jeudi 30 avril 2015

Octave Uzanne et les Souvenirs du Capitaine Coignet (1851-1853). Souvenirs d'un jeune Auxerrois.


Sépulture du capitaine Coignet
Cimetière Saint-Amâtre à Auxerre
Photo B. H.-R., 2013
      Le petit article bio-bibliographique régionaliste qui suit sera repris et augmenté dans l'ouvrage que nous publierons très prochainement (parution dernier trimestre 2015) et intitulé : Octave Uzanne (1851-1931), enfant d’Auxerre, homme de lettres et bibliophile cosmopolite (*). Le titre indique assez bien ce dont il sera question.
      Lors de la vente d'une partie de ses livres en mars 1894, Octave Uzanne choisit de se séparer d'un exemplaire des Souvenirs de Jean-Roch Coignet sous le n°401 du catalogue et en profite pour établir une longue notice très intéressante qui donne quelques détails de son histoire personnelle mêlée à celle du célèbre grognard bourguignon. Voici cette notice dans son intégralité.

401. SOUVENIRS DE JEAN-ROCH COIGNET, soldat de la 96e demi-brigade, soldat et sous-officier du 1er régiment de grenadiers, etc., etc., premier chevalier de la Légion d'honneur, officier du même ordre. A Auxerre, chez Perriquet, imprimeur-libraire, et chez les libraires du département. 2 parties ou livraisons in-8 raisin, réunies en 1 volume avec leurs couvertures verte la première (de 177 pages) publiée en 1851. La seconde (de 247 pages, plus les pièces justificatives). Parue en 1853, cart. percaline blanche, avec pièce rouge et bleue symbolisant le drapeau français. Aigles aux angles.

Sépulture du capitaine Coignet
Cimetière Saint-Amâtre à Auxerre
Photo B. H.-R., 2013
ÉDITION ORIGINALE. de la plus grande rareté des fameux Cahiers du capitaine Coignet. - Elle est dédiée "aux vieux de la vieille !" et contient de très nombreux passages, presque des chapitres qui n'ont pas été publiés par Lorédan Larchey. - Cet exemplaire de toute fraîcheur et non rogné, relié sur brochure, contient en outre, comme pièces ajoutées :
1° Un reçu de 150 francs, AUTOGRAPHE signé par le VIEUX PÈRE COIGNET et donnant une idée de son orthographe primitive ;
2° Un extrait du procès-verbal de la conscription de 1806 à la préfecture de l'Yonne ;
3° 2 lettres des plus intéressantes écrites de la Grande Armée à des compatriotes d'Auxerre, par deux camarades de Coignet ; - l'une de ces lettres est décorée d'une vue de camp militaire, grossièrement enluminée, rouge et bleu, et qui est très suggestive avec son brave petit soldat, l'arme au bras ;
4° Des articles de journaux relatifs à Coignet et une PETITE AQUARELLE DE LOUIS MORIN.

Octave Uzanne poursuit sa notice par un commentaire des plus intéressants :

      Cette édition, écrit-il, en dehors même de sa rareté d'origine et de son aspect un peu fruste, avec son petit Napoléon endormi sur une chaise qui figure sur la seconde couverture, est remplie de pièces et documents, d'airs notés, de tableaux d'états de services et de notes justificatives intéressantes.
      Le père Coignet, que le Bibliophile [Octave Uzanne] vit étant tout enfant, vers 1860, à son débit de tabac d'Auxerre qui avait pour enseigne "Au Lancier Polonais", débitait lui-même ses mémoires, l'après-midi, dans les cafés de la localité. - Il arrivait chargé d'un ou de deux de ses exemplaires (l'édition était de 500) et entamait la conversation avec les consommateurs.
      A qui lui disait : il fait chaud ! le papa Coignet répondait insidieusement : "Pas si chaud qu'à Austerlitz, mon brave, c'est là que ça chauffait, nom d'un tonnerre, en 1805 !... Il me souvient que ce jour-là au réveil", ... - et le récit filait, filait éperdument, et de fil en aiguille, le vieux grognard, après d'interminables histoires conquérantes finissait par dire : "Tout ça, voyez-vous, c'est conté là dedans, dans mes deux volumes que j'ai imprimés de ma poche, mon bon "ami" ; vous pouvez, sacrebleu ! bien vous les offrir pour un gros écu, afin d'obliger un vieux soldat de la 96e demi-brigade."
      Si, un jour d'hiver, quelque passant entrait au café grelottant et s'écriait : Sacristi ! qu'il fait froid ! Coignet rispostait aussitôt : "Au passage de la Bérésina, mon cadet, j'aurais voulu vous y voir", - et après une nouvelle histoire, un autre exemplaire filait dans les poches de quelques commis voyageur passager dans la ville.
      C'est ainsi que fut colportée cette édition originale ; c'est également ce qui explique sa rareté ; car sur les 500 exemplaires distribués à des passants, la plupart furent perdus, égarés, lacérés, par des insoucieux de la littérature du vieux brave.
      Quand le père Coignet mourut - (tous les vieux Auxerrois s'en souviennent encore), - on trouva une clause de son testament déclarant que tous ceux qui suivraient son convoi devraient, après l'avoir inhumé dans la chapelle qu'il s'était fait construire de son vivant, se réunir en un banquet monstre "Aux Vendanges de Bourgogne", afin d'y boire à sa mémoire. Il laissait une forte somme affectée à la goinfrerie de ses amis posthumes.
      Le banquet eut lieu, au sortir des funérailles ; il fut pantagruélique et digne des peintres des antiques kermesses flamandes ; pendant deux jours et une nuit, plus de deux cents Auxerrois ne se dessaoulèrent pas, criant, - gueulant plutôt - à travers la ville ahurie : Vive le capitaine Coignet ! vive le vieux de la vieille ! et aussi : Vive l'Empereur !!!

Ce volume a été vendu 175 francs. Nous reviendrons sur le Capitaine Coignet dans un prochain article.


(*) Réécriture corrigée et augmentée de la conférence donnée à Auxerre le dimanche 15 septembre 2013 à 14 h 30, salle du siège de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1, rue Marie Noël. « Octave Uzanne (1851-1931) Enfant d’Auxerre, homme de lettres et bibliophile cosmopolite ». Ce volume d'une centaine de pages, richement illustré, sera publié sous les auspices de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne. Parution dernier trimestre 2015. 

mercredi 29 avril 2015

Les ouvrages d'Octave Uzanne très bien représentés au catalogue de la librairie Auguste Fontaine, Emile Rondeau sucesseur (mai 1897).



      La Librairie Auguste Fontaine fut une des plus importante librairie ancienne de Paris au XIXe siècle. Elle fut reprise en 1888 par Emile Rondeau qui continua l'activité jusqu'en 1899. L'histoire de cette librairie se poursuit jusqu'à nos jours, avec toutes les mutations inévitables dues aux changements économiques et conjoncturels.
      C'est un catalogue de la libraire Emile Rondeau daté de mai 1897 (n°36) qui va nous intéresser ici. C'est un bulletin in-8 de plus de 230 pages contenant environ 1.300 livres anciens et modernes. La librairie installée alors encore au 35, passage des Panoramas propose un vaste choix de beaux livres en tous genres et à tous les prix allant de quelques dizaines de francs à plusieurs centaines de francs pour les plus rares. Bien évidemment tous les auteurs anciens classiques et modernes sont représentés, le plus souvent malgré tout en édition modernes (XIXe s.). Ainsi nous comptons dans ce bulletin 11 éditions de Voltaire, 13 éditions de Molière et 22 éditions de La Fontaine, la plupart précieuses. Mais ce qui n'a pas manqué de nous interpeller, c'est le nombre d'ouvrages d'Octave Uzanne présentés dans ce même catalogue : 25 ouvrages ! C'est plus que le nombre d'éditions de La Fontaine ! C'est plus que Voltaire et Molière réunis ! L'importance de ce nombre d'ouvrages d'Octave Uzanne proposés à la clientèle de la librairie Fontaine-Rondeau montre bien l'importance et l'omniprésence qu'il pouvait avoir à cette date au sein du marché du beau livre moderne contemporain. Nous ne comptons pas d'ailleurs dans ces 25 ouvrages une série complète de la revue Le Livre (225 francs), Le Livre moderne, L'Art et l'Idée (200 francs) et un exemplaire broché de l'Abbesse de Castro (350 francs) publié par Uzanne pour les Bibliophiles contemporains en 1890.
      Voici la liste des ouvrages d'Octave Uzanne présentés dans ce bulletin aux numéros 7.131 à 7.155 :

