mercredi 23 novembre 2022

Les Zigzags d'un Curieux par Octave Uzanne (1888). Rarissime tirage à 5 exemplaires sur papier chine non mis dans le commerce avec double état du frontispice de Félix Buhot. Honoré de Balzac, les Femmes Bibliophiles, les Bibiophiles collectionneurs, les Publications posthumes, l'Hôtel Drouot et la curiosité, etc. Exemplaire de l'éditeur imprimeur de l'ouvrage Albert Quantin, avec envoi autographe de l'auteur. Bel exemplaire.


Octave UZANNE | BUHOT, Félix (illustrateur).

LES ZIGZAGS D'UN CURIEUX. Causeries sur l'art des livres et la littérature d'art par Octave Uzanne.

Paris, Maison Quantin, 1888

1 volume in-12 (19 x 13 cm) de 307 pages. Frontispice par Félix Buhot (ici en 2 états).

Reliure à la bradel strictement de l'époque demi-maroquin à larges coins, dos lisse, tête dorée, non rogné, couverture rempliée noire imprimée or conservée en parfait état. Fer doré au dos et sur le premier plat (fer doré au chiffre de l'éditeur-imprimeur de l'ouvrage Albert Quantin). Exemplaire à l'état proche du neuf malgré quelques rousseurs notamment sur les tranches. Exemplaire en grande partie resté indemne de toute trace de lecture (la plupart des feuillets encore non coupés et scellés par la tête dorée). Légère décoloration dans la partie haute du premier plat. La reliure n'est pas signée mais nous croyons pouvoir l'attribuer à Emile Carayon de qui nous reconnaissons le faire.



ÉDITION ORIGINALE.

TIRAGE A 1.065 EXEMPLAIRES.

CELUI-CI, 1 DES 5 EXEMPLAIRES SUR PAPIER DE CHINE, NON MIS DANS LE COMMERCE.

AVEC UN ÉTAT SUPPLEMENTAIRE DU FRONTISPICE DE FÉLIX BUHOT AVEC MARGES SYMPHONIQUES, TIRÉ SUR CHINE (monté sur onglet et replié).

EXEMPLAIRE DE DÉDICACE OFFERT PAR OCTAVE UZANNE A SON IMPRIMEUR-ÉDITEUR, AVEC CES MOTS :

"A mon cher Ami A. Quantin - en souvenir de notre heureuse collaboration, en témoignage de ma cordiale affection. Octave Uzanne"

Le détail du tirage est le suivant : 1.000 ex. sur vergé de Hollande, 30 ex. sur Whatman, 30 ex. sur Japon et 5 ex. sur Chine (non mis dans le commerce).

Notre exemplaire comporte un état supplémentaire du frontispice de Félix Buhot avec marges symphoniques (gravure à la pointe sèche tout autour de la gravure, comme cet artiste avait pour habitude artistique de le faire pour les épreuves de grand luxe).















Outre un zigzag initial par Octave Uzanne (présentation du volume), on trouve dans ce volume les chapitres suivants : Les écrivains, le public et la réclame - Les Femmes bibliophiles -  Causons gravure (Henri Beraldi) - Les publications posthumes - A travers l'oeuvre de Honoré de Balzac - Les Bibliophiles collectionneurs - L'Hôtel Drouot et la curiosité - Les amateurs d'autographes.

Ce volume achevé d'imprimer le 15 mai 1888 regroupe des textes publiés pour la première fois dans la revue d'Octave Uzanne Le Livre entre le 1886 et 1888. Il est le pendant de Nos amis les livres paru deux ans plus tôt en 1886 et construit sur le même modèle (articles d'Octave Uzanne extraits du Livre entre 1884 et 1886).

Les gravures de Félix Buhot (1847-1898) sont aujourd'hui parmi les plus recherchées de cette époque, notamment comme ici en tirage de grand luxe à très petit nombre. Buhot était natif de Valognes (où résida Barbey d'Aurévilly), il meurt prématurément à l'âge de 50 ans. La façon remarquable qu'il avait de graver les scènes de rue, les choses étranges et merveilleuses, font de lui un maître de l'estampe de son temps.


