dimanche 27 mai 2018

Lettre autographe d'Octave Uzanne à Alexandra Laborde (12 mars 1927). Envoi autographe à la même sur son Barbey d'Aurevilly (1927).


Photographie archives Famille de Riquer, mai 2018


Ce samedi 12. III. 27 (1) (*)

Ma chère Augusta (2)
Je t'ai posté hier, un exemplaire de mon dernier petit bouquin sur Barbey d'Aurevilly. (3)
C'est un livre à tirage ultra restreint, mis hors commerce et très rare, dès sa naissance, puisque souscrit à l'avance comme toute la collection dont il fait partie de A à Z (l'alphabet des auteurs).
J'ai été fatigué et souffrant ces jours derniers, même avec fièvre un certain soir, et très faible en raison du très peu d'aliments ingérés ces derniers temps pour reposer mon estomac. Si je dînais à ta façon, je ne pourrais tenir la rampe plus de 8 jours. Je dépense tellement nerveusement et cérébralement qu'il me faut davantage de calorique dans le corps, et je me demande comment tu peux survivre avec tes 2 œufs quotidiens et le peu de pain et d'autres choses que tu y ajoutes. Cela ne réconforte pas ton optimisme !
J'espère partir pour le Havre mardi ou mercredi, et rester 8 à 12 jours absent. Je t'écrirai cours de route. Ne t'inquiète pas si tu ne reçois rien avant le 19 ou le 21. Il se peut que je diffère mon départ.
Bien affectueusement
Octave


Photographie archives Famille de Riquer, mai 2018


Voici l'envoi autographe lié à cet courrier, présent sur le faux-titre de l'ouvrage sus-mentionné "Barbey d'Aurevilly" (4) :

"à ma chère amie
Augusta Laborde
en souvenir de son vieux
camarade,
Octave Uzanne
12. III. 27."


Photographie archives Famille de Riquer, mai 2018


(1) 12 mars 1927. Octave Uzanne est alors âgé de 76 ans.
(2) Augusta Laborde, soeur d'Andrée Béarn (Marguerite Laborde).
(3) Barbey d'Aurevilly. Paris, A la cité des livres, 1927. Tirage à 440 exemplaires seulement. 5 vélin à la cuve. 10 Japon ancien. 25 Japon Impérial. 50 vergé de Hollande. 350 vergé à la forme d'Arches. 25 exemplaires sur Madagascar réservés à l'éditeur Edouard Champion.  30 hors commerce sur divers papiers.
(4) Exemplaire resté broché imprimé sur papier d'Arches. Il contient collé en regard du faux-titre avec envoi, le très bel ex libris gravé d'Alexandra Laborde dessiné et gravé par son beau-frère Alexandre de Riquer (le mari d'Andrée Béarn).


Photographie archives Famille de Riquer, mai 2018


(*) Nos plus sincères remerciements à Monsieur de Riquer qui nous a communiqué un ensemble très intéressant de documents issus des archives de sa famille et a permis la publication de ces mêmes documents intimes très émouvants sur ce site. D'autres suivront bientôt dans les colonnes du site www.octaveuzanne.com. A propos d'Augusta Laborde voir nos précédents billets ICI. Les autres billets relevant de la source de Riquer se trouvent ICI. Ces envois dénotent une pudeur certaine de la part d'Octave Uzanne envers Augusta Laborde pour qui, semble-t-il, il ne développait pas qu'une simple amitié banale. Aucune preuve encore concrète ne vient pourtant étayer la thèse d'une quelconque relation amoureuse entre eux deux. A suivre ...

mercredi 23 mai 2018

Envoi autographe d'Octave Uzanne à Jacques de la Resle sur La Française du Siècle (1885)


Photo Leboncoin / détail. 23/05/2018. Copie d'écran.

Depuis photo Ebay 05/05/2022. Copie d'écran.

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"à Jacques de la Resle,
J'offre cette publication, la meilleure et la plus parfaite de la série dite de "L'éventail" avec l'assurance
qu'il aura pour la Française du siècle, la même estime que l'ami-préfacier Sanchez y Gusman
Souvenir affectueux
Octave Uzanne" (*)


(*) cet envoi se trouve sur un exemplaire broché, complet de sa chemise en carton japonais à lacets. Voir les autres envois à Jacques de la Resle que nous avons répertorié ICI.

mercredi 16 mai 2018

Lettre autographe d'Octave Uzanne à un "cher confrère" (22 février 1889).

Lettre autographe d'Octave Uzanne adressée à un "cher confrère" (non identifié)
Papier à en-tête de la revue Le Livre, Octave Uzanne rédacteur en chef.
Photo : copie d'écran annonce Ebay / 16 mai 2018 / Librairie Thomas Vincent
Lettre vendue sur Ebay au prix de 200 euros.

_____________

Paris, le 22 février 1889

J'ai pris à la lecture de votre article, mon cher confrère, en dehors même de ma personnalité flattée, le plus vif plaisir.
Il est gai, vivant, spirituel et admirablement bien coordonné pour la place qui lui était réservée.
Je vous en sais un gré infini, et il me sera très agréable de vous exprimer encore de vive voix combien j'ai apprécié le tact et la finesse avec lesquels vous avez parlé des Contemporains.
Avec mes remerciements, trouvez ici l'assurance de mes sentiments de cordiale sympathie

Octave Uzanne

lundi 14 mai 2018

Le Fol de Saint-Pol-Roux dédié à Octave Uzanne (1901). Pourquoi ?

