, c'est donc que le texte était pour ainsi dire achevé de rédiger. Ce sont donc certainement des problèmes liés à l'impression ou peut-être de rédaction de préface qui sont venus retarder cette mise en train. La préface est de Jules Barbey d'Aurevilly. Peut-être y-t-il eu un retard de ce côté-là ?

Par ailleurs l'annonce faite dans le Conseiller du Bibliophile indique "orné d'eaux-fortes et de nombreuses vignettes." D'eaux-fortes en réalité il n'y en aura qu'une seule, en frontispice, dessinée et gravée par A. Lalauze. Le texte est orné quant à lui de quelques bandeaux et culs-de-lampe imprimés en couleurs (bleu minéral).


Page de titre sans la mention "Feuilles volantes d'un jeune célibataire".


Le Bric-à-Brac de l'Amour fut donc écrit dès 1876 (peut-être même bien avant) pour paraître seulement à la fin de l'année 1878. Octave a 25 ans lorsqu'il rédige les quelques récits et sentences qui composent ce recueil mi-féminolâtre mi-féminophobe. Ouvrage de jeunesse donc.

Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 20 février 2013

Avis d'Octave Uzanne sur Gyp alias Sibylle Gabrielle Riqueti de Mirabeau ou "la dernière des Mirabeau" (1894).

Gyp, de son vrai nom Sibylle Gabrielle Riqueti de Mirabeau ou la dernière des Mirabeau comme elle le disait elle-même, était la presque exacte contemporaine d'Octave Uzanne. Elle naît en août 1849 lorsqu'il naît en septembre 1851. Elle meurt en juin 1932 quand il meurt à la fin du mois d'octobre 1931.

De son oeuvre abondante (plus de 100 romans) nous ne retiendrons ici que sa participation au livre édité pour les Bibliophiles contemporains par Uzanne en 1896 sous le titre Feminies, Huit chapitres inédits dévoués à la femme, à l'amour, à la beauté. Participèrent à ce volume, illustré de huit frontispices par Félicien Rops, outre Octave Uzanne, Henri Lavedan, Marcel Schwob, Gyp. Ce volume fait de Gyp la seule femme écrivain à avoir participé à un ouvrage conçu et dirigé par Octave Uzanne.

Ce n'est pas ici le lieu de faire une biographie de Gyp ; voici néanmoins les quelques appréciations qu'Octave Uzanne notent à la volée dans son ouvrage intitulé La Femme à Paris, Nos Contemporaines (Paris, Ancienne Maison Quantin, 1894). Reportons-nous au chapitre X : Femmes artistes et Bas-bleus (les femmes de lettres dans la littérature, le livre et le journalisme).

Octave Uzanne écrit :

"Les rares Bas-Bleus modernes qui soient parvenus à la notoriété sont plutôt des bas-roses ou des bas-rouges ; les autres sont anonymes et tyrannisent infiniment moins leur temps. - Gyp, ce gentil gamin de Paris toujours en verve et dont l'esprit endiablé s'exaspère tous les jours ; Gyp, qui, comme lady Rochefort, a si drôlement promené sa lanterne bariolée à travers la société contemporaine, ne saurait être considérée comme un Bas-bleu ; elle échappe à toute satire par sa gaieté, son espièglerie  sa verve observatrice, ses ironies fuyantes et ses peintures qui n'ont ni expression de collet monté, ni prétentions excessives."

Octave Uzanne avait de l'admiration pour cette femme. C'est sans doute pour cette raison qu'il lui demanda de collaborer au recueil féminolâtre Feminies. Gyp y donne un texte savoureux intitulé L'archéologie d'amour (pp. 163 à 185), série de dialogues burlesques entre Adam et Ève  Daphnis et Chloé, Joseph et Mme Putiphar, Héloïse et Abeilard, Chateaubriand et Mme Récamier.

Nous ne savons pas les liens d'amitiés, ni les relations professionnelles entre gens de lettres qu'entretinrent Octave Uzanne et Gyp. Nous n'avons à ce jour retrouvé aucune correspondance qui permettrait d'en savoir plus.

Bertrand Hugonnard-Roche

mardi 19 février 2013

L’Éventail, L'Ombrelle, The Fan, The Sunshade, édition française ou anglaise ? A. Quantin (Paris) / J. C. Nimmo & Bain (Londres) : Une petite histoire de filigrane et autres détails.

L’Éventail par Octave Uzanne avec des illustrations de Paul avril sort des presses de l'imprimerie Albert Quantin à Paris le 1er décembre 1881. L'Ombrelle - Le Gant - Le Manchon par Octave Uzanne avec des illustrations de Paul avril sort des presses de l'imprimerie Albert Quantin à Paris le 15 novembre 1882.

The Fan by Octave Uzanne illustrated by Paul Avril est publié à Londres chez J. C. Nimmo and Bain, à la date 1884 sur la page de titre. Le volume a été imprimé par The Ballantyne press (Ballantyne & Hanson, Edinburg & London). The Sunshade - The Glove - The Muff by Octave Uzanne illustrated by Paul Avril est publié à Londres chez J. C. Nimmo and Bain, à la date 1884 sur la page de titre. Le volume a été imprimé par The Ballantyne press (Ballantyne & Hanson, Edinburg & London). Il n'y a pas d'achevé d'imprimer plus précis pour ces deux impressions en langue anglaise.

Nous nous sommes penché d'un peu plus près sur ces quatre volumes. Après minutieuse comparaison page à page de chacun des volumes français/anglais, nous avons pu faire les constatations suivantes :

- Le nombre, l'ordre et le tirage en couleurs par photogravure des illustrations de Paul Avril est le même dans l'édition française et dans l'édition anglaise. On notera toutefois quelques différences de nuances de couleurs dans le tirage de quelques illustrations. Par exemplaire un rose peut être plus rouge et un bleu plus ou moins foncé dans l'une ou l'autre version.

- Le papier utilisé pour l'une et l'autre version, française et anglaise est identique. C'est un beau papier vélin épais à barbes (papier de cuve). Il est facile de constater que le papier est identique puisque dans les deux cas l'on retrouve la marques d'Albert Quantin AQ en filigrane. Il s'agit donc dans les deux cas d'un papier français fabriqué spécialement pour l'imprimerie Quantin.

- Afin de faciliter l'impression des photogravures en couleurs "d'un seul côté de la feuille" (pour éviter des temps de séchage trop longs et d'inévitables maculatures), on retrouve toutes les deux pages des cadres imprimés en noir autour du texte. Nous avons repéré divers changement dans l'ordre d'utilisation de ces cadres selon que l'édition est française ou anglaise. Ces différences de positionnement indique un retirage des  photogravures en couleurs et des encadrements (qui étaient imprimés avant le texte). Le texte était ensuite imprimé (justifié) pour se caler parfaitement le long du contour des photogravures.