Provenance : de la bibliothèque Albert Quantin avec son ex libris et deux fers dorés à son chiffre ; de la bibliothèque Bertrand Hugonnard-Roche avec son ex libris BIIR.



RARISSIME TIRAGE SUR CHINE OFFERT PAR OCTAVE UZANNE A L'ÉDITEUR-IMPRIMEUR DE L'OUVRAGE ALBERT QUANTIN.

BEL EXEMPLAIRE RELIÉ POUR LA BIBLIOTHÈQUE D'ALBERT QUANTIN.

mardi 18 octobre 2022

17 octobre 2022. Dix années plus tard ... Petite (re)visite à la sépulture de la famille Uzanne à Auxerre (cimetière Saint Amâtre).


Vue d'ensemble de la sépulture des UZANNE-CHAULMET
Photo Bertrand Hugonnard-Roche - 17 octobre 2022


Il y a dix ans tout juste, jour pour jour, heure ou heure, au même endroit, la même météorologie, les mêmes émotions.

Le 17 octobre 2012 je me rendais pour la première fois devant la sépulture de Joseph Uzanne (1850-1937) qui se trouve au cimetière Saint-Amâtre à Auxerre (Yonne), ville natale des deux frères Uzanne qu'on ne présente plus ici. Si Octave Uzanne a souhaité être incinéré et placé dans une case du Père Lachaise à Paris, son frère Joseph a quant à lui souhaité être inhumé dans le caveau familial à Auxerre, auprès de sa mère, de son épouse notamment. Tout ceci je vous l'ai déjà raconté il y a tout juste dix ans dans un long article que vous pourrez relire ICI.


Détail de la grille (malheureusement détachée)
au chiffre de la famille UZANNE-CHAULMET


Hier, lundi 17 octobre 2022, dix ans plus tard donc, je me suis rendu au même endroit. C'était à la fois une volonté et un hasard du calendrier de pouvoir m'y trouver à nouveau, à la même date. La météorologie était quasiment la même que celle d'il y a dix ans : un temps gris, avec une pluie suspendue dans les airs qui ne souhaite pas tomber, avec cette différence toutefois qu'hier il faisait une douceur rarement constatée à cette période de l'année. Un généreux 22 degrés Celsius irradiait en effet les allées de ce cimetière ancien d'Auxerre qui outre Joseph Uzanne, compte parmi ses illustres habitants ad vitam eternam, l'illustre Capitaine Coignet que tout le monde connait pour ses récits épiques de grognard infatigable, et le nom moins illustre Paul Bert, protégé sous un lourd monument de granit gris lui-même recouvert d'une superbe sculpture signée Bartholdi.

Hier j'ai donc été heureux de constater que la tombe de la famille Uzanne est toujours là. Ma crainte était en effet qu'elle ne fusse relevée et détruite pour laisser place à d'autres concessions. Il n'en n'est rien. Tant mieux. La tombe reste en bon état, le grisé des pierres reste le même qu'il y a dix ans. Les pierres ne sont pas gelées à l'exception de la croix qui surmonte le fronton. Et ma crainte sera de la voir tomber prochainement.

Cette nouvelles entrevue d'outre-tombe avec le directeur des Figures Contemporaines Mariani fut encore l'occasion de prendre conscience que la mort efface (presque) tout. Mais c'est bien dans ce presque entre parenthèses que réside la vérité.

Je vous donne rendez-vous dans dix ans, le 17 octobre 2032 pour une nouvelle visite d'outre-tombe.

A bientôt

Bertrand Hugonnard-Roche pour www.octaveuzanne.com

Publié le 18 octobre 2022

lundi 26 septembre 2022

Chronique de notre temps. Les Français seront-ils jamais Démocrates ? Article publié dans La Dépêche, Journal de la Démocratie, du dimanche 10 septembre 1899.


