samedi 31 mars 2018

Octave Uzanne à son ami A. Huc : "à mon vieil ami A. Huc. En souvenir de notre chère Venise. Affectueusement." (1924).


Exemplaire en vente prochainement aux enchères publiques :


LIVRES ET AUTOGRAPHES
Mercredi 11 avril à 15h30 à Toulouse
Lieu de vente Maître Marc LABARBE et MARC LABARBE sarl
Place Saint-Aubin 3, bd Michelet
31000 Toulouse

N°72. Uzanne, Octave : Pietro Longhi. Paris, Nilsson, 1924. In 12°, reliure demi basane fauve. Edition originale sur papier ordinaire, envoi de l'auteur à A. Huc, directeur de la Dépêche du Midi à l'époque. Estimation : 20 / 30 euros.

Voir les occurrences HUC dans notre blog ICI.

Photographies Interenchères.

mardi 27 mars 2018

L'envers d'une féerie, par Octave Uzanne et Albert Robida (mars 1882). Les Mille et une nuits au théâtre du Châtelet dirigé par Emile Rochard.

L'ENVERS D'UNE FÉERIE (*)
 __________


      Que de livres n'a-t-on pas écrits, sur l'Envers au théâtre, dont les titres plus ou moins fantaisistes, imprimés sur couvertures multicolores, me dansent encore dans la tête, bien qu'entrevus furtivement au hasard des flâneries, soit aux vitrines proprettes des librairies modernes, soit dans les poussiéreuses boîtes à quatre sols des parapets de la Seine ? — Derrière la toile ; - le Manteau d'Arlequin ; — Au rideau ! — Entre cour et jardin ; — Foyers et coulisses ; — le Théâtre tel qu'il est ; — Derrière la rampe ; — les Théâtres en robe de chambre, et tant d'autres monographies des spectacles parisiens vus à l'envers du spectateur dans le brouhaha des changements à vue et des appels pour l'entrée en scène. — Le public semble très friand de ces mystères que lui voile le rideau de pourpre ; il n'est de joli rêve que son imagination ne crée, d'Éden qu'il n'entrevoie, de plaisirs piquants qu'il ne s'imagine dans sa conception de ce monde de comédiens. Point ne sert de lui répéter à satiété que rien n'est plus triste à voir de près que cette mascarade humaine ; ses désirs s'irritent de cet inconnu des coulisses et il ne comprendra jamais que le carnaval fini le masque tombe ; que là où le rire s'achève, la tristesse arrive et que la fiction fait place à la banalité la plus réelle ou à la vulgarité la plus sotte. — Je ne prétends pas ici m'armer du falot de Diogène pour jeter des lueurs crues dans les bas-fonds attristants du théâtre ; la toge du censeur se goderait en plis grotesques sur mon buste d'épicurien et mes jambes s'empêtreraient aisément dans la jupe philosophique ; je ne veux, en compagnie de mon collaborateur et ami Robida, qu'entr'ouvrir la porte de fer qui sépare la salle de la scène, et là tous deux, prenant notes et croquis, faire une de ces courtes chroniques, à propos et dessins rompus, digne de complaire durant une fugitive seconde à quelque piquante mondaine prise des vapeurs de l'ennui dans les far niente de sa chaise longue.
      Une féerie s'offre à nous : les Mille et une Nuits ; Émile Rochard, le jeune directeur gentleman, nous accueille au Châtelet avec une bonne grâce dont feu Roqueplan lui légua sans doute la tradition, et, puisque nous voici dans la place, nous aurons la consciencieuse ingratitude de mettre de côté tout esprit de réclame à son égard et de prendre la pièce qu'il a si superbement conçue et montée uniquement comme le prototype du genre où Martainville excella, et qui enrichit tant d'auteurs sur le dos de Perrault, de Mme d'Aulnoy et du bon et vertueux Galland.
      Nous arrivons au moment précis où le sifflet du chef machiniste fait mouvoir des cintres et des dessous les toiles de fond, la ferme et tous les châssis compliqués du Royaume des Perles. — La bousculade est effrayante comme en un camp à l'approche de la bataille ou sur un pont de corvette à l'heure de l'abordage ; les mâts se heurtent, les commandements se croisent, les herses se dressent et les manœuvres font glisser de lourdes charpentes dans une atmosphère de poussière de poudre et de gaz évaporés.
      « Attention ! attention ! » crient les machinistes qui rangent les plantations de Bagdad et d'Ispahan, et les visiteurs effarés, craintifs ne savent où avancer ni comment reculer, se blottissant pour éviter les chocs le long des murs blancs maculés d'huile, éraflés d'inscriptions, balafrés de caricatures naïves, encharbonnés de silhouettes burlesques.