- A la fin de l'exemplaire de The Sunshade que nous avons sous les yeux a été relié le catalogue des publications de l'éditeur Nimmo & Bain. Nous apprenons ainsi qu'en Angleterre, c'est "The Sunshade, Muff, and Glove" qui a paru en premier ; sans doute quelques semaines seulement avant "The Fan". Par ailleurs il est indiqué explicitement que "This Edition has been printed at the press of Monsieur Quantin with the same care and wonderful taste as was his french Edition."

Que peut-on conclure de tout ceci ? Notre intuition était la bonne. Il nous semblait bien que le tirage des photogravures était identique dans les deux cas. C'est donc une évidence à la lumière de ces quelques points de comparaison que c'est l'imprimerie A. Quantin à Paris qui a imprimé les photogravures et les encadrements de l'édition anglaise. Le texte anglais, imprimé dans les espaces réservés et dans les cadres pré-imprimés, a été imprimé à Londres (ou Edimbourg) chez Ballantyne & Hanson. L'imprimerie Quantin aura donc expédié en Angleterre un pré-tirage de tous les exemplaires avec les illustrations seules.

Nous connaissons les deux ouvrages en "édition anglaise" (on sait maintenant qu'elles sont au moins à 50% françaises) recouverts de reliures cartonnées éditeur. Toutes deux pleine toile anglaise fine avec sur le premier plat une composition d'après Paul Avril imprimée en monochrome, rose ou bleu pour The Fan et marron pour The Sunshade. La couleur de la toile utilisée semble avoir varié. On rencontre ainsi The Fan sous toile bleue ou rose (il en existe sans doute d'autres couleurs). Nous avons un exemplaire de The Sunshade sous toile verte. Pour chaque ouvrage, le titre est doré en long au dos.

Il aura fallut seulement à peine 2 ans pour qu'une édition anglaise de chacun de ces ouvrages paraisse en langue anglaise. La traduction n'a pas été faite par Octave Uzanne (qui n'avait pas pour habitude de traduire lui-même ses ouvrages) et aucun nom de traducteur n'est mentionné sur les titres. Sans doute ces deux volumes ont-ils été traduits par une jeune "traductrice anglaise à la mode" comme cela se faisait alors. Nous n'avons pas trouvé d'informations à ce sujet pour le moment. 

Quelques années plus tard le même procédé sera employé avec Le Miroir du Monde (The Mirror of the World), publié à une année d'intervalle à peine, chez A. Quantin à Paris (1888) et chez John C. Nimmo (1889). Par contre, contrairement aux volumes The Fan et The Sunshade (pour lesquels nous n'avons jamais rencontré de tirage de luxe - Japon ou autre), il a été fait un tirage de luxe à 100 exemplaires seulement pour The Mirror of the World (imprimé chez A. Quantin à Paris pour les photogravures et à Londres ou Edimbourg chez Ballantyne & Hanson pour le texte). Il n'y a pas non plus de nom de traducteur connu pour The Mirror of the World.

On voit d'après cette petite étude rapide tous les liens qui pouvaient s'établir entre éditeurs parisiens et londoniens lorsqu'il s'agissait de produire un livre de luxe. A. Quantin préparait en quelque sorte le travail pour l'exportation dans son imprimerie parisienne bien que son nom n’apparaisse nulle part sur les volumes. Seuls le filigrane du papier et une brève mention dans le catalogue de l'éditeur anglais permettent de confirmer cette étroite collaboration et en trahissent toute l'histoire.


Bertrand Hugonnard-Roche

lundi 18 février 2013

La plus haute enchère jamais obtenue sur un livre d'Octave Uzanne : The Fan (1884), reliure décorée de miniatures sur ivoire par C. B. Currie (Bound by Riviere & Son). Adjugé 74.500 USD (21 octobre 2011 - Sotheby's NY).


Cliquez sur l'image pour l'agrandir


Le 21 octobre 2011 s'est vendu à New York un magnifique exemplaire de l'édition anglaise (London, J. C. Nimmo and Bain, 1884) de The Fan by Octave Uzanne, illustrated by Paul Avril. Volume initialement publié en français chez A. Quantin le 1er décembre 1881 sous le titre de l’Éventail.

L'exemplaire proposé par la maison de ventes aux enchères Sotheby's NY était exceptionnel. Il était en effet recouvert d'une somptueuse reliure de maroquin bleu entièrement décorée de rubans mosaïqués de maroquin rouge et d'un semé de petits cercles dorés et de pointillés, le tout décoré sur chaque plat de cinq éventails d'ivoire peints à la main, enchâssés et surmontés de dorures. Les miniatures sur ivoire étant protégées par des verres fins. Elles sont l'oeuvre de C. B. Currie. La reliure (corps d'ouvrage, dorure et mosaïque) est signée Riviere & Son.

Estimé 60.000 à 80.000 dollars (43.800 à 58.400 euros environ), ce lot a été adjugé 74.500 dollars (54.400 euros environ). C'est à notre connaissance la plus haute enchère jamais portée sur un ouvrage d'Otave Uzanne (celui-ci étant en langue anglaise).


Lot 424


Evidemment tout le prix du volume réside dans l'exceptionnelle reliure décorée qui le recouvre. Un exemplaire de la même édition, dans son cartonnage éditeur décoré en soie imprimée se négociant en général à moins de 200 euros.

Miss C. B. Currie a travaillé la miniature sur Ivoire entre 1912 et 1930 environ. Elle est aussi connue pour avoir exécuté des peintures sur la tranche des livres (fore-edge painting). Je vous invite à lire cet article qui donnent une idée de l'oeuvre de cette peintresse miniaturiste de premier ordre.

C'est donc près de 360.000 de nos anciens francs que l'acheteur a dû débourser pour s'offrir ce bijou bibliophilique.

Nous ne savons rien de ce volume si ce n'est qu'il a été proposé dans la vente de la collection Lily & Edmond J. Safra (vente en 6 parties).

Lily Watkins Safra était la 701e plus grande fortune du monde au classement Forbes en 2009. Elle est née en 1934 à Porto Alegre au Brésil et a connu quatre mariages. Elle s'est mariée (quatrième mariage) au banquier juif libanais Edmond J. Safra en 1976. Ils passèrent leur temps entre New York, Monaco, Genève et la villa Leopolda sur la côte d'azur. Edmond Safra meurt dans l'incendie criminel de son immense appartement monégasque en 1999. Il avait 67 ans. Sa femme, Lily Safra, perpétue son souvenir depuis lors au travers de la fondation Edmond J. Safra, qui supporte des projets éducatifs, médicaux, scientifiques, culturels et humanitaires, dans près de 50 pays.