CHRONIQUE NOTRE TEMPS

Les Français seront-ils jamais Démocrates ?



Lundi dernier, quatre septembre courant, le régime parlementaire actuel entrait sans joie et sans orgueil dans sa trentième année d'exercice, et cette date anniversaire, en ces heures d'angoisses où les plus optimistes citoyens sentent la déroute de leur foi, loin de galvaniser la mémoire populaire, passa presque inaperçue. — « La République, s'écriait Durranc un jour, avec mélancolie, comme c'était beau sous l'Empire ! » 

 Ah ! le mot magique, le mot sauveur naguère aux yeux de tous ceux qui avaient vu le jour quelques années avant le coup d'Etat ; il semblait à ceux qui avaient grandi sous ce qu'on nommait la tyrannie impériale, que la République devait tout libérer et régénérer, qu'elle allait forger une âme pure, une âme auguste, audacieuse et nouvelle aux heureux citoyens et que désormais la France, au sortir de vingt années de corruptions, allait s'épanouir, radieuse, magnanime, invincible dans la générosité et la fraternité des hommes.

Que nous reste-t-il de cette vision d'aurore, de ce désir de communion avec une beauté idéale que nous n'avons point su acclimater chez nous ? — Peu à peu s'en sont allées nos illusions, nos yeux dressés vers l'astre prometteur se sont baissés vers notre vallée de scandales, de charlatanisme et de deuils et il semble pour beaucoup que tout périclite à vau-l'eau, que le ciel se soit irrémédiablement obscurci et que les horizons fermés ne puissent receler que d'effroyables mystères.

Le Français, hier encore si vaniteux, si jaloux de sa croyance en sa suprématie sur toute chose, si crâneur sur le point d'honneur de sa puissance nationale, est devenu peu à peu méfiant de soi-même, incertain de sa force, écœuré et troublé par le récit de tout ce qui lui fut révélé ; il perçoit comme une dégénérescence. Il se rappelle ses anciennes révoltes, ses journées glorieuses ; il se demande pourquoi ces efforts pour son ennoblissement moral, à quoi l'ont conduit tant de Révolutions pour ses Droits politiques, et c'est la raison qui le fait paraître las, incapable de se soulever, de donner encore un puissant témoignage de ses nausées ; il est submergé par le dégoût. Il écoute, il regarde, il entend et il voit, il chercha un homrne, des hommes qui le puissent sauver, mais se demande-t-il s'il n'a pas reçu une fausse éducation politique et suppose-t-il seulement qu'il ait combattu pour des chimères dans un pays dépourvu au plus haut degré du sens commun démocratique.

*
* *


Démocrates, le serons-nous jamais ? De tous les peuples d'Europe, nous sommes celui qui, par innéité, semblons le plus formidablement imbu d'aristocratisme. Nous avons pu décapiter des hommes mais non pas des idées ; notre société actuelle, sous l'étiquette mensongère de la République, fait montre des usages les plus hostiles au peuple. La hiérarchie sociale, devenue de plus en plus la hiérarchie de l'argent, se dresse plus insolente que jamais, et notre bourgeoisie est sensible aux titres et qualités à ce point maladif que la littérature romancière ou théâtrale met généralement en scène pour complaire à cette clientèle médiocratique d'où dérivent les recettes des ducs, des princes, des baronnes, des comtesses et tout un monde de pacotille et de plaqué dont la fiction satisfait l'esprit des masses.

Nous pensons avoir pris contact avec les Droits de l'Homme, mais nous ignorons tout de l'indépendance, de la dignité, de la respectabilité de l'Individu : les Anglais ont le gentleman, et le gentleman c'est tout le monde au même titre de considération ; le balayeur des rues, le négociant ou le Baronet. En France, on traite les êtres selon les apparences de la mise, on est lâche vis-à-vis du pauvre, on humilie les humiliés, on bouscule les petites gens, on s'aplatit vis-à-vis des personnages de poids. Dans les administrations de toutes classes, il y a une hiérarchie des Egards dont nous ne nous étonnons plus mais qui fait l'ébahissement des étrangers, on traite ainsi que des criminels les pauvres diables qui, pour un but quelconque, s'adressent aux tout-puissants employés d'un département, des postes, des finances, des chemins de fer, des omnibus et autres.