- 7.131. Son Altesse la femme, 1885. Exemplaire du tirage à petit nombre, broché, dans son emboîtage spécial en cuir japonais (35 franc).
- 7.132. Son Altesse la femme, 1885. Exemplaire du tirage à petit nombre. Reliure neuve de Champs demi-maroquin à coins, dos mosaïqué (50 francs).
- 7.133. La Femme à Paris. Nos contemporaines, 1894. Exemplaire du tirage à petit nombre, broché, dans son emboîtage de soie avec broderies (45 francs).
- 7.134. La Femme à Paris. Nos contemporaines, 1894. Exemplaire du tirage à petit nombre. Reliure neuve de Durvand demi-maroquin à coins (70 francs).
- 7.135. La Femme à Paris. Nos contemporaines, 1894. Un des 110 exemplaires sur Japon. Reliure neuve de Charles Meunier, plein maroquin lavallière, avec dos et plats décorés d'ornements et de fleurs en or et mosaïque de maroquin de différentes couleurs, doublé d'étoffe (650 francs).
- 7.136. L'Ecole des Faunes. Contes de la Vingtième année, 1896. Exemplaire sur vélin d'Ecosse (un des 660 ex.). Broché (30 francs).
- 7.137. L’Éventail, 1882. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier de Hollande, broché, avec l'emboîtage en satin bleu clair (90 francs).
- 7.138. La Française du siècle, 1886. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier des Vosges, broché, avec son emboîtage spécial en cuir japonais (35 francs).
- 7.139. La Française du siècle, 1886. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier des Vosges. Reliure neuve de Champs, demi-maroquin à coins (50 francs).
- 7.140. La Française du siècle, 1886. Un des 100 exemplaires sur grand papier du Japon, avec une aquarelle originale de H. Jourdain. Reliure neuve de Charles Meunier, demi-maroquin à coins, dos mosaïqué (200 francs).
- 7.141. La Femme et la mode, 1892. Exemplaire du tirage à petit nombre sur vélin glacé. Reliure de Durvand, demi-maroquin à coins (30 francs).
- 7.142. Le Miroir du Monde, 1888. Exemplaire sur papier vélin de Hollande (2.000 ex.), broché, dans son emboîtage spécial en cuir japonais (35 francs).
- 7.143. Le Miroir du Monde, 1888. Un des 100 exemplaires sur grand papier du Japon, broché, dans son emboîtage spécial en cuir japonais (125 francs).
- 7.144. La Nouvelle Bibliopolis, 1897. Un des 500 exemplaires sur papier vélin, broché (25 francs).
- 7.145. La Nouvelle Bibliopolis, 1897. Un des 100 exemplaires sur Japon, broché (60 francs).
- 7.146. L'Ombrelle, 1883. Exemplaire du tirage à petit nombre sur vélin de Hollande. Reliure neuve de Allô demi-maroquin à coins, dos mosaïqué. Exemplaire avec la suite des compositions de Paul Avril tirage sur Japon avant l'impression du texte, avec l'emboîtage de satin rose (150 francs).
- 7.147. Le Paroissien du Célibataire, 1890. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier vergé des Vosges (1.000 ex.). Reliure neuve de Petrus Ruban, demi-maroquin, dos mosaïqué (35 francs).
- 7.148. Le Paroissien du Célibataire, 1890. Un des 30 exemplaires sur papier Japon, cartonnage artistique de Carayon, dos orné d'un sujet peint à l'aquarelle (150 francs).
- 7.149. Bouquinistes et Bouquineurs, 1893. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier vélin (numéroté). Reliure neuve demi-maroquin de David. Portrait d'Octave Uzanne en épreuve avant la lettre sur Japon ajouté (40 francs).
- 7.150. Bouquinistes et Bouquineurs, 1893. Un des 75 exemplaires sur papier Japon, cartonnage bradel demi-veau à coins de Carayon, sujet peint à l'aquarelle au dos (100 francs).
- 7.151. Bouquinistes et Bouquineurs, 1893. Un des 20 exemplaires sur papier de Chine. Reliure en vélin blanc de Durvand décoré de 3 aquarelles (dos et plats) de Pierre Vidal. Couverture d'Emile Mas refusée ajoutée (150 francs).
- 7.152. La Reliure moderne, 1887. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier vélin. Reliure demi-maroquin de Petrus Ruban (30 francs).
- 7.153. Contes pour les Bibliophiles, 1895. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier vélin, broché (25 francs).
- 7.154. Contes pour les Bibliophiles, 1895. Exemplaire du tirage à petit nombre sur papier vélin. Reliure neuve demi-maroquin à coins, dos mosaïqué, de Victor Champs (40 francs).
- 7.155. Contes pour les Bibliophiles, 1895. Un des 30 exemplaires sur papier Japon. Reliure maroquin rouge de Durvand. Exemplaire avec la planche Les Fricatrices (200 francs).

      Cet ensemble représente un total de 25 ouvrages pour un montant total au prix catalogue de 2.450 francs. A titre de comparaison, dans le même catalogue, voici quelques prix de livres classiques proposés :

- 6.568. La Fontaine, Fables choisies, 1765-1775, 6 vol.in-8, maroquin rouge ancien, bel exemplaire (450 francs).
- 7.231. Zola, Une page d'amour, 1878, in-12, édition originale, un des 100 exemplaires sur Hollande, reliure demi-maroquin à coins (50 francs).
- 7.198. Voltaire, Oeuvres complètes, édition de Kehl, 70 vol., reliure maroquin vert, exemplaire sur papier vélin (1.250 francs).

      Il est difficile d'établir un parallèle entre les ouvrages d'Octave Uzanne et quelques classiques présents au même catalogue. Ce que l'on peut dire cependant, c'est qu'en mai 1897 les ouvrages publiés par Octave Uzanne sont cotés et même le plus souvent bien cotés, notamment lorsqu'ils sont habillés par de grands relieurs tels que Charles Meunier. Les grands papiers sont valorisés au plus du double ou triple des exemplaires ordinaires, ce qui semble la norme quelque soit l'auteur.
      On notera cependant l'absence dans ce catalogue des ouvrages primitifs d'Octave Uzanne, à savoir Les Caprices d'un Bibliophile (1878), Le Calendrier de Vénus, Les Surprises du Coeur et Le Bric-à-Brac de l'amour.
      Il nous faudrait comparer cette liste avec celle que l'on pourrait établir à partir d'autres catalogues de la même librairie dans les années qui suivirent ou qui précédèrent mai 1897. Si vous possédez des catalogues de cette librairie, nous serons heureux de faire cette analyse avec vous.


Bertrand Hugonnard-Roche


mardi 28 avril 2015

Lettre à Joseph Uzanne (1909) "je me sens si reposé, si heureux et paisible !"

Voici un fragment de lettre (*) non daté (mais Uzanne indique la mort récente de Godebski - 25 novembre 1909), non situé (depuis un hôtel où Octave Uzanne est en villégiature). Il écrit à son frère Joseph :

"[...] Ces notes écrites en simple bonjour, avant de sortir par un temps indiciblement beau – ma table est toute en or solaire et mes mains sont baignées de chaude lumière – je me sens si reposé, si heureux et paisible ! Si dépourvu de soucis, si dépris de ces horribles nécessités de vivre à Paris que j’apprécie chaque jour les bienfaits de ma nouvelle vie depuis deux ans et la claire vision que j’ai aujourd’hui des choses, des besoins réels, du peu qu’il faut pour vivre heureux."


Octave Uzanne

(*) Archives de l'Yonne, fonds Y. Christ, Auxerre) 


Dîner du 26 novembre 1892 des Bibliophiles contemporains chez Marguery. Menu gravé par Albert Robida.



Coll. B. H.-R., acquisition avril 2015


      Voici un ephemera de la plus grande rareté. Rareté ne rimant finalement que bien rarement avec "Recherché", ce fut une acquisition pour quelques dizaines d'euros seulement. J'ai le plaisir de vous la présenter.
      Il s'agit du menu pour le dîner du 26 novembre 1892 pour les Bibliophiles contemporains, académiciens des beaux livres, pantagruéliquement réunis, comme l'indique le texte gravé. Octave Uzanne Président-Fondateur rassembl, pour l'occasion, les membres de cette société de bibliophiles, au premier étage du Restaurant Marguery.
      C'est à Albert Robida qu'est revenu l'honneur d'illustrer à l'eau-forte et à la pointe sèche ce superbe menu mesurant 24 x 19,5 cm. L'eau-forte de façade représente Gargantua attablé dans la cuisine d'une auberge. Il a le couteau à la main et le regard tourné vers l'immense cheminée devant laquelle s'activent des mitrons. Dans la cheminée se trouve un énorme chaudron duquel débordent des livres et manuscrits. La cuisson des livres (fabrication quasi alchimique des beaux livres) est en cours. Sur le manteau de la cheminée on peut lire ces mots : Pour ce que lire est le propre de l'homme. Au dessus les lettres BC pour Bibliophiles Contemporains. La gravure est signée en haut à gauche : A. Robida, ymaigier du Restaurant Bibliophagique.
      Le ton est donné : ce repas sera Rabelaisien ! Ouvrons ce menu tiré sur beau papier Japon ancien.


 

      Bisque - Printanier Beurre - Crevettes, Harengs marinés - Olives Truite de rivière au bleu, sauve hollandaise Râbles de chevreuil sauce chasseur Suprêmes de canetons à la périgourdine Perdreaux et faisans entourés de cailles Salade russe et écrevisses à la vosgienne Biscuit glacé Gaufres Fromages et fruits Bordeaux-Médocs en carafes - Graves vieux Saint-Julien supérieur - Volnay-Hospice 1881 Champagne Montebello frappé Café et liqueurs. Beau programme hyper-gastrique en vue !
      L'Annuaire ou Annales littéraires et administratives des Bibliophiles contemporains pour l'année 1892 nous donne quelques précisions concernant ce menu : M. Robida, l'auteur de ce dessin, est-il écrit dans le procès-verbal, l'ayant gravé directement sur la planche, a bien voulu en promettre un autre, rappelant celui du menu ; en conséquence M. le Président a mis en adjudication le dessin promis par l'artiste. Plusieurs enchères ont été portées, dont la dernière, par M. Mariani, en a élevé le prix à 90 francs, moyennant lequel celui-ci en a été déclaré adjudicataire.
      Ce dîner au premier étage du Restaurant Marguery regroupait, selon la même source, 28 convives (sur un total de 156 sociétaires à ce moment précis). Il y a avait bien évidemment le Président-Fondanteur Octave Uzanne, mais également M. de Boissy (nommé Président du bureau provisoire pour l'occasion), MM.Giraudeau et le vicomte de Lacroix-Laval (nommés assesseurs), M. Piat comme secrétaire. Le Toqué, Charles Cousin, Vice-Président, est présent et prend la présidence de la séance à l'issue du dîner, sur demande du Président Octave Uzanne. Ce soir là MM. P. Brenot (Paris) et M. Antoine Vautier (Maubeuge) sont admis à l'unanimité membres de cette société d'amateurs de beaux livres. Les autres présents au dîner et à l'assemblée qui s'ensuit sont : M. Paul Soufflot, M. Angelo Mariani, M. Tual, M. Ashbee, M. Jules Brivois. Les autres convives ne sont pas cités dans le procès-verbal.
      Nous avons eu la chance de trouver un exemplaire du menu du dîner du 28 mai 1892 gravé par Rodolphe Piguet.
      Cet article est également l'occasion de lire ou relire ceux consacrés à Marguery et à son restaurant renommé du Boulevard Bonne-Nouvelle.

