lundi 23 avril 2012

Essai de bibliographie des articles donnés par Octave Uzanne dans la presse et les revues (actualisation permanente).


Nous donnons ici la bibliographie, forcément non exhaustive, des articles signés Octave Uzanne et parus dans la presse et dans les revues. Des années 1890 à sa mort en 1931, Octave Uzanne a disséminé une incroyable quantité d'articles touchant à tous les sujets de société, des moeurs, de la littérature et des arts. Il est aujourd'hui très difficile d'avoir accès à l'ensemble de ce corpus journalistique, activité pourtant au combien primordiale et prépondérante dans la vie de cet éclectique.

Nous aurons ainsi à disposition un outil de travail bibliographique pratique qui regroupera, en un même lieu, les informations essentielles et références concernant ces articles.


LISTE DES ARTICLES RÉPERTORIÉS


ABC Magazine

Numéro 38 de février 1928 intitulé : "Le peintre de la vie du second empire, Constantin Guys."

Annales politiques et littéraires (Les)

Numéro 700 du 22 novembre 1896 intitulé : "La femme comme il faut en 1896."
Numéro 1011 du 9 novembre 1902 intitulé : "Silhouettes et portraits : M. Léopold Delisle."
Numéro 1260 du 18 août 1907 intitulé : "Ballade des bouquineurs."
Numéro 1300 du 24 mai 1908 intitulé : "Etudes et croquis : Le bon Teddy."
Numéro 1303 du 14 juin 1908 intitulé : "Le tricentenaire de Québec - la ville."
Numéro 1327 du 29 novembre 1908 intitulé : "Le Manchon."
Numéro 1405 du 29 mai 1910 intitulé : "Une promenade dans la ville de Shakespeare."
Numéro 1519 du 4 août 1912 intitulé : "Au Japon - le divin empereur."

Numéro 1379 du 28 novembre 1909 ??

Art et Décoration

Numéro du 1er juillet 1898 intitulé : "La décoration des livres aux salons de 1898."
Numéro du 1er février 1899 intitulé : "Couvertures illustrées de publications étrangères."
Numéro du 1er mars 1900 intitulé : "William Nicholson."

Art et les Artistes (L')

Numéro 19 du 1er octobre 1906 intitulé : "Paul Helleu et son oeuvre."

Auto Vélo (L')

Numéro 691 du 5 septembre 1902 intitulé : "La natation périclite."
Numéro 709 du 23 septembre 1902 intitulé : "Country-Club."
Numéro 731 du 15 octobre 1902 intitulé : "De Pekin à Paris en automobile - Le projet d'ensemble."
Numéro 742 du 26 octobre 1902 intitulé : "Pekin-Paris en automobile - L'itinéraire, les contrôles, les conséquences."
Numéro 760 du 13 novembre 1902 intitulé : "Le Sultan du Maroc chauffeur."
Numéro 774 du 27 novembre 1902 intitulé : "Les piétons - Bavardage paradoxal."
Numéro 790 du 13 décembre 1902 intitulé : "L'automobilisme dans l'avenir."
Numéro 799 du 22 décembre 1902 intitulé : "L'esthétique des teuf-teuf."

Briard (Le)

Numéro 45 du 17 juin 1914 intitulé : "Vacances en forêt de Fontainebleau."

Dépêche de Toulouse (La)

Très nombreux articles dont le détail sera bientôt mis en ligne.
Numéro 18919 du 2 décembre 1918 intitulé : "Le front des spéculateurs."

Echo de Paris (L')

Numéro du 24 novembre 1899 intitulé : "Visions de notre heure." Très nombreux articles dont le détail sera bientôt mis en ligne.

Femina (noël)

Les couleurs à la mode (noël 1911)

Figaro illustré (Le)

Numéro du 1er juin 1910 intitulé : "Bruxelles."
Numéro du 1er juin 1911 intitulé : "Un siècle de modes."

Figaro, Supplément littéraire (Le)

Numéro du 20 août 1881 intitulé : "Honoré de Balzac."
Numéro 137 du 17 mai 1893 intitulé : "Le matin - dix heures - midi - trois heures."

Samedi 22 juin 1895 - Bibliophiles et Biblioscopes

Grande Dame (La)

1893, article intitulé : "Coquetteries féminines."
1893, article intitulé : "Le paravent."