L'instinct de la race, plus encore dans les campagnes que dans les villes, a été dressé et déchaîné contre la misère, l'homme se dresse contre le pauvre ainsi que le chien qui, normalement, hurle après le loqueteux. Nous ne voyons pas, dans nos départements, ainsi qu'en Belgique, en Suisse, en Angleterre, des asiles propres, clairs, sains, ouverts dans toutes les bourgades, ou bien aux détours des routes, aux infortunés sans logis, aux chemineaux sans toits, aux ouvriers sans travail ; les granges qui s'ouvraient autrefois aux déshérités sans gîte s'entrebâillent rarement aujourd'hui.

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Que faisons-nous pour les humbles, pour donner aux gens du menu peuple une idée de protection et de sollicitude ? Les gens de petite aisance peuvent-ils comme ailleurs faire connaissance avec le confort, avec la propreté, l'élégance, la clarté rieuse des décorations d'art ? Peuvent-ils voyager en des troisièmes classes, presque aussi capitonnées que des premières et munies de tout ce qui convient aux besoins humains ? Obtiennent-ils, en outre, des tarifs de parcours réduits à l'extrême ? Sont-ils traités par les employés avec le quorum des politesses requises pour tout citoyen ayant le sentiment ancré de sa respectabilité et celui des exigences que le public doit imposer à toutes les administrations faites pour le servir ? Assurément pas, et bien au contraire, le besogneux est relativement plus imposé que le riche. Les dimanches et fêtes, à Paris et aux environs, au lieu de faciliter les exodes des masses et les promenades à l'extérieur, on a découvert cette logique monstrueuse que le nombre des voyageurs étant plus grand, il convenait d'élever le prix des places. Sur les bateaux-mouches, qui vont à Suresnes, on réclame double taxe ; dans les voitures de place de Versailles, le tarif des courses est surélevé d'un quart, et dans combien d'autres services publics pourrions-nous signaler pareilles mesures honteuses !

A Londres, du samedi au lundi, tout est employé pour porter le peuple à la mer, à la campagne, sur la rivière ; les chemins de fer offrent des facilités de parcours stupéfiantes et qui frisent la gratuité ; les voitures et transports en commun qui n'ont point de monopole, se multiplient et pour un penny par place entrainent à Richmond et sur les bords de la Tamise des bandes d'ouvriers et d'employés assoiffés d'air et de lumière. Des sociétés charitables vont en outre chercher des enfants pauvres dans les familles et les conduisent par milliers sur des plages ensoleillées pour une journée en leur assurant la nourriture et les distractions, le désir d'être utile aux classes impécunieuses est visible de toute part et il faudrait des chapitres pour dénombrer les œuvres populaires en Angleterre et démontrer quelle extension pratique a pris l'altruisme qui règne de l'autre côté de la Manche. Je regardais récemment une statistique des logements à Paris selon les prix de location et j étais consterné en voyant le petit nombre de logés de 200 à 600 francs et même de 1,000 à 1,500. La ville dite Lumière, où si peu d'habitants peuvent s'offrir la clarté du jour, l'air et la salubrité, tend de plus en plus à être une cité de luxe qui devient incapable d'offrir des réduits possibles à ses travailleurs et à tous ses gagne-petit.

On n'habitait pas au Moyen Age dans les ghettos, des trous plus noirs, plus inconfortables, aussi infectés par le voisinage des latrines et des cuisines que ceux qu'on réserve aujourd'hui pour huit à quinze ou vingt louis aux infortunés qui sont tenus d'exercer leur industrie sur les bords de la Seine. Personne ne proteste, ni les pouvoirs municipaux, ni les habitants, ni les députés ; on fait des phrases sur les principes démocratiques ... mais que fait-on de rationnel et de pratique ? Et cependant les entrepreneurs qui feraient des cités ouvrières, des immeubles pour classes indigentes, des casernes même où gîter à la nuit, pour 10 ou 20 centimes, feraient d'excellentes affaires tant est grande partout la détresse et la recherche de nids respirables où reposer. Si les malheureux n'avaient pas les hôpitaux pour faire halte, que deviendraient-ils ?