Bertrand Hugonnard-Roche

vendredi 24 avril 2015

Près de 90 précommandes déjà reçues au 25 avril ! Réimpression à 200 exemplaires du Dictionnaire Bibliophilosophique, typologique, iconophilesque, bibliopégique et bibliotechnique à l’usage des Bibliognostes, des Bibliomanes et des Bibliophilistins, par Octave Uzanne, polybibliographe et philologue.


Près de 90 précommandes déjà reçues au 25 avril 2015

L'impression du volume sera lancée
dès les premiers jours du mois de mai,
hâtez-vous de commander votre exemplaire !

 
Nous remercions chaleureusement les premiers
souscripteurs qui permettent à cette entreprise
de voir le jour.

Bertrand Hugonnard-Roche


Cliquez sur une des trois images pour télécharger
le bulletin de pré-commande !





ISBN 978-2-9547892-1-7

En souvenir de Marguery, nécrologie du restaurateur parisien par Octave Uzanne (1er mai 1910, Dépêche de Toulouse).


      Pour faire suite à Paris à tabler : le Restaurant du Gymnase (Restaurant Marguery) voici une dernière évocation par Octave Uzanne du chef cuisinier grand entrepreneur es gloutonnerie Nicolas Marguery. Octave Uzanne publie sous le pseudonyme de Un Kodakiste, dans la Dépêche de Toulouse du 1er mai 1910, un dernier article intitulé En souvenir de Marguery. Cet article fait partie d'une petite série d'articles publiés au printemps 1910 sous ce pseudonyme photographique Un Kodakiste.
      Nicolas Marguery vient de mourir (27 avril). Octave Uzanne recycle en partie son article du Monde Moderne du 1er octobre 1896. Voici cette courte nécrologie :


Au FIL
des JOURS
____

EN SOUVENIR DE MARGUERY


     
Nicolas Marguery (1834-1910)
Nicolas Marguery, le fondateur du Restaurant du Gymnase, que la mort vient de nous ravir, fut mieux qu'un grand traiteur de la capitale des gourmets, ce fut le surintendant du Ventre de Paris, le président-tribun du Comité de l'Alimentation parisienne et le chef de l'Union syndicale et mutuelle des restaurants et limonadiers de la Seine. Ce fut surtout, après Brébant, Véfour, Bignon, Vachette et Magny, une populaire figure de Paris, je dirai même une figure mondiale, car on doit reconnaître que les étrangers qui sont venus à Paris et y ont goûté aux menus de nos maîtres cuisiniers, conservent précieusement la mémoire de ceux qui les firent savamment dîner. A ce titre, la réputation de Marguery était universelle : on parlait de lui aussi bien à Vienne qu'à Londres, à New-York qu'à Buenos-Ayres.
      A Paris, il était pour ainsi dire le traiteur familier de tous les Labadens qui tenaient chez lui leurs agapes annuelles, et aussi des sociétés littéraires, confraternelles, scientifiques et provinciales, qui se réunissaient successivement, chaque mois, dans les sous-sols ou les étages élevés de cette entreprise sans rivale de banquets excellemment servis. A l'heure des discours, qui de nous n'a vu la bonne figure de vieux ténor du père Marguery apparaître à la porte, l’œil curieux et amusé, le sourire aux lèvres, envoyant, d'un geste imperceptible, son salut prequ'à chaque convive alternativement. Il était légendaire et il nous semblait qu'il ne dût jamais disparaître, tellement nous nous étions accoutumés à voir ce vétéran un peu voûté, toujours en habit, la serviette blanche sur le bras, qui, grisé par l'odeur de ses fourneaux, olfactivement nourri par l'atmosphère de ses rôtis, de ses coulis et de ses "roux", ne dînait, ni ne déjeunait jamais, oubliant d'avoir faim, ayant perdu le sens du besoin de s'alimenter, lui, le chef de l'alimentation. L'Officier de la Légion d'honneur, ce restaurateur distingué, qui avait conservé la coupe de cheveux et de barbe des hommes du second Empire, ne portait pas les insignes de sa décoration, insinuant qu'humble maître-queue, en relation avec des clients de haut mérite intellectuel, il devait faire montre de modestie et ne pas d'autre part exposer sa rosette dans un conflit possible avec quelque dîneur mécontent ou mal élevé.
      Issu d'une famille de cultivateurs bourguignons, Nicolas Marguery fut l'enfant de ses œuvres. Il débuta dans la carrière de rôtisseur comme simple marmiton, ainsi que naguère le florentin Jean-Baptiste Lulli, non pas chez quelque princesse émule de Mlle de Montpensier, susceptible de favoriser son élévation, mais simplement au Rocher de Cancale. Vers 1852, ce restaurant fameux était alors situé à Bercy. De là, Marguery émigra chez Champeaux, place de la Bourse, comme aide-garde marger. Beau garçon, tempérament de séducteur, il épousa la fille de la maison, dont il prit la direction vers 1858. Ce fut en 1861 - il y aura bientôt 60 ans - qu'ayant acquis l'établissement Lecomte, sur le boulevard Bonne-Nouvelle, Marguery fonda ce restaurant du Gymnase qui fait partie aujourd'hui de ces grandes boîtes d'alimentation dont le vicomte d'Avenel a exposé les rouages dans son Mécanisme de la vie moderne et où il est démontré que la nation dépense pour se nourrir quatre fois davantage que pour se vêtir et meubler.
      Marguery fut en quelque sorte, avec Duval le père, le Chauchard des grandes entreprises culinaires pour une moyenne de gourmands plutôt supérieur. S'est-il enrichi ? Cela est fort douteux. Il est mort fidèle à son établissement et à ses caves, où il s'efforçait de faire le trust des meilleures crus de Bourgogne, il n'aurait su vivre hors de sa profession.
      Parmi ceux qui accourent en foule chez les restaurateurs, écrivait Brillat Savarin, bien peu se doutent que celui qui créa le Restaurant ait été un homme de génie et un observateur profond ; - les salon des restaurateurs est l'Eden des gourmands."
      Marguery, pour qui tant de Parisiens de France conservent la mémoire et la reconnaissance de l'estomac, valait bien le médiocre instantané que voici qui, certes, gagnerait à être développé à loisir.
      Carème, Grimaud de La Reynière ou le Baron Brisse, n'eussent pas manqué d'honorer Marguery, mais le journalisme est impérieusement bref et commande la sobriété.

UN KODAKISTE [Octave Uzanne]
Dépêche de Toulouse, 1er mai 1910

mercredi 22 avril 2015

Le Monde Moderne (août 1897), bibliographie : Voyage autour de sa Chambre, par Octave Uzanne.



Extrait d'une lettre du graveur Paul Chenay (1818-1906) adressée à Jean Aicard (1848-1921) : "J'ai lu l'article d'Uzanne qui est un fin et érudit lettré et qui est avare d'éloges qui fait le votre, moins chaleureusement que je l'aurais voulu mais sincèrement, ainsi que celui de l'artiste votre protégé et votre ami."



"J'ai lu l'article d'Uzanne qui est un fin et érudit lettré et qui est avare d'éloges qui fait le votre, moins chaleureusement que je l'aurais voulu mais sincèrement, ainsi que celui de l'artiste votre protégé et votre ami." (*)

Paul chenay, Lyon le 29 octobre 1902

 
(*) Lot 860. Lettre de 3 pp. in-8 en vente publique chez Ferraton à Bruxelles (Belgique) le 9 mai 2015.

Paris à table : le restaurant du Gymnase (Restaurant Marguery), article publié par Octave Uzanne (sous le pseudonyme de Gérard D'Orgy) dans le Monde Moderne (livraison du 1er octobre 1896).



PARIS A TABLE
_____________

LE RESTAURANT DU GYMNASE


      Paris, a écrit je ne sais quel physiologiste, est, en fait de cuisine, la ville à la fois la plus splendide et la plus pauvre, la plus intelligente et la plus pauvre, la plus intelligente et la plus encroûtée du monde. On y trouve tous les contrastes, toutes les grandeurs, toutes les misères de la table ; sans cesse et partout la roche Tarpéienne à côté du Capitole, Lucullus à côté de Cornaro, la Maison d'or à côté d'un empoisonneur à bas prix, Joseph à côté de Duval.
      Cependant, parmi toutes les villes du monde, Paris a su rester la reine de la table, et quiconque a voyagé, ou plutôt Globe-trotté avec observation, a pu remarquer que les étrangers qui sont venus en France ont conservé le souvenir de notre cuisine et qu'ils font montre avec emphase de la reconnaissance de leur estomac.
      Allez à Londres, à Berlin, à Pétersbourg, à New-York, au Caire ou à Batavia, partout vous rencontrerez des hommes encore allumés par la seule évocation de leurs bombances parisiennes ; vous les verrez souriants, se passant savoureusement la langue sur les lèvres, vous accueillir avec une sympathique admiration comme le représentant du grand peuple de la gourmandise.
      S'ils vous convient à leur table pour vous offrir quelques repas plus chargé de mets et de vins rares qu'il ne conviendrait, vous les entendrez s'excuser humblement et sans ironie de vous traiter si mal, vous les sentirez vraiment anxieux de votre critique, torturés par la peur de vous faire médiocrement dîner, et si votre palais est flatté par des plats locaux souvent exquis, si vous dégustez des vins du pays que vous déclarez incomparables, si sincèrement vous éprouvez cette délicieuse détente que procure une nourriture délicate et sapide arrosée de crus magnifiques, vous n'arriverez que très malaisément à les convaincre de votre joyeuse satisfaction.
      A leurs yeux, un Parisien parisiennant apparaît comme un maître difficile à l'excès sur toutes choses culinaires, et ils jugent son hypergheustie beaucoup plus développée qu'elle ne l'est généralement.
      