Illustration (L)

Numéro 2400 du 23 février 1889 et 31 août 1889 intitulés : "La reliure d'Art."
Numéro 2619 du 6 mai 1893 intitulé : "L'exposition de Chicago"
Numéro 2622 du 27 mai 1893 intitulé : "L'exposition de Chicago"
Numéro 2624 du 10 juin 1893 intitulé : "L'exposition de Chicago" (suite)
Numéro 2625 du 17 juin 1893 intitulé : "L'exposition de Chicago" (suite)
Numéro 2627 du 1er juillet 1893 intitulé : "L'exposition de Chicago" (suite)

Je sais tout

Numéro du 15 février 1905 intitulé : "Les modes qui font la mode."

Monde moderne (Le)

Numéro 1 du 1er janvier 1895 intitulé : "La locomotion future."

Paris-Journal

Le Firmament perdu (1911)

Plume (La)

Numéro 109 du 1er novembre 1893 intitulé : "Le Niagara. Notes de voyage."

Progrès civique. Journal de critique politique et de perfectionnement social (Le)

Numéro 78 du 12 février 1921 intitulé : "Pour que soient transformés nos services hospitaliers, il faut créer en France l'Assurance-Maladie."

Revue encyclopédique (La)

Année 1896, pp. 197-203, intitulé : "La bibliophilie moderne, ses origines, ses étapes, ses formes actuelles."


Revue illustrée (La)

Numéro 11 du 15 mai 1903 intitulé : "Edouard VII."

Studio (The)

Numéro 104 - vol. 24 - 15 novembre 1901 intitulé : "Les reliures décoratives de Paul Kersten."
Numéro 134 - mai 1904 intitulé : "Les pastellistes français contemporains : Gaston Latouche."
Numéro Spécial noël 1898-1899 - Modern Book-Plates & their designers. "Les ex libris en France."

Vie ilustrée (La)

Numéro 128 du 29 mars 1901 intitulé : "Les évolutions de l'anglaise depuis un siècle."
Numéro 132 du 26 avril 1901 intitulé : "L'historique du voile des femmes."

Cette liste n'est bien évidemment qu'une première ébauche absolument incomplète pour le moment. Les ajouts seront fait au fur et à mesure des découvertes.

Si vous avez noté ici ou là, dans des magazines, des revues, des journaux, quelques contributions d'Octave Uzanne, vous pouvez les indiquer en commentaire ou bien les envoyer par mail à librairie-alise@wanadoo.fr


Bertrand Hugonnard-Roche

samedi 21 avril 2012

Le premier cercle des amis d'Angelo Mariani (1838-1914) : Octave Uzanne aux premières loges.

Angelo Mariani est, comme son nom l'indique, d'origine corse. Il vient rapidement sur le continent et entame une carrière de préparateur en pharmacie. Il développe alors vers la fin de l'année 1870 un vin tonique fait à base de vin rouge de Bordeaux et d'extrait de feuilles de Coca. Le "Vin Mariani" connait dès lors un succès fulgurant et fait bientôt la fortune de son inventeur. Ce n'est pas ici le lieu de faire la biographie d'Angelo Mariani, mais pour résumer, nous dirons qu'il eut, très tôt, l'intelligence de s'entourer d'hommes d'influences du monde des lettres, des arts et de la politique. Ainsi son vin tonique fut promu avec enthousiasme par toute une partie de l’intelligentsia de son temps. Allié à de féroces campagnes de publicité dans la presse, Mariani sut imposer son vin à la coca comme le vin tonique à la mode (il en existait alors des dizaines et des dizaines).

Lorsque Mariani lance son premier Album Mariani (juillet 1891), première série de vingt-quatre portraits contemporains gravés à l'eau-forte par A. Lalauze (Paris, G. Richard, 1891), Octave Uzanne fait partie des vingt-quatre du premier cercle des amis du patron Mariani. Mariani est de ces philanthropes qui ne comptent pas l'argent qu'ils dépensent pour les lettres et les arts. Mariani finance l'impression de ce premier Album imprimé avec grand luxe et le distribue gratuitement à ses plus proches amis et collaborateurs. Le tirage est restreint : seulement 800 exemplaires numérotés. 150 exemplaires sur Japon ; 150 exemplaires sur Vélin d'Arches et 500 exemplaires sur vergé teinté d'Arches. Il est indiqué que L'ALBUM MARIANI comprendra 14 séries de 24 portraits chacune gravés à l'eau-forte par A. Lalauze (le plan de publication sera modifié dans le temps, nous en reparlerons ultérieurement).