Portrait de Saint-Pol-Roux
par Félix Vallotton
paru dans Le Livre des masques
de Remy de Gourmont (1898).
Pour quelle raison Saint-Pol-Roux (40 ans) dédie-t-il "Le Fol" à Octave Uzanne (50 ans) ? A vrai dire nous n'en savons absolument rien. Tout comme nous ne savons rien des relations entre le Magnifique et Octave Uzanne aux environs de 1900, moment de la publication de ce texte. Quelques mots font pourtant écho aux propres pensées Uzaniennes : "croire posséder son rêve, ne serait-ce pas la suprême fortune" ou encore "aucune servitude", ces " végétations infinies du cerveau" si chères à Octave Uzanne le sensitif. Saint-Pol-Roux voyait-il dans ce fol un double d'Octave Uzanne ? Nous trouverons sans doute prochainement quelques informations et avis permettant de mieux appréhender cette dédicace encore pleine de mystère.

LE FOL (*)

                                                        A Octave Uzanne.


Près d'un champ de lin en fleur, sur un tronc mort, je découvris, vêtu de sac, pieds nus, l'air d'un naufragé de la Vie, l'haleine en va-et-vient de scie, un homme aux regards vers ailleurs.
Une pièce d'or en hostie, je m'approchai.
La fusée d'ironie gicla de son gosier.
— « Fi de ta rondelle ! Selon toi, je suis pauvre ; mais tu es misérable, selon moi. Tu crois à la richesse qui tombe sous les sens, je crois à l'autre. Naïf qui me fais l'aumône, contemple donc mon palais et mes domaines. »
Et d'un geste qui paraissait illustrer le vide, l'homme objectiva terres et tourelles devant moi.
Ensuite, simulant d'ouvrir un lourd portail de fer, il dit :
— « Entrez. »
Pitoyable à son illusion, je parodiai un pas.
— « Ouais ! garde-toi d'écraser les tulipes de l'allée ! »
J'en restai le pied en suspens, tel un chien à la patte meurtrie.
Du parc il m'introduisit plus avant dans sa chimère, m'invitant souventefois à des précautions minutieuses.
— « Attention aux cris taux précieux ! »
Son corps, souple à l'excès, plus expressif qu'un pouce de peintre en causerie d'art, morphosait positivement des figures dans l'espace, que dis-je : il les créait par le déplacement qu'il en accusait moyennant ses déhanchements, ses enjambées, ses contorsions, son toucher et parfois ses respects.
Cet homme avait une telle façon de saisir certain petit rien de néant et d'en caresser de doigts délicats la plastique absente que ce petit rien ce ne pouvait être qu'une statuette de Tanagra.
Dès le seuil il s'était penché si charmantement pour flatter d'une tape familière une abstraction capricieuse à hauteur de ses genoux que je n'avais pas hésité à penser : « Là est le chien de la maison ! » et que cette pensée, maintenant obsession, m'imprimait le regret du morceau de sucre laissé dans la soucoupe de ma dernière auberge, et que, même, bientôt j'allais avoir la sensation fraîche d'une langue sur la main.
Dans une salle, où nous pénétrâmes par une porte que (de ce qu'il avait, au chambranle, baissé le front) je devinais basse, il ouvrit un coffre et brassa des orfèvreries que sa mimique passionnée faisait véritablement tinter.
Je dus encore monter, traverser de nouvelles pièces brèves ou spacieuses — dans l'une d'elles ayant failli glisser sur un prétendu zest d'orange omis sur la mosaïque, il cria le nom d'un majordome évidemment très vieux à la déférence avec laquelle son maître accueillit et secoua ses idéales oreilles « ah si vous n'aviez pas vu casser le vase de Soissons ! » — puis il fallut descendre, et je me rappelle un escalier en caragol où il veillait à ce que son hôte ne tombât à tel ou tel degré plus rapide ; au surplus je me prêtai de bonne grâce à toute cette gymnastique de fantasmagorie.
Une fois dans un endroit que tout de suite vous eussiez estimé être le cabinet de toilette à sa manie d'éternuer comme si les flacons fussent à l 'évent, il héla deux valets et, non sans m'avoir en exorde offert de prendre un bain que j'eus toutes les peines du monde à refuser, il ordonna aux serviteurs aux membres de songe de me pomponner.
On errait en pleine métaphysique.
Comme midi sonnait dans son imagination :
— « Voici l'heure du repas! »
Et de s'accroupir sur le sol devant un bloc de pierre mêmement que devant une table riche de vaisselle plate et de m'inviter à la victuaille.
J'attestai sortir de table !
Il savoura des mets imaginaires dont je percevais la nature à ses exclamations ; et de temps en temps, c'était un geste à droite, un geste à gauche, envoyant une tête de truite ou un os de chevreuil vers la gueule du chien de féerie.
— « Ah que vous avez tort de bouder ce faisan aux atours de marquis ! »
— « Le gibier m'est odieux ! »
— « Ce marsala me vient d'un mien cousin de Sicile. »
— « Le vin me donne la migraine. »
— « Eh cette grenade entr'ou verte qui vous fait risette! »
— « Pas même ! »
— « Alors, de cette frangipane ? »
— « Pas davantage. »
— « Et ce moka Martinique ? »
— « Point ! »
— « Mais ce havane ? »
— « Nenni ! »
— « Du moins, susurra-t-il orientalement, vous ne me ferez pas l'injure de refuser une de ces dames... »
Et l'amphitryon montrait autour de la table, convives, des femmes sans doute jolies, que je n'avais pas perçues, — telles des Idées Pures.
J'objectai le vœu de chasteté.
Finalement il s'endormit au creux d'une roche, cultivant des joies de rêve en un lit que je présumai à baldaquin.
Je repris ma route.
— « La foi en un trésor idéal, ruminais-je, croire posséder son rêve, ne serait-ce pas la suprême fortune ? Le biens de l'imagination, voilà certes des richesses aimables ; nul impôt, aucune servitude ; en outre, il suffit d'un cran de plus au rouage du désir pour accroître la valeur et la superficie de pareils domaines dont le vol n'est pas à redouter et que les catastrophes ne sauraient anéantir. Joignez qu'un espoir de cristallisation peut se greffer sur ces végétations infinies du cerveau. Le monde visible, qu'est-ce en vérité ? de l'invisible à la longue solidifié par l'appétit humain. Un jour Dieu sera-t-il traduit en saisissable par la somme des vœux des multitudes, — et d'ailleurs cet homme le touche- t-il déjà, peut-être ? »
Un gardien de la Maison de santé voisine accourait.
— « N'auriez-vous pas vu un Fol ? me jeta-t-il. Trompant la surveillance, il s'est enfui vers l'humanité et l'on craint que sa démence (la folie des Idées, Monsieur !) n'y sème le désordre. Les gardiens sont partis dans toutes les directions. Mais je ne saurais le reconnaître, étant depuis hier seulement à l'établissement. »
Je m'avançai :
— « Le Fol, c'est moi. »
Le gardien me lança la camisole de force et m'emporta, comme une proie, à travers les aubépines fleuries.

