mercredi 30 décembre 2020

Octave Uzanne à l'affiche des collaborateurs du "Cri de Paris" (Affiche signée Capiello)

 


Affiche publicitaire (vu sur le net - décembre 2020)

Artiste : Leonetto Cappiello (1875 - 1942)

Titre : Le Cri de Paris

Date : 1901

Dimensions : 112.5 x 159 cm

Imprimeur : Imp. P. Vercasson & Cie., 43. rue de Lancry, Paris.

Matériaux et techniques : lithographie en couleur sur papier.

Une des première affiche réalisée par Cappiello pour le Journal Le Cri de Paris dont la direction est confiée à Ernest Marilhet.

Le Cri de Paris est un périodique hebdomadaire politique et satirique français fondé par Alexandre Natanson en janvier 1897. Lié à ses débuts à La Revue blanche, cet organe de presse disparut en juin 1940.

Cette affiche publicitaire montre une liste impressionnante de contributeurs : Philibert Audebrand, Jean de Bonnefon, Marcel Boulenger, Marquis de Castellane, Maurice Donnay, Felix Dubois, Georges Feydeau, Fierens-Gevaert, Franc Nohain, Paul Gavault, Auguste Germain, Jean Guetary, Gustave Guiches, GYP, Henry des Houx, Jean Lorrain, René Maiseroy, Charles Maurras, Robert Mitchell, Jean de Mity, Comte de Montesquiou, Montjoyeux, François de Nion, Joséphin Peladan, Hugues Rebell, J. Joseoh Renaud, Charles Saunier, J. Shroeder, Maurice Talmeyr, Octave Uzanne, Pierre Valdagne, Pierre Veber.

Sur l’affiche, Cappiello dessine un arlequin se trouvant sur la Place de la concorde à Paris.

Cette affiche est proposée par la Galerie :

Moufflet and Co

Nicholas Moufflet

N° 1 Marché Biron
85 rue des Rosiers
93400 Saint-Ouen

Nous avions publié un article à propos de la collaboration d'Octave Uzanne au Cri de Paris (1902). Voici le LIEN.

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 17 décembre 2020

Réception du Rêve, par Emile Zola, dans la revue Le Livre (dirigée par Octave Uzanne), sous les initiales du chroniqueur G. T. (10 novembre 1888). "la légende d'Angélique la petite chasublière de Beaumont restera tracée en lettres ineffaçables dans la littérature et jettera son rayon d'or, sa lueur féerique sur l'œuvre entier de Zola."


Page de titre de l'édition originale du Rêve parue chez G. Charpentier
le 13 octobre 1888. Exemplaire sur papier de Hollande (1/250)


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Le Rêve
, par Emile Zola. Paris, G. Charpentier et Cie, 1888. Un vol. in-18 jésus. Prix 3 fr. 5o. (*)

    Le nouveau roman de Zola n'est pas une révélation pour ceux qui n'ont pas oublié et n'oublieront jamais l'étincelant Paradou de la Faute de l'abbé Mouret, ni les touchantes amours de Miette et de Silvère de la Fortune des Rougon ; ceux-là savaient bien que, le jour où il le voudrait, à l'heure choisie par lui, il saurait faire produire à son vigoureux talent, à son étonnante et saine puissance, ce livre de pureté, de chasteté, d'art triomphant, et cependant toujours plein d'une sève qui déborde à chaque moment, d'une vie qui crève à tout instant la mince feuillure d'or de la Légende pour l'animer d'un sang vivifiant, d'un souffle brûlant et passionné.

    En se jetant à corps perdu dans le Rêve, Émile Zola n'a pas abandonné son dévorant besoin de réalité il a créé son œuvre, comme les peintres de l'école de vérité, ayant à traiter un sujet de légende, exécutent leur toile, en sachant parfaitement séparer la partie mystique de la partie réelle, en distinguant des choses vues la vision simplement extatique, et en restant absolument sincère. Même, à certains endroits dans ce Rêve, l'art est si admirable, qu'on ne voit pas exactement la ligne de démarcation entre le côté surhumain et le côté terrestre, et que cet étroit amalgame des corps et des purs esprits jette dans l'esprit un trouble plein de séduction.

    Le roman de la pauvre petite orpheline, échappée de l'hospice des Enfants assistés, et du jeune millionnaire, fils de l'évêque, est d'une absolue simplicité dans son antithèse voulue, dans l'exagération même de son contraste social, exagération destinée à mieux faire entrer dans le caractère spécial de la Légende dorée cette histoire moderne et vraie par tant d'autres points. Le romancier, en s'aidant de détails véridiques, de documents d'humanité, de paysages pris sur nature, n'a pas hésité pourtant à marcher en pleine fabulation avec son héroïne, pour accentuer encore son idée, donner une forme plus archaïque à son œuvre. Il a pris cette banalité nécessaire, le jeune homme cinquante fois millionnaire, de haute naissance, se déguisant en ouvrier verrier, et venant parler d'amour à une pauvre fille sans fortune, sans famille, sans éducation ; mais, de cette chose banale, il a tissé une si merveilleuse tapisserie de soie et d'or, qu'elle charmera non seulement les femmes et les jeunes filles, bien plus tous ceux qui trouveront là quelques-unes des plus belles pages, des plus éblouissantes descriptions du grand-maître écrivain. Jamais, dans aucun de ses livres, il n'a parlé de la jeune fille avec une tendresse plus communicative, une douceur plus émue. Dès le premier chapitre, cette magistrale évocation de la vieille cathédrale de Beaumont sous la neige, on est empoigné, saisi d'une émotion et d'une admiration qui ne font que croître à mesure que les pages se suivent. Les détails délicats et touchants abondent, naissent sous la plume de l'auteur comme une floraison spontanée, et viennent frapper au cœur avec une sûreté infaillible, qu'il fasse emporter par le brave Hubert la pauvre petite, à moitié morte, « toute froide, d'une légèreté de petit oiseau tombé de son nid » ; qu'il montre le ménage se taisant, « ému de voir sa petite main trembler, au point de manquer sa bouche » ; qu'il la fasse disparaître, « dans le petit souffle d'un baiser » ou dans cent autres endroits tout aussi exquis.

    La petite grandit, s'apprivoise, devient presque la fille adoptive de ces excellents chasubliers qui l'ont recueillie, et elle n'a qu'un grand amour, en dehors de son métier de brodeuse de chasubles, qu'une passion, la lecture de la Légende dorée, qui la transforme peu à peu en visionnaire. Ici l'on sent que Zola, peu à peu envoûté parle charme extraordinaire, presque surnaturel, de la figure d'Angélique, qu'il a créée, s'identifie désormais avec elle, au point d'avoir ses visions, d'apercevoir les saintes voltigeant autour d'elle, d'entendre le chuchotement de ces créatures du paradis ; il a dû, lui aussi, en se retournant, voir de grandes figures blanches flotter au-dessus des ruines du château des Hautecœur ; cela le pousse à toutes les hardiesses hors nature, à une sorte de vie de mirage qu'il décrit merveilleusement.

    Puis c'est l'arrivée en scène de l'amoureux, le mystérieux inconnu aperçu au clair de lune, devant le jardin de l'évêque, dans le Clos-Marie, et rencontré ensuite au bord de la Chevrotte, le ruisseau jaseur où elle lave son linge. Il faudrait successivement citer tous les chapitres saisissants de ce livre superbe, celui où Angélique, la nuit, dans le silence de la maison endormie, attend, comme une Vierge Marie, la venue de celui qu'elle aime de l'amour le plus virginal, le plus chaste, et plus éthéré ; l'éblouissant tableau de la procession du miracle, une des merveilles du roman ; d'autres encore, où se déroule le chemin de croix de la pauvre affligée sachant que celui qu'elle aime ne peut être son mari ; enfin cette admirable scène de l'extrême-onction, où les pages atteignent une élévation, un souffle de grandeur, qui emportent tout ; pour terminer par la cérémonie si originale du mariage et de la mort d'Angélique au seuil de son Rêve réalisé.

    A travers les critiques ardentes que va faire surgir cette œuvre toute neuve et très étrange du Maître, il sera impossible de ne pas entendre surtout les exclamations laudatives qui retentiront partout à la lecture du Rêve, et de ne pas admirer. sans réserve des passages qui marqueront profondément dans les esprits et dans les cœurs. Quoiqu'on fasse, quoiqu'on dise, la légende d'Angélique la petite chasublière de Beaumont restera tracée en lettres ineffaçables dans la littérature et jettera son rayon d'or, sa lueur féerique sur l'œuvre entier de Zola.

G. T.



(*) Compte-rendu paru dans Le Livre, Bibliographie moderne, livraison du 10 novembre 1888, signé des initiales G. T. Nous ne savons pas qui se cache derrière les initiales G. T. ? Est-ce Octave Uzanne lui-même ? Quelques tournures de phrases et quelques élans pourraient le laisser supposer, mais rien n'est moins certain (de ce que nous savons à ce jour). Cette critique du Rêve est totalement enthousiaste. Le Rêve a paru tout d'abord en feuilleton dans la Revue illustrée, du 1er avril au 15 octobre 1888. Il sort en volume chez Charpentier le 13 octobre 1888.

Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 16 décembre 2020

Réception de La Terre (Les Rougon-Macquart), par Emile Zola, article publié dans Le Livre (10 décembre 1887) et signé des initiales G. T. "C'est l'épopée tragique du paysan, comme Germinal est l'épopée du mineur et l'Assommoir celle de l'ouvrier parisien."


La Terre, par EMILE ZOLA. Paris, G. Charpentier et Cie ; 1887. Un vol. in-18 jésus. Prix: 3 fr. 5o. (*)

    Nous considérons que la critique du Livre doit se produire en toute liberté d'expression, selon les sentiments personnels de ceux à qui nous accordons notre confiance. Parfois il nous en coûte de nous effacer devant une opinion entièrement opposée à la nôtre, mais nous jugeons que notre devoir nous impose de ne jamais exercer la moindre pression sur les tendances et l'esprit de nos collaborateurs. Nous éprouvons à l'égard du dernier roman de M. Zola un sentiment pénible et, il faut le dire, empreint d'un réel dégoût, pour les écœurantes peintures qui maculent une œuvre superbe par endroits. Nos lecteurs verront que notre collaborateur n'en a pas jugé ainsi. Nous lui laissons donc la parole sans partager aucunement tous ses enthousiasmes.

O. U. [Octave Uzanne]

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    Rarement, avant même d'être terminé en feuilleton dans le journal qui le publiait, avant d'être paru en volume, un roman avait soulevé une pareille tempête que le dernier roman d'Emile Zola, la Terre. Que restera-t-il plus tard, que reste-t-il déjà de cette indignation, aussi bruyante qu'injustifiée, aussi furibonde qu'intempestive ? Ce n'est pas avec des cris de colère, avec des exclamations d'horreur qu'on peut juger une œuvre, surtout sans la connaître dans son entier, qu'on peut jeter ainsi hors la loi un écrivain qui s'est toujours fait remarquer par sa conscience d'artiste, par sa ténacité de travailleur, par sa constante marche en avant toujours vers le même but. C'est de sang-froid, sans parti pris, avec le raisonnement, qu'il faut aborder cette œuvre, une des plus rudes et des plus terribles qu'ait jusqu'ici écrites le maître romancier.