 
      Le dialogue des acteurs en scène, les chansons, les chœurs et les répliques se perçoivent indistinctement dans ces clameurs confuses des coulisses, car voici que descendent des étages supérieurs la cohorte de la figuration et la colonie des marcheuses et des ballerines. — Un timbre électrique roule sa note cuivrée et continue vers la région des loges pour indiquer l'heure du premier ballet, et déjà, sur le côté jardin, l'aristocratie de la danse se masse lentement ; petites ondines, langoustes, hippocampes, crevettes roses, escargots marins, moules, coraux et bernards l'hermite se groupent ; mélange d'opulences charnelles et de pauvretés étiques, singulier bétail féminin où le rire se stéréotype sur des lèvres carminées, où le crayon allonge des yeux qui n'ont plus qu'une expression de passivité attendrie. Les caquets marchent dans cette cohue blonde et rose, c'est un papotage indicible mêlé de rires et de petits cris parmi lesquels domine parfois la toux rauque et irrésistiblement poignante d'une phtisique.
      Dans les bas côtés, on ne peut plus circuler ; le foyer regorge de premiers sujets emmitouflés dans de larges tricots de laine, d'acteurs bâillants, pris de l'impatience de regagner leur lit, d'habilleuses assises avec un abandon résigné sur les banquettes de velours rouge noircies et éventrées, tandis que près de la cheminée, une fée coquine se cambre, attifant, en ronronnant un refrain, les rebelles frisons de sa chevelure rousse.



      Un mouvement se produit: « En place pour le ballet ! » — près des plantations de troisième plan, on dispose l'apothéose ; de grandes échelles sont dressées auxquelles gravissent les nageuses aériennes que doivent suspendre des fils de platine. — D'aimables Bellevillois en casquette de soie, foulard imprimé au cou, serrés dans le bourgeron de toile bleue, montent aux échelons opposés pour agrafer ce fil à l'anneau de fer du corsage solidement blindé, et c'est un contraste puissant que de voir, ainsi réunis au sommet de ces vulgaires échelles de peintre en bâtiments, ces filles en maillot chair cuirassées d'argent, grelottantes dans leur nudité et ces ouvriers de faubourgs qui se dodelinent et grasseyent voyoucratiquement avec ce reste du gavroche qui fut en eux, aux heures du lazzaronisme de la rue.
      Au moment du « lâchez tout » ! ces vivantes poupées-nageuses, affolées par le vide, l'œil hagard, les jambes immobiles, grenouillant en l'air, se cramponnent de la main aux lambeaux de toile qui forment les « bandes d'eau » du féerique Royaume des Perles, et, tandis que ces infortunées contemplent l'espace et les dures arêtes de bois des décors, tandis que les fils fonctionnent, les balancent et les promènent sur la largeur de la scène, des artificiers allument et agitent dans des réceptacles de fer-blanc les rouges flammes de Bengale qui illuminent cette assomption de la femme- poisson. — Le public qui bonde la salle, émerveillé à juste titre, applaudit longuement pendant la dernière ritournelle du ballet, le rideau se baisse, se relève et tombe définitivement. L'acte s'achève, et toute cette population de l'humide séjour se rue à l'escalier pour gravir aux loges, souffler un instant, et se transfigurer de nouveau. — Nous montons pendant l'entr'acte à l'une de ces loges de première danseuse.

 
      Une petite porte, au milieu de laquelle une lucarne ronde ; en face, une fenêtre sur cour ; d'un côté, le vestiaire ou plutôt l'armoire aux costumes ; de l'autre une longue tablette de marbre, quelques miroirs ou fragments de glaces et tout l'attirail voulu de blanc de perle, de cold-cream, de poudre de riz, de pattes de lièvre, ainsi que les crayons et tous les tubes où Gautier aurait vu de l'antimoine et des parfums de Judée, et qui ne contiennent en définitive que des pommades rosat, du blanc et du rouge pour graduer les pastels du visage. — Devant cette table, trois femmes déjà au repos, en jupon blanc, dans le déshabillé d'un lever de modistes, jadis peint par Bernard Lépicié ; l'une faufile un chausson de satin rose, l'autre fait au crochet une classique courtine de laine, tandis que la troisième, un « Syngnathe » signé Grévin, ajuste sa réchauffante, et fait des jetés-battus et des fantaisies giratoires dans la petite pièce.
      Des murs nus, sur lesquels, par place, un artiste décorateur, quelque ancien pensionnaire, a peint « en trompe-l'œil » des assiettes de vieux Rouen, une horloge en cartel et un parapluie jeté dans un coin où il projette une ombre fausse. — Aux patères est accroché le fouillis des costumes de ville ; les chapeaux fleuris, les manteaux-dolmans bordés de chat-noir, les jupes, les pantalons et les lingeries les plus intimes et, sur des chaises en désordre, des maillots reprisés et déteints par place, des chaussons troués, des ceintures abandonnées, tout un mêli-mêlo d'objets ; jusqu'au petit nécessaire de cuir que ces dames emporteront tout à l'heure à la sortie.
      Ici mon collaborateur Robida est l'objet de toutes 1es gracieusetés ; son crayon qui erre sur l'album tente ces filles d'Eve : « Pour quel journal... Dites ?... » et de se démener, de sourire, de se mettre de profil ou de trois quarts, à cheval sur un siège, héroïques devant la réclame entrevue, joyeuses à la pensée de voir leur silhouette provocante reproduite en public.
      Mais les personnages de la cour de Cléopâtre doivent songer dès ce moment à revêtir les costumes de l'Alexandrie décadente, et nous descendons de nouveau sur la scène, où de formidables praticables se sont dressés en un clin d'œil, encombrant de leur charpente massive les passages déjà trop étroits ; sur le côté cour, les éléphants attendent sous leur harnachement de velours que le cornac les accote flanc à flanc sous le même panneau qui doit supporter la divine reine d’Égypte et ses esclaves favorites ; — les énormes pachydermes épandent par leur seule présence une odeur puissante et fauve qui monte à la tête ; ils sont aimables, fouillent dans les poches et promènent de tous côtés leur longue trompe grise semblable à un tuyau de pompe d'incendie. Le cortège de Cléopâtre, les prêtres, les guerriers, les porteurs d'étendard arrivent peu à peu et jettent des notes d'or, de pourpre et de satin azur, au milieu des équipes populaires et dégingandées des machinistes, lampistes, et garçon d'accessoires. — Le contraste est bien fait ici pour charmer la rétine d'un artiste, d'un coloriste ou même pour un simple piqueur de croquis et de documents, et je m'étonne qu'en ce temps d'impressionnistes, de naturalistes et d'intentionnalistes, dans cette fièvre d'étrange qui passionne notre époque, je m'étonne, dis-je, qu'il ne se soit pas trouvé un seul peintre de talent pour tenter quelque pochade, même un tableau très étudié de ces coins de coulisse où la plus curieuse friperie humaine s'étale avec tant de pittoresque de heurté et d'imprévu.