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* *

Où sont donc les témoignages de notre démocratie ? Les trouve-t-on dans la liberté individuelle ? Ah ! que nenni ! Le Français n'est pas libre ; il est victime des règlements les plus surannés qui entravent son indépendance, victime des abus administratifs, des bureaux, de la paperasserie, des gens de loi, des fonctionnaires qui lui mangent les deux cinquièmes de son temps. Il n'est pas libre car sa vie même est menacée par la dénonciation, sa demeure peut être violée sans qu'il puisse se révolter, il peut être arrêté à domicile sous la prévention d'un délit qu'il n'a jamais commis, incarcéré, jugé. Reconnu innocent, relâché sans excuses et sans qu'il puisse réclamer des dommages et intérêts. Ce même Français, qui a fait des révolutions successives, qui possède le régime équitable de la République, accepte ces aimables infamies, ces honteux témoignages d'arbitraire comme il supporte tout ce qui n'atteint pas ses vanités nationales et ses idéales utopies politiques.

Et quelle justice dure à l'infortune, rude à la pauvreté, incompatissante aux besoins et à la faim ! Il n'y vient pas un souffle d'humanité pour corriger l'âpre laisser-courre à la pauvreté qui sévit dans les commissariats de police, les conciergeries, les geôles et les violons, les chambres correctionnelles de toute la contrée. Il semble que les hommes en place, au lieu de s'élever par l'indulgence, la clémence, la douceur, l'appel à la conscience de l'être fautif éprouvent comme une nécessité d'affirmer leur puissance par la punition, la sévérité, l'impitoyable application d'un Code qui d'ailleurs n'est plus à la hauteur des évolutions morales contemporaines.

Avec quelle puérilité antidémocratique cette justice instruit pour plaider l'individu coupable ! N'est-elle pas ridiculement fouilleuse de passé, tracassière, prud'hommesque, d'une conception vieillotte qui évoque celle des Guignols ? Elle dira, cette justice, selon les circonstances aux prévenus : "Vous aviez des maîtresses, vous alliez au café, vous étiez prodigue" ou bien : "On ne vous a jamais connu de femmes, vous viviez isolé, vous ne faisiez aucune dépense, vous passiez pour être avare, sournois, dissimulé". Que peut en conclure le bon sens populaire qui sait que quel que soit l'esthétique de sa vie, elle sera dénoncée comme vicieuse, le jour où il lui faudra comparaître devant des juges !

Vis-à-vis des femmes, autres êtres faibles et sans protection, que fait notre Démocratie ? Reconnaît-elle comme chez les Anglo-Saxons l'infamie de la séduction ? Autorise-t-elle la recherche de la paternité, associe-t-elle à un crime l'acte de rendre une femme mère et de refuser de reconnaître et d'élever la la progéniture ? Allons donc ! elle ne se soucie pas de ces foutaises ; elle ne veut pas donner à la femme cette haute idée de justice qu'elle transmettrait en héritage à ceux qui naissent d'elle ; elle est souriante à la galanterie, elle favorise le tout à l'égout de la prostitution, elle ne sent pas que ce serait noblement relever le niveau moral du pays que de s'opposer à ce libre échange de la grossesse où l 'importateur profite, jusqu'ici, avec tant de lâcheté de l'absence de tout contrôle et de toute douane.

Mais que faire à tout cela avec un parlementarisme qui vit d'interpellations et ne légifère point ?