    Pour bien comprendre ce roman, pour ne se laisser impressionner ni en sa faveur ni en sa défaveur, le lecteur doit se placer à un point de vue très élevé, à celui-là même où s'est placé l'écrivain, soucieux avant tout de dire vrai, de peindre ce qu'il avait vu. C'est donc de haut qu'il faut examiner les choses, avec une large vision, de manière à en embrasser l'ensemble, l'allure générale, à en saisir l'ordonnance et l'intention, sans s'arrêter à des questions de détail, à des phrases toujours faciles à détacher, à isoler et à présenter ainsi sous un aspect faux et exagéré, sous un jour brutal, odieux, qui disparaît dans l'œuvre de la masse. Il faut aussi se pénétrer du milieu tout spécial où se passe l'action et laisser de côté nos pudibonderies malsaines, nos suspectes hypocrisies de bourgeois, de citadins, pour ne voir que l'étude paysanne, sincère. On se convaincra alors immédiatement de la majesté grandiose de ce livre, de son indiscutable puissance, de sa réalité terrifiante.

    Quand le soc de la charrue ouvre son profond sillon dans la chair grasse de la terre, il met à jour des débris informes, des ossements, des tronçons de vers, des êtres répugnants ou hideux, des fumiers nauséabonds, et pourtant qui songe à s'en indigner, qui pense à l'arrêter dans cette marche qu'il poursuit sans dévier, sans faiblir ? Personne, car du sillon naitra la nourriture de l'homme, le pain, la vie. C'est ainsi que Zola poursuit son œuvre énorme, poussant devant lui, en ligne directe, inflexible, impitoyable, sa plume dans la chair vive de l'humanité, et s'il met à jour des plaies, des gangrènes, des hideurs, il n'en croit pas moins devoir continuer sa besogne, sans les cacher, sans les oublier, sans les voiler, puisqu'elles font partie de la nature humaine comme les détritus fécondants font partie de la terre.

    En effet, c'est bien la terre qui, d'un bout à l'autre, tient ce livre, la terre qui est l'âme, la vie, l'unique préoccupation de ces paysans jeunes ou vieux et cette pensée les absorbe égoïstement jusque par delà la mort. Pour eux, tout est asservi à cette idée : il n'y a plus ni passions, ni vices, ni amours, ni joies, il n'y a que la terre, toujours la terre. Quand la terre est en question, ils ne connaissent plus rien autre : lois, religion, conventions sociales, famille, tout s'efface devant a force irrésistible, la terre. C'est là ce que Zola a voulu peindre, faire sentir, hardiment, crûment, sans hésiter à en montrer toutes les conséquences, toutes es lâchetés, toutes les monstruosités : si son œuvre ne recule ni devant la révélation de l'inceste, ni devant l'épouvante du meurtre, c'est que le paysan se montre ainsi dans sa dévorante et sauvage passion pour la terre, prêt à tout. Mais on n'aime pas la vérité trop nue, on ne l'admet que dans la Gazette des tribunaux, jamais dans le livre, dans l'analyse des passions humaines de là ce haro formidable.

    Que de reproches ne lui a-t-on pas faits qui ont dû l'étonner, faire saigner sa conscience, sa vision de l'art et lui ne sont fondés qu'en apparence, car la réflexion les détruit aussitôt, pour peu qu'on connaisse la bonne foi de l'auteur ! On lui reproche d'insister sur l'acte de la génération, comme si toute vie n'en sortait pas forcément, comme si les exemples ne se multipliaient pas sans cesse sous nos yeux, comme si la terre n'accomplissait pas ce continuel travail, s'ouvrant pour recevoir la semence, la fécondant et mettant au jour le pain, les fruits, les herbages d'où naît la chair nourrissante des bestiaux, comme si tout ne dépendait pas de là. Il ne faut voir là que le levier destiné à donner le mouvement à cette œuvre. Seuls les esprits malsains, les imaginations dépravées peuvent s'amuser à relever, avec des commentaires graveleux, les passages où l'écrivain a cru devoir nous faire assister à l'accomplissement de l'acte de génération, le représentant simplement sans équivoques, tel que les paysans le comprennent eux-mêmes, c'est-à-dire une des fonctions ordinaires de l'existence, comme le boire, le manger ou le dormir.

    Pour nous qui ne saurions nous arrêter à ces étroites chicanes de détails et désirons faire la part du tempérament de l'écrivain, nous déclarons sortir de cette lecture, émerveillé de cette prodigieuse intuition des êtres et des choses, de l'implacable volonté du romancier, de sa force. C'est un maître livre qui s'élève au dessus du maladroit débat qu'on a tenté d'engager à son sujet.

    La fïgure magistrale du vieux Fouan ferait à elle seule le succès du livre par sa grandeur épique, par son envergure extraordinaire. Le romancier a symbolisé dans ce vieillard le paysan tel qu'il est, tel qu'il a été, tel qu'il sera toujours, tant qu'il aimera la terre, le paysan qui fait corps et âme avec elle ; il le fait revivre également sous une forme hardie, brutale, fanatique jusqu'au crime dans la figure de Buteau, cet autre paysan, ce jeune, plus épris encore ou tout au moins l'une manière plus féroce, plus jalouse, passionné pour la terre, au point de la flairer comme une grisante chair de femme, de la caresser de ses doigts ainsi qu'une maîtresse, la seule maîtresse, l'amoureuse éternelle.

    Il faudrait citer les unes après les autres les scènes merveilleuses où naît, se développe, se dramatise et s'achève cette tragédie gigantesque de la terre ; mais tout le monde les connaît, les a lues, en a eu le saisissement, ce coup au profond de l'être qui vous retourne et nous remue jusqu'au vif des entrailles.

    Qu'est-ce à côté de cela que ces mesquineries à l'aide desquelles on attaque l'écrivain ? N'a-t-on pas crié au scandale, au sacrilège même, à cause de ce bon soulard surnommé Jésus-Christ, en résumé une figure plutôt sympathique et drôle qu'eût aimée le curé de Meudon. Il faut bien peu connaître les paysans pour croire qu'ils en pensent si long sur ces questions de religion ou d'irréligion, qui sont la plaie hypocrite des villes. Superstitieux, oui ; mais religieux, jamais. Quel est donc le journal, quel est donc le milieu bourgeois, où il se passe un jour, sans que le genre de plaisanterie reproché à son joyeux héros ne soit traité, souligné, raconté à plaisir ? Peut-être la chose est-elle plus fleurie, plus cachée, plus enveloppée de circonstances atténuantes ; en réalité, elle existe, elle est dans la pensée de celui qui fait la plaisanterie, qui l'écrit ; mais ici il s'agit de paysan, le paysan n'y met pas tant de façons. Quelles récriminations aussi, parce que Zola ose parler en termes, plus que mesurés d'ailleurs, de certaine maison clandestine de Chartres, que l'on ne voit pas, mais dont le propriétaire enrichi vit retiré à la campagne, honoré, presque respectable ! N'a-t-on donc pas admis, admiré même, et avec justice, certains livres tout entiers consacrés à de pareilles études ? On en a ri, on a blagué, on ne s'est pas fâché tout rouge comme aujourd'hui. C'est une note comique et vraie, et l'auteur était absolument dans son droit en s'en servant comme il l'a fait.

    De tout cela il ressort une chose, c'est que ce livre tant conspué est une œuvre hors ligne, faite dans la même manière que les précédentes œuvres de Zola, sans concessions au goût plus ou moins pudique de certains lecteurs, prouvant son énergie, sa volonté, sa haute conscience d'artiste, sa puissance de travail et d'intuition. Certaines parties peuvent être grossies, exagérées par une vision spéciale à l'écrivain ; mais l'œuvre n'en reste pas moins une peinture impitoyable de scènes que nous voyons constamment se reproduire dans nos campagnes. C'est l'épopée tragique du paysan, comme Germinal est l'épopée du mineur et l'Assommoir celle de l'ouvrier parisien.

G. T.


(*) Compte-rendu paru dans Le Livre, Bibliographie moderne, livraison du 10 décembre 1887, signé des initiales G. T. Nous ne savons pas qui se cache derrière les initiales G. T. ? Est-ce Octave Uzanne lui-même ? Quelques néologismes employés à souhait et quelques tournures de phrases pourrait le laisser supposer, mais rien n'est moins certain (de ce que nous savons à ce jour). Cette critique de La Terre est très bienveillante. Elle souligne à peine les procédés de l'écriture propre à Zola, souvent dénoncés par Octave Uzanne et d'autres de ses collaborateurs au Livre entre 1880 et 1889. La Terre a paru tout d'abord en feuilleton dans le Gil Blas du 29 mai au 16 septembre 1887. Il sort en volume chez Charpentier le 15 novembre 1887.

Bertrand Hugonnard-Roche

mardi 15 décembre 2020

Réception du dernier des Rougon-Macquart par Emile Zola : Au Bonheur des Dames (mars 1883) dans Le Livre d'Octave Uzanne, par L. D.


Page de titre et justification de
Au Bonheur des Dames
Paris, G. Charpentier, 1883
Edition originale. Un des 150 ex. sur papier de Hollande.



Au Bonheur des Dames, par M. Emile Zola. 1 vol. in-18 de 521 pages. Paris, librairie Charpentier. 1883. (*)

    Dans le tome VII, récemment paru, de ses études sur la littérature contemporaine, un critique du genre dédaigneux et déplaisant, M. E. Schérer, termine par ces lignes un éreintement en règle de M. Émile Zola "Et c'est de la candeur à moi de parler d'art et de goût, à propos d'une tentative que l'on peut caractériser d'un seul mot : l'effort d'un illettré pour abaisser la littérature jusqu'à lui." Cette sortie haineuse, ces pages de fiel, auraient été provoquées, semble-t-il, par un article où M. Zola, critique du genre brutal, traite M. Schérer de pion, de pédant, de cuistre bibliographe sans nul talent, et de ridicule produit du suffrage universel. M. Schérer avait-il lui-même par une attaque antérieure amené M. Zola au champ ? Quel était le lapin qui avait commencé ? Cette querelle, dans laquelle nous n'avons nulle envie de prendre parti, nous intéresse trop peu pour que nous en recherchions plus loin les causes. Ces sortes de combats à la plume remontent plus haut même ue l'invention de l'encre ; ils dureront autant qu'elle, et le public y viendra toujours rafraîchir avec une véritable joie ses sentiments d'estime et de sympathie pour le monde des gens de lettres. Cependant, quoi qu'en pense ou qu'en dise M. Schérer, M. Émile Zola est une force d'à présent ; on dit qu'il est le fabricant de livres dont la marchandise s'écoule le plus abondamment. Cet éloge étant celui qui doit le mieux agréer à l'écrivain qui a, dans un prospectus tapageur, classé nos confrères d'après le chiffre de leur vente et le nombre de leurs éditions, ne lui marchandons pas un témoignage mérité. Puisse cette affirmation de bon vouloir nous conquérir au moins le droit de parler à notre aise et en toute impartialité d'un homme traité tour à tour de boutiquier en polissonneries et de régénérateur des lettres nationales !