   

      Il y a, entre certains portants, des aspects de salle bondée jusqu'aux cintres qui prennent, dans leur gradation populeuse et par les gigantesques remous des têtes, une allure grandiose d'arène romaine ou de cirque espagnol un jour de « toros ». — Cette salle, — de la scène, — offre à l'œil comme une muraille circulaire de spectateurs dont tous les yeux convergent au même point, depuis le rayon visuel horizontal ou oblique jusqu'au perpendiculaire qui tombe du paradis avec d'autant plus de fixité qu'il est plus élevé. Rien de baroque et de saisissant, dans un amphithéâtre aussi remarquablement vaste que celui du Châtelet, et pour un curieux de sang-froid, comme cette agglomération d'hommes et de femmes réunis en hauteur et qui inspirent ce rêve Poësque « d'une bibliothèque vivante rangée sur diverses galeries et dont un géant pourrait tirer à lui, comme autant de livres, les personnalités variées ou les tomaisons d'une même famille. »
   
  
      Je le répète, un peintre assoiffé de couleur et de bizarre, même un « tachiste » trouverait une jolie mine de « modernisme» à exploiter dans ces milieux des grands théâtres ; le crayon rend mal ce que la couleur seule pourrait interpréter avec ses reliefs, ses demi-teintes et ses vigueurs éclaboussantes. — Voici, par exemple, derrière un châssis, dans la pénombre, une fée et des sultanes qui guettent leur entrée en scène, presque frileuses sous la mante qui les protège ; c'est à peine si elles marchent librement dans les chaussures de satin qui emprisonnent leurs pieds mignons, et dont les talons élévés font saillir les muscles de la jambe ; le décor, troué par places, laisse filtrer des rayons de lumière qui se promènent sur la soierie ou les broderies des étoffes et des maillots, allumant tout à coup des scintillements sur les costumes comme un éclat de soleil sur un vitrail gothique ; — ces jeux de lumière des coulisses, surtout avant quelque changement à vue, eussent affolé Rembrandt lui-même par leur étourdissante fantaisie et leurs zébrures fluctuantes et spirituelles à force d'oppositions brutales.
      Mais nous voici tirés de notre contemplation esthétique par le bruit que ne peut manquer de faire le cortège de la reine Cléopâtre, dont les différentes parties se forment sur le grand praticable du fond. — Les porteurs de palmes, sacrées, les gardes, les dignitaires, les joueuses de cistre, les lévites, les harpistes bleues, les prêtres brûle-parfums, les eunuques, les esclaves porteuses de chasse-mouches en plumes d'ibis, les seigneurs, les guerriers conducteurs, se disposent pour le défilé que scandera un « pas redoublé » de l'orchestre. Tout ce monde vu de profil, de la coupe du praticable, donne l'illusion d'une foire aux costumes historiques, magistralement conçue par Gustave Doré, et, dans l'éloignement, la vibration des couleurs évoque les étonnantes débauches de palette d'un Monticelli.
   