Lot 424 détail


Une première vente d'objets d'art avait eu lieu également chez Sotheby's NY en 2005 (45 millions de dollars). Cette second vente Safra d'octobre 2011 représentait le plus bel ensemble de cette immense collection d'art. Les 535 lots (sur 841 proposés) de cette vente produisirent un total de 45,9 millions de dollars).

Tout ceci pour dire qu'Octave Uzanne, dans sa version anglais, et dans une reliure de très grand luxe, ne pouvait ici que faire mentir les statistiques. Nous ne savons pas qui s'est porté acquéreur de cet ouvrage, collectionneur privé ou bien institution publique. Sans doute ressortira-t-il un jour prochain à la lumière des enchères ou sur l'étal d'un libraire.

Il nous reste quelques photographies archivées sur le site Sotheby's pour nous contenter et que nous livrons ici à vos yeux ébahis (pour le moins...).

Bertrand Hugonnard-Roche

dimanche 17 février 2013

Octave Uzanne écrit à Charles Monselet (31 décembre 1883) et lui signifie l'arrêt de sa collaboration pour la "Causerie anecdotique" dans la revue Le Livre : raisons financières ...

Voici une intéressante lettre adressée par Octave Uzanne à Charles Monselet. Elle se trouve parmi les papiers du fonds Y. Christ aux Archives de l'Yonne, qui outre une majorité de lettres adressées à son frère Joseph, contient une vingtaine de lettres adressées à divers correspondants. Ces lettres, des années du Livre (1880-1889), date à laquelle Joseph Uzanne collaborait et tenait souvent lieu de secrétaire pour son frère. Cette lettre se trouvant là, parmi les papiers de Joseph Uzanne, il est légitime de se demander si Charles Monselet n'a jamais reçu cette lettre ? Quoi qu'il en soit, cette lettre, donne de précieux détails quant à la situation financière du Livre qui n'était, semble-t-il, pas si saine que cela.


Bertrand Hugonnard-Roche

Paris, 31 décembre 1883

Charles Monselet (1825-1888)
Mon cher Monselet (*),
Je n’ai pas de chance avec vous au début de l’année nouvelle ; heureusement que nos bonnes relations sont au dessus des questions d’affaires, ce qui mitige pour moi l’ennui de cette lettre.
Voilà que l’administration du livre, éditeur en tête, tablant sur la lenteur des renouvellements d’abonnements, se réunit en commission de budget pour aviser à mille et une économies dont vous êtes la première victime.
On supprime tous les gros traitements, le vôtre est au premier rang et est jugé excessif, vu la situation actuelle et c’est moi, palsambleu qui suis chargé de vous mander ceci – Plus de Causerie anecdotique ! – moi qui était si heureux de cette bonne aubaine de vous compter comme chef de file de ma seconde partie. – moi-même je suis rogné – c’est une question d’héroisme et de dévouement qui se comprend de ma part, mais vous aviez mieux à faire, vous, mon cher ami, que de jouer les St Labre sur le seuil de ma revue bibliophilique.
Votre premier article est composé, mais comme on ne veut pas donner lieu à des réclamations d’abonnés qui, dès le numéro de février se verraient privés de leur « Monselet », il ne sera pas inséré.
Je tiens la copie à votre disposition ou épreuve si cela nous est agréable.
Je vous quitte et vous cache toute ma mauvaise humeur. Alceste n’était qu’un Philinte à côté de votre ami en ce moment.
Toujours tout à vous.

Octave Uzanne

P.S. Vous savez que par exemple je maintiens et à bon prix les oubliés et dédaignés seconde partie. Ici, ce serait une question de cabinet – rien moins que cela – et cela n’aura pas lieu – Je compte donc sur un Sylvain Maréchal soigné. Octave.

(*) Charles Monselet, né à Nantes le 30 avril 1825 et mort à Paris le 19 mai 1888, est un écrivain épicurien, journaliste, romancier, poète et auteur dramatique français, surnommé « le roi des gastronomes » par ses contemporains. Il est avec Grimod de la Reynière, le Baron Brisse et Joseph Favre l'un des premiers journalistes gastronomiques.  

vendredi 15 février 2013

Bibliographie-Fiction ou Les livres qu'Octave Uzanne n'a jamais écrit ou publié (actualisation permanente).

Voici la liste des livres qu'Octave Uzanne projetait de publier. Soit qu'ils n'ont jamais été écrits, soit qu'ils sont restés à l'état de manuscrit, soit qu'ils ont paru sous un autre titre que celui prévu à l'origine. Cette liste peut s'allonger et être corrigée en fonction de nos découvertes.


* * *

- Cinéma d'un Nomade : Films de Belgique, d'Italie, de Hollande, d'Allemagne et de Suisse. Annoncé dans les Instantanés d'Angleterre publiés en 1914 chez Payot. A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Terres de clarté, de légendes et de rêves. La Terre des Pharaons. Le Paradis terrestre. (Ile de Ceylan). Annoncé dans les Instantanés d'Angleterre publiés en 1914 chez Payot. A notre connaissance, n'a jamais paru.

- La noble vie d'un gentilhomme de lettres, romantique flamboyant : Jules Barbey d'Aurevilly. Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). A notre connaissance, n'a jamais paru. Remplacé par Barbey d'Aurevilly (Paris, à la Cité des Livres, 1927).

- La Royale aventure de Jeanne Antoinette Poisson, marquise de Pompadour. Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Journal inédit d'Adèle Hugo. Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). Quelques fragments seulement ont paru.

- Les relieurs français du XVIIIe siècle. Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). A notre connaissance, n'a jamais paru en français. La version anglaise avait paru sous le titre : The French Bookbinders of the Eighteenth century, transalated by Mabel McIlvaine (Chicago, Caxton Club, 1904).

- Les Petites Japonaises, état et conditions sociales de la femme au Japon. Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Le Jardin des Souvenirs (mémoires de l'auteur). Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). A notre connaissance, n'a jamais paru. A existé en manuscrit car est cité dans une lettre autographe datée du 3 décembre 1920.

- Le Doux plaisir d'être vieux (suite des mémoires de l'auteur). Renseignement donné par Gustave Geffroy dans la Préface du Pietro Longhi (Editions Nilsson, Paris, 1924). A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Dictionnaire du Bibliophile, in-8°. Annoncé "en préparation" dans les Zigzags d'un Curieux (Paris, Quantin, 1888). Annoncé de nouveau dans le Paroissien du Célibataire (Paris, Quantin, 1890) puis dans La Femme à Paris (Paris, Ancienne Maison Quantin, 1894). A notre connaissance, n'a jamais paru sous ce titre. A été vraisemblablement remplacé par le Dictionnaire Bibliophilosophique publié pour les Bibliophiles contemporains (1897).