    M. Émile Zola a dû être tout le premier à rire de ces grands mots. Il n'a rien régénéré, il le sait bien ; mais nous voyons à son actif assez de qualités qui ne sont pas communes. C'est un solide travailleur doué d'une grande énergie de volonté, à laquelle n'a point manqué le pressentiment d'un avenir prospère. Nous n'avons pas souvent rencontré à ses débuts le futur auteur de l'Assommoir ; mais nous l'avons rencontré précisément à cette époque intéressante de sa vie, où il se partageait entre de petits contes anodins pour de petites revues littéraires de province et des articles à thèse sur les Taine, les Flaubert et les Goncourt. J'ignore ou plutôt je sais trop bien la destinée qui attend les romans de M. Émile Zola ; ce sera celle de tous les romans et de la presque totalité des livres ; mais il y a une partie de son œuvre pour laquelle je demanderais volontiers grâce au dieu de l'imprimé : c'est cette excellente série de portraits politiques où notre auteur a montré une magistrale justesse de coup d'œil et sa vigueur ordinaire d'expression. Comme il les a déshabillés d'un tour de main ! Et comme, dépouillés de leurs oripeaux révolutionnaires et de leurs affectations jacobines ; il a mis à cru le néant, le vide, la méprisable faiblesse de ces prétendus forts, où l'on ne retrouve plus que des malins nantis ... nantis pour avoir exploité à l'heure juste le pouvoir du pince-nez ironique et du silence rogue sur le peuple le plus spirituel de l'univers.

    Le nouveau roman de M. Émile Zola est le onzième de la série qu'il a lancée dans le monde, avec cette étiquette : les Rougon-Macquart, histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. Ces onze volumes n'ont pas dû être suivis régulièrement par les mêmes lecteurs, ni surtout par le même nombre de lecteurs, puisqu'on trouve dans leur liste de petits malheureux qui se sont arrêtés à leur seizième mille, entre le cent mille et les cent vingt mille de l'Assommoir et de Nana. Au Bonheur des Dames est comme la seconde partie de Pot-Bouille, où l'on a pu voir un certain Mouret, grand amateur de femmes, entrer, après divers scandales domestiques, dans le magasin de nouveautés dont l'enseigne sert de titre au roman nouveau. Il commence par essayer, inutilement, de séduire la patronne, la belle Mme Hédouin, qu'il finit d'ailleurs par épouser bientôt, Hédouin étant mort, comme exprès pour permettre à son honnête épouse d'être à Mouret, sans manquer à la vertu. Le précédent récit s'achevait sur ce mariage ; le récit actuel nous montre Mouret déjà devenu veuf. Sa femme vient de périr accidentellement, pendant là construction des nouveaux et immenses magasins, qui vont faire du Bonheur des Dames le palais, la cathédrale des produits du commerce et de l'industrie ... un vrai ministère, comme disaient nos naïfs aînés. Mouret brille à la tête de ces quinze ou vingt messieurs, devenus, grâce à nos mœurs nouvelles, de grands personnages dans ce Paris, qui les vit hier encore auner dans de ténébreuses boutiques, et qu'ils convoquent aujourd'hui d'un air tout à fait directorial à leurs premières, comme parle l'odieux argot cabotinard de notre temps. N'a-t-on pas vu, tout récemment, l'un de ces gentilshommes, dans une réunion de son personnel, au lendemain d'un sinistre devenu une réclame, assurer la presse de toutes ses sympathies ?

    Au Bonheur des Dames raconte, avec les façons énormes propres à l'auteur et l'indigeste labeur de ses interminables descriptions, les monstrueux agrandissements d'une de ces maisons, qui finit par dévorer tout un quartier, et comme par couvrir à la fois Paris de sa masse extérieure, tout en brûlant les femmes de Paris dans ses intérieures fournaises. Le long et minutieux récit de ces transformations successives ; l'inquiétude, l'émoi, la fureur, la ruine et la mort de chacun des marchands du voisinage présentées individuellement au lecteur ; la physionomie morale des hommes et des femmes qui composent l'immense personnel d'une pareille maison ; les particularités des principaux d'entre eux : caissiers, inspecteurs, vendeurs et vendeuses, premiers et premières, et seconds et secondes aussi ; avant tout la portraiture du grand chef Mouret, homme adoré des femmes, comptant des maîtresses dans la haute société et dans toutes les autres, et qui a pour programme de dominer le commerce de son temps par l'exploitation des convoitises de la femme ; enfin, l'épreuve photographique tirée par trois fois, au parfait énervement du lecteur, d'une grande vente au Bonheur des Dames, sans oublier la scène à faire (et bien faite) de la prise en flagrant délit d'une voleuse du grand monde, remplissent ce volume de 520 pages.

    Eh bien ! et l'amour, là-dedans, on ne le voit pas ? Vous l'allez voir. Une maigre petite orpheline ; strictement vêtue d'une mince robe noire qui ne sauvegarde que la décence et laisse mourir de froid, débarque à Paris un beau matin de brouillard et de pluie glacée, et flanquée de deux frères dont cette demoiselle sans un sol est l'unique soutien. Elle s'appelle Denise ; après avoir traversé les épreuves de la plus sombre misère, résisté aux lâches persécutions, aux moqueries, aux insultes, aux conseils tentateurs, aux exemples dangereux, aux penchants de son propre cœur, la pure et intelligente jeune fille allume l'invincible amour dans le cœur de son seigneur, sultan Mouret, ce dompteur de femmes. Elle résiste aux séductions, aux propositions, aux larmes et au chagrin de ce dominateur dont un regard la faisait jadis trembler, et qui maintenant se désespère devant cet empire où il commande et ce million quotidien étalé sur sa table, tous deux impuissants à lui gagner le baiser de sa servante ! A la dernière page du livre, c'est à peine si une demande en mariage, humblement formulée par Mouret dans une explosion de sanglots, laisse entrevoir que Denise va devenir Mme Mouret. C'est là l'originalité et la poésie de l'œuvre, et. ce qui rejette bien loin dans l'ombre ces trop techniques et excessives énumérations. Que si l'on se refuse à voir un héros d'amour dans un joli marchand de nouveautés, nous répondrons que la réalité n'entre presque jamais dans le sens de nos conventions à cet égard ; d'ailleurs, personnellement, nous ne sommes pas fâché de voir les femmes s'animer pour d'autres gens que des peintres ou des hussards. Il y a dans M. Émile Zola comme une vocation de poésie, attestée particulièrement encore dans la magnification et le symbolisme des vulgarités de son dernier thème, qui nous fait espérer de lui voir bien accueillir la déclaration sur laquelle s'achèvera cette note. Que l'aveu soit taxé de provincial, de rococo, de troubadour, de pendule d'hôtel meublé ; nous donnerions toute l'anatomie, toute l'autopsie, toutes les buées, tous les procès-verbaux et états des lieux du roman contemporain, pour la moitié d'une strophe qui nous console avec l'idéal des affreuses tristesses de la vie et qui rende à notre âme un éclair de ce monde invisible, d'où elle nous semble l'émigrée nostalgique.

L. D.


(*) Compte-rendu paru dans Le Livre, Bibliographie moderne, livraison du 10 avril 1883, signé des initiales L. D. Nous ne savons pas qui se cache derrière les initiales L. D. ? Est-ce Octave Uzanne lui-même ? Quelques néologismes employés à souhait et quelques tournures de phrases pourrait le laisser supposer, mais rien n'est moins certain (de ce que nous savons à ce jour). Cette critique d'Au Bonheur des Dames est plutôt bienveillante, tout en soulignant les défauts de l'écriture propre à Zola, souvent dénoncés par Octave Uzanne et d'autres de ses collaborateurs au Livre entre 1880 et 1889. Au Bonheur des Dames a paru tout d'abord en feuilleton dans le Gil Blas, du 17 décembre 1882 au 1er mars 1883. Il sort en volume chez Charpentier le 2 mars 1883.

Bertrand Hugonnard-Roche

dimanche 13 décembre 2020

Nana, par Emile Zola. Compte-rendu par Louis Ulbach dit Ferragus dans Le Livre (10 mars 1880). Zola et la littérature putride.


Page de titre de Nana, année de l'édition originale
avec mention de sixième édition.



COMPTES RENDUS ANALYTIQUES
DES PUBLICATIONS NOUVELLES

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QUESTIONS DU JOUR




NANA,

PAR M. ÉMILE ZOLA.

Paris, 1 volume. Charpentier, éditeur.


    Je me souviens, en feuilletant Nana, qu'en 1870, pendant le siège de Paris, un patriote fantaisiste avait sérieusement proposé au gouvernement de la Défense nationale de garantir Paris contre un assaut, en répandant tout autour, sur les remparts, ce qu'il était devenu difficile de transporter à Bondy. C'était, on en conviendra, un singulier moyen d'intimider les Prussiens.

    M. Zola, qui est un fantaisiste du même goût, a entrepris de donner la même inviolabilité à son livre. Il a cru garantir Nana contre la critique tout en spéculant sur l'impudeur d'un certain public.

    S'est-il trompé ? En tout cas, ses principes littéraires ne lui ont pas permis de prévoir l'usage des gants pour toucher aux objets malpropres, et son ignorance de la réalité ne l'a pas averti que cette fois il dépassait la mesure, même pour les lecteurs les moins raffinés.

    Les curiosités qui avaient pris des engagements d'avance sont bien obligées d'acheter le livre commandé ; les amateurs de scandale, toujours assez nombreux, sont bien contraints de faire entrer ce livre dans leur collection. Mais ce débit fatal, assez abondant pour dédommager l'éditeur et pour permettre à l'auteur quelques petites satisfactions naturalistes, ne constituera jamais un succès. L'échec est certain, échec littéraire, échec moral. Le gain ne peut compenser la honte, et, cette fois, il ne prouvera rien.