Saint-Pol-Roux



(*) Saint-Pol-Roux, in Les Reposoirs de la Procession I, La Rose et les Épines du Chemin, 1885-1900. Paris, Mercure de France, 1901. pp. 237-244. Publié précédemment dans le Mercure de France, n° 125, mai 1900, p. 392-396 (variantes). Cette première publication n'est pas dédiée à Octave Uzanne.

Envois autographes d'Octave Uzanne à son amie Augusta Laborde.


Photographie archives Famille de Riquer, mai 2018

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[sur Jean Lorrain, l'Artiste, l'Ami, 1913]

à Augusta Laborde,
ce portrait à l'état d'ébauche
d'un esprit artiste et vibrant dont
j'aimais l'allure naguère.
En affectueux souvenir
Octave Uzanne

St-Cloud ce 15 III 15 [15 mars 1915]

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[sur le Miroir du Monde, 1888]

à Augusta Laborde,
ce miroir du monde, moins vilain
peut-être que celui qui refléterait
le monde actuel
Cordial souvenir
Octave Uzanne

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[sur l’Éventail, 1881]

à Augusta Laborde,
en souvenir de ses courses chez les bouquinistes
parisiens, en pourchas de mes livres
disparus de la circulation.
Son très vieil ami cordial
Octave Uzanne


Photographie archives Famille de Riquer, mai 2018

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[sur la Locomotion, 1900]

à mon Amie Augusta Laborde,
de la part de son vagabond camarade toujours en
partance vers l'ailleurs.
Cordial témoignage d'un canard errant
à une poule sagement sédentaire
Octave Uzanne

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[sur les Ornements de la Femme, 1892]

Pour Augusta Laborde
Son affectionné
Octave Uzanne

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[sur les Surprises du Cœur, 1881]

à Augusta Laborde
ces "surprises du coeur" oeuvre
de jeunesse, écrite en une heure
où l'on situe le cœur un peu
trop bas
en témoignage amical
Octave Uzanne

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[sur Nos amis les Livres, 1886]

à l'excellente camarade
Augusta Laborde,
je dédicace ce livre qui marque
une étape déjà si lointaine de ma
vie bibliographique
En témoignage de vive affection
Octave Uzanne

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[sur les Visions de Notre-Heure, 1899]

à Augusta Laborde
ces choses et gens qui passent, de la
part d'un ami qui restera son
affectionné
Octave Uzanne

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[sur la Nouvelle Bibliopolis, 1897]

à mon amie
Augusta Laborde,
qui me donne la déception
d'acheter quelques uns
de mes livres que j'aurais
tant aimé lui offrir -
et aussi le regret de lui mettre une dédicace
sur une oeuvre qu'elle
ne tient pas de moi
affectueux témoignage
de ma vieille amitié
Octave Uzanne (*)

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(*) Nos plus sincères remerciements à Monsieur de Riquer qui nous a communiqué un ensemble très intéressant de documents issus des archives de sa famille et a permis la publication de ces mêmes documents intimes très émouvants sur ce site. D'autres suivront bientôt dans les colonnes du site www.octaveuzanne.com. A propos d'Augusta Laborde voir nos précédents billets ICI. Les autres billets relevant de la source de Riquer se trouvent ICI. Ces envois dénotent une pudeur certaine de la part d'Octave Uzanne envers Augusta Laborde pour qui, semble-t-il, il ne développait pas qu'une simple amitié banale. Aucune preuve encore concrète ne vient pourtant étayer la thèse d'une quelconque relation amoureuse entre eux deux. A suivre ...

Bertrand Hugonnard-Roche

dimanche 13 mai 2018

Nos Hôtels, par Octave Uzanne (Extrait du journal la Dépêche de Toulouse, 1er septembre 1903., Bulletin Pyrénéen n°41, pp. 360-362).