- L'Amour à travers les âges. Annoncé "en préparation" dans les Zigzags d'un Curieux (Paris, Quantin, 1888). Annoncé de nouveau dans le Paroissien du Célibataire (Paris, Quantin, 1890) puis dans La Femme à Paris (Paris, Ancienne Maison Quantin, 1894).A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Les Profils Perdus, Souvenirs et portraits littéraires : - Jules Barbey d'Aurevilly, Charles Cros, l'inimitable Boz, etc., etc. Annoncé dans le Paroissien du Célibataire (Paris, Quantin, 1890). A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Monographie des Omnibus Parisiens, 1 vol. in-8° avec gravures en couleur. Annoncé dans le Paroissien du Célibataire (Paris, Quantin, 1890) puis dans La Femme à Paris (Paris, Ancienne Maison Quantin, 1894).A notre connaissance, n'a jamais paru. A été vraisemblablement remplacé par un long article intitulé Omnibus de Paris, publié dans la revue d'Albert Quantin Le Monde Moderne, livraison n°64 - avril 1900 - pages 481 à 494. Cet article est illustré par Heidbrinck.

- Paris-Montmartre, 1 vol. grand in-8°. Annoncé  "en préparation" dans La Femme à Paris (Paris, Ancienne Maison Quantin, 1894). A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Les Flèches du Sagittaire, Pensées, 1 vol. in-8°. Annoncé  "en préparation" dans La Femme à Paris (Paris, Ancienne Maison Quantin, 1894). A notre connaissance, n'a jamais paru.

- L'Espion du Boulevard. Annoncé  "en préparation" dans les Anecdotes sur la comtesse du Barry (Paris, A. Quantin, 1880). Devait faire partie de la série des Documents sur les moeurs du XVIIIe siècleA notre connaissance, n'a jamais paru.

- Le Colporteur. Annoncé  "en préparation" dans les Anecdotes sur la comtesse du Barry (Paris, A. Quantin, 1880). Devait faire partie de la série des Documents sur les moeurs du XVIIIe siècle. A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Le Gazetier cuirassé, Etc. Annoncé  "en préparation" dans les Anecdotes sur la comtesse du Barry (Paris, A. Quantin, 1880). Devait faire partie de la série des Documents sur les moeurs du XVIIIe siècle. A notre connaissance, n'a jamais paru.

- Mémoires d'un Suicidé. 1880. Jamais paru (note autographe d'Octave Uzanne au verso d'un dessin de Marius Perret devant servir de frontispice à cet ouvrage). Voir notre article à ce sujet.

A suivre ...

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 14 février 2013

Octave Uzanne aimait les chiffres et les lettres ... Deux exemples de chiffre à ses initiales, par Eugène Courboin (1899).


Chiffre OU pour Octave Uzanne, dans un décor de rubans.
Il se trouve à la fin de l'introduction du volume La Locomotion à travers les âges (1900).


Voici deux exemples de chiffres utilisés dans les livres publiés par Octave Uzanne. Ils ont tous les deux été dessinés par Eugène Courboin, artiste employé, aimé et fidélisé par Octave Uzanne. En effet, Eugène Courboin participe à l'illustration de l'Effort d'Edmond Haraucourt (1894), de l'Ecole des Faunes (1896) et de la Locomotion à travers les âges (1900). C'est dans ce dernier ouvrage que l'on peut découvrir les deux chiffres reproduits ci-contre. Le premier termine en cul-de-lampe l'introduction de l'ouvrage tandis que le deuxième (à la fois au chiffre d'Octave Uzanne et d'Eugène Courboin, initiales mêlées, avec le mot latin FECERUNT qui signifie : ils le firent).
Uzanne employa tout au cours de sa carrière littéraire une bonne dizaine de chiffres divers et variés, dessinés par les artistes de circonstance et amis, nous y reviendrons prochainement.


Chiffre d'Octave Uzanne "OU" mêlé aux initiales de l'illustrateur Eugène Courboin "EC",
avec autour le mot FECERUNT qui signifie "ils le firent (sous-entendu : ce livre)".
Avec la date en pointillé : 1899
Ce chiffre se trouve à la fin du volume La Locomotion à travers les âges (1900). 


Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 13 février 2013

Dictionnaire Bibliophilosophique, typologique, iconophilesque, bibliopégique et bibliotechnique à l'usage des Bibliognostes, des Bibliomanes et des Bibliophilistins par Octave Uzanne, polybibliographe et philologue (1895-1897) : Exemplaire Octave Uzanne relié à son chiffre par Petrus Ruban [exemplaire conservé à la Biblioteca de Catalunya]


Dictionnaire Bibliophilosophique, typologique, iconophilesque, bibliopégique et bibliotechnique à l'usage des Bibliognostes, des Bibliomanes et des Bibliophilistins par Octave Uzanne, polybibliographe et philologue (1895-1897).

Exemplaire Octave Uzanne relié à son chiffre par Petrus Ruban (98).

[exemplaire conservé à la Biblioteca de Catalunya, Barcelona, España]


Comment ce mirifique exemplaire s'est-il retrouvé à la Bibliothèque de Catalogne à Barcelone en Espagne ? Mystère. Sans doute une acquisition en vente aux enchères ? Peut-être un legs ? Pourquoi ? Cela reste tout aussi mystérieux. Quoi qu'il en soit, comme on peut le voir ci-dessus, l'exemplaire est parfaitement conservé. La splendide reliure de Petrus Ruban commandée par Octave Uzanne est ornée de son chiffre répété en semé sur les plats et le dos. Décors de fleurettes mosaïquées avec livres ouverts mosaïqués de maroquin blanc dans les angles. Nous ne voyons pas la doublure et ne pouvons donc pas la décrire. Nous savons qu'Octave Uzanne a fait usage de ce semé au chiffre OU pour d'autres ouvrages de sa bibliothèque. Il serait curieux de savoir quel numéro porte cet exemplaire et à quoi ressemble les doublures. Si quelqu'un passe par Barcelone prochainement ... qu'il ou elle n'hésite pas à nous contacter.

Nous parlerons prochainement de ce merveilleux ouvrage de bibliophilie pour bibliophiles à l'esprit ouvert.

Bertrand Hugonnard-Roche

mardi 12 février 2013

« Eh ! bien, la Société des Bibliophiles Contemporains a donc vécu (...) » écrit le bibliophile et bibliographe Georges Vicaire à son ami Victor Déséglise le 2 décembre 1894.