      C'est avec dévotion et recueillement, dans une sorte de communion du souvenir qu'ils rappellent les noms des cabarets célèbres où ils ont étudié la physiologie du goût ; ils citent non pas le Café anglais, dont on ne parle plus que dans les vaudevilles à cocottes, mais des établissements plus excentriques : la Tour d'argent, Maire, Marguery, Lapeyrouse, Lavenue, le Père Lathuile, et leurs lèvres épellent lentement ces enseignes, tandis que du bout des doigts ramenés à la bouche ils envoient un vague baiser en l'air, sans direction précise, et qui dit bien toute l'exquisité qu'ils attachent à ces lointaines réminiscences.
      J'avoue pour ma part, - sans doute par goût blasé sur les plaisirs des cabarets à la mode, - que je me suis souvent demandé au sortir de dîners ou de soupers vraiment supérieurs, en des clubs raffinés ou en des maisons recherchées, si l'enthousiasme des étrangers pour notre cuisine de restaurants n'était pas quelque peu excessif et dithyrambique, non pas que je songe à méconnaître l’incontestable supériorité de nos chefs et de nos cordons bleus, mais surtout par cette raison que, en réalité, un diner de restaurant, quel qu'il soit, ne saurait, à mon avis, vraiment atteindre au sublime lyrisme.
      Le cabaret, pour nous autres Français, n'est jamais que l'interrègne du pot-au-feu domestique ; il nous sort du home, nous permet de savourer ces "fameux plats qu'on ne saurait faire chez soi", phrase consacrée des ménagères en rupture de foyer ; mais il faut avouer que nous nous lassons vivement de notre assiduité à ces tables de fête ; nous envisageons sans tarder que le menu qui nous semblait si varié, si embarrassant le premier jour, est d'une navrante monotonie, et nous revenons à l'ordinaire du logis avec des complaisances et un appétit légitime, d'où cet aphorisme :
      "Le restaurant aiguise notre appétit, éveille nos besoins d'inconnu, notre désir de sensualités nouvelles, mais il n'y fait que passer ; c'est un révulsif nécessaire contre l'atonie de nos habitudes, dont l'usage trop souvent répété anesthésie plus souvent notre goût que la pire des popotes journalières."


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      Les étrangers, toutefois, ont raison : les restaurants parisiens se sont métamorphosés ; on ne saurait affirmer qu'ils aient dégénéré. Aujourd'hui comme naguère, peut-être vivent-ils avec trop d'incurie dans la tradition et la routine ; mais, tels qu'ils se présentent, ils restent encore les conservateurs d'une suprématie culinaire, et si l'on mange quelquefois délicieusement hors frontières, il faut ajouter que l'on dîne presque toujours aimablement à Paris.      Tour à tour on a vu disparaître les anciens restaurateurs célébrés par les épicuriens chansonniers du Caveau, Véry, les Frères Provençaux, Véfour, Brébant, Bignon, Vachette, Magny et Philippe, Bonvallet et Deffieux, puis tant d'autres dont la liste serait longue. C'est là une des lois de l'évolution générale. Chacun de ces noms correspond à une époque, à une littérature, je dirai presque à une race, sinon à une génération, et il n'y a pas davantage lieu de s'en étonner que d'avoir vu partir dans le lointain Pigault-Lebrun et Paul de Kock, Brillat-Savarin et Désaugiers, Monselet et le gros Dentu.
      Les gastronomes, gastrolâtres et gastrographes qui épuisèrent le filon d'enthousiasme des sensations gastriques et des voluptés bacchiques se sont tous éteints successivement et la librairie de la gourmandise ne compte plus guère d'écrivains zélés. Est-ce un mal ? Assurément non. L'objectif de notre sensualisme littéraire s'est orienté ailleurs, peut-être plus bas, j'en conviens, mais il ne faut pas trop âprement discuter son temps ; savoir y vivre, c'est l'apprécier ; nous sommes tous les instruments d'une époque dont il ne nous appartient pas de juger ni de jauger la valeur. Nous avons hérité de nos pères, trop bons vivants, d'estomacs susceptibles et voués aux régimes les plus variés ; la gastrodynie a tué la gastronomie, c'était fatal ; mais si nous écrivons moins sur l'art de manger, nous n'en mangeons pas moins encore avec art, goût et raffinement.
      Les anciens, ceux qui ont survécu au désastre du Palais-Royal et de ses fameux cafés de dilettantes de la table, nous parlent avec un sombre désespoir de la décadence culinaire :
      "Vous êtes jeunes, disent-ils, vous n'avez pas connu les beaux jours de la Rotonde, du Café d'Orléans, de Corazza, du grand Véfour et du Bœuf à la mode ... Ah ! mes amis, c'est là qu'on savait apprécier les choses de la sainte nutrition ! - on ne faisait pas un dieu de son ventre, si vous voulez, mais au moins le considérait-on comme un personnage respectable et respecté ; on savait concilier la poésie de l'âme et celle des sens, et les littérateurs de marque étaient alors tourmentés de l'ambition de laisser un nom invoqué à l'heure des repas ; les casseroles sonnaient sur leur airain la gloire et la réputation des physiologistes de la cuisine. Qu'avez-vous fait de tout cela ? - Quelle dégringolade, mes pauvres enfants ! où pouvez-vous, à l'heure actuelle, accomplir cette fonction difficile et savante qui s'appelle dîner ? - Chez qui espérez-vous rencontrer la distinction et la correction nécessaires à l'apprêt d'un repas, quand pour vous sonne l'heure du berger de l'estomac ? Citez un nom, un seul !... Vous n'avez plus de restaurateurs, mais des sophistiqueurs, des entrepreneurs de nourriture douteuse. - Ah ! que n'écrit-on un livre traitant de l'influence de la cuisine sur l'avenir et la civilisation des peuples ! il dirait tant de choses sur notre état de dépression, car, à une époque où l'on n'admet guère qu'un plat, si simple soit-il, et tout un monde de coulés, de gratinages et de réductions de sucs essentiels, il faut dire que la cuisine se meurt, que la cuisine est morte !"
      On en rencontre encore quelques-uns de ces vieux briscarts de l'armée des Gourmets, derniers disciples de Grimod de La Reynière, gens invoquant Carême, Apicius ; Domitien, le monarque au turbot ; Bouret, le fermier général ; le marquis de Cussy, Berchoux, Vatel, Rossini, Alexandre Dumas ou le baron Brisse ; mais ces gastronomes lettrés qui sont fiers de vous citer l'exemple de Crassus, qui porta le deuil d'une murène, se font de plus en plus rares ; heureusement, car ils sont hors de ce temps et nous fatiguent outre mesure par leurs récits alambiqués ; ce sont des ex-don Juan de la table, qui ne veulent pas admettre qu'après eux on puisse encore aimer la bonne chère qu'ils sont aujourd'hui impuissants à attaquer.
      Grâce au ciel, ces pessimistes détériorés par l'âge et les excès, irrémédiablement voués au régime de ce retour à l'enfance qu'on nomme le régime lacté, ne méritent aucune créance. La cuisine française n'est pas morte, on dîne toujours merveilleusement à Paris et en province ; Bordeaux, Toulouse et Marseille possèdent des cuisiniers sans rivaux, et nos restaurateurs de la rive droite et de la rive gauche savent encore trousser des repas dont les plus dégoûtés petits-fils de Cambacérès ou de Barras se pourlèchent savoureusement les entournures des lèvres.
      Il y a dans notre métropole une vingtaine de restaurants, cabarets, tavernes ou marchands de vin plus ou moins connus, qui savent fricoter amoureusement des suprêmes de volailles, confectionner des entre-côtes brevetées, des tournedos très conciliants, des cassoulets inoubliables, des garbures et des salmis émoustillants, des homards à l'américaine comme les Etats-Unis n'en connaîtront jamais, et des omelettes soufflées qui rappellent les ballets de Psyché et qui sont, comme disaient nos pères, les véritables pirouettes de la cuisine.
      Bien plus, les boutiques étriquées à lambris dorés, à entresols étouffants, qui constituaient les Dining rooms des restaurants d'autrefois, se modifient chaque jour au profit d'un confortable mieux en harmonie avec les besoins et les mœurs du jour ; les salles sont moins sombres, moins solitaires, moins recueillies peut-être ; elles n'ont plus ce relent d'égoïsme qui flottait dans l'air des anciennes gastronomières où de sincères mais monstrueux gourmets dégustaient seuls, à des tables isolées, avec méthode et componction, les mets spécialement étuvés à leur intention. Les restaurants contemporains sont des salons fleuris, joyeux, souvent peuplés de ces dîneurs en société qui estiment avec raison que la conversation enjouée, l'échange des demi-confidences, l'abandon de son soi au dessert sont les véritables charmes de ces aimables repas improvisés sur façon.
      Je parlerai, par exemple, au début de cette série d'études ou plutôt de monographies du Paris à table, - qui se pourra poursuivre par la suite, - du plus moderne d'entre tous les cabarets de Paris, du plus élégant, du mieux fréquenté par la bourgeoisie de ce temps, de ce Restaurant du Gymnase, où règne la maître Marguery, le Vercingétorix de la cuisine gallique, qui triomphe chaque jour de l'appétit d'un millier de Parisiens, et que l'on voit passer sur le rang des dîneurs, modeste dans la victoire, attentif aux besoins de chacun, colosse droit et solide, la serviette à la main, la tête haute, lançant à l'assaut des cuisines ses cohortes de garçons, et sachant veiller aux moindres détails de la distribution des vivres avec le souci et la sûreté de coup d’œil d'un véritable général en chef.