Photographie de carte postale ancienne
(détail de la façade du Grand Hôtel de Bourgogne, vers 1903)


NOS HÔTELS (*)
_______

      Alors que je me trouvais, il y a quelques années, sur un transatlantique cinglant vers New-York, quelques gentlemen américains que l'intimité du bord et les parties forcées de poker ou de bridge avaient assez vivement transformés en vieux camarades, osaient librement s'exprimer vis-à-vis de moi sur les charmes et les défauts qu'ils avaient ressentis ou découverts durant leur séjour chez nous. Leur opinion pouvait se résumer ainsi :

      « Votre pays est admirable de pittoresque, varié à l'infini au point de vue des sites, le climat tempéré, dont on y jouit en toute saison, le rend incomparable, et Shakespeare avait raison de nommer la France le Jardin merveilleux de l'Univers. Cependant, comment se promener avec tout le loisir voulu dans ce Jardin où les gîtes de repos sont si incorfortables ? Comment vivre chez vous avec les déplorables hôtels qui s'offrent aux voyageurs ? — Nous ne parlons point de la nourriture de vos tables d'hôte qui est le plus souvent excellente et d'un prix modéré. Mais quelles hôtelleries sont les vôtres ! vieilles, sombres, démodées, d'une propreté douteuse et d'un aménagement déplorable en tant que lumière, hygiène et véritable confort. Nulle part ailleurs en Europe, sauf peut-être en Espagne et dans certaines provinces d'Italie, on ne rencontrerait des hôtels, dits de premier ordre, offrant aux touristes avec une égale prétention, des chambres sans nom, étroites et imprégnées d'odeurs rances, affreusement tapissées et munies des plus antiques mobiliers. Cela frappe tous nos compatriotes et la réputation de vos « maisons d'hospitalité » comme disent les Espagnols, est, nous devons vous l'avouer, assez compromettante pour empêcher des milliers d'étrangers de visiter, comme ils le désireraient, votre contrée aussi belle à parcourir de l'est à l'ouest que du nord au midi. »

      Cette opinion de citoyens de la libre Amérique, j'ai pu mainte fois la contrôler en pays anglais, germanique ou Scandinave. D'ailleurs, à aucun moment, elle ne porta atteinte à ma vanité française, car depuis que je voyage sur notre territoire aussi bien que hors frontière, je n'ai pas eu à faire appel à une bien profonde clairvoyance pour établir des comparaisons équitables et pour juger de la lamentable infériorité de nos vieilles boîtes à voyageurs. Je sais, plus que je ne le voudrais, qu'on n'y couche pas toujours sans dégoût, car l'odorat, la vue et le toucher n'y sont que trop fréquemment lésés par les odeurs, les laideurs et les malpropretés les moins recommandables.

      J'ajouterai que cela est d'autant plus affligeant que dans nombre de « grands hôtels » de province, où des étrangers auraient scrupule de faire coucher leurs domestiques, les tenanciers ont une arrogance satisfaite, se donnent une importance excessive et comique, comme s'ils vous accordaient une faveur en daignant vous accueillir dans leur bouge qu'ils déclarent et estiment le plus réputé de la ville, le plus entièrement remis à neuf et le plus à la hauteur des progrès modernes.

      Il faut pourtant en rabattre. Sur mille hôtels français, parmi les premiers, aussi bien de Paris que de province, beaucoup plus des trois quarts mériteraient, au nom de l'hygiène seule, d'être discrédités et mis à l'index, en dépit de leurs outrecuidantes prétentions. On aurait vite fait de compter les très rares maisons françaises bien tenues, sérieusement bâties en vue de l'hospitalisation, pourvues de commodités dignes de ce nom, de salles de bains à chaque étage, de cabinets de toilette à eau chaude et froide, d'électricité intelligemment disposée et d'un mobilier aussi sain qu'élégant et neuf, disposé dans des chambres propres, bien vernissées, lavées et désinfectées après le départ de chaque nouvel occupant. J'avoue n'en avoir guère rencontré plus de quinze ou vingt, au très grand maximum, au cours de nombreuses excursions dans le Dauphiné, les Vosges, la Bourgogne, la Provence, le Languedoc et les Flandres. Pour le reste, il faut évoquer le chapitre des désillusions, des mésaventures, des douleurs et des écœurements qui attendent trop souvent chez nous l'excursionniste aux stations de ses vagabondages vers l'inconnu.

*
* *

      A cette époque des vacances, il est urgent de parler de ces choses et de s'efforcer de provoquer quelque peu l'opinion à la révolte contre l'optimisme satisfait, la morgue caricaturale, l'incurie et le laisser-aller des hôteliers français. Il est assuré que la grande majorité de nos compatriotes se contenteraient encore longtemps à la rigueur de cet état actuel, étant donné que ceux-ci voyagent peu, qu'ils n'apportent pas, à vrai dire, de grandes exigences pour la chambre où ils doivent passer une nuit ou deux, que la question des salles de bain ne les passionne point, ayant contracté l'habitude d'aller prendre leurs immersions de propreté dans les établissements spéciaux de la ville. Nos voyageurs tiennent principalement à la nourriture ; ils supportent assez bénévolement d'être mal logés dans des cabinets peu aérés, d'une propreté aléatoire, d'une décoration vieillotte prenant jour sur des cours souvent empuantées par l'odeur d'invraisemblables water-closets ou par des relents d'écurie. Cependant, ils ne pourraient être que très agréablement surpris d'une radicale modification de nos hôtelleries qui, leur donnant plus de confortable et de plaisance dans leur logement de passage, les inciterait davantage à voyager.

      Il faut penser surtout au tort que causent au mouvement d'affaires en général la routine aveugle des maîtres-hôteliers. Si nous possédions des grands hôtels dignes de ceux qui sont à l'étranger en si grand nombre et qui font, par exemple, l'agrément des résidences en Suisse, les étrangers afflueraient chez nous, apportant avec eux l'argent si nécessaire à l'accélération du trafic général. C'est à ce point de vue qu'il faut envisager l'urgence d'une réforme complète de nos auberges, maisons garnies et caravansérails hospitaliers. Je n'ignore pas qu'un syndicat d'hôteliers s'occupe actuellement d'organiser avec méthode leur industrie et que tous ceux qui ont intérêt au développement du tourisme sont arrivés à faire comprendre à ces négociants retardataires et trop souvent bornés, quel énorme avantage il pouvait y avoir pour eux à modifier du tout au tout leur attitude et l'état de leurs maisons vis-à-vis d'un public qui les néglige avec raison et pour cause.