Le 2 décembre 1894, Georges Vicaire écrit à son ami, le bibliophile Victor Déséglise et le remercie pour l'envoi que ce dernier lui a fait d'une "bourriche si bien garnie". "Les pommes de "votre paradis terrestre" eussent assurément fait la joie de feue madame Eve ; il est impossible de voir de plus beaux fruits. Quant aux Duchesses du Berry et aux Croquets, tout cela à l'air fort appétissant (...)" écrit-il encore. Il est en train de procéder à l'expédition de son Manuel chez le libraire Rouquette. La lettre se poursuit ainsi :

« Eh ! bien, la Société des Bibliophiles Contemporains a donc vécu. Je n'ai pas assisté à la réunion, mais je supposais que l'on nous informerait officiellement de ce qui avait été résolu dans cette assemblée. Avez-vous reçu quelque avis ? Pour ma part, j'avoue humblement que la dissolution de la Société m'a laissé bien froid. Vous avez dû recevoir le matin de la réunion un pamphlet (*) contre Uzanne ; en connaissez-vous l'auteur ? (...) ».

On lit plus loin : « Vous savez que j'accueille toujours avec plaisirs les mots, renseignements bibliographiques qui proviennent des vrais bibliophiles ; il y en a si peu de vrais parmi nous qui "font" le livre moderne ! (...) ».

Georges Vicaire, auteur du célèbre Manuel de l'amateur de livres du XIXe siècle était membre de la Société des Bibliophiles contemporains depuis sa création à la fin de l'année 1889 et jusqu'en décembre 1894 au moment de sa dissolution, au moins.

Victor Déséglise (1838-1916) possédait le château de Frapesle, près d'Issoudun dans le département de l'Indre. Il fut membre de la société des Amis des Livres, des Bibliophiles contemporains d'Uzanne puis des Cent Bibliophiles d'Eugène Rodrigues. C'est son ami Georges Vicaire qui fera sa nécrologie dans le Bulletin du Bibliophile de 1917. Victor Déséglise est décédé le 27 décembre 1916. Sa bibliothèque fut vendue en 1921.

Nous nous intéresserons prochainement au pamphlet dirigé contre Uzanne.

Bertrand Hugonnard-Roche


(*) L'Octave de la Société des Biblbiophiles Contemporains. Athènes, chez Alexandros Koulos, imprimeur du Périclès, 100, Cul de Sac du Luc (près l'Acropole), 10008008014. Dessiné et gravé par Ajax Agathos. Imprimé à 160 exemplaires sur papier à chandelle, d'Arras. In-4, 11 pages.

lundi 11 février 2013

Octave Uzanne commente l'oeuvre de Maurice Rollinat (février 1890) : « (...) il ne semble point qu'il fasse un pas en avant : bien au contraire, il en reste à ses promesses qui, il y a deux ou trois lustres, eurent tant d'éclat et firent tant de bruit. »

On relève une petite brève concernant les dernières productions de Maurice Rollinat, dans le premier volume du Livre Moderne (livraison du 10 février 1890, pp. 154-155), sous le titre La littérature dans le journalisme chronique non signée mais de toute évidence d'Octave Uzanne :

« Le poète Rollinat continue à donner des morceaux de valeur diverse au Figaro ; mais, soit qu'il se répète ou qu'il tente des voies nouvelles, il ne semble point qu'il fasse un pas en avant : bien au contraire, il en reste à ses promesses qui, il y a deux ou trois lustres, eurent tant d'éclat et firent tant de bruit. » (Octave Uzanne)

C'est la seule mention de Rollinat dans le Livre moderne, qui couvre les années 1890 et 1891. On sent une profonde déception chez Octave Uzanne quant à l'oeuvre en cours de Maurice Rollinat. Sans doute les deux hommes ne se fréquentent-ils déjà plus. En 1890, Rollinat est à Fresselines (Creuse), depuis déjà de nombreuses années. On sait que certains de ses amis, comme le peintre Claude Monet ou encore le critique et historien de l'art Gustave Geffroy, firent le déplacement jusqu'à cette campagne perdue pour voir le fameux pêcheur-poète-musicien. Octave Uzanne fit-il un jour ce voyage là ?

Bertrand Hugonnard-Roche


dimanche 10 février 2013

Octave Uzanne critique l'Abîme de Maurice Rollinat (Le Livre, juin 1886) : "Un remarquable volume, lentement élaboré par un artiste convaincu qui restera comme l'un des poètes les plus originaux et les plus étrangement doués de cette fin de siècle."


L'Abîme. Poésies, par Maurice Rollinat. Un vol. in-18. Charpentier. - Prix : 3 fr. 50. (*)

On se souvient du grand succès qui accueillit les Névroses, le second volume poétique de Maurice Rollinat, il y a bientôt trois ans. A ce moment, Rollinat fut un des lions du jour ; on parlait du poète non moins que du musicien et du superbe diseur, car entendre Rollinat soliloquer ses vers est assurément une joie non pareille ; l'homme s'identifie à l'oeuvre, la fait valoir, l'exalte par sa parole vibrante, passionnée et tragique, par son geste large, saccadé, soulignant les moindres effets, par sa physionomie énergique, extraordinairement mobile et d'une beauté dramatique incomparable. Il apporte tant de fougue et de lyrisme dans son jeu et sa diction que, pour qui l'a entendu et admiré, il semblera toujours que derrière le volume imprimé, il manque l'homme pour l'interpréter encore et toujours ; ainsi devait-il en être pour ceux qui applaudirent à Chopin exécutant Chopin. Il reste une telle vision que la version écrite apparaît froide, l'artiste n'est plus là pour l'orchestrer de son essence divine et pour ajouter au talent cette double croche de l'individualité agissante.
Depuis trois ans Rollinat s'est recueilli ; il avait fui les salons parisiens, où la curiosité frivole et dissolvante ne lui laissait point de répit ; et il vivait aux champs, s'écoutant lui-même, notant tous les bruissements de sa pensée et les zigzags fantastiques de ses aspirations. Il nous revient de cet exil du sage avec un maître volume plus profond que les Névroses, plus mûr, plus humain, qu'il intitule l'Abîme.
C'est une oeuvre de philosophe qui scrute l'hypocrisie, l'intérêt, l'égoïsme, le soupçon, la haine, le pardon, la colère, l'orgueil et l'ennui, et qui argumente sur l'ingratitude, le mépris, le néant, le doute et l'heure incertaine avec l'âpreté d'un mâle poète du XVIe siècle.
Ce livre de penseur hanté par l'inquiétude et miné par le problème de la vie aura-t-il le succès de son précurseur, nous ne le pensons pas ; le lecteur n'aime point qu'on lui crie : Arrête-toi, passant, et regarde où tu vas ? - Il aime qu'on lui masque par les fleurs et les gentillesses la fosse vers laquelle il s'achemine, et le poète Rollinat voit le trou béant qui engloutit tour à tour les générations, le tombeau est toujours présent à l'horizon de sa pensée et il ne saurait voir un arbre sans dire comme tel pessimiste de notre connaissance : "Voilà un cercueil qui pousse." Il aura pour lui cependant tous les dilettantes de l'idée et de la forme, et tous les trappistes dont l'âme attend la délivrance charnelle. Nous citerons un des beaux sonnets de l'Abîme, intitulé l'Empoisonneur.