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      Le Restaurant du Gymnase ou Restaurant Marguery, - l'un et l'autre se dit ou se disent, - est devenu depuis quelques années comme l'Oasis du Boulevard Bonne-Nouvelle, non pas seulement qu'on y ravitaille et rafraîchisse savoureusement à des sources bourguignonnes, champenoises et bordelaises, mais aussi parce que l'entrée de cet Eden de la cuisine savante est masquée par une floraison de plantes exotiques qui mettent en joie tous les habitants du quartier, braves gens très sevrés de tout autre square ombreux, de toute promenade élyséenne.
      En passant devant cette luxuriante verdure, où les bambous aux longues tiges jaunes agitent leur joli feuillage menu au-dessus des palmiers, des lauriers en caisse et des plantes annuelles d'essences variées, on se demande d'où provient cet extraordinaire jardin d'hiver débordant sur la chaussée et au milieu duquel des pierrots parisiens viennent s'ébattre et piailler joyeusement, ainsi qu'en un bosquet d'Armide. Le soir aux lueurs du gaz et de l'électricité, l'aspect est fantastique, curieux, féerique, et n'était le bruit ambiant du Paris qui roule, on se croirait devant quelques palais florentin en fête ou auprès d'une villa princière de Nice ou de Corfou.
      Entrons.
      Sous un éclairage étincelant, - de six à neuf, - une foule assemblée en des salles consécutives répand un bourdonnement de gaieté, et, sur le chuchotement général, comme un chant dominant une orchestration, partent en fusées les trilles aigus des rires ... rires en mineur, rires en majeur, passant de la note grave au cri strident, de la voix de basse à la voix flûtée et gamine.
      Des convives simples, sans snobisme ni prétention, rien du style anglais qui comporte l'habit fleuri pour les hommes et le décolleté, la demi-peau, comme nous disons aujourd'hui, pour les femmes. Des amis de rencontre, des provinciaux en bonne fortune, des artistes de théâtres voisins, des familles s'entraînant par un bon repas aux délices du spectacle qui les attend, des hommes d'affaires élaborant de concert quelque "grosse machine" à sensation, des étrangers de tout pays, des journalistes, des boulevardiers, tous les représentants de ce fameux Tout-Paris, qu'il serait si plaisant d'analyser pour démontrer ce qu'il entre dans ce mot d'éléments hétérogènes et d'origines douteuses.
      La façade entière, y compris le péristyle du Gymnase, - lorsque l'illustre Théâtre de Madame fait relâche, - est occupée, tant au rez-de-chaussée qu'au premier par les habitués ; partout des tables, jusque sur le terre-plein du boulevard, parmi les arbustes et les réverbères. On dîne dans la serre, sous la colonnade et dans le foyer du théâtre, dans les nombreux salons du premier étage ; on dîne à l'entresol, dans la grotte établie en contre-bas, du côté de la rue Hauteville ; on dîne encore dans une grande salle des fêtes, dite salle gothique; il n'est point de coin qui n'ait ses dîneurs en cette maison à surprises, qui mériterait d'avoir sur son enseigne cette devise imaginée par Boulanger, le premier restaurateur parisien, vers 1765 : Venite ad me, omnes qui stomacho laboratis, et ego restaurabo vos.
      Il n'est certes pas de fricoteur français qui tienne plus grandes assises que Marguery ; il compte par centaines, soir et matin, ses convives, et ce qui surpasse, c'est qu'il puisse, pour un si grand nombre de bouches en appétence, raffiner pour chacune l'essence de ses coulis et servir avec un égal souci de l'exquis les tables amies ou les réunions d'inconnus.
      En parcourant cette taverne, qui est comme un résumé du "ventre de Paris", on éprouve bien la sensation inquiétante d'un cabaret de la décadence, avec cette foule élégante qui veut trouver place là où elle sait qu'il ne doit plus y en avoir, et qui s'entasse tout autant pour voir, pour se distraire, pour entendre, pour observer, que pour délicatement manger.
      Parfois, au cours de l'hiver, dans ce palais féerique "des Mille et une Bedaines", il se rencontre six, huit ou dix repas de corps ; sociétés amicales, politiques, industrielles, littéraires, judiciaires ou artistiques, qui emplissent les escaliers et couloirs par bandes de vingt, cinquante, cent ou deux cents convives, formant ainsi au total, sur l'ordinaire prévu, un excédent d'un demi-millier d'affamés à satisfaire. Tout ce monde est casé sans désordre, mobilisé en douceur vers les salons d'attente qui précèdent les salles de festin, et chacun se plaît à reconnaître l'ordonnance délicieuse des tables chargées de fleurs, éclatantes de lumières et de fins cristaux, ornées de menus dignes d'Apicius et servies avec une correction d'ambassade anglaise.
      Les Véry, les Véfour, les Méot, les Henneveu, les Riche, les Borel, les Hardy et autres fastueux restaurants d'autrefois n'auraient-ils point perdu la tête devant un tel assaut de dîneurs ? On peut le supposer. - Ici, on sent que le maître conserve la sienne pour avoir l’œil à tout et déployer ce don d'ubiquité qui fait les grands capitaines et les Vatel de ce temps. En tout lieu on le voit apparaître, inspectant le personnel d'un regard bienveillant, mais inexorable ; on l'entrevoit découpant ici des canetons rouennais, entaillant plus loin un cuissot de sanglier, préparant ailleurs les condiments d'une salade, s'informant partout avec discrétion de la qualité des mets servis, du bouquet des vins, habile à comprendre et à satisfaire les moindres desiderata. Aussi, à l'heure des toasts, recueille-t-il involontairement sa part de félicitations, alors même qu'il se dérobe timidement aux bravos des dîneurs maintenant communicatifs, émus, de cette émotion de bien-être qui monte au cerveau au moment du café et qui ramène l'homme aux sentiments de fraternité, d'abandon et d’espièglerie du premier âge.


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      Le fondateur de cet établissement pantagruélique, qui aujourd'hui préside le Comité de l'Alimentation parisienne ainsi que l'Union syndicale et mutuelle des Restaurants et Limonadiers de la Seine, est une figure sympathique à tous et devenue populaire en raison de la philanthropie généreuse qu'elle exprime. Marguery (**) a été fait chevalier de la Légion d'honneur il y a un an ou deux, et dans l'exercice de ses fonctions il montre autant de tact que de modestie en n'affichant pas son ruban rouge au revers de sa redingote. A une époque où la culture de la boutonnière est devenue épidémique, où chacun fait valoir des titres exceptionnels et travaille sans trêve le ministère régnant pour faire fleurir la sienne, on ne peut que s'incliner devant cet acte d'abdication momentanée d'un insigne laborieusement acquis.
      Le directeur du Restaurant du Gymnase est en effet le fils de ses oeuvres, le self made man, comme disent les Anglais. Issu d'une famille de cultivateurs bourguignons, il débuta très humblement dans la carrière de rôtisseur ; ainsi que le Florentin Jean-Baptiste Lulli, il fut marmiton, non pas chez quelque princesse émule de Mlle de Montpensier apte à lui ouvrir les portes du succès, mais au Rocher de Cancale, alors situé à Bercy, vers 1852. Au sortir de ce cabaret célèbre dans tous les flonflons du Caveau, il passa chez Champeaux comme aide garde-manger, et, s'élevant successivement à tous les grades, il devint Chef, et sut conquérir le coeur et la main de la fille de la maison, dont il prit la direction vers 1858.
      Ce fut seulement en 1861 qu'il acquit l'établissement Lecomte, sur le boulevard Bonne-Nouvelle, et qu'il fonda le Restaurant du Gymnase, alors simple petite boutique qui, après trente années de labeurs assidus, se développa dans les proportions colossales que l'on connaît.
      Il ne nous appartient pas de faire ici la biographie détaillée de cet industriel vigoureux et intelligent, car nos notes pourraient être taxées de réclame alors qu'elles ne sont écrites que sous la poussée d'une sympathie générale, dans le but d'exposer aux lecteurs de ce Magazine une monographie parisienne, dont les images, plus encore que le texte, plairont à tous ceux qui ont fréquenté cet endroit à la mode. Rien ne réjouit davantage le souvenir des hommes que la représentation de certains décors où les tracas de la vie, pour un instant, se sont lentement assoupis dans un demi-bonheur matériel.
      "Tiens, j'ai dîné là !" est une phrase souriante qui pourra trouver son écho dans bien des coins de France et de l'étranger, - C'est la raison dominante de cet article.