      Le Touring-Club de France, ainsi que l'A. C. F. et les agences de voyages économiques ont déjà beaucoup fait pour améliorer et réformer nos hôtelleries. Ce ne sont jusqu'ici toutefois que d'infimes réparations qui ont été obtenues, d'insignifiants « ressemelages ». Les corps de logis demeurent toujours aussi médiocres et c'est à qui n'entreprendra pas les gros ouvrages de chambardement complet et de restauration réelle sur un plan nouveau.

*
* *

      Il y a urgence, il faut y insister, à se mettre à la besogne, car l'évolution de la nouvelle locomotion se fait à la vitesse de 100 kilomètres à l'heure, les chemins de fer se trouvent entraînés à doubler leurs express et rapides, le goût du voyage et du déplacement gagne toutes les classes sociales. Encore quelques années et l'on ira demander aux hôtels qui se feront accueillants, méticuleusement propres, relativement bon marché pour le confort qu'ils offriront, plusieurs fois annuellement, sinon davantage, des distractions à la vie du chez soi. Si la France qui a tant de variétés de climats, tant de sites ravissants, qui offre tant de vestiges historiques, qui présente tant de vallées à parcourir, tant de villes illustres à visiter, ne se prend pas d'un beau zèle qui consisterait à prétendre, non sans sagesse, vouloir rivaliser avec la Suisse, tant pis pour elle ! Les touristes continueront à la traverser sans arrêt pour filer vers l'Engadine, vers le Valais, vers les rives du Léman, qu'enrichissent été comme hiver d'innombrables colonies anglo-saxonnes.

      Nos auberges, à l'heure actuelle, sont en quelque sorte préférables à nos hôtels des villes dont la négligence est de plus en plus pitoyable. Déjà la Compagnie des Wagons-Lits a su installer dans certaines grandes cités des Terminus bien aménagés qui arrêtent les voyageurs au passage. Les traiteurs, maîtres- d'hôtel et tenanciers de vieilles baraques humides et noircies, fondées il y a des siècles, dans le centre de la ville, se plaignent amèrement de la concurrence et gémissent sur la misère des temps. La faute en est à qui, sinon à eux-mêmes qui ne nous offrent qu'e des chambres immuables depuis le premier Empire, la Restauration ou la dynastie de Louis-Philippe, des salles de repas tristes, froides et laides à donner l'indigestion, des cabinets de nécessité qui tourneraient le cœur à des employés de vidange ? Et pour tant d'horreurs cependant, ces têtus routiniers écorchent ceux qui sont entrés dans leur musée des antiques en leur présentant les notes les plus salées et les moins équitables.

      Il est à croire que des Compagnies immobilières se formeront un jour prochain pour créer dans les principales villes de France de vastes caravansérails bien modernes, semblables à celui que je voyais inaugurer dans le département de l'Isère il y a environ un an. Ce jour tant désiré, les hôtelleries du temps de Lafitte et Caillard pourront fermer leurs portes, personne ne s'y aventurera plus. Il y aura un soulagement général dans le public et nul ne songera à plaindre les vaincus. Ces veules industriels peuvent encore éviter la destinée qui les menace : qu'ils aillent voir un peu ce qui se fait ailleurs et que, honteux et confus, ils reviennent vite chez eux se mettre à la hauteur des pays capables de recevoir comme il convient les hôtes qui les enrichissent.

OCTAVE UZANNE. (Extrait du journal la Dépêche, de Toulouse, 1er septembre 1903.)

(*) Bulletin Pyrénéen n°41, septembre-octobre 1903, pp. 360-362

Exemplaire remarquable. Les Caprices d'un Bibliophile d'Octave Uzanne (1878). Edition originale sur papier Whatman (50 exemplaires). Reliure de l'époque japonisante en papier-cuir estampé coloré. Tirage rare et superbe exemplaire en reliure décorée.


Octave UZANNE

CAPRICES D'UN BIBLIOPHILE par Octave Uzanne.

Paris, Edouard Rouveyre, 1878

1 volume in-8 (25 x 16 cm), 146-(4)-(8) pages. Frontispice gravé à l'eau-forte par Ad. Lalauze.

Reliure de l'époque bradel plein papier-cuir japonais posé sur toile. Superbe réalisation hélas restée non signée (on pourrait attribuer ce travail à l'atelier de Carayon mais sans certitude. Cette reliure pourrait tout aussi bien sortir de l'atelier de Pierson qui s'est également essayé aux cartonnages de papier-cuir Japonais. Les deux plats de couvertures imprimés en noir sur papier bleus ont été conservés à l'état de neuf (compositions de Marius Perret). Grands marges conservées (ébarbées). Excellent état. Un coin de la reliure (coin inférieur du plat supérieur a été recollé), quelques minimes frottements aux extrémités des coiffes. Les mors parfois légèrement fendillé sans conséquence.


ÉDITION ORIGINALE.

TIRAGE A 572 EXEMPLAIRES.

CELUI-CI, UN DES 50 EXEMPLAIRES SUR PAPIER WHATMAN EXTRA-FORT.

Il a été imprimé de ce volume 500 ex. sur Hollande, 50 ex. sur Whatman extra-fort, 10 ex. sur Chine, 10 ex. sur papier de couleur et 2 ex. sur parchemin choisi.