L'homme est le timoré de sa vicissitude,
Creuseur méticuleux de ses mauvais effrois,
Il s'invente un calvaire, il se forge des crois
Et reste prisonnier de son inquiétude.

C'est pourquoi sa détresse emplit la solitude,
Il opprime l'espace avec son propre poids,
Et dans l'immensité, comme dans de la poix,
Traîne son infini dont il a l'habitude.

Contagieux d'ennui, de fiel et de poison,
Il insuffle son âme au ciel, à l'horizon,
Qui deviennent un cadre où vit sa ressemblance,

Et retrouvé partout, son fantôme qu'il fuit,
Contaminant le jour et dépravant la nuit,
Fait frissonner le calme et grincer le silence.

Il faut craindre que, sur un livre aussi noblement sincère que l'Abîme de Rollinat, le public qui veut s'aveugler ne jette un pont d'indifférence. Le temps est aux scandales et les beaux ouvrages poétiques s'évanouissent dans l'atmosphère des coups de pistolet et des grossiers boniments ; il est du devoir de la critique de protester quand même. C'est pourquoi, dans la mesure de nos forces, nous tenons à signaler ici, moins longuement, hélas ! que nous le voudrions, un remarquable volume, lentement élaboré par un artiste convaincu qui restera comme l'un des poètes les plus originaux et les plus étrangement doués de cette fin de siècle.

O. U. [Octave Uzanne]

Lire également : Octave Uzanne et les Névroses de Maurice Rollinat : compte rendu dans Le Livre (1883). Je vous invite à lire un autre texte intéressant "Rollinat vu par Verlaine".

Bertrand Hugonnard-Roche

(*) Le Livre, livraison du 10 juin 1886 (sixième livraison - n°78), pp.292-293.

Maurice Rollinat vu par Joseph Uzanne (Album Mariani, 1897).

Si Octave Uzanne fréquente Maurice Rollinat lors des sorties nocturnes du début des années 1880, il semble bien qu'il en fut de même pour son frère Joseph.
Joseph Uzanne faisait par ailleurs alors partie du cercle des Hydropathes dont était Maurice Rollinat. C'est donc très certainement d'expérience que Joseph Uzanne peut décrire ces "assemblées émues" et ses "yeux hypnotiseurs".

Bertrand Hugonnard-Roche


MAURICE ROLLINAT (*)

Bien comprendre et partant bien juger le poète Maurice Rollinat, n'est possible qu'après l'avoir vu à deux moments de sa vie : à Paris, il y a une quinzaine d'années, chantant, au milieu d'une émue assemblée d'amis, et aujourd'hui à Fresselines, pêchant dans la Creuse ...
Il ne se faisait point prier, et sitôt au piano, il remuait les âmes des auditeurs. Dès la première note, - la première phrase n'était pas achevée, - il jetait le trouble dans les esprits. Tout de suite, on était transporté ailleurs, on le suivait le long des sentiers hantés des ses strophes. Ses yeux hypnotiseurs dardaient des flammes. Son long corps entier se ployait en arrière, se jetait sur le clavier, le pied torturant la pédale forte. Il se donnait tout, corps et âme. Aussi de telles séances, artistes et spectateurs sortaient nerveux et sous le charme de la plus poignante impression d'art.
Avec sa voix et un piano, il fit la conquête des artistes les plus ennemis de la musique : Hugo, Banville, Barbey d'Aurevilly.
Sarah Bernhardt voulut entendre ce prodige que les ateliers portaient aux nues. Avec son bel instinct artistique, sa claire vision du beau, elle s'enticha tout de suite du musicien chevelu, du poète inspiré. Elle donna des soirées en son honneur, qui eurent beaucoup de retentissement. Albert Wolf, le chroniqueur célèbre, en eut vent : il écrivit au Figaro un de ces articles qui lancent un homme. Du jour au lendemain, le nom de Maurice Rollinat était connu de tous les artistes et du grand public.
Dois-je rappeler l'ordre de ses ouvrages : son premier, le plus calme, le plus sain, pourrait-on dire, celui où George Sand a mis comme son sceau de bienveillance et de sérénité, Dans les Brandes, parut en 1877. Tout le livre est en descriptions champêtres, en tableaux émus :

La mort s'en va dans le brouillard
Avec sa limousine en planches.
Pour chevaux noirs deux vaches blanches,
Un chariot pour corbillard ...
Pas de cortège babillard.
Chacun, en blouse des dimanches
Suit, morne et muet sous les branches,
Et pleuré par un grand vieillard
Le mort s'en va dans le brouillard ...

Une des plus belles pièces du recueil serait à citer tout entière : Les Cheveux. Le Crapaud aussi est devenu célèbre.
Les Névroses, le second livre, éclatèrent en 1883. La nature se partage les pages avec le macabre et l'étrange. - Ce volume obtint le plus grand succès et plaça immédiatement son auteur en première vedette.
Troisième livre : L’Abîme (1886) ; quatrième : Nature (1891), duquel on détacha l'an passé, pour les écoles, de délicieuses fables, régal des lettrés et à la fois studieux amusement des tout petits. L'Abîme, composé en pleine maturité, contient peut-être les plus nettes, les plus harmonieuses et les plus terribles pages du poète. L'ouvrage d'hier, Les Apparitions, est plus heurté, fruit d'une période un peu troublée, mais logique continuation de l'oeuvre du farouche écrivain.
Maurice Rollinat, malgré ses succès grisants, s'est exilé de Paris, prétendu indispensable à qui veut conquérir la gloire. On a vu que son isolement fut fécond. Il s'est retiré à Fresselines, sur les bords de la Creuse, qui coule lentement dans un gouffre à pic et qu'on n'ose pas regarder ; en face, de l'autre côté, parmi les châtaigniers et les vieux chênes, de petites maisons basses autour d'un modeste clocher ; c'est le nid d'aigle de Rollinat.
La maison est tapie entre les deux Creuse, sous un dais d'arbres. On pousse la petite porte du jardin, trois beaux chiens aboient. Voici le cabinet de travail : une toute petite table, fleurie de bruyères, deux pianos et au mur, au dessus des vieux fusils et du grand canapé, des esquisses et des tableaux des environs, signés Détroye, Béthune, G. Lorin ; au centre d'un panneau trois portraits, Baudelaire, Edgar Poe et Lamennais. Plus loin, le masque de Beethoven et celui du poète par Ringel d'Illzach. Dans un angle, La Morte de Decamps. Les tentures sont en toile de limousine.
La passion favorite de Rollinat est la pêche. Dès l'aube, l'auteur des Névroses et de Nature dévale vers ses coins préférés. Le long du pré, il rêve aux rimes de Paysages et Paysans, son prochain livre et il est heureux. Quand il a trouvé une épithète lumineuse et qu'il entend le grelot d'une ligne tendue, il ressent les plus belles émotions de ce monde.
Tel est ce fier et ému poète, ce musicien que Gounod appelait "un fou de génie", cet homme de la nature, tel que nous le vîmes parmi ses modèles et ses inspiratrices, les grandioses vallées berrichonnes.