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      Ce que le public ne connaît guère, ce sont les dessous de ce théâtre où l'art culinaire donne ses représentations ininterrompues, et nous avons, à l'aide de quelques illustrations photographiques et de croquis sur nature, essayé d'éclairer un peu la coulisse et les praticables.
      Le personnel régulièrement engagé compte environ cent quarante personnes, soixante garçons de service, y compris les extras, trente cuisiniers, aides et plongeurs, trente garçons d'office, deux écaillères-fruitières, un fournier chargé des café, thé, chocolat, du pain, etc.. un grand chef sommelier ayant à son service six seconds, un mécanicien, distributeur de force motrice, des majordomes, chasseurs et divers manœuvriers.
      Aux cuisines, le chef général préside aux sauces et aux braisés ; il a sous ses ordres le chef rôtisseur, grand maître des grillades et des fritures, le chef entremetier, qui soigne particulièrement les potages, les légumes et les menues douceurs, soufflés, crèmes, gâteaux, sucreries variées, et le chef garde-manger dont le rôle consiste à diriger le froid, les viandes, volailles, pâtés, etc.
      L'établissement est supérieurement machiné, et les sous-sols, d'une propreté toute flamande, réservent bien des surprises aux visiteurs : c'est ainsi que l'on assiste au lavage mécanique des assiettes par un système circulaire ingénieux de crochets plongeurs qui immergent les faïences et les porcelaines de table en des piscines d'eau courante à température élevée ; les couteaux sont nettoyés sur un tour mû par transmission de vapeur. On voit également un broyeur d'écrevisses à vapeur qui met en appétit de bisques authentiques.
      La cuisine, avec ses immenses fourneaux, ses chaudières, sa population de blanc vêtue, le garde-manger, la glacière, la fruitière admirablement installée, mériteraient assurément une description que notre plume serait malhabile à tracer en quelques lignes et dont quelque Zola ferait un tableau fulgurant de couleur et diversement aromé.
      Mais que dire des caves, longues voûtes tapissées de crus célèbres, immense dédale de fioles rares, catacombes où reposent et s'affinent les essences de nos coteaux ? il y a là près de six cent mille bouteilles, de quoi mettre à quia la raison de toute une ville, et on compte de plus un nombre de barriques si considérable qu'il serait capable d’inonder le quartier. Il sort de ces caves pour la consommation quotidienne plus de quatre pièces de vin qui n'a jamais moins de deux mois de bouteille.
      Il serait intéressant d'établir une série de statistique pour montrer ce qui peut se dévorer par jour en un tel antre de Grandgousier en tant qu’œufs, kilogrammes de pain, litres de lait, bottes de légumes, douzaines de volailles et gibiers divers, tasses de café et verres de liqueurs. Cet innocent plaisir des chiffres, si cher aux Américains, ne nous est pas possible ; on est trop occupé à la maison pour fournir aux inquisiteurs du journalisme de tels documents précis, et nous ne devons pas insister.
      A l'entrée de caves, ainsi qu'un péristyle, se dresse une superbe crypte à colonnes de grès bleu qui fait grand honneur à l'ingénieux architecte du restaurant. On peut s'étonner que de vrais oenophiles n'aient pas encore demandé à y dîner en bruyante corporation : il y a là une fête inédite à méditer.
      D'ailleurs, puisque nous parlons d'architecture, il faut bien reconnaître, quand même certaines décorations seraient parfois, dans les diverses salles du Restaurant Marguery, d'un goût un peu fastueux, que l'ensemble des salons présente un luxe et un confortable qu'on trouverait difficilement même à Londres ou à New-York.
      Tout cela tirerait assurément plus de mérite de la simplicité et de la sobriété ornementale, mais il ne faut pas oublier que la masse du public veut de l'or, de la ronde bosse peinte, du néo-gothique, du simili-Renaissance, de la rocaille, des mosaïques criardes, des glaces à profusion, des faïences polychromes et des cuirs mordorés. Les artistes amis de plus de discrétion forment la minorité ; c'est pourquoi, dans la splendeur de son modernisme, à une époque où nous ne renouvelons pas suffisamment le luxe de nos palais de plaisance, le Restaurant Marguery fait autant d'honneur à Paris par le faste qu'il étale que par le goût exquis des mets qu'on y consomme.
      D'ailleurs, ainsi que le remarquait récemment Paul Bourget en ses notes d'outremer, l'endroit de plaisance de chaque pays a une valeur documentaire en ce sens qu'il répond à ce que l'indigène demande. Tout entrepreneur d'une maison meublée ou d'un restaurant est, à sa manière, un psychologue dont le talent consiste à capter son client en flattant ses goûts, - un simple cabaret, du moment qu'il réussit, ressemble à l'imagination de ceux qui fréquentent là, et qui s'y plaisent, puisqu'ils y fréquentent.
      Or, qui n'a fréquenté le Restaurant du Gymnase ? Qui n'a banqueté dans cette salle gothique assez grandiose en somme ? Qui n'a subi le charme à l'heure capiteuse du dessert, de ces dorures, de ces glaces, de tout cet éclat ambiant ? Tous ceux qui dînent ou ... aiment en ville n'ont-ils pas besoins de cette fanfare un peu criarde dans la décoration du Théâtre des Sens où se joue l'éternelle féerie des Sept Châteaux du diable ?


Gérard D'Orgy [Octave Uzanne]


(*) Article publié dans la revue dirigée par Albert Quantin : Le Monde Moderne (Volume IV - Juillet-Décembre 1896 - livraison d'octobre). Cet article est illustré de gravures d'après les aquarelles d'Al. Lemaistre. Octave Uzanne publie cet article sous le pseudonyme Gérard d'Orgy, pseudonyme déjà utilisé à plusieurs reprises pour signer d'autres articles de jeunesse, notamment. Ce pseudonyme s'explique assez facilement quand on sait que la maison familiale des Uzanne se situait hors les murs de la ville d'Auxerre (Yonne), au lieu dit La Villotte, à la sortie de la commune de Villefargeau, en direction d'un petit village ayant pour nom bien porté : Orgy. Octave Uzanne avait mis en scène dès 1880 ce double dans une série de lettres fictives (mais non moins inspirées) adressées par une certaine Suzette de Mirefleur à Gérard D'Orgy (Les Surprises du Coeur, 1881, pp.12 à 103). 

(**) Jean-Nicolas Marguery est né à Dijon le 18 mai 1834. Son père était jardinier selon son acte de naissance (jardinier-maraîcher selon d'autres sources - cultivateur d'après Octave Uzanne). Il est mort à Paris (à l'adresse de son restaurant) le 27 avril 1910 à l'âge de 76 ans. Si la biographie de cet éminent restaurateur parisien reste à écrire avec précision, de nombreux éléments se retrouvent ici ou là dans quelques articles. On peut lire avec fruit l'article publié dans Le Sommelier du 15 juin 1933 et intitulé : Les restaurants célèbres : Marguery. C'est au premier étage du Restaurant Marguery qu'Octave Uzanne donnait rendez-vous, notamment, aux membres de la société des Bibliophiles contemporains entre 1889 et 1895, et même sans doute après cette date, à quelques uns de ses amis bibliophiles, ou journalistes.

dimanche 19 avril 2015

Envoi autographe de Jean Richepin à Octave Uzanne sur Le Flibustier (1888).




Envoi autographe de Jean Richepin à Octave Uzanne sur :

LE FLIBUSTIER. Jean Richepin Comédie en 3 actes. Paris, Maurice Dreyfous, 1888 in-4, 24,5 x 17cm 104 pages Envoi de l'auteur à son ami Octave Uzanne. Reliure demi cuir, légèrement frottée mais solide. Couverture conservée, bon état. (notice du vendeur). Mise à prix : 39 euros.

Actualité : Belle aquarelle figurant un dragon à cheval du 27ème avec sa lance, dédicace de l’artiste Eugène CHAPERON (1857-1938), à Joseph UZANNE(1850-1937).


Photographie : copie d'écran Interenchères


Lot n°229. Belle aquarelle figurant un dragon à cheval du 27ème avec sa lance, dédicace de l’artiste Eugène CHAPERON (1857-1938), à Joseph UZANNE(1850-1937) publiciste, journaliste et critique d’art, frère d’Octave UZANNE. Dim.53 x 43cm encadré sous verre Dim. 61 x 51cm. Estimation : 150 euros. Vente MILITARIA Autographes Documents et Souvenirs Historiques Jeudi 23 avril à 14h00 à Caen. Maître Jean RIVOLA 13 route de Trouville 14000 Caen.


Photographie (détail) : copie d'écran Interenchères

vendredi 17 avril 2015

Portrait d'Octave Uzanne paru dans le Courrier Français du 30 octobre 1892.




      Ce portrait d'Octave Uzanne a été publié dans le Courrier Français du 30 octobre 1892. Octave Uzanne a 41 ans ou un peu moins si, comme l'on pense, cette photographie retouchée en gravure a été prise quelques mois plus tôt.
      Le visage est distinctement reconnaissable et provient d'un tirage photographique différent de celui que nous connaissons déjà et qui date d'une année plus tard (1893). Les épaules et le cou ont été retouchés à la pointe sèche avant que l'ensemble ne soit photogravé (zincographie vraisemblablement).
      Ce portrait vient illustrer un long article signé Georges Brandimbourg consacré à sa revue L'Art et l'Idée, article qui occupe sur trois colonnes les pages 5 et 6 du Courrier Français du 30 octobre 1892.
      Nous publierons cet article très prochainement.

Bertrand Hugonnard-Roche

mardi 14 avril 2015

Octave Uzanne écrit à la mère de Jean Lorrain (8 février 1912)


      Voici une petite carte-lettre adressée par Octave Uzanne à la mère de Jean Lorrain, son ami. La mère de Jean Lorrain, Pauline Duval, est certainement à Nice. Uzanne lui écrit, depuis Cannes où il passe l'hiver, pour lui remettre un gros dossier contenant des lettres [de Jean Lorrain] recopiées par Moulard, son secrétaire. Uzanne prépare un petit ouvrage sur l'auteur de Monsieur de Phocas. Il paraîtra en mars 1913.
      Nous vous invitons à lire ou relire les nombreux billets déjà consacrés à la relation intime et amicale entre Jean Lorrain et Octave Uzanne.


Bertrand Hugonnard-Roche



Coll. B. H.-R.
[carte-lettre à en-tête de MAISON BLANCHE 2, Rue Bel Air (Route de Grasse) 42 CANNES (A.-M.)]