    Est-ce donc un livre que ce composé de tableaux obscènes, sans l'excuse de la jeunesse, sans le voile de l'esprit, sans le parfum d'une grâce qui pourrait faire sourire les plus austères ? Non. Des pages tachées d'encre et cousues ensemble n'ont droit au nom de livre que quand elles constituent une œuvre équilibrée, ayant un début, un milieu, une fin, développant des caractères, une thèse, ou racontant des événements, Nana ne remplit aucune de ces conditions. On ne sait d'où vient l'héroïne quand, au premier chapitre, on la voit toute nue sur les planches ; on ne sait où elle irait : c'est un accident qui interrompt ses attitudes, ses poses plastiques, un accident qui ne tient ni à son entourage, ni à ses mœurs, ni à sa santé, ni à la revanche des uns, ni à l'imprudence des autres, ni à un vice, ni à une vertu. Si Nana avait été suffisamment vaccinée, le roman pouvait durer encore pendant trois cents autres pages. L'auteur ne cesse de la décrire et ne parvient pas à en faire un portrait qui vive, qui reste. Tous les personnages d'ailleurs ont la même silhouette vague, la même absence de relief, la même pauvreté d'esprit, la même inanité de conscience. Chose singulière on ne sait l'âge de personne, l'âge, cette raison déterminante de tant de phénomènes, de passions et qui devrait préoccuper par-dessus tout un romancier naturaliste ! Tous ces gens-là se heurtent, s'engueulent, se prennent, se quittent, se souillent, sans qu'on puisse en classifier un seul. Il n'y a pas un type, pas un caractère, pas une individualité, pas un homme qui ait un quart d'heure de réflexion pas une femme qui s'élève, en amour, au-dessus de la passivité de la prostituée. A chaque chapitre, le roman recommence et pourrait finir. L'analyse en est impossible : la synthèse en serait chimérique.

    Il ne faut pas croire que M. Zola, qui est très systématique, ait voulu ce désordre, cette confusion. C'est, au contraire, l'impuissance de sa volonté qui l'a amenée. Jamais auteur n'eut un plan plus solennellement arrêté. Celui du général Trochu mérite moins d'être légendaire. J'ai eu occasion de lire le programme que M. Zola adressait un jour à un éditeur pour lui proposer l'Histoire naturelle d'une famille, et voici textuellement ce qu'il disait du roman qui s'appelle aujourd'hui Nana :

    « Un roman qui aura pour cadre le monde galant, et pour héroïne Louise Lantier, la fille du ménage ouvrier. De même que le produit des Rougon, gens enfoncés dans la jouissance, est Maxime, un avorton social, de même le produit des Macquart, gens gangrenés par les vices de la misère, est Louise, une créature pourrie et nuisible à la société. Outre les effets héréditaires, il y a dans les deux cas une influence fatale du milieu contemporain. Louise est ce qu'on nomme une biche de la haute volée. Peinture du monde où vivent ces filles, drame poignant d'une existence de femme perdue par l'appétit du luxe et des jouissances faciles. »

    Voilà le plan de l'auteur. Je m'en servirai pour contrôler son œuvre.

    M. Zola se croit l'héritier de Balzac, ce Napoléon Ier du roman (ainsi que Balzac aimait à le supposer) ; il n'est pas même le reflet équivalent à Napoléon III. Il parodie, il ne succède pas.

    C'est tout d'abord une imitation puérile que de commencer par où Balzac a fini, c'est-à-dire par le cadre d'une nouvelle Comédie humaine. Tout le monde sait que Balzac ne s'avisa réellement de ce titre collectif pour tous ses romans que quand il en fit une édition complète. A l'époque où il écrivait Vautrin, Eugénie Grandet, il ne songeait guère à leur assigner une case spéciale, dans un ensemble gigantesque. Il allait et il alla toujours où son génie l'appelait.

    J'oserai affirmer, sans crainte de commettre un paradoxe, que c'est un signe d'infériorité intellectuelle, d'arrêter ainsi d'avance les étapes de son essor ; de dresser, avant la conception, l'arbre généalogique des enfants qu'on rêve ; d'être bien sûr de mettre à heure fixe dans le gaufrier la pâte nécessaire, et de discipliner à ce point son esprit, pour lui défendre de s'émouvoir, avant l'heure, d'une idée dont le tour n'est pas venu !

    L'homme de génie ne sait pas toujours ce qu'il veut ; l'homme médiocre le sait imperturbablement. Le premier va où son imagination le pousse ; l'autre, sur ce point, est infaillible ; il va à sa fonction comme un employé à son bureau. Seulement il arrive à ce dernier quelquefois de se tailler une besogne au-dessus de ses forces et de ne pouvoir s'en tirer alors il manque son avancement.

    C'est le cas de M. Zola. Il ne tient rien de ce qu'il promet aux autres et de ce qu'il s'est promis.

    La question scientifique de l'hérédité du sang et des vices n'apparaît pas dans Nana. Cette drôlesse, qui a la nostalgie du trottoir, n'est pas la biche de haute volée. Elle n'a pas la première condition du genre, un salon où l'on trouverait toutes sortes de beau monde, sans oublier les romanciers naturalistes. C'est simplement une fille de l'acabit de la première venue, la plus vulgaire des rôdeuses de nuit. Elle n'est pas si nuisible à la société que l'auteur voudrait le faire croire. Les gens qu'elle ruine, on ne sait comment, ne manquent, après leur désastre, ni à la société, ni même à leur famille. II ne se fait aucun craquement dans le monde parisien, quand Nana monte au sommet. Il est parfaitement indifférent qu'elle rôde sur le trottoir du faubourg Montmartre ou qu'elle se vautre sur les tapis de son hôtel. C'est un des atomes malsains de Paris, mais c'est un atome.

    Quant à l'influence du milieu contemporain, il n'en est pas question une minute ; nous faisons la connaissance de Nana sur les planches du théâtre des Variétés nous la suivons chez elle, dans la compagnie d'une proxénète, dans une table d'hôte où les vieilles vestales de Lesbos vont renouveler l'huile de leur lampe. Ce milieu est aussi laid que l'héroïne, mais il ne la corrompt pas plus qu'il n'en reçoit la corruption.

    Je soupçonne M. Zola d'être d'une candeur égale à son ambition. II a, dans ses peintures, dans son langage, une violence qui est la griserie, l'effronterie de la naïveté. Ignorant du monde qu'il veut peindre, il croit le faire vivre puissamment, en lui faisant tenir les propos les plus exorbitants. Mais l'art des nuances, des couleurs sobres devant produire l'effet par la variété lui échappe fatalement.

    Dans son programme il promettait un drame poignant. Il n'y a pas l'ombre d'un drame. Nana est atteinte de la petite vérole, par hasard, parce qu'elle a embrassé son enfant en revenant de Russie ; elle va mourir au Grand-Hôtel, pour qu'il y ait quelque chose de grand dans sa mésaventure. Pendant qu'elle agonise, on crie sous ses fenêtres « A Berlin à Berlin ». Nous sommes en 1870. Est-elle donc pour cela l'incarnation vivante, la muse pourrie de l'empire ? Non. Muffat et tous les autres imbéciles qui se font berner par Nana seraient aussi invraisemblablement d'aujourd'hui que d'hier, s'ils devaient jamais être d'aucun temps.

    Il est visible que M. Zola a été préoccupé du dénouement de la Cousine Bette. Mais quelle différence entre cette mort épouvantable de Mme Marneffe qui est un châtiment voulu, un crime vengeant d'autres crimes, et cette mort de Nana, aussi bête que sa vie !

    En supprimant la morale, le sentiment, la conscience, M. Zola, incapable d'émouvoir ses lecteurs, est condamné à faire tressaillir les nerfs par le dégoût physique ou par un goût exaspéré de la chair. Phryné se défendait en se mettant toute nue : l'auteur de Nana ne connaît pas d'autre plaidoirie pour elle. Quand l'intérêt languit, tout à coup Nana retire sa chemise. Tant pis pour ceux que cela n'amuse pas ! Voilà le drame poignant et empoignant !

    Je le répète, on ne fait pas un livre uniquement avec des gravelures ; on fait un recueil pour servir de commentaire aux photographies défendues. Le naturalisme qui borne ses applications à nous montrer des hommes et des femmes jouant une comédie quelconque in naturalibus n'appartient pas à l'industrie littéraire, la police le pourchasse sous un autre nom.

    Comme nous sommes loin de ces inquiétudes généreuses qui réhabilitaient par un éclair d'amour la femme perdue, avilie !

    Dans la Fille Élisa, de M. de Goncourt, il y avait encore une lueur, une phosphorescence vague qui planait sur la boue et qui ressemblait à une âme ; on sentait la mélancolie d'une créature humaine. Dans Nana, rien de pareil la boue fume et à travers ses miasmes ; pas un rayon qui nous fasse souvenir qu'après tout ces êtres vils sont pétris de la même chair que nous, que ces femmes sont du même sexe que nos mères, nos sœurs, nos filles !

    M. Zola est démocrate. Est-ce servir la démocratie que de montrer simplement la fatalité de la corruption dans les enfants du peuple, non par l'influence de la misère, de l'ignorance, mais par l'hérédité tyrannique ? Admettre des races maudites, c'est servir les idées les plus arriérées, les plus pauvres, les plus oppressives, les plus bêtes.

    Fort heureusement M. Zola ne sert rien, pas même le vice qu'il peint sans le punir. L'insuffisance de la conception, l'ignominie volontaire du style, l'insignifiance des faits harassent l'esprit, le goût et l'attention. On baille trop en lisant, pour garder les miasmes putrides qu'on avale.

    Cette œuvre, qu'il faudra cacher, dans le voisinage des livres du marquis de Sade, sera vite oubliée. Illisible dans sa nouveauté, qui s'avisera de la relire quand elle n'aura plus ce mince attrait du nouveau ?

    Elle fait, en tous cas, pour quelques instants, une étrange figure dans cette collection Charpentier, qui a été, en son temps, une révolution glorieuse de la librairie française, qui a vulgarisé tant de chefs- d'œuvre, et que son fondateur voulait maintenir au-dessus des vilenies de ce qu'on appelait alors le réa- lisme.

    Un jour, écrivant à l'auteur d'un roman qu'il publiait dans le Magasin de librairie, M. Charpentier lui disait avec émotion : 

    « Je vous fais mon compliment. J'ai lu cette nuit la première partie de ... C'est intéressant, spirituel, amusant et honnête ! honnête ! Quelques ouvrages encore comme celui-là et les Bovary, les Fanny seront enfoncées, la vertu reprendra ses droits.

    « Il y a au reste assez longtemps qu'on la méprise, cette pauvre vertu ... aussi je vais donner la place d'honneur à votre roman.

    « Ce qui me fait encore plaisir, c'est que le public finira par voir et comprendre que nous autres, les libéraux, nous sommes en même temps les honnêtes gens de ce temps-ci, et que nos adversaires sont de la pure canaille. »

    C'était en 1859 que M. Charpentier s'exprimait ainsi. Son fils veut-il éditer ses lettres ? Il était, j'en conviens, bien sévère, trop sévère pour Madame Bovary, mais comme il eût reçu l'auteur de Nana, si celui-ci était venu lui proposer son roman !