      Le défilé de côté, avec la vision générale du spectateur en moins, prend, une allure très originale ; quelque chose de ce que devait être pour le public de la rue, à Vienne, lors des fêtes des noces d'argent, le fameux cortège historique du peintre Mackart. Au moment où Cléopâtre fait son entrée couchée entre quatre filles d'honneur sous le vaste dais de soie bleue pâle frangé d'or, il semble que le théâtre doive s'effondrer sous les pas des gros éléphants attelés côte à côte. Les costières tremblent sous le faix ; la maîtresse de Marcus-Antonius veut agiter encore un monde tout nouveau.
      Pendant le temps que dure le ballet égyptien, ces éléphants, remisés dans la coulisse, se dandinent en cadence avec des grâces titanesques, faisant grincer l'édifice de bois qui les harnache, comme un navire en rade, pris de gros temps, menacerait de briser. ses amarres.
      Au milieu de la poussière de la danse, de l'âcre odeur pachydermique, des senteurs du gaz et de toutes les émanations humaines qui se confondent, la nausée de la scène monte alors à la gorge. — Voici la meute des chiens danois, vendéens et anglais tenus en laisse par de grossiers piqueurs, voilà les chevaux qui montent du manège pour la Chasse infernale ; puis arrivent les sonneurs de trompe, les rabatteurs, toute la figuration du grand Lancé courre au tigre qui doit se terminer par une curée aux flambeaux d'un réalisme si saisissant qu'il enlève le public tout entier en frénétiques applaudissements. — Rien de plus navrant, j'ose le dire, que cette exhibition canine vue de près. Ces pauvres bons toutous de race, réduits sans doute par le fouet et le jeûne à tenir un rôle ; la grande fatigue résignée qui se lit dans leurs yeux, leur joie à sentir une main qui les caresse, et leur ahurissement dans ce pourchas sans merci sous des futaies de toile et des buissons de carton éclairés par des incandescences d'artificiers ; ce travestissement du meilleur ami de l'homme a quelque chose de profondément poignant ; — un honnête musulman s'indignerait, mais un chrétien civilisé est au-dessus de ces apitoiements. — La phrase du placide Fénelon d'un spectacle « fait pour le plaisir des yeux » a singulièrement dérivé de son sens originel ; ce n'est plus la nature, les sources, les berceaux de verdure et les frais bocages que cette phrase appelle ici à l'imagination, c'est l'apothéose théâtrale, la chasse fantomatique où passent éperdus, hors d'haleine, des animaux bizarres et des cavaliers géants comme dans la légende du Beau Pécopin.
  


      Les tableaux succèdent aux tableaux. Le Royaume d'Aladin ou le monde des Lampes apparaît, mais nous sommes harassés par cette très rapide excursion à travers une féerie. Ma foi ! tant pis, s'écrie Robida ; — qu'importe que l'on dise : Desinit in piscem ; finissons en cul-de-lampe par ce croquis de Lampes qui défilent. — Et tandis que les quarante voleurs rôtissent dans leurs jarres, et que se démènent dans un acte final tous les sujets brillants d'Aroun-al-Raschild, alors que les palais de porphyre, d'agate et de jaspe s'écroulent pour la plus belle moralité d'un amour qui veut rester pauvre afin de demeurer plus noblement grand ; tandis enfin que le spectacle enchanté s'achemine à l'évanouissement de tous ces contes bleus de Ma Mère l'Oie, nous fuyons, les yeux secs de poussière, la gorge aride, la tête cerclée d'une légère migraine, heureux de nous retrouver sous la morne clarté des becs de gaz, de respirer l'air de la rue et de humer les gouttes de la pluie bienfaisante qui bruine dans la nuit.
      Il ne nous restait plus qu'à envier la sérénité heureuse du public qui s'écoulait lentement à la sortie, et de voir des yeux de femmes se fermer lentement comme pour mieux emporter avec elles la vision des merveilles entrevues dans ces Mille et une Nuits, songeant à part nous à cette vérité ressassée que voir l'envers des plaisirs est une sottise, que la doublure importe peu à l'habit qui flatte, que la trituration de la meilleure cuisine dont on regarde les apprêts dégoûte souvent des plus fins ragoûts, et qu'avec le vieil Horace il faut bien répéter Nocet empta dolore vôluptas (fui la volupté qui amène la douleur).

OCTAVE UZANNE.

Paris, 6 mars 1882.
 
(*) Octave Uzanne (30 ans) et son ami et collaborateur Albert Robida (33 ans) assistent donc à une représentation (sans doute la première) des Mille et une nuits, féerie en trois actes et trente et un tableaux, de MM. Adolphe d'Ennery et Paul Ferrier, au théâtre du Châtelet, sous la direction de M. Emile Rochard. Cette première représentation a lieu le 14 décembre 1881. C'était un mercredi soir. Octave Uzanne a très certainement dû être invité à cette première grandiose par son ami de jeunesse Emile Rochard. Nous avons déjà traité du cas Emile Rochard dans les colonnes de ce blog. Emile Rochard fut l'ami des années de bohème parisienne des deux frères Uzanne, c'est-à-dire les années 1871 et 1872. L'amitié des deux frères Uzanne avec Emile Rochard se prolongera jusque dans les années 1910 et sans doute même jusqu'à la mort de ce dernier en 1917. Rochard qui fut bohème, riche, en partie ruiné, noceur, célibataire pour finir bredin-bigot. L'article que donne ici Octave Uzanne, assisté des dessins de son ami Albert Robida dans la revue La Vie élégante (pp. 153-163, troisième livraison du 15 mars 1882 - l'article étant daté du 6 mars). Le texte est ampoulé et rempli de néologismes et phrases alambiquées pas toujours très heureuses, les dessins de Robida sont là pour simplifier la chose. Néanmoins, il se dégage de ces descriptions des coulisses du théâtre un parfum de naturalisme (honni par Uzanne) assez intéressant. C'est le seul article qu'Octave Uzanne livrera pour cette revue (sous son nom tout au moins - car quelques articles signés de pseudonymes nous intriguent et pourraient bien sortir de sa plume également). Albert Robida quant à lui fut un grand collaborateur de cette revue éphémère que ne dura que 12 livraisons (1 an) -Nous avons reproduit l'intégralité des dessins de l'article dans ce billet. On trouve de nombreuses illustrations sorties de sa plume caricaturale ainsi que quelques textes savoureux tout au long de la revue. Pour en savoir plus sur cette féerie des Mille et une nuits librement adaptée de Galland, voir les Premières illustrées (1881-1882, pp. 77-84). Vous pouvez retrouver les billets consacrés à Emile Rochard ICI.

Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 21 mars 2018

Envoi autographe d'Octave Uzanne au journaliste Philippe Gille (1878) sur les Caprices d'un Bibliophile.


Envoi autographe d'Octave Uzanne à Philippe Gille (1878) (*)


(*) Philippe Gille (1831-1901) était un journaliste de la génération de Francisque Sarcey. Il tenait une chronique littéraire au Figaro sous le titre « Bataille littéraire ». Il épousa la fille du compositeur Victor Massé. Leur fils Victor Gille (1884-1964), à qui Franz Liszt aurait donné sa première leçon de piano à l’âge de deux ans, fut élève de Louis Diémer au Conservatoire et plus tard un interprète reconnu de Chopin. Philippe Gille fut élu en 1899 à l’Académie des beaux-arts (Section VI : Membres libres Fauteuil 8). (Source : Wikipedia). Octave Uzanne offrira au moins un autre ouvrage à Philippe Gille : Le Paroissien du Célibataire (1890) comme nous l'avions signalé dans un précédent billet ICI. Philippe Gille sera membre des Bibliophiles Contemporains fondés en 1889 par Octave Uzanne.

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 15 mars 2018

Aux enchères prochainement : HISTOIRE DES QUATRE FILS AYMON très nobles et très vaillans chevaliers. Introduction et notes de Charles Marcilly. Paris, Launette, 1883. Un exemplaire bijou du joaillier bibliophile Henri Vever. Estimation : 200 000 / 250 000 euros.


Copie d'écran DROUOT DIGITAL. 15 mars 2018.

Lot 64. HISTOIRE DES QUATRE FILS AYMON très nobles et très vaillans chevaliers. Introduction et notes de Charles Marcilly. Paris, Launette, 1883. In-4, maroquin noir, encastrée dans le premier plat grande plaque d'or à émaux cloisonnés d'après une composition d'Eugène Grasset, dos à quatre doubles nerfs à l'imitation des reliures gothiques, large encadrement intérieur mosaïqué en bordeaux et décoré d'éléments dans l'esprit de l'illustration de Grasset, doublure et gardes de soie brochée bordeaux sur fond bleu, tranches dorées, double couverture et dos, boîte de maroquin brun en forme de livre, doublé de soie lie-de-vin (Ch. Meunier).

Spectaculaire édition illustrée par Eugène Grasset des Quatre fils Aymon, version en prose d'une chanson versifiée du XIIIe siècle ayant pour titre Renaut de Montauban, et appartenant à la geste carolingienne. Imprimé pour la première fois à Lyon vers 1483-1485, le texte fut diffusé durant tout le XVIe siècle avant d'être repris, très modifié, au siècle suivant, devenant, et ce jusqu'au XIXe siècle, l'un des romans de chevalerie les plus populaires de la bibliothèque bleue, à l'inverse de Lancelot du Lac, par exemple, qui disparaîtra après l'édition de 1533. L'illustration d'Eugène Grasset, oeuvre immense de plus de 250 aquarelles qui le mobilisera plus de deux années, révélera les qualités de l'illustrateur, alors que ses dons d'ensemblier s'étaient déjà manifestés quelques années auparavant lorsqu'il créa des meubles et objets de décoration pour la maison de Charles Gillot, l'imprimeur du présent livre. Révolutionnaire par sa mise en page dans laquelle texte et illustration s'interpénètrent, l'édition l'est aussi par la technique de phototypogravure mise au point par Charles Gillot, et employée ici pour la première fois. Cette technique photographique (gillotage) permettait l'impression des gravures en couleurs et du texte en même temps. La complexité de la conception du livre, qui voulait que les pages soient toutes imprimées dans des couleurs différentes, nécessita plus de 900 planches. Célébré à sa parution pour son esthétique, sa mise en page et son procédé industriel,