Cannes, 8 février 1912

Chère madame (1),

Je vous porterai moi-même le gros dossier de lettres dont je vous ai parlé. Il est copié sur du papier de grand format et je ne saurais le confier à la poste, de peur qu'il ne s'égare, et sans savoir si on l'accepterait. Je serais sans doute forcé de vous l'envoyer par colis postal et c'est encore plus périlleux.


Coll. B. H.-R.
Ces temps affreux auront une fin que je veux croire prochaine. Je vous fixerai alors sur ma venue et vous apporterai ces missives copiées par Mourlard (2) qui rime si richement avec Boulard (3).

Mes affectueuses sympathies

Octave Uzanne


(1) Cette lettre est adressée à Madame Pauline Duval (1833-1926), mère de Jean Lorrain (1855-1906) 
(2) C'est d'un gros paquet de lettres de Jean Lorrain recopiées par son secrétaire, Moulard, dont il s'agit ici. Octave Uzanne s'est sans doute servi de ces précieux documents pour l'édition de son petit ouvrage intitulé Jean Lorrain, l'artiste, l'ami, souvenirs intimes, publié en mars 1913.
(3) Peut-être une allusion au bibliophile Boulard (1754-1825), qui selon la légende, serait mort enseveli sous les milliers de livres de sa gigantesque bibliothèque de bibliomane. 

lundi 13 avril 2015

L'OCTAVE de la Société des Bibliophiles Contemporains (1894) par un Bibliophile-Ecrivain anonyme membre de cette même société. Transcription intégrale.


Page de titre du pamphlet intitulé
L'OCTAVE (1894)
      Après vous avoir donné une version numérisée du document original intitulé L'OCTAVE, pamphlet anonyme dirigé contre Octave Uzanne, Président des Bibliophiles Contemporains, et imprimé en 1894 à 160 exemplaires seulement, voici la transcription intégrale de ce texte.
Nous reviendrons prochainement sur le décodage nécessaire d'un tel document.
      En attendant je vous laisse savourer les différents degrés de la méchanceté bibliophilique dont était capable ce Bibliophile contemporain ennemi du Symbolisme, ennemi de l'ordure distillée par Guy de Maupassant. Nous verrons si nous pouvons mettre un nom sur l'auteur de ce tapé à la machine.


Bertrand Hugonnard-Roche





[premier feuillet avec simplement une portée de notes avec les notes ut ré mi fa sol la si do, au centre]

Dessiné et Gravé par Ajax Agathos [en bas à droite du même feuillet]


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Il a été tiré de cet ouvrage
sur papier à chandelle, d'Arras
160 exemplaires
numérotés à la presse
de 1 à 160

N° offert [à l'encre]
à M. A.Fontaine : E. Rondeau [noms à l'encre]


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[page de titre gravée]

L'Octave
de la Société
des
Bibliophiles Contemporains

Athènes,
Chez Alexandros KOULOS,
Imprimeur de Périclès
100, Cul de Sac du Luc (près l'Acropole)

1000 800 80 14
IN TEMPUS ET ANTE

[le tout dans un encadrement formé de filets gras avec dans les angles les lettres O U B C et en haut : Académie des Beaux-Livres. Et au dessous : LIBRI SEMPER VIRESCIT AMOR]

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**
*

- * * * * * -

Quelques-un jetteront ce livre par la
fenêtre, mais ils ne diront rien à personne,
et on me lira ; car la Vérité se tient cachée
au fond d'un puits, mais lorsqu'il lui vient
le caprice de se montrer, tout le monde, éton
né, jette ses regards sur elle, puisqu'elle
est toute nue. Elle est femme et toute belle.

(Jacques Casanova de Seingalt.)


-1-

L'OCTAVE
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Nil ultra Deos lacesco
(Horace)

Avant l'arène.

L'Octave ! Pourquoi ce titre ? vas-tu de-
mander, lecteur bibliophile, blasé autant qu'insa-
tiable.
L'octave, en musique, comprend huit no-
tes. Celle dont il est ici question en a donné huit
aussi, d'un autre genre, spécial et sentant son
coiffeur (1) d'une lieue. A tout à l'heure.
Anonyme ! diras-tu, ami bénévole, taillable
et corvéable à merci ; pourquoi pas ?
Anonyme parut le Temple de Gnide, le dé-
licieux poème en prose du grand Montesquieu, ano-
nyme fut Candide, d'abord ; anonyme (et que
ne l'est-elle restée ?) la Pucelle, de Voltaire ;
Anonyme, la Vénus de Milo ....
Anonymes, tutti quanti et des meilleurs ;
passons.
L'auteur, voulant se renfermer dans l'in-
cognito le plu intangible, s'est fait imprimer à
Athènes. La, il passe tous ses hivers ; ne le cher-
che donc pas, mais :

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1) Ant. Laporte : Les Bouquinistes etc. page 7 ligne 14.


-2-

Devines son nom si tu peux,
Ou bien, choisis-le, si tu l'oses ....
Sache, seulement, qu'il n'a reculé devant
aucun sacrifice pour te livrer un ouvrage ne dépa-
rant pas ceux émanés de la Société des Bibliophiles
Contemporains et même, les surpassant.
Qu'il soit pour toi persona grata !
Va petit livre et fais ton chemin, Justice
est ton but, tu trouveras sympathie et appui, chez
ceux qui sont encore les rares esclaves de la
Vérité.
Constatons en terminant cette avant-scène,
que l'Inconstance étant depuis cent ans le vice de
notre siècle, ce vice devait posséder tout entier
celui qui, comme Alcibiade, ne connaît que le MOI.
Pascal a dit : Le moi est haïssable, a-t-
il eu tort ? Oh non : non ....
Et maintenant, tout à l'Octave !

*
**
*


-3-

Ut - ré - mi - fa - sol - la - si - do -

L ' O C T A V E

-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Il se nomme ainsi le Grimaud de lettres
rongé par l'Inconstance et qui n'existe qu'avec l'ap-
pui bienveillant, éclairé et fidèle, des Brivois,des
Gausseron et d'autres amis, n'oublions par l'ancien
notaire, Piat, le chef de son contentieux.
Il a, depuis près de vingt ans, inondé le
marché littéraire de productions spéciales autant
que polychromes ; écrites en argot et dont le bon
sens public a su faire justice.
Accaparant les presses de la rue St-Benoît,
il fonda il y a quinze ans la double Revue "Le LIVRE".
Cette revue l'a fortement aidé au placement de ses
foetus.
Le LIVRE rétrospectif et moderne, 20 vol.
dura 10 ans, laps sérieux, inespéré ; il dut la vie
aussi longue à ses abonnés auxquels il pesait lour-
dement.
En 1889 le féministe outrancier, le bi-
blio-pharmacopole, enfourchant son dada : "Toujours
de l'avant", fonda la Société des Bibliophiles Con-
temporains, Académie des beaux livres, avec 160
braves gens, dont nous fûmes avec toi, doux lecteur
Panurgique.
Larousse avait été vidé par le Livre, il
fut rouvert pour le Livre moderne, 1890-1891, et
L'Art et l'Idée, 1892. Publications périodiques,
enfants du patissier de lettres et d'images.
Ephémères furent ses mensuels, ils râlè-
rent trois ans. Ajoutons que, bien que fort inuti-
les, ils ne furent nullement nuisibles, Requiescant !


-4-

Le MOI du fondateur y domine et si de rares
écrivains, de talent Français et clair, ont apporté
leur collaboration à ces doux derniers mor-nés, le
chef suprême a mis tous ses soins à les étouffer.
Changer de périodiques étant toujours al-
ler au-devant de la mort avec phrases, et, de plus,
étant fort improductif, on a dû se consacrer, presque
exclusivement, à la Société qui seule doit nous occu-
per ici.
Prenons donc son histoire au début : le Livre
agonisant annonça à coups de réclames la formation
de la Société des Bibliophiles Contemporains.
Contemporains est une trouvaille asinuzan-
nesque, euphémique et nature.
Son sous-titre plus précis : Académie des
Beaux Livres, ouvrait le champ aux idées vastes et
pleines d'espérances.
Voyons ce qu'elle a donné cette nouvelle
Académie, qui n'est pas au coin du quai, et uzanon-
nons la première note de l'Octave.

1890. UT - LES DEBUTS DE CESAR BORGIA, de JEAN RICHEPIN,
(auteur du vaste four "Vers la joie") enluminée par
Georges Rochegrosse, furent le premier cri du Prési-
dent autocrate, il nous donna son UT, ce ténor chevelu.
L'auteur, normalien au picrate, irrégulier
et obscène, ne nous a fourni là que la mie de son pain,
le peintre en a fourni les croûtes.
Les DEBUTS, pastiches de certains romans
en faveur en 1830, bien oubliés aujourd'hui, morts,
mais aussi bien plus propres, fourmillent d'anachro-
nismes évidents, d'odieux mensonges, de faussetés his-
toriques voulues, afin de provoquer l'épatement.

