dimanche 7 septembre 2014

Octave Uzanne et les Exhibitions de 1914 en Allemagne et en Suède (21 juin 1914). Sur la route pour un congrès au Danemark.


NOTRE ÉPOQUE
____

L’ÉTRANGER

Les Exhibitions de 1914 (*)


The Baltic Exhibition 1914 (Malmö, Suède)
Certain journal humoristique de Munich ou de Berlin, peut-être bien le satirique Simplicissimus, représentait récemment une délégation de touristes reçus en audience par le kaiser : "Pardon, sire, disait le chef de la bande, ne pourriez-vous nous désigner quelle est la ville de votre empire où il n'y ait point, cette année, d'exposition, afin que nous nous empressions d'aller aussitôt en créer une ?"
C'est d'autant plus drôle que les expositions affluent actuellement en Allemagne. Sur un petit parcours, je viens de voir l'Exhibition d'hygiène, dont s'honore la capitale du Wurtemberg, et qui est exclusivement consacrée à l'hygiène appliquée. Elle est assez importante. Disséminée au milieu de beaux jardins élégamment fleuris, elle donne à Stuttgart, un nouvel attrait. Les Allemands, qui goûtent fort les sciences techniques et qui s'efforcent chaque jour davantage à détenir dans leurs hôtels et dans la vie privée du home le record du confortable, semblent la visiter volontiers. Il y vont, par caravanes ou individuellement, constater avec la vaniteuse satisfaction de leur puissance économique, les progrès indiscutablement considérables qu'ils réalisent chaque jour dans la saine et logique ordonnance domestique.
Il ne faut pas dédaigner les leçons qui nous viennent de cette formidable nation, dont nous avons fait hélas ! à nos dépens, l'unité et la force. Elle témoigne certes, d'une vitalité, d'une volonté dans l'effort constant pour dominer, qui a quelque chose d'écrasant lorsque nous prenons contact avec ces cités puissantes du Sud ou du Nord, dont le développement s'accentue d'année en année de façon prodigieuse. L'hygiène est une déesse respectée en Germanie. Il faut bien le dire. La propreté la plus méticuleuse règne partout, sur les chaussées des rues, la façade des maisons, dans les demeures et les édifices publics et même dans la tenue civile et militaire. Il semble qu'il y ait de l'amour-propre national, dans cette extériorisation des êtres et des choses. Pas de débraillé, ni de négligence. Tout apparaît net, correct, solide et sain. Dans les campagnes, les moindres maisonnettes sont ripolinées, lavées, soignées de physionomie ; elles ont l'éclat des vitres claires et des fenêtres fleuries. C'est joli, presque trop, tant les paysages paraissent irréels dans la réalisation d'un idéal de coquetterie voulue.
Tout cela n'est pas vain. Les statistiques de la santé publique et de la mortalité en Allemagne en témoignent. Non seulement nos voisins de l'Est peuplent davantage, mais encore ils élèvent bien au dessus de la nôtre la moyenne de l'existence humaine. Des expositions comme celle de Stuttgart méritent également notre attention. Nous avons fort à faire pour vulgariser les lois d'hygiène dans tous nos centres et pour inculquer la religion de la propreté dans les masses.
A Cologne, où j'arrive un dimanche, la Werkbund Austellung, exposition locale d'art et de travaux manuels de tout ordre, attire la foule. Je traverse en tramway l'énorme pont de fer que baptisent les Hohenzollern et qui offre la traversée du Rhin aux passages de trains, aux voitures et aux piétons. C'est dans une vision de grandeur et d'opulente activité que l'on découvre cette exposition sur une rive de ce fleuve gigantesque où circulent avec aisance une flotte de bateaux, de transports blancs et dorés portant tout un monde dans leurs flancs. Tous les Kolner ou "Colognais" vont voir leur Austellung, c'est une poussée aux portes de cette agglomération passagère. Une pluie froide, serrée, ne décourage ni les hommes ni les femmes, qui par milliers, vont à travers les lacs de boue, dans les palais, étudier ballons et monoplans à nouveaux moteurs et grands modèles des derniers steamers transatlantiques. Il me semble, je l'avoue, que j'observe sur toutes ces physionomies qui s'exaltent devant les progrès des constructeurs de leur pays, une extase de patriotisme, comme s'ils chantaient avec ferveur leur Deutschland über alle.
Il y a, certes, dans tous ces palais de l'Exposition de Cologne, des spécimens d'appareils d'aviation qui peuvent mettre notre vigilance en éveil et des types de navires qui sont d'une puissance, d'une beauté de structure, d'une simplification mécanique qu'on est bien forcé d'admirer. Dans tous les départements, je trouve des révélations nombreuses qu'il ne serait trop long d'énumérer ici, mais une sensation m'émeut, celle d'une puissance industrielle sans précédent et qui me semble mettre en échec l'effort du Royaume-Uni dans la compétition des travaux métallurgiques de grande envergure. Et c'est toujours cette foule effarante, dense, pressée, recueillie, presque communiante avec ce qu'elle voit, qui m'effare. Je la retrouve partout, dans des brasseries fantastiques de grandeur, sous les galeries des exposants de mobiliers et d'objets de toilette. Elle est disciplinée dans sa marche envahissante et les eaux du ciel ne la peuvent arrêter dans les jardins détrempés qui se dessinent avec grâce sur les rives admirables du vaste Rhin.
Beaucoup d'autres villes allemandes ont leur exposition. On m'en signale une autre à mon passage à Hambourg ; elle est sur le territoire d'Altona et plus spécialement  vouée à la floriculture, mais je ne pousse pas l'ardeur de ma curiosité jusqu'à vaincre mon indolence à son endroit, si courte que soit la distance.
Quelques jours après, je me retrouve dans une world fair, comme disent les Yankees, dans une foire mondiale limitée aux nations de la Baltique, à Malmo, au sud de la Suède, en un pays sympathique, où le Français est accueilli avec cordialité. Cette exposition baltique est fort séduisante et instructive, en dépit de ses étranges architectures, qu'on s'imaginerait conçues par Boëklin, le peintre de l'Ile des Morts.
Malmo est le centre industriel de la Suède, c'est une des plus anciennes cités de la Scanje ; sa population dépasse cent mille habitants. Elle est située à dix heures d'express de Stockholm et à moins de deux heures de Copenhague, en traversant le Sund sur ces merveilleux bateaux qui sont les plus remarquables au point de vue esthétique et confort que j'aie rencontrés jusqu'ici dans mes courses à travers le monde.
Ce qui a retenu mon attention à l'Exposition baltique de Malmo, c'est la peinture russe, qui voisine avec les sections d'art suédois, danois et allemand. Il y a là des peintres étranges, très originaux, exceptionnels, qui font prévoir une singulière Renaissance d'artistes dans un pays si plein d'éléments inconnus, si curieux par le primitivisme qu'il doit dégager. Nous avons eu quelque sensation de cet avenir prochain par les ballets russes, mais bientôt les peintres de la nouvelle Russie nous donneront la joie de brillantes aurores artistiques. C'est à Malmo que j'en eus conscience.

OCTAVE UZANNE

(*) article paru dans la Dépêche de Toulouse du dimanche 21 juin 1914. Octave Uzanne est en route pour un congrès de la presse au Danemark.

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