ROLLINAT (Maurice), poète, né à Châteauroux (Indre), le 29 décembre 1846, fils de François Rollinat, avocat, représentant du peuple de 1848 à 1851, grand ami de George Sand. Son premier livre, Dans les Brandes, 1877, montre l'influence exercée sur son esprit par l'auteur de ces romans des champs, la Petite Fadette, la Mare au diable. En 1883, les Névroses parurent, dévoilant un Rollinat nouveau, satanique et macabre. Ce fut un succès énorme. L'Abîme suivi, 1886. Puis la Nature. Dix mélodies nouvelles ; car Rollinat est un musicien aussi, et le plus étrange, le plus évocateur qui soit. 1896 : Les Apparitions. A paraître prochainement : Paysages et Paysans. De belles proses de M. Rollinat parurent au Supplément littéraire du Figaro, comme d'ailleurs la plupart des poèmes.

[JOSEPH UZANNE]

(*) Joseph Uzanne (rédacteur des notices biographiques), Album Mariani, Troisième volume, Paris, H. Floury, 1897.

samedi 9 février 2013

Maurice Rollinat, le poète d'antan - silhouette de souvenir - A propos d'un portrait de Gaston Béthune, par Octave Uzanne, publié dans l'Art et l'Idée en mars 1892.

Voici l'article publié dans la revue l'Art et l'Idée, livraison du 20 mars 1892, sous le titre : MAURICE ROLLINAT - Le poète d'antan - Silhouette de souvenir - A propos d'un portrait de Gaston Béthune. (*)


Maurice Rollinat
chantant au piano, d'après une aquarelle inédite de Gaston Béthune


« Tous les amis de Maurice Rollinat se trouvaient réunis le mois dernier (février 1892) pour entendre l'interprétation de ses poésies et mélodies par les premiers artistes lyriques et dramatiques de Paris. - Le programme était habilement choisi dans les oeuvres du poète ; les récitants avaient la meilleure volonté possible pour faire valoir les cadences et les virtuosités des pièces à dire ou à chanter, mais, à franc parler, pour les sincères et premiers amis de l'auteur des Névroses, cette audition fut vraiment lamentable et désillusionnante  - Rollinat ne peut être interprété : tous ceux qui l'ont connu, admiré et aimé avant même qu'il eût recueilli la moindre notoriété, tous ceux qui ont suivi l'être fantomatique illuminé d'art, et le diseur surprenant qu'il fut à ses débuts ne peuvent plus rallumer leur enthousiasme à d'autres foyers que celui du souvenir.
Le chantre des Brandes et de l'Abîme est cependant revenu du Berry parmi nous ; il a récemment publié un nouveau recueil de poésies intitulé la Nature, et beaucoup de ses dévoués s'efforcent de remettre dans les rayons lumineux de l'actualité cette physionomie naguère si saisissante et si diabolique dont l'évocation devient presque de la hantise. Toutefois Rollinat reste un disparu ; ses dix années de vie rurale, qui ont ramené sur son visage les solides couleurs, la quiétude et la robuste santé, ont effacé à jamais la silhouette du premier homme que nous aimions si fort dans les ballades noctambules du quartier latin, quand, sur le piano du plus infime caboulot, ce poète à mine émaciée et fatale, qui rappelait à la fois Baudelaire, Beethoven et Paganini, chantait de sa belle voix si douloureusement vibrante les plus humaines, c'est-à-dire les plus funèbres stances des Fleurs du mal si superbement mélodiées par sa musique incomparable.
La Revue illustrée, récemment, nous présentait une série de portraits-croquis de Rollinat dans toutes les attitudes, qui, malgré l'art et le talent de Paul Renouard, n'ont qu'une expression terne, morne et peu rollinatesque, dans le sens que nous prêtions autrefois à ce qualificatif, synonyme à la fois d'étrange, d'hirsute, de démoniaque, de sardonique, de furieusement poétique. C'est pourquoi, à titre de document supérieur, nous avons fait reproduire, d'après une magistrale aquarelle de Gaston Béthune faite il y a dix ou quinze ans, une tête Gorgonesque et saisissante du poète-musicien de la Nuit tombante, du Soir d'automne, de l'Idiot et du Cimetière aux violettes.
C'est là le véritable portrait de Rollinat, celui qui vaut d'être consacré et qu'aucun ami des anciens jours ne saurait désavouer. Gaston Béthune, dans les larges indications de cette aquarelle, a emprisonné la vie et l'expression du poète au piano quand, au milieu d'une tabagie d'arrière-estaminet, il chantait sans façon pour ses camarades, donnant de la voix à pleine gueule, heureux de sentir les joies intimes dont il était enveloppé. - Quelles heures délicieuses nous lui devons à ce délicieux mélodiste dont la musique ne ressemblant à aucune autre sait faire vibrer chez les littéraires des notes spéciales ignorées jusque-là ! - Dans sa petite chambre de la rue Saint-Jacques, aux Hydropathes, dans le bas et étroit entre-pont du restaurant Larousse, rue Monsieur-le-Prince, puis plus tard rue de Condé, ce musicien, divinisé par une beauté supérieure qui lui venait de son art et de sa foi, a créé en un instant bien des admirations et bien des fanatismes.
Le portrait de Gaston Béthune suffit à évoquer ce Rollinat d'antan, alors qu'il plaquait des accords pour accompagner l'air macabre du Mort joyeux ou les mélodies exquises des Blanchisseuses du Paradis. On retrouve surtout dans ce portrait, l'être falot, à l'oeil pervers, au masque tragique, au geste pittoresque, à l'esprit prime-sautier avec lequel on s'attardait de longues heures nocturnes pour le plaisir d'entendre, secoué par un singulier frisson sépulcral, ses plus récentes compositions funèbres qu'il aimait à dire, campé sous un réverbère, avec des accents d'un lugubre inoubliable, des manières à la Taillade, et un amour de la reprise des dernières stances, quatrains ou tercets différemment exprimés sur ces intonations, pour mieux faire valoir ce dont il était satisfait et l'ancrer davantage dans l'esprit de son auditeur.
Dans l'ambiance calme des nuits de vagabondage, c'était une bonne fortune que de rencontrer Rollinat solitaire, de vaguer avec lui et de lui faire dire ses plus belles pièces des Spectres ; le Soliloque de Troppman, le Fou, le Rasoir, la Dame en cire, le Meneur de loups, le Mauvais oeil, l'Etang, l'Enterré vif ou le Magasin aux suicides, sauf encore à le laisser déclamer ses sinistres poésies du livre des Ténèbres : les Agonies lentes, la Ballade du cadavre ou le Rondeau du guillotiné. - Parfois, lorsque sa verve érotique s'aiguisait dans une causerie qui ne tardait guère à évoquer des outrances vénériennes, le poète sortait ses compositions Arétines, son musée des horreurs ; c'était alors une manière d'Aristide Bruant, habile à l'argot, mais plus sadique, plus torturé par des concupiscences vertigineuses et dont la puissance de vision poétique atteignait souvent au lyrisme considérable de l'Ode à Priape.
Que sont devenus ces Tibériades, ces Phalliques, ces Fleurs lascives de son bagage inédit ? Rollinat le sage, le croyant, le naturiste qu'il est aujourd'hui, a dû condamner au feu ces débauches d'autrefois.
Devant le puissant portrait que Béthune a fait du poète, la silhouette lumineuse de l'auteur des Névroses a passé dans la chambre noire de nos souvenirs, c'est pourquoi nous avons tracé ces quelques lignes en vue d'encadrer l'expression de cette tête élégiaque qui hurle des plaintes infinies de possesseur de nuées dans une musique diabolique et divine. »