Louis ULBACH. (*)


(*) Ce compte-rendu a été publié dans la troisième livraison du Livre du 10 mars 1880. L'auteur de cette réception acide du Nana de Zola (paru le 15 février 1880 - a paru en feuilleton dans Le Voltaire du 16 octobre 1879 au 5 février 1880), Louis Ulbach, était un pourfendeur de la première heure de cette "littérature putride" qu'était, selon lui, le naturalisme. Louis Ulbach, dit Ferragus (1822-1889), journaliste, romancier, dramaturge et critique, est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages aujourd'hui oubliés. Entré au Figaro en 1867, il attaque Zola dans un article intitulé "La littérature putride" (à propos de la parution de Thérèse Raquin). Une polémique s'ensuivit, à la suite de laquelle Zola précisera ses intentions sur le roman naturaliste. Ulbach ne désarmera jamais contre Zola et ses écrits putrides. On le retrouve ici collaborateur de la première heure à la revue Le Livre dirigée et fondée par Octave Uzanne (à cette heure ennemi déclaré du naturalisme). Nana est le neuvième volume de la série Les Rougon-Macquart. Cet ouvrage traite du thème de la prostitution féminine à travers le parcours d’une lorette puis cocotte dont les charmes ont affolé les plus hauts dignitaires du Second Empire. Le récit est présenté comme la suite de L'Assommoir (1877). Tout d'abord succès de scandale (55 000 exemplaires étant achetés dès le premier jour de sa publication), Nana devient l'un des titres phares des Rougon-Macquart avec plus de 275 mille exemplaires vendus en 1929.

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 10 décembre 2020

A propos de La joie de vivre, dernier volume en date des Rougon-Macquart par Emile Zola, extrait de la chronique donnée par Edouard Drumont dans Le Livre (10 mars 1884).


Page de titre et justification du tirage de l'édition originale de
La joie de vivre, par Emile Zola.



A propos de La joie de vivre, dernier volume en date des Rougon-Macquart par Emile Zola, extrait de la chronique donnée par Edouard Drumont, alors collaborateur assidu à la revue Le Livre d'Octave Uzanne. (*)

[...] C'est un livre étrange que cette Joie de vivre et qui traduit aussi un des côtés de cette universelle désespérance, de ce pessimisme morne qui hante nos générations et que les générations d'autrefois ne connaissaient pas. Violente et coléreuse chez Flaubert, amène et souriante dans Heine et dans Alphonse Daudet, la haine de l'existence présente est grossière et brutale dans Émile Zola. L'auteur prend toutes les misères humaines, la goutte, l'œdème, l'accouchement difficile, l'hypocondrie, le suicide ; il recueille toutes les pestilentielles odeurs qui sortent de ces corps à demi pourris, toutes les tristesses qu'inspirent ces souffrances minutieusement décrites, il roule le lecteur là dedans et il lui dit : « Voilà la vie, mon vieux, qu'en penses-tu ? » Le livre est fort et remuant dans sa forme déplaisante, je l'ai constaté ailleurs. L'auteur, en définitive, a fait œuvre d'artiste puisqu'il s'est proposé un but et qu'il l'a atteint, puisqu'il a rendu visible une pensée qui était en lui. Rarement, par exemple, on a écrit quelque chose de plus désenchantant et de plus pénible. A l'exception de Pauline, la pupille dépouillée par les Chanteau, qui a quelque grâce, presque tous les acteurs sont affreusement bêtes, profondément égoïstes, inconsciemment malhonnêtes. L'écœurement qu'a désiré exciter le romancier vient tout spontanément aux lèvres devant tous ces personnages d'Henri Monnier proclamant au milieu d'une sorte de musée Dupuytren que Schopenhauer a raison et que la vie est un mal. Les païens eux-mêmes, Platon en tête, auraient refusé de reconnaître leur semblable dans ces êtres avilis et dégradés qui vivent d'une vie exclusivement instinctive et animale. Diogène lui-même eût préféré à ces bipèdes monstrueux le coq qu'il jeta un jour dans la salle de l'Académie et qui du moins salue d'une joyeuse fanfare le lever de l'aurore. L'avenir néanmoins consultera avec curiosité ce document humain qui a au moins le mérite de la franchise ; il connaîtra par lui la conception que le matérialisme du XIXe siècle se fait de cet homme créé à l'image de Dieu. L'œuvre, en effet, est sortie toute vivante des doctrines modernes et Zola n'a fait que donner une manifestation artistique aux théories de M. Paul Bert. [...]


Edouard Drumont
in Le Livre, Bibliographie moderne
Le Mouvement littéraire, Chronique du mois,
Livraison du 10 mars 1884


(*) La joie de vivre, par Emile Zola. 1 volume in-18. Paris, G. Charpentier et Cie, 1884. (4)-447 pages. Il a été tiré 10 exemplaires sur Japon et 150 exemplaires sur Hollande. La Joie de vivre est le douzième volume de la série Les Rougon-Macquart. Il est publié pour la première fois entre le 29 novembre 1883 et le 3 février 1884 dans le feuilleton du Gil Blas, avec une seule interruption le 15 janvier. Le roman est publié principalement en troisième page. Ce roman oppose le personnage de Pauline, qui aime la vie même si celle-ci ne lui apporte guère de satisfactions, à celui de Lazare, être velléitaire et indécis, rongé par la peur de la mort. 

dimanche 6 décembre 2020

Qui signe ses articles des initiales "G. T." dans les critiques littéraires du mois dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne (1880-1889) ? Essai récapitulatif des critiques signées par G. T.

 

Articles du Livre signés des initiales

G. T. (*)


1880

- Old England, 1868-1879, par Ernest Guillemot (avril 1880)

- Livres recommandés : L'Apostat, La Jeunesse de Fanny Kemble, Rosa Trévern, Un Drame dans la rue de l'Echiquier (mai 1880)

- Ouvrages recommandés : Sainte Claire d'Assise, par Mlle Clarisse Bader ; Souvenirs de prison et de bagne, par Henri Brissac ; Le Procès de l'absent, par S. Blandy (octobre 1880

- Le bonheur et l'argent, par le comte Wodzinski (décembre 1880)

- Le roman d'un bossu, par Edmond Thiaudière (décembre 1880)


1881

- Un beau mariage, par Victor Perceval (janvier 1881)

- Le baron de Koenig, par Jacques de Fontenelle (mars 1881)

- Le baron de Koenig, par Jacques de Fontenelle (mars 1881)

- Les amours d'un interne, par Jules Clarétie (mai 1881)

- La lecture en famille (mai 1881)

- La Maison Tellier, par Guy de Maupassant (juin 1881)

- Les Soldats du désespoir, par Alexis Bouvier (août 1881)

- La Vie facile, par Albéric Second (septembre 1881)

- L'affaire Matapan, par F. du Boisgobey (novembre 1881)

- Les Mystères du Hasard, par Gustave de Parseval-Deschênes (décembre 1881)

- Séduction, par Hector Malot (décembre 1881)

- Un Drame à Naples, par Daniel Bernard (décembre 1881)


1882

- Les Théories du docteur Wurtz, par J. Girardin (janvier 1882)

- Un village au XIIe et au XIXe siècle, par Léon Barracand (février 1882)

- Les Tréteaux parisiens, par Louis Leroy (février 1882)

- Le bel Alphonse, par Alexis Bouvier (avril 1882)

- Le Roman d'une Anglaise, par Fortunio (mai 1882)

- Anecdotes médicales, par G. Witkowski (mai 1882)

- Un Coup de revolver, par Jules Mary (mai 1882)

- Les Drames du Gange, par Louis Collas (mai 1882)

- Jeanne de Maurice, par Lucien Biart (mai 1882)

- L'Enfant de l'amant, par A. Matthey (mai 1882)

- Scènes de la vie cléricale, par Charles Buet (mai 1882)

- Histoire de Barbara, par Mme Z. Tardieu (mai 1882)

- Comme une fleur, par Rhoda Broughton (juin 1882)

- Bartoloméa, par Georges Lafenestre (juin 1882)

- Jack Tempête, par Pierre Elzéar (juin 1882)

- Nora, par Mme Eugène Garcin (juin 1882)

- Les mémoires d'un galopin, par Armand Silvestre (juin 1882)

- Les Grands Bazars, par Pierre Giffard (juillet 1882)

- La fille du Cardinal, par Paul de Katow (août 1882)

- Le Million, par Jules Clarétie (septembre 1882)

- Jolette, par Mary Cecil Hay (septembre 1882)

- L'Amour s'amuse, par Satin (octobre 1882)

- La petite sœur, par Hector Malot (décembre 1882)

- Une trahison, par Henry Gréville (décembre 1882)

- Caprice pour Dames, par Charles Mérouvel (décembre 1882)

- La Servante du Régisseur, par E. Marlitt (décembre 1882)


1883

- Les Pioupious, par Léopold Sabot (janvier 1883)

- Celles qu'on aime, par René Maizeroi (mars 1883)

- La Piaffeuse, par le marquis de Cherville (mai 1883)

- Une Vie, par Guy de Maupassant (juin 1883) : "[...] Maintenant il peut aller hardiment de l'avant ; il a marqué sa place dans notre littérature, et une bonne place." G. T.

- Monsieur Daphnis et Mademoiselle Chloé, par Ange Bénigne (juin 1883) : "Ceci ne relève pas de la littérature sérieuse. Toutes ces petites nouvelles à l'opoponax, à la poudre de riz et aux crudités parfumées, étaient peut-être à leur place dans la Vie parisienne ; en volume, elles deviennent peu lisibles : c'est de la crème fouettée et tournée." G. T.

- Michel Verneuil, par André Theuriet

- Contes de la bécasse, par Guy de Maupassant (août 1883) : "[...]notre implacable fouilleur de la bête humaine, un Guy de Maupassant qui, à l'exemple du Seigneur, sonde les cœurs et les reins de tous ceux qu'il étudie." G. T.

- Xavier Teslelin, par Alexandre Boutique (août 1883)

- Le roman d'une mère, par Paul Célières (août 1883)

- Angèle Méraud, par Charles Mérouvel (août 1883)

- Noris, par Jules Clarétie (septembre 1883)

- La vocation d'Antoine, par P. Barrué (décembre 1883)


1884

- Victoire la Rouge, par Georges Peyrebrune (janvier 1884)

- Les Bêtises de mon oncle, par Armand Silvestre (février 1884)

- Au Soleil, par Guy de Maupassant (mars 1884) : "[...] Lorsqu'on ferme le livre, on reste longtemps sous cette écrasante impression de force et de grandeur, comme si on avait vu avec lui tout ce qu'il raconte." G. T.

- Bruxelles rigole ... (Mœurs exotiques), par Henri Nizet (avril 1884) [très sévère critique].