Voici la liste des vingt-quatre portraits parus dans cette première série de l'Album Mariani. Elle nous livre l'entourage proche du commerçant. Elle est intéressante à plus d'un titre, notamment pour éclairer les relations qu'Octave Uzanne avait pu nouer avec chacun d'entre eux. Par ailleurs n'oublions pas, que bien qu'elles soient anonymes, les notices biographiques qui constituent l'Album Mariani, ont été rédigées par Joseph Uzanne, frère d'Octave. Premier secrétaire et homme à tout faire en matière de publications de Mariani (nous aurons l'occasion de traiter ce sujet ultérieurement).





LISTE DES PORTRAITS PARUS DANS LA PREMIÈRE SÉRIE DE L'ALBUM MARIANI.

ARÈNE (Paul) - 1843-1896 - Homme de lettres
CHAPRON (Léon) - 1840-1884 - Homme de lettres (décédé)
CLADEL (Léon) - 1835-1892 - Homme de lettres
COLONNE (Edouard) - 1838-1910 - Chef d'orchestre
CONNEAU (Mme Juliette) - Chanteuse
COQUELIN Cadet - 1848-1909 - Acteur et Homme de lettres
CUNEO D'ORNANO - 1845-1906 (né en Corse comme Mariani) - Homme politique
DELAUNAY (Mme Rose) - 1826-1903 - Comédienne
DOMINGO (François) - 1843-? - Peintre
FAUVEL (Dr Charles) - 1830-1895 - Médecin clinicien
GOUNOD (Charles) - 1818-1893 - Compositeur
HOLMES (Mme Augusta) - 1847-1903 - Compositrice
LEMERCIER de NEUVILLE (Louis) - 1830-1918 - Marionnettiste, journaliste, chroniqueur
PESSARD (Emile) - 1843-1917 - Compositeur
RAMEAU (Jean) - 1858-1942 - Homme de lettres
RICHARD (Mme Renée) - 1858-1947 - Cantatrice
ROTY (Oscar) - 1846-1911 - Graveur en médailles
RUTE (Mme de) - 1831-1902 - Femme de lettres, de la famille de Napoléon III
SÉVERINE (Mme) - 1855-1929 - Femme de lettres, féministe, libertaire
SILVESTRE (Armand) - 1837-1901 - Homme de lettres
THOMAS (Ambroise) - 1811-1896 - Compositeur
UZANNE (Octave) - 1851-1931 - Homme de lettres et bibliophile
YVON (Adolphe) - 1817-1893 - Peintre
ZORILLA (Ruiz) - 1833-1895 - Homme politique espagnol

Ainsi s'achève la liste des plus proches amis du Pater Angelo Mariani.


Nous traiterons bientôt des Figures Contemporaines publiées au cours des 25 années suivantes en de nombreux volumes dont nous donnerons le détail.

Octave participa à l'élaboration de ces Figures Contemporaines, notamment en rédigeant un Prélude Iconographique au premier volume publié en 1894.


Bertrand Hugonnard-Roche

vendredi 20 avril 2012

Octave Uzanne aimait-il les animaux ? Il répond lui-même à cette question dans une lettre datée du 27 juin 1908.


Voici une lettre comme j'aimerais en découvrir plus souvent. Pas trop souvent cependant car il y a malgré toute l'excitation de la découverte un certain plaisir à saisir lentement de quel bois était fait Octave Uzanne. C'est encore une fois l'Octave intime que nous envisageons sous un jour nouveau, éclairé par lui-même. C'est une magnifique lettre de deux pages écrite de Paris, 5, Place de L'Alma (Paris 8e), à un correspond malheureusement qui restera inconnu pour le moment. C'est une réponse à une demande qu'on lui a faite, ou plutôt à une question qu'on lui a posé : Octave Uzanne aime-t-il les animaux ? Il a 57 ans lorsqu'il répond à cette lettre qu'on lui a adressé et qui visiblement méritait une réponse détaillée de sa part.