OCTAVE UZANNE



Cette aquarelle originale de Gaston Béthune appartenait-elle à Octave Uzanne ? Où se trouve-t-elle aujourd'hui ?


Bertrand Hugonnard-Roche

(*) l'Art et l'Idée, pp.192-195.

Octave Uzanne critique Dans les Brandes de Maurice Rollinat pour les Conseiller du Bibliophile (juin 1877).

Extrait de Fuyons Paris
Octave Uzanne n'a pas encore 26 ans lorsqu'il publie cette critique de Dans les Brandes de Maurice Rollinat dans le Conseiller du Bibliophile. Comme il l'écrira lui-même dans les colonnes du Livre en 1883 à l'occasion de la critique des Névroses : « j'eus le plaisir d'éclater en louanges sonores dans un sous-sol du journalisme où je faisais alors mes débuts et où ma voix avait probablement plus d’écho à ma propre oreille qu'à celle du public. »
Octave Uzanne et Maurice Rollinat ne sont pas encore en intimité en juin 1877 alors qu'ils semblent l'être en 1883 au moment de la publication des Névroses qui contiennent alors deux poèmes, l'un dédié à Octave Uzanne (les Lèvres), l'autre dédié à son frère, Joseph Uzanne (les Drapeaux). Nous verrons bientôt qu'en 1892, quelques dix années plus tard, Uzanne consacre à nouveau un petit article à Rollinat dans la revue l'Art et l'Idée.
A lire Dans les Brandes on ne peut que ressentir comme un écho entre les sensations de Maurice Rollinat et celles d'Octave Uzanne, en 1877, comme bien des années plus tard d'ailleurs.

Voici la critique parue dans le Conseiller du Bibliophile (*) :

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Petite lorgnette poétique


Dans les Brandes, par Maurice Rollinat, 1 vol. in-18, chez Sandoz et Fischbacher.

Extrait de La Morte
Voici venir un jeune poète à l'allure dantesque, aux conceptions mâles, aux intenses vigueurs. Sans appartenir à aucune autre école que celle qu'il se crée, M. Maurice Rollinat, outre un talent des plus colorés, possède l'heureux don d'une originalité marquée au sceau de la personnalité la plus saisissante.
Parcourt-on ses vers, on ne peut se défendre de songer à Baudelaire et à Edgard Poe dont on sent les hantises créatrices : les approfondit-on, au contraire, on découvre que le poète est bien lui et que sa manière a pris naissance dans ces fantômes d'inquiétude et de torpeur qui forment l'air ambiant de tout artiste qui éprouve vivement. Les ciselé des vers, le fini de leur élégance, rattachent le genre de M. Rollinat au Parnasse contemporain ; mais, moins efféminé que ses confrères, il s'en éloigne par la ferme exubérance de visions plus profondes.
M. Rolinat ne drape pas à plis corrects les péplums de lin des divinités plus ou moins mythologiques, il ne chiffonne pas la tunique aux Muses banales : il s'adresse à la verte nature, et, s'il avait à choisir ses Muses, il invoquerait les sombres Euménides ou les Parques édentées : Tisiphone et Mégère deviendraient belle sous ses caresses, et, courtisées par lui, Clotho, Lachésis et Atropos disposeraient du fil des humains pour en former sa lyre.
Le premier volume de poésies que M. Rollinat vient de publier chez Sandoz n'est qu'un frais avant-coureur d'oeuvres plus énergiques. Il a lâché hors de leur cage quelques oiseaux amoureusement couvés ..., mais comme les fripons ont gaillardement pris leur volée dans les Brandes !
Ce volume est rempli de choses exquises dans leur apparente brutalité. - Théodore Rousseau rêverait devant la Mare aux grenouilles, si largement peinte ; et, dans ces Rondels qui ont pour titre le Petit coq, le Convoi funèbre, le Chien enragé, les Loups, il y a des frissons à fleur de peau qui se changent en angoisses lorsqu'on arrive aux pièces magistrales de la Morte et Où vais-je ?
O lecteurs bénévoles, si la poésie pommadée des Mourants du jour vous a, comme nous-même, trop souvent affadis et énervés, lisez Dans les Brandes : vous saluerez dans M. Rollinat un poète d'avenir, qui, sous l'impulsion vigoureuse d'un talent solide, a fièrement réagi contre l'eau de rose distillée de l'amphore Parnassienne.


Louis De Villotte [Octave Uzanne]

Paris, juin 1877.

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(*) pp. 92-93, deuxième année, 1877. C'est d'ailleurs l'article qui clos cette éphémère revue qui ne dura guère plus d'une année.

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