Les Quatre fils Aymon de Grasset fut classé parmi les plus beaux livres du siècle par le critique, éditeur et bibliophile Octave Uzanne et immédiatement adopté par les bibliophiles. Nombre d'exemplaires de luxe furent alors confiés aux deux grands maîtres relieurs de l'époque, Charles Meunier et Marius Michel, qui rivalisèrent d'imagination pour créer des reliures utilisant la technique du cuir incisé, laquelle, issue du XVe siècle, leur sembla particulièrement convenir à cet ouvrage célébrant le Moyen Âge. On peut citer aussi à ce propos l'étonnante reliure de Marius Michel ornée d'une plaque en étain repoussé, qui reproduit la composition de Grasset pour la couverture du livre, commandée par Henri Beraldi (IV, 1935, n°88) pour son exemplaire; celui-ci réapparut dans la bibliothèque Henri M. Petiet (IV, 1993, n°67). Tirage à grand nombre d'exemplaires sur papier ordinaire, munis le plus souvent d'un cartonnage d'éditeur illustré (tirage qui fut en grande partie détruit) et à 200 exemplaires de luxe, sur chine et sur japon. Celui-ci est un des 100 exemplaires sur japon (n° 7). Prestigieux exemplaire du grand bijoutier Henri Vever, orné d'une merveilleuse plaque d'or à émaux cloisonnés, exécutée dans ses ateliers par le maître émailleur Étienne Tourrette, d'après une aquarelle d'Eugène Grasset. Des bibliothèques Henri Vever et Henri Bonnasse (1980, n° 35). Premier exemple de collaboration entre Vever et Grasset, cette plaque de grand format (230 x 166 mm), signée Vever et portant les monogrammes d'Étienne Tourrette et d'Eugène Grasset, chef-d'oeuvre de l'émaillerie française de la fin du siècle, fut réalisée de 1892 à 1894 et présentée à l'Exposition du Champ-de-Mars en 1894 et à l'Exposition universelle de 1900. Elle est digne de tous les superlatifs. Elle est reproduite en couleurs dans Art et Décoration de janvier 1903, dans un article consacré à Grasset.

L'EXEMPLAIRE VEVER DES QUATRE FILS AYMON né de la rencontre de quatre personnalités qui marqueront l'histoire de l'Art nouveau. Henri VEVER (1854-1942), joaillier, directeur avec son frère Paul de la maison créée par leur père et devenue l'un des phares de la rue de la Paix. Bibliophile et grand collectionneur de tableaux, il participa dès 1892 aux dîners des Amis de l'art japonais de Siegfried Bing. Et c'est à partir de la vente, à la galerie Petit, de sa collection de peintures modernes et impressionnistes en 1897 qu'il se consacra pleinement à sa passion pour l'art japonais dont la vogue battait alors son plein. Praticien et marchand, Henri Vever fut aussi l'auteur de l'ouvrage de référence: La Bijouterie française au XIXe siècle, 1906-1908, 3 volumes in-4. En 1924, il fera don au musée des Arts décoratifs de sa collection, plus de 350 bijoux français du XIXe siècle, dont une soixantaine provenant de la maison Vever.

Charles GILLOT (1853-1903), imprimeur et graveur-lithographe. Perfectionnant une invention de son père Firmin Gillot, il mit au point en 1876 le procédé de photogravure connu sous le nom de «gillotage» dont il déposa le brevet en 1877. Grand admirateur d'Eugène Grasset, il lui confia l'ameublement et la décoration d'une partie de son hôtel particulier dans les années 1880. C'est lui qui présenta Grasset à Vever dont il était l'ami et le guide pour ses acquisitions d'objets d'art japonais. Lui-même collectionneur, Charles Gillot avait surtout réuni un ensemble d'art japonais qui faisait l'admiration des connaisseurs, notamment celle d'Edmond de Goncourt: [la] collection japonaise la plus parfaite, la plus raffinée [...], c'est la collection de Gillot. Offerte pour partie au musée du Louvre, elle enrichit aujourd'hui le musée Guimet. Le reste de ses collections fut dispersé aux enchères en 1904, l'expert de la vente en était Siegfried Bing.

Eugène GRASSET (1845-1917), décorateur et illustrateur, son style particulier allait marquer le Livre et l'Affiche. L'Histoire des quatre fils Aymon est sa première illustration importante. Sa rencontre avec Henri Vever s'avéra déterminante, ce dernier appréciant son vaste répertoire iconographique et ses compositions fortement influencées par l'art japonais. Il lui commanda la création d'une vingtaine de bijoux qui firent sensation à l'Exposition universelle de 1900, et restent aujourd'hui aussi fameux que ceux de René Lalique (1860-1945) qui créait depuis 1880 pour Vever des bijoux et des objets d'art. On rappellera à ce propos que l'un des alter ego de Vever rue de la Paix, Georges Fouquet, faisait lui appel au talent d'Alphonse Mucha. Une passion commune de l'art japonais unissait ces trois hommes. Sous la tutelle des deux marchands d'art Tadamasa Hayashi et Siegfried Bing (l'éditeur du Japon artistique), ils furent des collectionneurs passionnés d'objets d'art et d'estampes de la période Edo (1603-1868), particulièrement des oeuvres de Hokusai et Hiroshige. Ils se firent les hérauts du japonisme avec Philippe Burty (qui créa le mot en 1872), et, pour ne citer que les plus grands, Félix Bracquemond, les frères Goncourt, Théodore Duret et Claude Monet.