A l'heure actuelle nous ne savons rien des maîtresses et des femmes amoureuses qui ont pu jalonner la vie du Prince des Bibliophiles, et maintenant pourtant, nous savons jusqu'aux petits noms même de ses animaux domestiques, chiens et chats, compagnies de sa vie de célibataire endurci "les amis de mes solitudes (...) les compagnons de ma sauvagerie errante" comme il l'écrit si bien.

Je vous laisse découvrir les relations affectueuses qu'Octave Uzanne entretenait avec ses animaux de compagnie. C'est un témoignage unique qui complète encore un peu plus le puzzle Uzanne intime.


5, Place de L’Alma
Paris VIIIe arr.
Paris – 27 juin 1908 (*)

"Mon cher ami ;
Si j’aime les animaux ? – Je les chéris ; ce sont les amis de mes solitudes, les compagnons de ma sauvagerie errante = chiens, chats domestiques, le gibier même, à l’état vivant, car j’ai depuis longtemps renoncé à épier, à chasser, à tuer les innocentes créatures des bois et des plaines, si plaisantes à regarder vivre et à apprivoiser.
Ceux que St François d’Assise appelait « nos frères inférieurs », nous sont supérieurs par plus d’un côté ; on gagne à les fréquenter dans la diète des Hommes – et ils nous sont d’un enseignement précieux, si l’on sait interpréter leurs façons d’être et se laisser guider par leur instinct.
Leurs habitudes, leur industrie, leur art ne sont pas restés immuables ; ils entendent nos progrès et y façonnent leurs mœurs.
J’ai eu des « Kyrielles de chiens et de chats, comme disait Léon Cladel » ! – Les souvenirs qu’ils m’ont laissés formeraient des mémoires … Isis, ma première chatte angora. Tibia, pauvre toutou de six jours sauvé des serpents de la ménagerie chez Bidal et dont je fus le père nourricier, Belzebuth, formidable matou de gouttière qui me joua des tours pendables qui faisaient honneur à sa souple clownerie et à son flair d’orientation, car il me rejoignit de Paris à … Marlotte … Dieu sait comment et au prix de quelles ruses ?..
Pierrot, gentil Epagneul, qui était kleptomane chez les rôtisseurs hostiles et grossiers et qui n’aurait point volé une alouette chez les honnêtes fournisseurs favoris de son maître, Ravachol, dogue téméraire qui désarçonnait les gendarmes avec rage et me fit pâmer de rire par ses façons d’attaquer la maréchaussée qui me dressa d’ailleurs maintes contraventions ; Fox, grand braque d’arrêt qui ne chassait que les oiseaux dans le ciel et détalait comiquement devant les lapins... !
Peut-on ne pas aimer de tels compagnons !
                                En Egypte, jadis, toute bête était dieu.
                                Tout homme, au contraire était bête.
Sans partager absolument cette zoolâtrie, on  peut penser avec Montaigne qu’ « il y a plus de différence d’homme à homme que de bête à homme. »
La formule est digne du grand philosophe gascon qui sut comprendre et aimer les animaux sans leur accorder cependant l’éloquence dont par la suite, le bonhomme La Fontaine les affabula."

Octave Uzanne


(*) Cette lettre nous permet de savoir qu'Octave Uzanne était encore logé au 5 Place de l'Alma à Paris au 27 juin 1908. Le 11 octobre 1908 il a déménagé dans son appartement de Saint-Cloud. Le changement d'adresse s'est donc fait entre ces deux dates.

Bertrand Hugonnard-Roche

mercredi 18 avril 2012

Les deux signatures d'Octave Uzanne.

Si vous ouvrez à la page IV de la Préface le volume des Caprices d'un Bibliophile (Paris, Ed. Rouveyre, 1878), vous pourrez voir la signature d'Octave Uzanne, alors âgé de 27 ans, reproduite en fac similé avec la date du 15 février 1878 (voir ci-dessous).


15 février 1878

Il est amusant de noter que cette signature de jeunesse est assez différente de la signature qu'il aura l'habitude d'apposer sur le papier, à peine quelques mois plus tard. En effet, dès le 30 septembre 1881 (et même certainement avant), alors directeur et rédacteur en chef de la revue Le Livre depuis un an, il signe d'un paraphe exubérant. Vous en avez la fidèle photographie ci-dessous.