*
* *


Je ne sais point quelle est l'éducation scolaire actuelle, mais je voudrais que l'on y instituât pour les enfants un Catéchisme démocratique vraiment noble, humain, élevé ; qu'on leur enseignât les Droits du Citoyen, qu'on leur inculquât une idée haute de leur respectabilité individuelle, de leur dignité morale, de leurs devoirs vis-à-vis d'eux-mêmes et d'autrui. J'aimerais qu'on leur apprit l'ordre, la méthode, la clarté et surtout la logique et la pratique dans la vie ; qu'on les mît en défiance contre la paperasserie, la bureaucratie, la routine administrative, qu'on les poussât vaguement à un nouveau 89 beaucoup plus salutaire, qui serait la destruction de ces Bastilles formidables pleines de toiles d'araignées gigantesques et profondes où s'empêtrent toutes les initiatives et les bonnes volontés de France.

Je voudrais qu'on leur enlevât surtout cette idée trop implantée de la tutelle de l'Etat qui fait de nos compatriotes des êtres en éternelle minorité, faisant en tout et pour tout appel au concours du gouvernement, lequel est amené, par ce fait, à nous traiter en enfants terribles.

Enseignons la liberté, raisonnons-la, montrons qu'elle est avant tout dans l'individu et dans le respect de l'indépendance de penser et d'agir d'autrui ; donnons aux générations nouvelles de bonne heure la possibilité d 'action, ne la tenons plus en laisse jusqu'à l'heure où la caserne la développera mais en l'asservissant et lui imprimant des idées de hiérarchie peut-être contraires à celles de la démocratie vraiment sereine et forte.

Des leçons de choses surtout, des leçons frappantes par leur équité et le poids de leur logique.

Je me souviendrai toujours d'une de ces leçons reçues en Angleterre vers l'âge de 16 ans et qui m'en apprit plus sur la liberté positive de l'homme que toutes les histoires de notre République contemporaine. J'étais élève libre dans un collège de Richemond et je m'évadais souvent à Londres pour rentrer sur le tard dans ma chambre de lycéen. Un soir, en raison de trains manqués, je ne pus regagner la porte de mon professeur qu'à une heure ou deux de la nuit. Je frappais, je frappais en vain ; le tuteur, peut-être pour me punir, semblait vouloir me laisser à la belle étoile ; un policeman s'avança et s'enquit de mon tapage ; je craignais qu'il ne me sermonnât avec mon idée toute française des remontrances de l'autorité vis-à-vis du citoyen toujours soupçonné et incriminé ; point. Cet homme me dit :

— Vous êtes élève libre dans cette maison et vous payez comme tel ? 
— Oui
— On ne vous ouvre pas ?
— Vous le voyez.
— Bien ; nous allons accentuer la sonnerie, puis si la porte ne vous est pas ouverte, je vous prierai de me dire si vous désirez que je l'enfonce ou la fasse ouvrir par force ; sinon, selon votre désir, je vous conduirai dans un hôtel où il vous sera donné une chambre aux frais du directeur du collège qui vous devra, nonobstant, tel dédommagement qu'il vous conviendra de lui demander.

J'étais encore un grand gamin. Il me sembla que cette justice salomonique me faisait me sentir un homme !

Espérons que les Français auront un prochain jour des institutions de démocrates, après quoi ils seront bientôt en bonne forme pour supporter le régime Républicain.


OCTAVE UZANNE. (*)



(*) article publié dans La Dépêche, Journal de la Démocratie, du dimanche 10 septembre 1899. Cet article parait en première page alors que le gros titre ce jour était : Le Procès Dreyfus - Le Verdict. Dreyfus est condamné à la déportation (il n'est alors pas encore précisé où). Cet article d'Octave Uzanne écrit d'un ton très tranchant et péremptoire, nous donne une idée des idées politiques qu'il a pu avoir pendant cette période. On sait Octave Uzanne libéral, ultra-libéral même, sans doute anarchiste à sa façon, anarchiste de droite diraient certains. Peu amène avec la République qui a succédé à l'Empire, il dresse un tableau sombre de la politique française et au delà même, un tableau sombre des français et de leur comportement. Comportement certes largement influencé par l'éduction de la République, mais un comportement qui laisse peu d'espoir à une évolution positive de la situation française, qu'elle soit économique, sociale, politique et même morale. N'insiste-t-il pas sur la nécessité même d'un nouveau 89 plus salutaire ? Décidément Octave Uzanne, l'ancien dandy, l'ancien petit bourgeois des lettres, le bibliophile précieux des années 1880, nous étonnera toujours par ses prises de position hardies et paradoxales (NDLR | Bertrand Hugonnard-Roche).


