C'est un constat finalement assez simple à faire : Marius Perret (*) a dessiné un ex libris pour Paul Lacroix dit le Bibliophile Jacob, et ce peu de temps avant la mort de l'érudit polygraphe. Paul Lacroix meurt le 19 octobre 1884, soit quelques mois seulement après que l'illustrateur Marius Perret ne lui ait donné un ex libris.
Voici ce qu'écrit Bernard-Henri Gausseron, fidèle collaborateur d'Octave Uzanne à la revue Le Livre, dans la section rétrospective, courant 1884 :
"M. Paul Lacroix songe à dresser un catalogue raisonné de sa collection de romans. Il ferait là une oeuvre bien amusante et bien utile. En attendant, il marque les volumes qui composent cette collection d'un ex libris spirituel et original dont je laisse à mon cher rédacteur en chef [Octave Uzanne] le soin de révéler l'auteur [Marius Perret]. [...]" (Le Livre, Bibliographie rétrospective, p. 247)
L'ex libris en question est reproduit dans l'article en question avec une grande netteté. Une numérisation en haute définition de cet ex libris a permis de voir ceci :
Tout simplement la signature de Marius Perret dans la gravure, au bas de la pile de livres posés à plat ! Ce n'était donc finalement pas très difficile de savoir quel artiste avait travaillé pour Paul Lacroix.
Voici l'ex libris dans son intégralité :
Le thème des chérubins cher au jeune Marius Perret se retrouve ici intact. Quatre chérubins au total : deux chérubins debout devant un grand livre ouvert maintenu debout appuyé contre une pile de livres posés à plat. Une plume dans un encrier. Une lampe à huile sur la gauche. Enfin, une longue banderole virevoltante avec ces mots : LIVRES VIELZ ET ANTIQUES LIVRES NOUVEAUX ETIENNE DOLET. Le Bibliophile Jacob se place sous la protection et l'invocation de l'imprimeur humaniste Etienne Dolet, mort comme on sait, le 3 août 1546, après avoir été étranglé puis brûlé avec ses livres sur la place Maubert.
La mort de Paul Lacroix quelque semaines avant le fin de l'année 1884 n'a pas permis de mettre ce projet de catalogue de ses romans à exécution. Cet ex libris, probablement imprimé à petit nombre, se rencontre ainsi assez rarement collé dans un volume de sa bibliothèque.
Coll. priv.
Mention manuscrite fallacieuse : "Dessiné par Octave Uzanne dans sa jeunesse, né à Auxerre."
La reproduction du document ci-dessus indique que cet ex libris a été dessiné par Octave Uzanne lui-même, dans sa jeunesse. Ce qui est évidemment faux. Le dessin et la gravure de cet ex libris est typique de la production de Marius Perret à cette époque. La collaboration étroite entre Octave Uzanne et Marius Perret depuis le début l'année 1876 pour le Conseiller du Bibliophile et 1878 pour les Caprices d'un Bibliophile (Marius Perret en dessine la couverture) a pu certainement faire écrire, à un amateur un peu trop présomptueux, sous cet ex libris : ex libris dessiné par Octave Uzanne. Le raccourci était facile mais faux.
L'erreur continue à se perpétuer ici ou là dans quelques notices de libraires ou de marchands d'ex libris. Tout au plus est-on en droit de supposer que c'est Octave Uzanne qui a mis en relation Marius Perret et Paul Lacroix pour la réalisation de cet ex libris. Ce serait bien dans le genre d'Uzanne de faire découvrir à son vieil ami le Bibliophile Lacroix un artiste en lequel il croyait et qu'il avait déjà fait travailler pour lui à plusieurs reprises. La Société d'émulation du Bourbonnais n'a pas commis cette erreur grossière de ne pas voir la signature Marius Perret dans cet ex libris. Voir à ce sujet le Bulletin de l'année 1930, page 258. Marius Perret y est clairement désigné comme l'auteur de l'ex libris de Paul Lacroix.
Il ne semble pas qu'Octave Uzanne ait jamais dessiné de manière à produire une seule oeuvre achevée. A peine peut-on noter qu'il est désigné comme étant l'artiste qui dessina le filigrane fleuri du papier d'une de ses œuvres de bibliophilie à la fin du XIXe siècle. Nous y reviendrons bientôt.
Voici un malentendu de plus dissipé concernant Octave Uzanne. Il faut toujours se méfier de ce qu'un bibliophile (ou un libraire) peut écrire de sa main sur un livre ...
Bertrand Hugonnard-Roche
Note : Merci à M. Jean-Paul Fontaine pour son étroite collaboration au cours de cette petite enquête.
(*) Marius Perret est né à Moulins (Allier) en décembre 1851 et est mort à Java (Indonésie) en septembre 1900. De la même génération qu'Octave Uzanne, il semble que ce soit ce dernier qui lui a permis de débuter dans la mise en oeuvre de petites illustrations (vignettes) pour les livres de bibliophilie de l'époque (années 1878-1884). Ayant rapidement quitté la métropole pour les colonies d'Afrique du nord puis pour les pays orientaux lointains, il produit une oeuvre de peintre orientaliste en tant que peintre de la Marine et peintre des Colonies. Il meurt d'une fièvre maligne alors qu'il n'a pas encore 50 ans.
Gravure sur bois par Marius Perret pour un texte
d'Octave Uzanne publié en 1876 dans le Conseiller du Bibliophile.
Octave Uzanne et Marius Perret ont alors tous deux 25 ans.