30 septembre 1881

A l'étudier de près, on note tout d'abord une hypertrophie de la barre du t d'Octave, barre du t qui désormais court jusqu'au bout du nom. La queue du z de son nom, au lieu de descendre sagement et modérément comme en 1878, s'hypertrophie également et part tout à droite du nom  Uzanne pour aller mourir loin dans la marge extérieure. Enfin, le e final du nom Uzanne se termine par une queue descendante qui revient vers la gauche (comme en 1878) mais encore une fois d'une façon hypertrophiée (11 cm de longueur pour cette signature de 1881 contre seulement 4 cm pour celle de 1878).

Tout ceci peut paraître dérisoire et broutillesque, mais je ne doute pas qu'un graphologue expérimenté puisse, à l'aide de ces paraphes étalés sur plus de 50 années, nous donner un portrait morpho-psychologique des plus précis de notre auteur.

En 1881, Octave a 30 ans, il est devenu le directeur de cette importante revue bibliographique qu'est Le Livre. On peut supposer sans trop se tromper qu'en l'espace de deux ans, son ego s'est affirmé, renforcé, au point que cela se traduise dans les actes mêmes qu'il signe de sa main. En vieillissant cet ego s'estompe sans doute suffisamment, au point que quelques lettres des années 1920 (il a 70 ans) montrent un paraphe simplifié : Octave. (on trouve encore aussi la signature Octave Uzanne mais plus petite, nettement moins exubérante que dans ses jeunes années.

Voici quelques autres paraphes d'Octave Uzanne au fil des années. Nous ne manquerons pas de revenir compléter ce billet avec de nouvelles signatures découvertes.


en 1893


en 1902


en 1893

Ainsi va la vie, nous sommes trahis dans notre intimité par une simple griffe. Octave Uzanne n'a pas échappé à la règle.

Bertrand Hugonnard-Roche

mardi 17 avril 2012

Octave Uzanne donne trois pièces en vers libres pour le Nouveau Parnasse Satyrique du XIXe siècle publié par H. Kistemaeckers en 1881.

Tant de questions restent encore sans réponses autour du bonhomme Octave Uzanne que parfois je me demande si une vie suffira pour en faire le tour ? Peu importe à vrai dire. Au moins j'aurai essayé de savoir, de comprendre et d'apprendre. Et c'est bien là l'essentiel. Ce blog se veut comme la plus vaste entreprise bio-bibliographique actuellement en cours de rédaction sur le Prince des Bibliophiles pour les uns ou le Monsieur de ces Dames à l'éventail pour les autres.

Qui était-il vraiment ? Voici l'unique question qui me préoccupe et motive toutes mes recherches actuelles et futures. Je reste persuadé qu'on ne peut comprendre l'oeuvre d'un écrivain ou d'un artiste que si l'on connait aussi (et même surtout) sa vie privée, son intimité, j'oserais même dire son âme. Peut-on pénétrer dans l'âme de quelqu'un ? et qui plus est post-mortem ? Rien n'est moins certain. Et pourtant je tente l'aventure.

Octave Uzanne est resté célibataire tout sa vie durant. Et pourtant il n'a cessé d'encenser la femme, les femmes, ses femmes, ses maîtresses. De ci, de là, on peut lire quelque dédicace à Madame *** mais sans jamais rien savoir de plus. Nous ne savons donc pas encore de qui il s'est fait aimé. Nous ne savons pas l'ardeur de son sentiment amoureux si ce n'est pas quelques lignes dispersées ici ou là dans Le Bric-à-Brac de l'Amour (1879), Le Calendrier de Vénus (1880) ou encore Les Surprises du Coeur (1881). Dans aucun de ces écrits vous ne rencontrerez textes licencieux, écrits avec des mots explicites propres au registre pornographique ou pour le moins fortement érotique. Jamais je n'avais pu prendre Octave Uzanne en flagrant délit de libertinage verbal. Seules quelques allusions textuelles avec pirouettes stylistiques invitaient parfois à la suggestion libertine.

En 1881 Uzanne est vert ! très vert ! il fête ses 30 ans ! ... Il n'y a guère que la littérature, la bibliophilie et les femmes qui occupent ses pensées. Quel beau programme !

C'était une erreur de croire qu'Uzanne n'avait jamais rien écrit sur le mode pornographique. Je me dois ici de remercier une amie, Prune, qui a la première posé les yeux sur ces vers évocateurs. Quand Prune m'informe qu'elle a trouvé un "Souhait priapique" signé Octave Uzanne, j'avouais de suite mon incrédulité. Et pourtant c'était bel et bien Octave Uzanne qui en était l'auteur, avoué, signé de son nom, imprimé à très petit nombre certes.