Étienne TOURRETTE (1858-1924), maître émailleur parmi les plus grands. Possédant toutes les nombreuses techniques de l'émail (cloisonné, translucide, basses tailles, peint), il réutilisa celle de l'émail dit de résille d'or, technique très ancienne qui consistait en l'inclusion de feuille d'or entre les couches de l'émail pour lui donner un scintillement particulier. Étienne Tourrette fut l'un des grands artistes qui permirent aux bijoux Art nouveau d'exister, ces fantastiques «bijoux de peintre» ainsi dénommés pour rappeler la technique de la pose de l'émail, appliqué couche par couche au pinceau. Paul Richet, professeur à l'École des Arts appliqués, dans son article Les Émailleurs modernes au XIXe et XXe siècle (Revue Céramique, verre, émaillerie, mai 1936), a rapporté l'histoire et les vicissitudes de la fabrication de la plaque d'or de Vever pour laquelle Tourrette employa plusieurs techniques de l'émail. En effet, après plus de deux années de travail, celle-ci faillit se détruire en raison de la dilatation du métal, contrariée par le cloisonnement. Sa présence devant nous aujourd'hui n'est due qu'à l'art et à la ténacité de l'émailleur. Les destins croisés de ces quatre personnalités aboutirent ainsi à la création de cette oeuvre unique, pièce de qualité muséale. On a relié dans le volume divers documents: - L'aquarelle originale de Grasset pour la plaque de la reliure, ainsi que diverses gravures et photos de cette plaque. (reproduite page 45) - L'aquarelle originale de Grasset de la page 79. - Le menu illustré du dîner offert par ses amis à Eugène Grasset à l'occasion de sa promotion au grade d'officier de la Légion d'Honneur. - Deux lettres autographes signées d'Eugène GRASSET à Henri VEVER, datées du 1er octobre 93 et du 26 mars 94, dont l'une contient cet éloge: C'est avec la plus grande admiration que j'ai constaté la miraculeuse exactitude avec laquelle mon aquarelle a été reproduite et dont vous avez su faire une véritable oeuvre d'art à l'épreuve des siècles. - Une carte autographe signée d'Henri Vever. - Le prospectus illustré.

On joint TROIS ESSAIS D'ÉMAIL: - Une plaque sur cuivre (77 x 57 mm), partie du décor de Grasset, Renaut de Montauban à cheval sur Bayard, sans la tête du cheval ni le pied du cavalier. - Deux plaques sur or à émail translucide (42 x 35 mm chacune), portant les titres Souvenirs et Heures.

Estimation : 200 000 / 250 000 euros

Résultat 196 420 € (frais compris)

Nous donnerons ici le résultat de l'enchère.

Etudes Binoche et Giquello.
Vente du 29 mars à Drouot, Paris.

dimanche 4 mars 2018

Dessin original d'Albert Robida offert à Octave Uzanne (illustration pour le Rabelais).


Dessin original signé Albert Robida avec dédicace "à mon ami Octave Uzanne"

Copie d'écran - Librairie Connaissances et Perspectives SARL.
Vu sur le site Livre Rare Book le 5 mars 2018


Notice du libraire :  Joint : L.a.s. A Robida, adressée à "Cher docteur" daté 29 mai (19)21. 1 page in-8° sur papier azuré. Il a terminé son travail sur "le volume Par le fer & par le feu... Je l'ai gardé un peu longtemps, je m'en excuse, mai le sujet le voulait". 

Référence : 2433



‎Cet ouvrage, "Par le fer et par le feu", est la première partie d'une oeuvre sur l'histoire de la Pologne, de Henryk Sienkiewicz l'un des deux cents livres qu'il a illustré. Albert Robida, né à Compiègne le 14 mai 1848 et mort à Neuilly-sur-Seine le 11 octobre 1926, est un illustrateur, caricaturiste, graveur, journaliste et romancier français. Il a partagé avec Octave Uzanne l'écriture de "La fin des livres".

En vente au prix de 1.200 euros.

samedi 3 mars 2018

Monsieur Nicolas de Restif de la Bretonne vu par Octave Uzanne (10 février 1884). "Monsieur Nicolas est un sujet hors ligne, un visionnaire comme on en voit peu, un exalté de satyriasis, un fou génial et délicieusement excentrique."

Couverture imprimée en vert
de l'édition Liseux de 1883
[A propos de Restif de la Bretonne et de ses œuvres, par Octave Uzanne.]