Ce volume est le premier ouvrage littéraire d'Octave Uzanne, achevé d'imprimer à Dole (Jura) le 10 février 1878. Curieusement la préface est datée du 15 février 1878. Il contient, outre une préface au lecteur : Une vente de livres à l'Hôtel Drouot, La Gent Bouquinière, Les Galanteries du Sieur Scarron, Le Quémandeur de Livres, Le Vieux Bouquin, Le Libraire du Palais, Un ex-libris mal placé, Les Quais en août, Les Catalogueurs, Simple Coup-d'oeil sur le roman moderne, Le Bibliophile au Champs, Les Projets d'Honoré de Balzac,Variations sur la Reliure de fantaisie, Restif de la Bretonne et ses Bibliographes, Le Cabinet d'un Eroto-Bibliomane, Rondeau.

Octave Uzanne avait fait paraître précédemment quelques volumes d'études littéraires : Les Poésies de Benserade, La Guirlande de Julie, Les Poésies de Sarasin, Du Mariage par un philosophe du XVIIIe siècle, chaque fois avec d'érudites et piquantes présentations. Quelques textes des Caprices avaient déjà parus dans la revue Le Conseiller du Bibliophile entre 1876 et 1877.


La reliure qui recouvre le présent exemplaire est une jolie réussite. Il semble que pour ce cas précis, il s'agisse d'un papier-cuir japonais contrecollé sur une toile (on la distingue aux mors et aux extrémités des coiffes). Le tout semble avoir été enduit à l'époque d'un vernis brillant. On sait qu'Octave Uzanne était friand de ce type de reliures et qu'il en a fait plus d'une fois la réclame dans ses écrits (articles et livres). Ce volume ne comporte cependant aucune marque d'appartenance.

TRÈS BEL EXEMPLAIRE DE CE RARE TIRAGE SUR PAPIER WHATMAN DANS UNE SUPERBE RELIURE JAPONISANTE DE L'ÉPOQUE.

Exemplaire vendu par la librairie L'amour qui bouquine en 2016
Exemplaire à nouveau mis en vente en mai 2018 par la librairie Eric Fosse (Ebay), vendu 299 euros (vente fictive puisque remis aussitôt après en vente en achat immédiat au prix de 450 euros).

vendredi 4 mai 2018

Une longue lettre inédite d'Octave Uzanne à Andrée Béarn (5 novembre 1915). "Pauvre Gourmont ! Je le voyais bien mal [...] Il est mort le jour de la St Remy [...] quelle misère, dans cette vie d'homme si éminent dont l'esprit s'élevait au dessus de toutes les contingences !!" et quelques informations sur la mauvaise santé de Remy de Gourmont.

Archives Famille Riquer. Publié avec autorisation.


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St Cloud ce 5 [4 rayé] XI 15 (1)

Je pense, Filleule (2), que vous êtes de retour à l'ombre de votre cathédrale Barcelonaise, près du maître (3), heureux de vous retrouver, et tous en belle santé.
J'ai eu votre mot à St Cloud - Je vous remercie pour l'envoi de vos "En marge" (4) qui ont de l'allure et de l'émotion - Le De Gourmont surtout ..
Pauvre Gourmont ! Je le voyais bien mal ; ses dernières lettres me rassuraient un peu - J'étais en Bourgogne lorsque son frère Jean, m'écrivit pour m'apprendre que son aîné n'était plus ; Je ne pus revenir, pour les obsèques - Il est mort le jour de la St Remy - 1er octobre (4bis) - Depuis lors, une Mme de Courrière, vieille dame dont Goya aurait traduit la physionomie dans ses "Caprices" ou ses cauchemars, et qui est l'héritière de l'admirable écrivain des Épilogues, me demanda rendez-vous, dans le pitoyable logis que vous savez. J'y vis la chambre où il dormait, un bouge, sans air ni lumière, et si inconfortable qu'un ouvrier ne s'en serait accommodé - quelle misère, dans cette vie d'homme si éminent dont l'esprit s'élevait au dessus de toutes les contingences !!
Il n'est pas mort chez lui, dans cette turne, mais, heureusement, dans une maison de santé. Il ne souffrit point, fut inconscient de sa fin, parait-il. Il fit de l'hémiplégie, de la paralysie, sans que la tête fut prise ; il eut l'esprit lucide et cependant ne vit pas la mort s'approcher ; ne la devina pas, m'affirme-t-on.
Nous retrouverons ce noble esprit dans quelques œuvres qu'il laisse inédites, entre autres, un livre de pensées très variées et superbes qui se grouperont sous ce titre : "des pas sur le sable". (5)
Les morts vont si vite, en ces temps de massacres, que les disparus n'attirent plus l'attention et les meilleurs disparaissent sans qu'on perçoive des vagues de tristesse ou d'émotion. Cette guerre dessèche, abêtit l'âme humaine. La vie individuelle n'a plus de valeurs alors que l'on fauche si âprement les collectivités de jeunes hommes recrutés pour les luttes effroyables dont nous ne pouvons voir la fin, je veux dire préciser l'issue.
Ah ! Comment songer encore à la beauté, à la culture des fleurs intellectuelles, à la possibilité d'une oeuvre capable d'intéresser des êtres, après les cinématographies sanglantes et tragiques qui ne cessent de tourner sur tous les fronts d'Europe. - Les livres, qui s'en occupera encore ? Comment pourront-ils attirer ? Quels sont les écrits qui pourront encore séduire un public qui fut acteur ou spectateur des effroyables tragédies actuelles ? - Et l'art dans toutes ses formes que deviendra-t-il ? Comprendra-t-on ses sourires, ses interprétations de nature ? Que de temps, il faudra avant qu'on revienne à la douce vie cérébrale de naguère ! (6)
Ceux qui ont mon âge (7), ne retrouveront plus jamais les heureuses atmosphères d'intellectualité romantique et leur belle foi littéraire d'il y a quelques années encore - Hélas ! quelle faillite !!
Je vous envoie, ma chère Filleule, une page pour Iberia, sans la recopier. Vous m'en adresserez le texte après impression traduction et je vous prie de me retourner ma copie française.
Un affectueux souvenir à Alexandro de Riquer (8), mes sympathies à la turbulente jeunesse qui farandole à vos côtés (9) et, pour vous, Filleule, mes compliments les meilleurs du parrain, bien portant, mais très chambardé par les faits qui désagrègent si terriblement certains hommes qui prolongeaient l'esthétique de la vie par le rêve et l'illusion - et je suis de ceux-ci.