On trouve le Souhait priapique d'Octave Uzanne dans un recuil intitulé Le Nouveau Parnasse Satyrique du XIXe siècle pour faire suite au Parnasse Satyrique, édition revue, corrigée, complétée et augmentée de nombreuses pièces nouvelles, inconnues et inédites. Ce volume, le troisième d'une série de trois, a été publié "A Bruxelles, avec l'autorisation des compromis" en 1881. En réalité ce volume a été publié par l'éditeur belge Henry Kistemaeckers, à Bruxelles. Recueil  de pièces facétieuses, scatologiques, piquantes, pantagruéliques, gaillardes et satyriques, etc. Imprimé à 175 exemplaires seulement (rare de fait), ce troisième volume qui contient les auteurs modernes, est semble-t-il encore moins facile à trouver que les deux précédents. On trouve un long compte-rendu (4) sur cet ouvrage dans la onzième livraison du 10 novembre 1881 de la revue Le Livre (Bibliographie moderne), Octave Uzanne étant le directeur et rédacteur en chef de cette revue. L'article de compte-rendu est signé des initiales J.R. qui pourraient correspondre à Jean Richepin. Jean Richepin commentait souvent la sortie des ouvrages dans Le Livre. Cependant à la lecture de ce compte rendu, on serait tenté de voir en arrière-plan un Octave Uzanne espiègle qui se joue du lecteur et s'engage dans une critique en règle d'un ouvrage condamnable qui pourtant "a sa raison d'être". Nous ne saurons sans doute jamais.

Quoiqu'il en soit, Octave Uzanne a bel et bien donné trois pièces en vers pour ce recueil. Elles se trouvent aux pages 64 et 65. La première est un sonnet intitulé Sonnet, imité du Bois-Robert. La seconde est intitulée Le livre qu'on lit d'une main. Et enfin la troisième et dernière s'intitule Souhait priapique. Les deux premiers poèmes traitent sur le mode subtil et imagé de l'onanisme masculin. Le dernier poème traite lui du fantasme de fellation. Les trois pièces sont signées en toutes lettres Octave Uzanne, qui reconnait par là son oeuvre libre (on retrouve d'ailleurs sont nom en toutes lettres dans la table des noms in fine).

Je dois également remercier ici mon ami Xavier pour les renseignements bibliographiques qu'il m'a fourni concernant cette édition peu commune d'un ouvrage que je ne possède pas (encore) sur mes rayons. Il m'a également fourni les photographies que vous pouvez voir.

Mais laissons les vers libres d'Octave Uzanne prendre leur envol. Les voici. Nous ne désespérons pas d'en découvrir d'autres, disséminés ici et là dans divers recueils de cette époque. Improbable mais non impossible  désirable découverte.


Sonnet, imité du Bois-Robert (1)
A Madame ***



L’autre nuit, je bandais très fortement, ma chère.
En rêvant des attraits que j’eus à parcourir ;
Ne les pouvant baiser, je cherchais à saisir
Tous ces mignons appas du Pays de Cythère (2).

J’étais, s’il m’en souvient, désireux de pourtraire
En doux termes brûlants, mon très brûlant désir
Et commençai d’écrire avec tant de plaisir
Que je croyais pour vous tout penser… et tout faire.

J’exprimais assez bien l’ardeur de mes souhaits,
Et passais du larcin au plus grand des forfaits,
Vous tenant près de moi, joliment étendue.

Hélas ! à mon réveil, malheureux écrivain !
Je me trouvai la plume encore à la main
Et sentis dans mes draps mon encre répandue.


Octave Uzanne.




Le livre qu’on lit d’une main.

Le livre est très cochon, cependant il attire ;
La main qui l’éloignait le rappelle soudain,
Il faut bien s’enfermer, tout seul, afin de… lire
Cette pollution d’un bandant écrivain.

Le prurit est très grand… difficile à décrire ;
Il chatouille si fort ce doux récit malsain !
Tous les nerfs se cabrent et l’œil est en délire
Les doigts chauds et crispés tremblent dans l’incertain.

Après bien des … soupirs, la lecture s’achève ;
On se sent accablé comme au sortir d’un rêve
Des plus étourdissants.