- Margot la balafrée, par Fortuné du Boisgobey (avril 1884)

- M. Pasteur, histoire d'un savant par un ignorant. (avril 1884)

- La vie à Paris (1883), par Jules Clarétie (avril 1884)

- Lettres de Gustave Flaubert à George Sand (avril 1884)

- Le Crépuscule des Dieux, par Elémir Bourges (mai 1884)

- Folle Avoine, par Henry Gréville (mai 1884)

- Le Roi Ramire, par Ferdinand Fabre (mai 1884)

- La Fin du vieux temps, par Paul Bourde (mai 1884)

- La Princesse Casse-cou, par Auguste Erhard (mai 1884)

- La Conquête de Lucy, par Albert Bataille (mai 1884)

- Tante Aurélie, par André Theuriet (mai 1884)

- Les amours cruelles, par Albert Delpit (juin 1884)

- Miss Harriet, par Guy de Maupassant (juin 1884) "[...] Pour nous, Miss Harriet, s'ajoutant à la collection si riche des œuvres du jeune romancier, est un livre qui achèvera d'affirmer sa haute valeur et son incontestable talent." G. T.

- Les coudes sur la table, par O'Bennt (juin 1884)

- Le Pigeon, par Adolphe Belot (juillet 1884)

- Lise Fleuron, par Georges Ohnet (juillet 1884)

- Andrée, par Georges Duruy (juillet 1884)

- L'Art de dire le monologue, par Coquelin (juillet 1884)

- Histoire et géographie de Madagascar, par Henry d'Escamps (juillet 1884)

- Le prince Zilah, par Jules Clarétie (août 1884)

- Mal mariée, par Alexandre Boutique (août 1884)

- Jeunes filles, par Catulle Mendès (août 1884)

- Kira, par V. Rouslane (août 1884)

- Couloirs et coulisses, par Adolphe Badin (août 1884)

- La petite Zette, par Jules Case (août 1884)

- Hilaire Gervais, par Léon Barracand (août 1884)

- En pleine fantaisie, par Armand Silvestre (août 1884)

- Bébé et Cie, par Emile Bergerat (août 1884)

- Voyages à travers le monde, par Albert Wolff (août 1884)

- Des Vers, par Guy de Maupassant (août 1884)

- Les Sœurs Rondoli, par Guy de Maupassant (septembre 1884) : "[...] Les sœurs Rondoli apportent donc un succès de plus à l'acquit de l'auteur de tant d'œuvres remarquables, qui ne compte que par succès et par succès mérités, depuis qu'il a fait son entrée dans la vie littéraire." G. T.

- Le Vice suprême, par Joséphin Péladan (novembre 1884)

- L'Archipel en feu, par Jules Verne (novembre 1884)

- Lady Fauvette, par Marguerite Van de Viele (novembre 1884)

- L'écume de Paris, par Albert Wolff (décembre 1884) : "[...] L'Ecume de Paris est un livre d'actualité et un livre de bibliothèque ; dans vingt ans, comme aujourd'hui, on le lira avec une curiosité aussi vive et un plaisir aussi grand, car tout vieillit, tout change, excepté le crime, le vice et la misère." G. T.


1885

- L'élève Gendrevin, par Robert Caze (janvier 1885)

- Les monstres roses, par Edmond Deschaumes (janvier 1885)

- Les Monach, par Robert de Bonnières (janvier 1885)

- Au Régiment, par René Maizeroy (janvier 1885)

- Autour d'une caserne, par Paul Bonnetain (février 1885) : "[...] Après Guy de Maupassant, et dans une manière tout à fait autre, Paul Bonnetain nous semble le plus fort dans la nouvelle courte, rapide et poignante comme une palpitation prolongée du cœur." G. T.

- Au Tonkin, par Paul Bonnetain (février 1885) : "[...] Ce livre est, en résumé, un curieux et précieux bibelot rapporté d'extrême Orient, une pièce rare à mettre dans sa vitrine de collectionneur, de lettré et d'artiste." G. T.

- L'Hystérique, par Camille Lemonnier (mars 1885) : "Un maître livre, certainement l'œuvre capitale de cet écrivain de rude et mâle talent que l'on nomme Camille Lemonnier. [...]" G. T.

- Le point noir, suivi de Un Gendre, par A. Matthey (avril 1885)

- Germinal, par Emile Zola (avril 1885)

- La femme d'un autre, par Charles Lancelin (avril 1885)

- Les détraquées, par Georges Sauton (avril 1885)

- Adulter, par Adolphe Belot (avril 1885)

- La nièce de l'organiste, par Jean de Nivelle (avril 1885)

- Marcelle, par Daniel Lesueur (mai 1885)

- Mon petit dernier, par Quatrelles (mai 1885)

- L'étude Chandoux, par Jules de Glouvet (mai 1885)

- Le chef de gare, par Vast-Ricouard (mai 1885)

- Sœur Thècle, par Stello (mai 1885)  "[...] C'est un léger travail, une fantaisie sans consistance, toile d'araignée tissée par des doigts de femme, délassement de désœuvrée délicate, essayant de s'amuser aux choses de l'esprit." G. T.

- Bel-Ami, par Guy de Maupassant (juin 1885) "[...] Bel-Ami est donc un livre qui fera crier, mais qu'on lira avec passion, biel qu'il ne s'en dégage pas un honnête homme, pas une honnête femme, et qu'il contienne la plus jolie collection de coquins et de coquines qu'on puisse imaginer." G. T.

- Une Bourgeoise, par Jules Case (juin 1885)

- La Grande Marnière, par Georges Ohnet (juin 1885)

- La Grève de Penhoat, par Maurice Jouannin (juin 1885)

- Solange de Saint-Luc, par Albert Delpit (juin 1885)

- Le Livre de mon ami, par Anatole France (juin 1885)

- Quelques Sires, par Léon Cladel (juin 1885)

- La Maison fermée, par Edmond Frank (juin 1885)

- Brutalités, par Francis Enne (juin 1885)

- Idylles, par Henry Gréville (juin 1885)

- Lettres de Jules de Goncourt (juin 1885)

- L'Amour chez Alphonse Daudet (juillet 1885)

- Louis de Clermont, sieur de Bussy d'Amboise (juillet 1885)

- Fruits défendus, par Aurélien Scholl (août 1885)

- Une Affolée d'amour, suivi de la Couleuvre, par Adolphe Belot (août 1885)

- La Fausse piste, par Fernand Lafargue (août 1885)

- Paris vivant, par Robert Caze (août 1885)

- Les Loisirs d'un hussard, par Théo-Critt (août 1885)

- Les Hautemanière, par Charles Canivet (août 1885)

- Sophie Arnould, par Edmond et Jules de Goncourt (août 1885)

- La sagesse parisienne, par Henry Fouquier (août 1885)

- Les Français de la décadence, par Henri Rochefort (août 1885)

- Zélie Clairon, par Louis Davyl (septembre 1885)

- Le garde du corps, par Georges Duruy (septembre 1885)

- Le lieutenant Bonnet, par Hector Malot (novembre 1885)

- Un cœur fêlé, par Jules Vidal (novembre 1885)


1886

- Monsieur Parent, par Guy de Maupassant (janvier 1886)

- Par les Champs et par les Grèves, par Gustave Flaubert (janvier 1886)

- Le Gaga, par Dubut de Laforest (janvier 1886)

- Les signes du temps, par Henri Rochefort (janvier 1886)

- Les attentas de Modeste, par M. Pontsevrez (janvier 1886)

- Mam'zelle Vertu, par Henri Lavedan (janvier 1886)

- Le Cœur, par Félicien Champsaur (janvier 1886)

- La Bonne en or, par Henri Pagat (janvier 1886)

- Les cas difficiles, par Armand Silvestre (janvier 1886)

- Clairs de soleil, par Noel Blache (janvier 1886)

- Contes Bourgeois, par Théodore de Banville (janvier 1886)

- Lettres de ma chaumière, par Octave Mirbeau (janvier 1886)

- La Main aux dames, par Tancrède Martel (janvier 1886)

- L'Alpe homicide, par Paul Hervieu (janvier 1886)

- Le Viol, par Emile Bergerat (janvier 1886)

- La grande Bohème, par Henri Rochefort (janvier1886)

- Madame Saint-Huberty, par Edmond de Goncourt (janvier 1886)

- Tartarin sur les Alpes, par Alphonse Daudet (février 1886)

- Toine, par Guy de Maupassant (mars 1886)

- Le Roman d'un officier de fortune, par M. de Beaurepaire (mars 1886)

- Bébé Million, par René Maizeroy (mars 1886)

- La Fin de Paris, par René Maizeroy (mars 1886)

- La Faute des autres, par Maurice Montégut (mars 1886)

- La Maîtresse de Mazatin, par E.-G. Beautivel (mars 1886)

- L'Illustre Casaubon, par Paul Gaulot (avril 1886)

- Les Dames de Croix-Mort, par Georges Ohnet (avril 1886)

- Grèce, Turquie, le Danube, par Charles Bigot (avril 1886)

- Madame Bourette, par Saint-Juirs (mai 1886)

- Pages retrouvées, par Edmond et Jules de Goncourt (mai 1886)

- Paris inconnu, par Privat d'Anglemont (mai 1886)

- Le Boulet, par René Maizeroy (juin 1886)

- Le Cerveau de Paris, par Félicien Champsaur (juin 1886)

- La Capitale de l'Art, par Albert Wolff (juin 1886)

- L'Opium, par Paul Bonnetain (juillet 1886)

- Souvenirs de la maison des morts, par Th. Dostoïevsky (août 1886)

- L'esprit du boulevard, par Aurélien Scholl (août 1886)

- Henri Regnault, par Roger Marx (août 1886)

- Le Drapeau, par Jules Clarétie (septembre 1886)

- La Russie au soleil, par Marius Vachon (septembre 1886)

- Serenus, par Jules Lemaître (novembre 1886)


1887

- Chimère, par Eugène Mouton (janvier 1887)

- Les Adorées, par Joseph Montet (janvier 1887)

- Bohème militaire, par René Mélinette (janvier 1887)

- Le Calvaire, par Octave Mirbeau (janvier 1887)

- Les Coulisses, par Aurélien Scholl (janvier 1887)

- Noir et rose, par Georges Ohnet (février 1887)

- Maître Leteyssier, par Lucien Macaigne (mars 1887)

- Paul de Saint-Victor, par Alidor Delzant (mars 1887)

- Mirage, par Rioux de Maillou (avril 1887)

- Au Paradis des Enfants, par André Theuriet (mai 1887)

- Journal des Goncourt (mai 1887)

- Née Michon, par Henry de Pène (juin 1887)

- Madame Robert, par Théodore de Banville (juin 1887)

- Correspondance (1830-1850) par Gustave Flaubert (juin 1887)

- Le Horla, par Guy de Maupassant (juillet 1887)

- Pascal Géfosse, par Paul Margueritte (novembre 1887)

- Les Barthozouls, par Joseph Caraguel (novembre 1887)

- La Terre, par Emile Zola (décembre 1887)

- Ghislaine, par Hector Malot (décembre 1887)


1888

- La Cousine, par Léon Barracand (mars 1888)

- Folie d'amour, par Mme Hector Malot (mars 1888)