Octave Uzanne


(1) 5 novembre 1915. Octave Uzanne est dans on appartement de St Cloud. Il revenait d'un voyage dans le sud de la France annoncé par la lettre du 28 août 1915 adressée à la même (Andrée Béarn).
(2) Andrée Béarn de son nom d'état civil Marguerite Laborde. Voir notes de la lettre du 28 août 1915.
(3) Alexandre de Riquer, son époux. Voir notes de la lettre du 28 août 1915.
(4) Nous n'avons pas retrouvé cet article pour le moment.
(4 bis) Octave Uzanne se trompe quand il annonce le décès de Remy de Gourmont le 1er octobre 1915 jour de la St Remy. En réalité Remy de Gourmont est décédé le 27 septembre (jour de la Saint Vincent en mémoire de Saint Vincent (de Paul).
(5) "Les pas sur le sable", cet ouvrage a paru en 1919 à la Société littéraire de France. Agrémenté d'ornements gravés sur bois par Alexandre Noll.
(6) Octave Uzanne est littéralement effondré par les événements de la guerre en cours. Il est effondré professionnellement (à cause de la censure il ne peut plus travailler à la Dépêche de Toulouse), et psychiquement (il ne supporte pas l'idée de ces massacres au nom de la raison des états).
(7) Octave Uzanne a fêté ses 64 ans en septembre 1915.
(8) Alexandre de Riquer était-il son ami ?
(9) Jean de Riquer (1912-1993) alors âgé de seulement 3 ans, enfant d'Andrée Béarn et d'Alexandre de Riquer. Futur artiste lui aussi.

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Archives Famille Riquer. Publié avec autorisation.


(*) Nos plus sincères remerciements à Monsieur de Riquer qui nous a communiqué un ensemble très intéressant de documents issus des archives de sa famille et a permis la publication de ces mêmes documents intimes très émouvants sur ce site. D'autres suivront bientôt dans les colonnes du site www.octaveuzanne.com. Les notes ajoutées sont pour la plupart de M. de Riquer.

Bertrand Hugonnard-Roche

Une longue lettre inédite d'Octave Uzanne à Andrée Béarn (28 août 1915). "cette guerre féroce et déséquilibrante" et quelques informations sur la mauvaise santé de Remy de Gourmont.

Archives Famille Riquer. Publié avec autorisation.


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Portrait d'Andrée Béarn peint en 1911
par son époux Alexandre de Riquer,
donné en 1972
par leur fils Jean de Riquer
au Musée national d'art de Catalogne.
(source Wikipédia)
Toulouse, ce 28 août [19]15 (1)

Ma chère Filleule (2),
votre lettre me parvient à Toulouse, en route vers les Pyrénées-orientales, puis, vers Marseille, sans doute et la Provence.
Je me demandais souvent si vous étiez encore en Barcelone ou bien près de votre gave Oloronais (3). Je vous remercie de m'avoir situé votre séjour et donné des nouvelles de vous, du seigneur votre époux (4) et du beau Nanito (5) qui doit croître et s'épanouir en puissance et éclat charnel, en intelligence et en espièglerie, comme un Gargantua Rabelaisien.
Je ne saurais m'analyser, depuis le début de cette guerre féroce et déséquilibrante. Je suis comme un automobiliste, durant une panne qui se prolonge et s'éternise. Je me promène fébrilement sur la route, séparé de ma machine d'allure ; désemparé, incapable de savoir si je pourrais remonter sur mes pneus, repartir en vitesse et avoir encore une direction et un but.
Je me fais pitié, incapable de travailler, de reprendre goût à mon nid laborieux, à mes livres, à mes travaux - il me semble que je suis évacué, expulsé de mon intellectualité coutumière, émigré de ma profession, incapable de savoir quand je pourrai rentrer chez moi.
Dans ces conditions, ma chère Filleule, comment voulez-vous que je puisse avoir de grands projets pour l'hiver, sinon étant très frileux la peur d'avoir froid et d'être, sans combustible, obligé de fuir vers des climats où les vieux singes grelottant, comme je le suis, peuvent se tiédir dans les rais solaires sans oublier la misère des temps.
Des projets, mon amie, comment en former ? N'y-a-t-il pas ce poids de cauchemar qui nous pèse comme un obus de 420 sur la poitrine ? - Ce n'est pas une guerre normale que nous subissons, c'est la fin d'un monde, l'écroulement d'une civilisation factice, le masque arraché à des conventions internationales, qui montre la face bestiale, sauvage, carnassière de l'éternelle humanité.
A l'issue, encore lointaine, si incertaine de ce cataclysme, il n'y aura plus de place pour les mandarins intellectuels, pour les joueurs de flûte littéraire, pour les artistes et les décorateurs de vie. Il faudra tout rebâtir et honorer durant de longs jours les simples maçons. La truelle triomphera de la plume et des pinceaux. - Nous aurons nos jours de vache maigre et longtemps seront inutiles et hors des mœurs nouvelles des reconstructeurs.
Pour moi, qui fait ma dernière étape sur une longue route fleurie de bonheurs intimes, je ne vois plus guère que la stérilité sur le parcours à couvrir jusqu'à la tombe. - Repos et seul but égalitaire. - Mais, pour les jeunes, il leur faudra attendre que chacun ait repris sa place dans un foyer retapé avant d'espérer y faire oeuvre de trouvères. Je redoute que ce soit long, que l'esprit soit changé, qu'on veuille autre chose que nos intimités et sensibilités d'âme. Qu'importe, on verra ! - La soif de vivre, c'est la curiosité qui la fait aussi tenace et qui nous pousse aux sources d'où jaillissent les nouvelles formes d'existences, les expressions fraîches des générations montantes.