Mise en ligne Bertrand Hugonnard-Roche le lundi 26 septembre 2022.

jeudi 15 septembre 2022

Les aménités du public à l’égard des Agents du guichet. Octave Uzanne remis à sa place concernant ses attaques et ses critiques des Dames de la Poste (5 novembre 1901).



Le hasard de nos recherches nous a mis ces lignes sous les yeux, extraites de :

L'union des dames de la Poste, des Télégraphes et des Téléphones, revue bi-mensuelle, professionnelle et littéraire, publiée par un groupe de receveuses et de dames-employées. 2ème année, n°15. 5 novembre 1901.


REVUE POSTALE. Du Bulletin hebdomadaire : Les aménités du public à l’égard des Agents du guichet. pp. 265-266.

    La campagne menée par M. Octave Uzanne contre le personnel des Postes et Télégraphes a suscité, comme c’était à prévoir, une vive indignation parmi les commis de service au guichet, qui sont les plus spécialement visés dans les deux articles publiés jusqu’à ce jour. Ce renversement des rôles, qui consiste à représenter le public victime de l’impolitesse et de la grossièreté des agents, alors que ceux-ci sont journellement exposés à recevoir, sans oser répondre, des propos désobligeants, voire même injurieux, est très sévèrement qualifié par les « gueules notoirement hostiles », qui protestent avec énergie contre les imputations qu’ils qualifient de calomnieuses.

    Si l’on en croyait M. Uzanne, le public qui fréquente les guichets, des bureaux de Poste serait un public de gentlemen (c’est son expression), personnes d’élite, auxquelles les raffinements de la plus parfaite courtoisie sont d’usage habituel. Cependant, on nous a cité toute une liste de faits, dont certains ne manquent pas de pittoresque, qui démontrent que, pour porter un semblable jugement, M. Uzanne ne doit mettre que bien rarement le pied dans une salle d’attente des bureaux de Poste. Il ne nous est pas possible de relater toutes les preuves évidentes qui nous ont été données, de la grossièreté gratuite de certaines personnes. Nous nous contenterons de relater deux faits, dont nous garantissons l’authenticité, qui suffiront pour donner un aperçu du genre de politesse qu’on rencontre parfois chez certains clients de la Poste.

    Dans un bureau de Paris, une contestation s’était élevée au guichet entre le préposé et une personne qui se présentait pour toucher le montant d’un remboursement de Caisse d’épargne et qui ne s’était munie d’aucune pièce d’identité. Les récriminations de l’intéressé menaçant de s’éterniser, et entravant le service, l’agent du guichet lui déclara péremptoirement qu’il ne lui était pas permis, de par les règlements, d’effectuer un remboursement sans preuve d’identité, et le pria de ne pas retarder inutilement le tour des personnes présentes.

    Sur ces observations, formulées poliment, mais avec fermeté, le client grincheux s’exaspéra et, à haute voix, traita d'animal le commis qui refusait de lui donner satisfaction. A cette parole malsonnante, l’agent interrompit immédiate ment son service. « Attendez-moi un instant, cria-t-il, je vais vous faire voir si je suis un animal », et il se précipita vers la porte d’accès de la salle d’attente au bureau. Mais son courageux insulteur se garda bien de l’attendre ; il gagna la porte de sortie avec une précipitation qui souleva, chez les personnes présentes dans la salle d’attente, un rire homérique.