- Histoires insolites, par le comte de Villiers de L'Isle-Adam (avril 1888)

- Le Froc, par Emile Goudeau (avril 1888)

- Conscience, par Hector Malot (mai 1888)

- Les pauvres gens, par Th. Dostoievsky (juin 1888)

- Le Canon, par Jules Perrin (juin 1888)

- Pierre et Jean, par Guy de Maupassant (juillet 1888)

- L'Immortel, par Alphonse Daudet (août 1888)

- Les Corneille, par J.-H. Rosny (août 1888)

- Être, par Paul Adam (août 1888)

- La Nouvelle Carthage, par Georges Eckhoud (août 1888)

- En secondes noces, par Alexandre Boutique (août 1888)

- Raca, par Léon Cladel (août 1888)

- Madame Lupar, par Camille Lemonnier (août 1888)

- Le P'tit, par Jean Ajalbert (septembre 1888)

- Le Rêve, par Emile Zola (novembre 1888)

- Sur l'eau, par Guy de Maupassant (novembre 1888)

- L'Aventure de Briscart, par Armand Dayot (décembre 1888)


1889

- Secret amour, par Adolphe Chenevière (janvier 1889)

- Marie-Madeleine, par Jean Bertheroy (février 1889)

- Mademoiselle Jaufre, par Marcel Prévost (mars 1889)

- Un premier amant, par Armand Silvestre (avril 1889)

- Enfants et Mères, par Mme Alphonse Daudet (mai 1889)

- Un homme libre, par Maurice Barrès (juin 1889)

- Correspondance  de Gustave Flaubert (1850-1854) ( juin 1889)

- Fort comme la mort, par Guy de Maupassant (juillet 1889)

- Passionnément, par Albert Delpit (août 1889)

- La Confession d'un jeune Anglais, par George Moore (août 1889)

- Etude de Femmes, par André Mellerio (novembre 1889)

- Mariage riche, par Hector Malot (novembre 1889)

- La Bataille littéraire, par Philippe Gille (novembre 1899)


(*) Ce relevé que nous pensons exhaustif n'est cependant pas indemne de quelques erreurs possibles d'interprétation dans la signature des articles parus dans Le Livre entre 1880 et 1889. En effet, il apparaît que de nombreuses critiques non signées sont souvent suivies de critiques signées d'initiales, comme ces initiales G. T. Si par exemple on trouve quatre ou cinq critiques non signées à la suite elles-mêmes suivies d'une critique signée des initiales G. T., cela signifie-t-il que les quatre ou cinq critiques qui précèdent sont également à porter au crédit de G. T. ? Nous ne savons pas, mais c'est une possibilité. Si tel était le cas, cela voudrait dire qu'il y a encore bien plus de critiques sorties de la plume de G. T. que celles que nous donnons ci-dessus. G. T. est-il Octave Uzanne ? Le rédacteur en chef Octave Uzanne, en préambule d'une critique (très favorable à Zola), nie ce fait en expliquant la "liberté d'expression" au sein du livre. Qui est G. T. ? Nous ne pouvons être affirmatif même si cependant nous croyons qu'il s'agit bien d'Octave Uzanne, qui sous couvert de ces initiales sibyllines qui ne correspondent à aucun collaborateur du Livre, donne dans les colonnes de sa propre revue des articles plutôt favorables à Emile Zola, toujours enthousiaste envers Guy de Maupassant (G. T. se réserve presque toutes le critiques des romans et nouvelles de Maupassant qui paraissent alors). On sait l'admiration qu'Octave Uzanne avait pour Guy de Maupassant. Il nous faudra lire et creuser chacune des critiques ci-dessus pour voir si nous décelons quelque indice sémantique susceptible de donner la clé de cette petite énigme qui a son importance dans l'histoire de cette revue. Nous avons indiqué en gras les titres les plus connus (encore connus aujourd'hui) ou d'auteurs qui ne sont pas tombés dans l'oubli.

Bertrand Hugonnard-Roche 

vendredi 4 décembre 2020

L'Assommoir, drame en cinq actes et neuf tableaux, par MM. Busnach et Octave Gastineau, avec une préface de M. E. Zola (mars 1881), critique par Octave Uzanne (Le Livre).



L'Assommoir
, drame en cinq actes et neuf tableaux, par MM. Busnach et Octave Gastineau, avec une préface de M. E. Zola et un dessin de G. Clairin. 1 vol. in-18, G. Charpentier, éditeur. - Prix 2 fr. 5o. (*)

    M. Zola se déclare bien à l'aise pour parler de l'Assommoir, car, dit-il, il n'a autorisé les auteurs à tirer un drame de son roman, qu'à la condition absolue de n'avoir à s'occuper en rien de la pièce. Et il ajoute qu'elle lui est donc étrangère et qu'il peut la juger avec une entière liberté d'appréciation. En est-il bien sûr ? Et n'a-t-il pas pour le drame extrait de son magnifique roman des entrailles quasi-paternelles ?

    Supposez que le drame soit tombé, ce qui était fort possible, il est hors de doute que M. É. Zola - et je ne saurais l'en blâmer - aurait accusé MM. Busnach et Gastineau d'avoir motivé cette chute par leurs concessions à la convention théâtrale, et il se serait écrié que le spectateur n'en voulait plus, de cette convention et que si les auteurs avaient fait du naturalisme pur, la destinée de l'Assommoir eût été tout autre. Cette assertion aurait eu besoin de preuves ; mais moi, qui ne suis pas naturaliste, je l'accepte carrément comme vraie. Oui, si M. Zola avait voulu lui-même mettre à la scène « la déchéance d'une famille ouvrière, le père et la mère tournant mal, la fille se gâtant par le mauvais exemple », et s'il avait travaillé cette matière, en s'aidant des riches documents que lui fournissait son roman, nous aurions eu une pièce neuve, d'un intérêt puissant, d'une conception hardie, une œuvre enfin ; tandis que, malgré l'immense succès qu'il a eu, l'Assommoir de MM. Busnach et Gastineau n'est qu'un vulgaire mélo où se trouvent de ci de là quelques bons morceaux, comme le premier tableau par exemple, et dont le succès a été dû en grande partie au comique archi-usé de Mes-Bottes et au, jeu des acteurs absolument identifiés, eux, avec les types tracés d'une manière si vivante par le romancier.

    Rien n'est plus poncif que la Virginie du drame et que le Lantier. M. É. Zola prend soin de nous dire qu'il n'aime guère cela. Je le crois bien ! Il n'est pas nécessaire d'avoir sucé le suc de la doctrine naturaliste pour avoir cette répulsion. Mais, comme M. Zola l'avoue lui-même, toute la pièce est dans le double ressort dramatique résultant de la modification, que dis-je ? dans l'oblitération des deux caractères, il s'ensuit que la pièce est mauvaise au point de vue artistique, si elle a été bonne au point de vue pécuniaire.

    Après cet aveu, M. Zola considère cependant l'Assommoir comme un triomphe des idées qu'il défend. Ah ! par exemple, elle est un peu dure à digérer, cette plaisanterie-là. Je considère, moi, que la doctrine du naturalisme au théâtre n'a pas fait un pas, ce qui ne veut pas dire que je la trouve ridicule ou inacceptable. Parce que plusieurs tableaux reproduisaient, avec une certaine fidélité, le milieu réel où doit se passer le drame, parce qu'on a représenté un lavoir exact, ou à peu près, un assommoir exact, et que les costumes étaient exacts, M. Zola part de là pour dire que le naturalisme a triomphé. Mais dans combien de pièces la mise en scène n'avait-elle pas été déjà calquée sur la vie ? Je me souviens d'une exécrable comédie du Gymnase, Nounou, où le quatrième acte se passait dans une cuisine dont les accessoires, les meubles avaient l'air de sortir de la Ménagère, et dont le décor était scrupuleusement exact. C'est là un effet de curiosité, obtenu à peu de frais, et sans que l'art y soit pour rien, sinon l'art du décorateur et du metteur en scène. Tant que le naturalisme n'en sera qu'à enregistrer des triomphes de ce genre, la vieille convention n'aura rien à craindre. Mais la vérité vraie, c'est qu'un besoin de nouveau se fait sentir au théâtre, c'est que les formules anciennes sont méprisées comme un habit qui a trop servi, c'est qu'il faut introduire dans le drame, dans la comédie de mœurs, tels qu'on les confectionne aujourd'hui, des réformes sérieuses, c'est enfin que le romanesque nous déplaît lorsqu'il se glisse dans une œuvre qui a la prétention de représenter la vie, que ce soit dans un drame ou dans une comédie, du moment que les personnages sont vêtus comme les spectateurs et, par conséquent, sont sujets aux mêmes passions, aux mêmes vices, aux mêmes douleurs, aux mêmes événements journaliers. Oh ! dans une pièce dite moderne, je veux, comme M. Zola, la suppression des sentiments de commande, des péripéties amenées par l'invraisemblable, les dénouements tirés à quatre chevaux, les personnages extra-humains. Mais, contrairement à lui, je veux aussi que le poète puisse créer un monde à sa fantaisie, des personnages adorables et surnaturels, et nous emporte avec lui vers les horizons bleus sur les ailes de la chimère et du caprice, nous faisant oublier dans les délices d'un rêve enchanté les misères de l'existence et la lassitude du labeur quotidien. Je veux qu'Aristophane puisse faire les Oiseaux, Shakespeare le Songe d'une nuit d'été et la Tempête, Théodore de Banville Diane au bois et François Coppée le Passant. Malheureusement, le naturalisme veut la destruction de tous ces poèmes adorables, et voilà pourquoi je ne suis pas naturaliste !

Article non signé [attribuable à Octave Uzanne]


(*) Compte rendu publié dans Le Livre, bibliographie moderne, livraison du 10 mars 1881, pp. 163-164. Cet article non signé est très probablement sorti de la plume d'Octave Uzanne, encore hostile à la plupart des productions naturalistes, notamment aux romans de Zola (Rougon-Macquart). Son avis évoluera assez rapidement au fil des années et des productions du chef de file de l'école naturaliste, pour arriver à un soutient franc et massif. L'Assommoir, drame en cinq actes et neuf tableaux, représenté pour la première fois à Paris, sur le théâtre de l'Ambigu, le 18 janvier 1879. Avec Gil Naza (Coupeau), Delessart (Lantier), Hélène Petit (Gervaise), Dailly (Mes bottes), Lina Munte (Virginie).

Bertrand Hugonnard-Roche

Germinal, par Emile ZOLA, critique littéraire du mois dans Le Livre par G. T. (10 avril 1885). "Cette œuvre, telle qu'elle est, est une des plus saisissantes, des plus puissances, qui soient sorties de la plume du. maître romancier."