J'ai vu de Gourmont en mai (6). Il était changé, incapable de marcher, ruiné par l'albuminurie, causant avec difficulté. Je lui ai écrit. Il répond peu. Il ne dit rien de lui-même, mais je crois qu'il se voit chaviré. Il est atteint par sa vie même de reclus et par les germes morbides qui causèrent les désordres dont son visage porte les marques cruelles. Quel admirable esprit libre ! C'est un des plus grands parmi nous. Je l'estime supérieur à Anatole France par la philosophie, l'originalité et surtout par le caractère - c'est l'homme de lettres dans toute sa fierté d'expression, dédaigneux des honneurs et des succès inférieurs, n'ayant rien de l'arriviste - superbe figure morale !

Je penserai à vous pour Ibéria (7) et bientôt, j'espère, et, si je puis, pour la première fois depuis un an faire un articulet, je vous l'enverrai à Oloron.

Si vous m'écrivez, que ce soit à St-Cloud d'où tout me suit régulièrement.

J'embrasse et caresse votre belle fleur le Nanito et je vous donne aussi l'accolade cordiale du vieux parrain.

Octave Uzanne

Mes amitiés affectueuses à Alessandro (8) quand lui écrirez, mes souvenirs à Augusta (9).

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(1) Octave Uzanne était à Toulouse, siège du journal la Dépêche de Toulouse dans lequel il écrivait quasi quotidiennement des chroniques jusqu'au début de la guerre en août 1914. Depuis cette date la censure règne en maître sur la presse et Uzanne ne peut plus rien publier, ce qui explique son état d'esprit très pessimiste dans cette lettre. En août 1915 Octave Uzanne est âgé de 64 ans.
(2) Cette lettre est adressée à Andrée Béarn alias Marguerite Laborde. Octave Uzanne fut son parrain en littérature. Nous n'avons encore que peu d'éléments pour en dire plus sur ce sujet. Nous y reviendrons prochainement. Marguerite Laborde était la fille d'Alexis Laborde greffier du tribunal civil d'Oloron Sainte-Marie (Basses-Pyrénées, aujourd'hui Pyrénées Atlantiques). Alexis Laborde avait obtenu cette charge pour sa bravoure lors de la guerre de 1870, et avait passé sa jeunesse dans l’appartement de fonction du Tribunal qui surplombe le Gave d'Aspe.
(3) A Oloron Sainte-Marie (Basses-Pyrénées, aujourd'hui Pyrénées Atlantiques).
(4) Marguerite Laborde (Andrée Béarn) épousa en 1911 Alexandre de Riquer était Marquis de Bénavente et comte d'Avolos. C'est à ces titres qu'Uzanne emploi le terme Seigneur.
(5) Nanito était le surnom de Jean de Riquer, fils d'Andrée Béarn (Marguerite Laborde) et d'Alexandre de Riquer, qui avait déjà sept enfants d'un premier mariage (il était veuf). "Nanito", c'est ainsi qu'on désignait le dernier d'une fratrie en Espagne.
(6) Remy de Gourmont mourra le 27 septembre 1915. Voir la lettre suivante du 5 novembre 1915, adressée à la même.
(7) Iberia était un journal satyrique francophile édité à Barcelone. Andrée Béarn y aurait commis quelques articles et sans doute a-t-elle souhaité qu'Octave Uzanne en parle dans la Dépêche.
(8) Alessandro. Alejandro de Riquer, l'époux de Marguerite qui vit à Barcelonne (d'où les termes "quand vous lui écrirez"). En effet, Andrée Béarn, qui était considérée comme "grande intellectuelle" dans la petite ville d'Oloron, se sentait dévalorisée au milieu de l'intelligentsia barcelonaise que fréquentait son époux (mieux vaut être grand chez soi que petit chez les autres) ; par ailleurs, elle avait des rapport exécrables avec la fille aînée de son époux, Emilia (avec qui d'ailleurs n'avait-elle pas des rapports détestables ?...) Aussi, prétextant de la Guerre de 14 et d'un "devoir patriotique", elle quitta son époux pour revenir à Oloron.
(9) Augusta Laborde, soeur de Marguerite. Elle tient boutique de mode à Oloron. A Oloron elle tenait également un salon littéraire où se réunissaient pour en faire lecture et commentaires, les lecteurs du "Mercure de France" auquel Augusta s'était abonnée.


Archives Famille Riquer. Publié avec autorisation. (*)


(*) Nos plus sincères remerciements à Monsieur de Riquer qui nous a communiqué un ensemble très intéressant de documents issus des archives de sa famille et a permis la publication de ces mêmes documents intimes très émouvants sur ce site. D'autres suivront bientôt dans les colonnes du site www.octaveuzanne.com. Les notes ajoutées sont pour la plupart de M. de Riquer.

Bertrand Hugonnard-Roche

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