    L’autre fait, infiniment moins amusant, s’est passé dans un bureau simple de province, bureau d’une certaine importance, où nombre de voyageurs viennent chercher leurs lettres poste restante.

    Pour l’intelligence du fait que nous allons narrer, il faut mentionner que la receveuse de ce bureau a pris l’habitude, pour éviter d’exiger la production de pièces d’identité de la part des personnes qui viennent réclamer leurs lettres poste restante, de leur demander simplement de faire connaître le lieu d’origine des correspondances à leur adresse.

    Cette précaution, prise précisément en faveur du public et qui n’avait jamais soulevé la moindre difficulté, a motivé l’incident que nous allons rapporter.

    La receveuse dont nous parlons demandait à un voyageur d’où provenait la lettre qu’il réclamait, sans présenter ni carte, ni enveloppe de lettre, fut grossièrement interpellée par ce gentlemen dont M. Uzanne vante si fort la courtoisie. Ce client peu gracieux s’emporta et reprocha à la receveuse, en termes d’une impolitesse excessive, de se mêler de ce qui ne la regardait pas, et lui enjoignit d’avoir à lui remettre sa lettre sans se permettre de le questionner.

    Celle-ci fit connaître au voyageur le motif pour lequel elle avait cru devoir poser cette simple question, et le pria de lui faire voir soit une enveloppe de lettre, soit une carte de visite. Recrudescence de fureur et d’injures. Le grossier personnage lança sa carte à travers le guichet et, en recvant des mains de la receveuse sa lettre et sa carte, il quitta le guichet en l’appelant « sale youtre ».

    Un fait pareil, une grossièreté semblable vis-à-vis d’une femme, se passent de tout commentaire. Mais, que dirait donc M. Uzanne si un agent lui adressait une épithète de cet acabit 

    Si nous relatons ces deux faits entre mille, c’est pour bien démontrer ce que nous maintenons, malgré toutes les dénégations et les démentis intéressés, à savoir que les agents des Postes ne sont pas traités avec la considération qui leur est due et qu’ils méritent. Le public sait qu’il peut impunément insulter un agent à son guichet, et il ne s’en fait pas faute.

    Si M. Uzanne n’avait pas écrit ses articles avec un évident parti-pris, il aurait tenu compte de la situation réelle, et se serait montré plus juste et moins agressif contre des employés de l’Etat, sans défense contre ses attaques, comme ils le sont contre les accès d’impatience et de mauvaise humeur du public.

120 années ont passé et la situation des Postes semble ne guère avoir changé (a-t-elle empiré ?). Que dirait en effet Octave Uzanne aujourd'hui quand on peut lire en entrant dans un bureau de Poste la sentence suivante : Afin de garantir un accueil professionnel et prévenant à l'ensemble de nos clients, nos équipes du Pôle Accueil se réservent néanmoins le droit de ne pas servir les personnes irrespectueuses, insultantes, agressives et ayant des propos discriminatoires. Dont acte ! Je ne nierai pas la mauvaise humeur et les mauvais mots de clients excédés (excédés pourquoi le plus souvent ? je vous le demande ...) mais ... Que dire de l'accueil désastreux de bon nombre d'agents mal lunés, mal payé(e)s, incompris(es), frustré(e)s, peu ou pas motivé(e)s par leur vocation ? Je m'arrête là de peur d'avoir à faire à la Ligue des Dames des Postes ...

Le trois articles d'Octave Uzanne dont il est ici question sont les suivants et ont été publiés dans l'Echo de Paris :



- Jeudi 31 octobre 1901 Indigence des Postes

Nous les publierons ici in extenso bientôt mais vous pouvez d'ores et déjà les lire en cliquant sur les liens ci-dessus.

Bertrand Hugonnard-Roche
Mise en ligne le 15 septembre 2022 pour www.octaveuzanne.com

mercredi 14 septembre 2022

Octave Uzanne : Notes aux portraits de… (article par Maria-Giulia Longhi)

Octave Uzanne : Notes aux portraits de…

Maria-Giulia Longhi
Università degli Studi di Milano

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