Germinal
, par Emile ZOLA. Paris, G. Charpentier et Cie, 1885. Un vol. in-18 jésus. Prix 3 fr. 5o. (*)

    Bien que le Livre ne se soit jamais montré très bienveillant pour Émile Zola et que son rédacteur en chef [Octave Uzanne] puisse être rangé parmi les adversaires de certaines tendances du naturalisme, cependant il est avant tout partisan de l'absolue liberté des opinions, du moment qu'elles sont sincères et sans parti pris. C'est à cet éclectisme éclairé et conciliant, qui respecte toutes les convictions littéraires, que nous devons de pouvoir tracer, dans cette revue, un éloge complet, très enthousiaste peut-être, mais très franc, du dernier roman d'Émile Zola.

    On sort de la lecture de Germinal, comme le Dante sortait des cercles les plus pénibles de l'Enfer, la sueur au front, la pâleur de l'épouvante aux joues, le cœur étreint d'une débordante pitié, sans oser se retourner en arrière pour jeter un dernier regard à ce que l'on vient de voir. Mais il y a entre l'impression causée par la lecture du livre du splendide et farouche Florentin et celle du roman de Zola, toute la différence qui sépare l'implacable réalité de la fantaisie même géniale. Germinal est plus près de nous que l'Enfer; nous. sentons mieux les souffrances peintes par l'auteur des Rougon-Macquart que les tortures les plus monstrueuses combinées par le Dante. L'Italien est sublime, il a fait une œuvre immortelle et gigantesque ; mais les mineurs, nous les avons vus, nous les connaissons, et si l'envie nous en prend, nous pouvons descendre avec eux dans leur Enfer pour subir l'horreur et le frisson de leur existence, - ils sont plus près de nous.
    Aussi monte-t-il de ce livre formidable, de ce morceau d'humanité souffrante, de ces abimes béants, un cri d'affreuse et pénétrante angoisse, la plainte lugubre de milliers d'êtres broyés par un travail de damnés, livrés par un sort inexorable à l'éternelle nuit, à l'éternelle servitude, à l'éternelle douleur sous ses formes les plus diverses. Voilà la vraie cité de misère et de deuil au seuil de laquelle pourrait se tracer en lettres de sang la désespérante inscription qui commence par les mots :

« Par moi l'on va dans la cité des pleurs, par moi
« l'on va dans l'éternelle douleur, par moi l'on va chez
« la race damnée ! ... » et qui finit par ceux-ci :
« Vous qui entrez, laisser toute espérance ! »

    Pour qui a vu ces pays désolés, pour qui a parcouru, même hâtivement, les régions des mines, jamais rien de plus vrai, de plus poignant n'a été écrit sur l'existence des mineurs que le livre d'Émile Zola. Son mineur, pris comme un pauvre insecte entre deux lames de houille à cinq ou six cents mètres sous terre, est aussi lamentable, aussi morne, aussi résigné que les laboureurs du grand peintre Millet, que les esclaves de la glèbe, que le bétail humain courbé sur les sillons. Encore ceux-là ont-ils autour d'eux le plein air, le soleil, la verdure, les oiseaux, la poésie énorme des nuits étoilées, le mouvant mirage des nuages. L'autre, au fond du trou noir, est là, collé contre les parois qui peuvent se rapprocher pour l'aplatir, sans espace, crispé dans des positions tuantes, à moitié asphyxié, haletant, suant, respirant un air vicié, à peine éclairé par une lampe tremblotante, que berce ce vent de mort, le grisou.
    Du reste, c'est de haut et de loin qu'il faut juger l'écrasant ensemble de cette étude, pour échapper aux détails rebutants et se former un jugement désintéressé : les hideurs s'effacent, disparaissent et l'impression reste, énorme, dominatrice, forçant l'admiration et la pitié. L'œuvre de Zola ne s'épluche pas, ne se discutaille pas : il faut la repousser d'un bloc, avec la fureur de cette manière sombre et puissante, avec l'effroi social de cet impitoyable envahissement des choses, avec la négation têtue des forces naturelles, ou l'admirer, comme on admire les belles choses, jusque dans leurs verrues. On cherche des taches au soleil, on les y trouve, mais il ne viendra à personne l'idée de les effacer de l'astre du jour, car elles sont nécessaires à son existence, elles font partie de son essence ; de même les rudesses, les grossièretés voulues de Germinal sont indispensables à l'homogénéité, à la force même de l'œuvre. Ayant à peindre des êtres grossiers, il eût été faux de les représenter polis, lavés, bichonnés, comme des bergers d'opéra-comique. La nature a ses infirmités, ses défauts, ses vices, qui font corps avec elle et ne peuvent en être détachés; que ceux qui se refusent à voir les choses comme elles sont laissent ce livre de côté, il n'est pas écrit pour eux ici, c'est la vérité dans sa saisissante horreur, dans sa douloureuse nudité.



    D'autres ont traité, avant Émile Zola, l'éternel sujet des revendications sociales, ont mis en scène le sombre peuple de la mine, et pourtant, avec Germinal, on croit à la révélation brutale de monstruosités ignorées, d'infamies cachées, tant l'auteur a su animer d'un souffle puissant les malheureux peints par lui. Il a sorti du ventre de la terre tout un monde, qu'il jette palpitant, saignant, rugissant, sous nos yeux effarés. Sont-ce des êtres humains, sont-ce des bêtes que ces individus étranges que le grand jour semble affoler, que le plein air grise ? Leurs habitudes, leurs amours, leurs plaisirs, tout est extraordinaire. Quant à leur vie, c'est le combat de fourmis humaines contre le sort implacable, contre la farouche hérédité d'esclavage, la vraie lutte pour l'existence, celle-là, celle où l'on ne mange pas tous les jours, où l'on se dispute, où l'on se vend pour des morceaux de pain, où l'on se fait éventrer la pointe des baïonnettes pour quelques centimes de plus ou de moins, parce que ces centimes sont une question de vie ou de mort.
    Dès les premières pages, une grande horreur sombre s'approche, s'étale, envahit tout, comme un nuage menaçant, gros d'orages, de tempêtes, de désastres, éclairé çà et là de reflets sanglants, de lividités lugubres. On se sent le cœur remué d'une invincible émotion, qui grandit et atteint un de ses points culminants presque aussitôt, quand, à la question d'Étienne Lantier, demandant à qui appartient le pays, le vieux mineur répond, écrasé, dans une terreur d'infime  :

« On n'en sait rien. A des gens. »

    A des gens On ne les connaît même pas. Immédiatement, cette œuvre de socialisme, de revendication humanitaire, se trouve placée à une hauteur qui domine les personnalités et éloigne toute idée de petitesses : il ne s'agit pas de tel ou tel millionnaire, mais bien des riches et des pauvres, des repus et des affamés. Le livre embrasse toute la souffrance humaine dans sa forme la plus terrible, dans celle qui parle le mieux aux yeux et au cœur. A la peur causée par ce puissant rappel de la formidable question se mêle un irrésistible attendrissement pour tant de souffrances, pour tant de tortures, de larmes, de deuils. Ce ne sont plus là de froides études des avants doctrinaires, des abstractions d'économistes, c'est le mineur tout vivant que Zola jette devant nous, pour nous mieux apitoyer, et qui plaide lui-même sa terrible cause.
    L'action, une fois engagée, marche avec une sûreté, une force toujours croissantes, sans que l'auteur ait la moindre faiblesse ; à mesure qu'il fouille davantage son sujet, son style prend des allures plus mâles, les touches vigoureuses s'accentuent et forment un tout d'une puissance de magie incomparable. Le grouillement de ces masses d'individus est reproduit avec une vérité qui empoigne violemment et domine le lecteur. Dès lors on subit l'œuvre comme on subit un maitre qui sait se faire obéir ; les scènes se succèdent imposantes, terribles, mêlées de rires et de larmes ; c'est une coulée de lave en fusion, roulant dans ses eaux boueuses, tachées de feu et de sang, des scories de toute sorte. Ce n'est pas seulement un portrait du mineur et de sa femme, c'est leur vie, leurs vices, leurs qualités ; tout cela palpite, souffre et meurt littéralement devant vous.
    Il serait difficile de relever les uns après les autres tous les épisodes marquants de ce rude livre, tous les passages où l'intensité de vie déborde avec une force tragique incroyable ; ce ne sont que les différentes pièces d'un ensemble qui atteint des proportions superbes et qui ne saurait que perdre à l'analyse détaillée de ses morceaux. Cette manière de procéder aurait en outre le désavantage de mettre dans un relief tout à fait hors de proportion les passages incriminés par les critiques pudibonds que certaines exubérances de la vie effarouchent et qui croient inutile de présenter au lecteur de vrais mâles ; dans certains cas ceci peut-être vrai, mais dans Germinal l'œuvre ainsi comprise serait incomplète. A ceux, entre autres, qui ont poussé les hauts cris à la lecture de certains détails de la mort des Maigrat, nous objecterons que c'est là justement un des faits caractéristiques et physiologiques les mieux observés par l'auteur il ne pouvait s'abstenir de le peindre, de le noter. Il s'est souvenu que dans les scènes de massacres, dans les déchaînements de vengeance, la femme va toujours plus loin que l'homme, en férocité et en raffinement; en outre, elle s'attaque toujours à la cause directe de sa colère.. Les femmes de Montsou vengent leur honneur de femmes et de filles, en traitant comme une bête l'homme qui s'est toujours conduit en bête sauvage avec elles.
    Cette œuvre, telle qu'elle est, est une des plus saisissantes, des plus puissances, qui soient sorties de la plume du. maître romancier. C'est aussi un des plus vigoureux et des plus justes cris de douleur qui aient retenti depuis longtemps en faveur des déshérités et des souffrants. Ce cri prend même, vers l'a fin, des allures menaçantes qui doivent faire réfléchir, faire penser au soulagement de plus en plus nécessaire des races opprimées. A côté du roman magistral il y a l'œuvre de haute justice et de souveraine pitié qui ira réveiller les assoupissements égoïstes du bien-être dans lequel sont trop disposés à s'engourdir ceux qui ne manquent de rien, oubliant trop ceux qui manquent de tout.

Article signé des initiales G. T.


(*) Critique publiée dans Le Livre, Bibliographie moderne, livraison n°64 du 10 avril 1885, signée des initiales G. T., récurrentes dans les chroniques du Livre entre 1880 et 1889, temps que dura cette revue. Qui était G. T. ? Une note imprimée indiquerait qu'il ne s'agit pas d'Octave Uzanne. G. T. est très favorable aux idées socialistes et naturalistes de Zola. Octave Uzanne, au moins jusque dans les années 1883 ou 1884, s'opposait farouchement aux idées développées par Zola dans ses romans naturalistes. Aucun nom de collaborateur du Livre ne correspond aux initiales G. T.  Sans doute est-ce un leurre. Mais se pourrait-il que derrière G. T. se cache malgré tout Octave Uzanne, le rédacteur en chef du livre ? Nous croyons la chose possible tant que nous ne sommes pas détrompés du contraire.

Bertrand Hugonnard-Roche

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