-5-

Jean, le cynique opulent des Blasphèmes, a
paraphrasé le sale Marquis de Sade, il a déshonoré
notre Société par ses lignes infâmes et ultra-hysté-
riques. Orgia, dès le premier plat ! généralement
c'est quand on est repu qu'arrive l'orgie !
Les Sociétaires courbèrent la tête et se
dirent : la suite fera oublier ce pénible début, la deuxième note de l'octave résonna :
1890. RE - Elle nous donna : L'ABBESSE DE CASTRO,
de feu Stendhal, déception noire ; en dehors du style
démodé, vieillot, le livre est noir, noir comme un
four, éteint, noir comme :
Le nouveau drame de Séjour
Dont on admirait (jadis) la sombre trame
et quels dessins, lâchés autant que noirs !
Eugène Courboin, l'illustrateur, s'est
fait charbonnier à cette occasion, afin d'être maître
chez lui. Comme Maître-Pathelin, il a voulu démon-
trer qu'il y avait plus foncé que noir. Le drapier
Guillaume attendait cette couleur-là ; Courboin l'a
trouvée, faut-il l'en féliciter ?
Tant de noir n'est pas atténué par les en-
cadrements paginals, lourds, envahissants, écrasants,
maussades enfin ; bref leur suppression eût atténué,
peut-être, la dureté de l'opuscule RE. Mais il faut
donner beaucoup, c'est dans les us, dans les cordes
du grand chef qui essaie de noyer les imperfections
dans des quantités immenses autant que douteuses.
Ces deux publications auraient dû voir la
lumière en 1890, elles ne parurent qu'en 1891, l'hi-
ver rigoureux étant passé, et puis, on n'est jamais
pressé au céleste séjour du Quai Voltaire 17, pas
plus que chez St-Benoît.


-6-

Les débuts et l'Abesse venaient en place
des Trois Contes de Flaubert, votés en Assemblée
générale. Ce vote, vrai coup de maître, se changea
en un coup d'épée dans l'eau.
La famille de Flaubert refusa à notre pré-
sident, diplomate maladroit et peu aimable, sans dou-
te, partant nullement sérieux, une oeuvre qu'un sym-
pathique libraire du Boulevard St-Germain, artiste et
travailleur a obtenu des héritiers du grand maître.
Sur trois contes deux ont paru et le troi-
sième ne peut tarder à venir. Trois chefs-d'oeuvre,
car on ne peut douter du talent de Merson.
Quelle grande honte pour notre Société, c'est grand pitié !
1890. MI - (3ème note de l'octave) nous donna
l'Annuaire de 1890, en 1891, ne nous étendons pas
sur ce livre ordinaire. Il n'eut d'impressionnant
que les Sonnets hermétiques (odorants et latrinals)
de Richepin, déjà nommé, vidangeur pour la circons-
tance. Pouah !
1891. Passons au FA, cette quatrième note sonna-
t-elle clair ?
CONTES CHOISIS de GUY de MAUPASSANT,
Choisis par lui, nous dit-on ; dix contes,
pris parmi les plus malsains dont Gil Blas a eu la
primeur. Deux ou trois, à peine, peuvent être mon-
trés aux honnêtes lecteurs.
Dessins variés, ..... coloriés en partie et
par des procédés épinalesques retrouvés mais non amé-
liorés. De l'art, si peu, un éclair de ci de là, voilà tout.
On a beau chercher à éviter l'ordure dont
la route est remplie, on y patauge, on en est pollué.
Nous cédons encore, et disons avec le grand
romain :
Quosque tandem O.U. abutere ....


-7-

L'espérance, vertu des forts n'abandonne
pas encore les Sociétaires décontenancés et humiliés,
de plus en plus. Le moment est proche, peut-être, où,
rentrant dans le rang, on abordera l'honnêteté, le
pur, le bon goût, la raison, le vrai.
TA RA TA TA TA, note 6, nous le dira bien-
tôt, fredonnons le SOL (5ème note) l'Annuaire de
1891, qui paraît en 1892, et constatons tout simple-
ment son apparition ; il est, disons-le, pour n'en plus
parler, bien inférieur à son aîné MI. C'est incon-
testablement angoissant. C'est pénible, mais c'est
ainsi ! (Nana)
1892-1893. Le LA, plus laid que celui du dernier mé-
nestrel : 
"Lai charmant qu'on aime à relire",
Nous fait entrer en plein symbolisme, décadent, épileptique, insensé, fou :
QUATRE CONTES D'HARAUCOURT ;
(1892-1893) Voient le jour en 1894 et bien
avant dans cette année, la dernière de notre asso-
ciation.
L'EFFORT (Quid ?) L'effort de quoi ? De qui ?
d'Haraucourt seul et avec lui de LA MADONE. - de
L'ANTE-CHRIST. - de l'IMMORTALITE. - de la FIN DU MONDE ...
Le tout illustré (?) par Alexandre Lunois,
Eugène Courboin (bis) Carlos Schwabe, Alex. Séon.
Voilà les 4 petits de l'auteur de la Légen-
de des Sexes (For ever) quel galimatias ! quel rébus !
quelle gageure ! un traducteur s.v.p. Et les dessins ! ...
Haro, Harooo (long). Un haro court est suffisant.
C'est le coup de l'assommoir. Amis Contem-
porains quel est celui d'entre vous qui a compris
une ligne de ce gigantesque Effort ? De cette
double insulte au bon sens ? Où est-il, ce devineur
d'hiéroglyphes ? Que celui qui a saisi le sens de


-8-

cette purée épaisse aille le dire à l'ombre de feu
Gagne, le chantre de l'Unitéide, encore aux lymbes !
Cet Effort, trop fort, aurait dû attendre
1900, fin de ce siècle maudit. Cette année-là la
terre tremblera, les morts sortiront de leurs tombes
pour y faire entrer ceux des vivants qui auront com-
pris l'inintelligible-décadent, le macabre et sym-
bolique Effort. (1)
Assez, n'en parlons plus et passant très
légèrement sur la 7ème note de l'octave :
1894 SI - Les BALADES dans Paris, constatons
l'inutilité de cette bluette, pillée un peu partout,
et dont les Mystères de l'Hôtel des Ventes, de
Rochefort (triste exilé) ont inspiré le meilleur
chapitre.
O Gausseron ! pourquoi tant d'argot ?
C'est peu digne de toi ; il est vrai que Balade,
n'est pas dans le dictionnaire français, on n'y
trouve que Baladin, l'un des petits noms du farceur
qui nous a donné l'Octave.
E. R. Doit prendre l'air avant de pren-
dre la plume, quelle galette ! Quant à Adolphe
Retté, qui s'affirme révolutionnaire, il ne sait
pas son histoire aussi bien qu'Alexandre Dumas et
Ponson du Terrail. Poète ?.... décadent et des pi-
res, la gloire des Verlaine, Mallarmé, etc. l'étouf-
fe. Pauvre jeune homme, que tu es bête !
En passant, complimentons les entourages
fleuris d'Alexandre Lunois ; c'est du Madeleine Le-
maire, en petit, mais bien gentil, bien mignon.

-------------------------------------------------
1) Est-ce une réclame à la Coca qui est au bas de
la page 86 ?


-9-

Comprenons dans la dernière note :
DO, la 8ème de l'Octave, les deux minces
Annuaires de 1892 et 1893, avec celui de 1894, à
venir, et qui nous est annoncé comme devant être
de pure forme.
Après eux, un os à ronger pris sur le
reliquat en caisse, donnons d'abord satisfaction
aux services de la Société, et attendons cet os,
c'est l'Avenir dont nous ne pouvons parler.
L'Assemblée générale du 10 Novembre pro-
chain va voter, nul n'en peut douter, la liquidation
sociale, après le banquet des nouveaux Girondins,
chez Marguery.
Notre président, n'ayant pas fait d'élè-
ves, ne peut avoir ni successeur ni imitateur, pour
la plus grande gloire de l'Art et du Goût Français
et pour le repos, bien gagné, des 160 miséreux et
dupés.
Pendant cinq années nous avons suivi ce
fils de Clodion le chevelu, nous lui avons confié
notre or, avec l'idée, naïve, qu'il serait sagement,
utilement répandu.
Nous avons aidé le chef à placer ses
oeuvres, à faire sa vente de Mars 1894, vente an-
noncée à son de trompette ; que cette trompette
soit celle de son dernier jugement !
Que reste-t-il de tout cela ?
du vent, du vent et "nunc et semper".
La Société est bien morte. Pour la faire
renaître et la faire durer ce que dure celle
des Amis des Livres, toujours vivace, il faut d'autres
errements, les trouvera-t-on ? Peut-être ? Pour
cela il est indispensable de renoncer à ceux du
Président des Contemporains.


-10-

L'Académie, née de l'Inconstance, meurt
par l'Inconstance abracadabrante de celui qui, en-
vers et contre tout et tous, y a voulu être tout,
même fabricant de papier, et qui n'a daigné con-
naître comme disciple de Guttenberg, que Quantin,
toujours et in aeternum !
Bon voyage au Bibliognoste indigeste,
l'Amérique lui ouvre ses bras, le pays Yankee est
neuf, il trouvera là beaucoup à faire.
Plutôt Adieu qu'au Revoir !


-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Nota triste. - Au moment de confier ces
pages à la brocheuse, le lecteur partagera notre
déconvenue et notre chagrin cuisants. Puvis de
Chavannes, le grand peintre symboliste, qui nous
avait promis l'Illustration de notre oeuvre, vient
à son grand regret, de reprendre sa parole. Cette
critique sera donc toute nue, comme la Vérité.
Cependant, si son heureux possesseur veut
en faire aquarelliser les marges, il a tout près de
lui de vrais artistes qui ont nom : Carac d'Ache,
Chéret, Forain, Guillaume, Mars, Steinlen, Stop, Willette,
etc., etc. j'en passe ....
Ami lecteur, l'écrivain te salue et
t'aime, crois-le bien.


*
**
*


Achevé d'imprimer
le 2 Novembre 1894
à ATHENES

-:-:-:-:-:-


Pour le Bibliophile-écrivain
sur les Presses hydrauliques d'Alexandre Koulos,
imprimeur de Périclès,
avec les caractères, éternels, de La Bruyère,
les Encres inaltérables du Salut,
le papier à chandelle, d'Arras,
(trouvé par l'auteur conducteur)
Broché avec les fils de soie
de Cempuis.

-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

[suit un feuillet blanc]

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