      C'est lamentable à proclamer, mais ce sont les meilleures et les plus curieuses tentatives de librairie qui échouent le plus souvent. Voici, par exemple, sur ma table un ouvrage sans égal en son genre, et digne de passionner une génération moins ahurie par la fièvre des jouissances hâtives que la nôtre. Je veux parler de Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé, mémoires intimes de ce Restif de la Bretonne dont tant de gens parlent au hasard et que si peu connaissent.
      Un éditeur qui est, à mon sentiment, l'honnête homme le plus désintéressé de l'heure actuelle, et qui eût reçu des témoignages publics d'estime à Sparte pour son érudition profonde et la philosophie de son existence ; un extravagant de sagesse qui aurait dû vivre au temps des Saumaise, des Beyle et des Ménage, M. Isidore Liseux a songé à réimprimer Monsieur Nicolas (1) sur l'édition unique et rarissime publiée par Restif même en 1796. Cet ouvrage original en 16 volumes se vendit dernièrement jusqu'à cinquante louis, mais sa cherté provenait d'autre source que de sa rareté. Restif dans ces volumes a écrit la confession la plus admirablement cynique que l'on puisse rêver ; c'est un Diogène bourguignon qui a roulé son tonneau dans tous les milieux du XVIIIe siècle et qui s'y montre le plus terrible vivant que l'on puisse concevoir. L'international aventurier Casanova disperse bien davantage l'intérêt dans ses mémoires que monsieur Nicolas, imprimeur-auteur, lequel fixe l'attention principale sur la vie parisienne d'il y a cent ans.
      On pouvait croire que la réimpression d'un tel ouvrage ferait un bruit immense dans le Landerneau, des bibliophiles, et même il était sensé de penser que le vulgum pecus enlèverait avec une passion furtive de collégien l'édition sur papier ordinaire à 3 fr. 5o le volume. Il n'est aucun de nous qui n'eût escompté ce succès ; l'édition est remarquablement imprimée, d'une correction rare aujourd'hui, où les correcteurs se recrutent on ne sait comment, et où les publications de luxe sont plus émaillées de coquilles qu'une plage bretonne. (- Cette revue, hélas ! n'en est pas plus exempte que les autres. - ) Des notes concises éclaircissent le texte, l'orthographe fantaisiste de Restif est remise sur le chemin académique ; rien n'y boite et la lecture y est attrayante au possible ; il était donc permis de croire à un succès considérable ; cependant l'éditeur ne constate qu'un froid succès d'estime. Ce fait est absolument typique, aucun journal n'a parlé de Monsieur Nicolas et cette inépuisable matière à chroniquer n'a tenté aucun chroniqueur. Les Illuminés n'offrent plus d'intérêt, parait-il, pour les écrivains philologues du jour : Gérard de Nerval n'a point laissé de successeurs.
      Quelle superbe étude il y aurait à écrire cependant au point de vue psychologique sur Restif raconté par lui-même ! Un admirateur du docteur Charcot y retrouverait une expression de la névropathie au XVIIIe siècle dans une intensité bien supérieure à celle de tous les cas décrits jusqu'alors, car Monsieur Nicolas est un sujet hors ligne, un visionnaire comme on en voit peu, un exalté de satyriasis, un fou génial et délicieusement excentrique.
      Sait-on que Restif lui-même a pressenti le sort réservé à ses Mémoires ? Au tome VI, p. 36oo de l'édition originale, il dit « Où trouvera-t-on le cœur humain aussi bien, aussi véritablement peint que dans cette histoire Ah ! l'abbé Delille avait raison ! c'est un chef- d'œuvre mais c'est la nature et non l'auteur qui l'a fait !... Je puis dire comme Ovide : Exegi monumentum, et ce monument étonnera quelque jour. »
      Certes, il étonne, il renverse même, ce prodigieux monument ! - A le regarder dans son ensemble et dans ses détails il semble impossible qu'un homme l'ait échafaudé de sa propre existence. En dépit des figures extraordinaires que le siècle dernier a pu fournir à notre admiration ou à notre surprise, il n'en est pas de plus curieuse, de plus complexe, de plus vivante ; il ne s'en trouve pas d'aussi largement humaine que celle de Restif de la Bretonne.
      Je serais heureux de voir M. Liseux publier, en appendice dans le quatorzième et dernier volume (qui ne paraîtra guère avant quelques mois), une suite de notes sur les singuliers et spirituels néologismes de Restif, sur le nombre de ses bâtards, et même nous fournir un index alphabétique de toutes les femmes et filles mentionnées dans ces confessions uniques.
      Pour ma part, j'ai relevé plus de cent néologismes et surtout cent trente-cinq bâtards, dont seize garçons, quatre-vingt-quinze filles et vingt-quatre enfants de sexe non indiqué. Si l'on faisait un calcul d'économiste ou de statisticien, on arriverait assurément presque à prouver que les descendances de Restif furent assez nombreuses pour former tout un bataillon du premier Empire.
  
       J'aurai à revenir sur l'auteur des Nuits de Paris, car il est de ceux qui ne se laissent point oublier et qui ont trop semé leur vie dans leurs œuvres pour qu'un de leurs lecteurs aussi fervents que je le suis ne les retrouve pas très fréquemment au cours de la sienne. (*)

(1) Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé, Mémoires intimes de Restif de la Bretonne. Paris, Isidore Liseux, 23, avenue d'Orléans. 14 volumes sur vélin à 3 fr. 5o. Sur papier Hollande, la collection 112 fr. Les dix premiers volumes sont en vente.

(*) Vieux airs, Jeunes paroles, chronique par Octave Uzanne, article extrait de la revue Le Livre, Bibliographie moderne, livraison du 10 février 1884, pp. 68-69.

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...