Et l’on regrette alors la sensation bête
Qui vous a fermenté tout à coup dans la tête
Pour ces stimulants.

Octave Uzanne.


Souhait priapique.

Tel Tibère dans sa piscine,
Quand je chevauche une Gothon (3)
(Dans mon ivresse libertine
Qui cherche à corser le bouillon)
Je voudrais que ma rouge pine
Trouvât au fond du large con
Une bouche d’enfant poupine
Pour la têter comme un suçon !

Octave Uzanne.


Bertrand Hugonnard-Roche,
Prune V.
Xavier P.


(1) François Le Métel de Boisrobert est né le 1er août 1592 à Caen et mort le 30 mars 1662 à Paris, est un poète et dramaturge français. Boisrobert a composé 18 pièces de théâtre, dont 9 tragi-comédies. L’une de ses comédies, La Belle plaideuse (1655) est remarquable et passe pour avoir inspiré l’Avare de Molière. Il est également l’auteur de nombreuses poésies. Il a édité les Œuvres deThéophile (1627) et le Parnasse royal, ou Poésies diverses à la louange de Louis XIII et du cardinal de Richelieu (1635, 2 vol.). D’après Bernard de La Monnoye, il serait l’auteur des Contes licencieux qui ont paru sous le nom de son frère, Antoine Le Métel d'Ouville.

(2) Cythère est l'île dont les eaux ont vu naître la déesse Aphrodite avant que celle-ci soit poussée par le zéphir vers Chypre. Selon Homère, la déesse en tire même l'une de ses épiclèses, Cythérée.Hérodote mentionne la présence d'un temple dédié à la déesse dans l'île.

(3) La Gothon Duffé (Anne-Marguerite Maillefert dite La Gothon), la trentaine, engagée trois années plus tôt comme chambrière, et donc « le plus beau c...qui fût échappé des montagnes de Suisse depuis plus d’un siècle (Sade, dans sa lettre « L’aigle, mademoiselle… »).

(4) compte-rendu dans la revue Livre, Le Nouveau Parnasse Satyrique du XIXe s., Sous le manteau, 1881. 3 vol. in-8. (Bruxelles, H. Kistemaeckers)




samedi 14 avril 2012

Petite fiction uzannienne : Octave Uzanne et la catastrophe du Titanic (15 avril 1912).


Un siècle s'est écoulé depuis la tristement célèbre catastrophe du Titanic, cette nuit du 14 au 15 avril 1912. Cette monstrueuse et luxueuse masse d'acier devait rallier New York pour sa première traversée de l'Atlantique. Seize compartiments étanches devaient servir à protéger le navire en cas de voies d'eau ou d'avaries importantes. A 23h40 heure locale, le paquebot heurte un iceberg sur tribord. Il sombre à 2h20 du matin heure locale au large de Terre-Neuve. Près de 1.500 personnes périrent dans les eaux glacées. Octave Uzanne, comme tout le monde, vécut ce terrible évènement depuis son appartement de St-Cloud.



Première page du Figaro du mardi 16 avril 1912. La catastrophe du Titanic est en colonne de droite, en bas et se poursuit sur l'autre page (verso).


Les choses auraient pu se passer ainsi ...


Couverture illustrée du livre publié par Octave Uzanne en 1893,
récit de son voyage aux Etats-Unis et au Canada entre avril et juin 1893.
« Il était déjà tard ce 14 avril 1912 et Octave Uzanne avait la plus grande difficulté à se résoudre d’aller au lit. Un dimanche comme les autres s’achevait dans le travail pour cet infatigable de la plume. Cela faisait maintenant plusieurs mois qu’il travaillait à ses Instantanés d’Angleterre (1) ; il lui restait encore beaucoup à écrire. C’était sans compter les articles qu’on lui demandait sans cesse pour les journaux de Paris et d’ailleurs. Il y avait comme une électrisation dans l’air de son appartement à St-Cloud. L’air était surchargé de ces vapeurs nocturnes d’avril qui annoncent déjà un été plein d’avenir. Octave déposa finalement son monocle sur son bureau à côté d’un tas de feuilles noircies. Il était minuit passé. Il était temps de se reposer enfin. Sur le trajet qui le menait de son bureau de travail à sa chambre Octave revoyait défiler devant lui un à un ses amis disparus. Jean Lorrain était de ceux là. Déjà cinq ans qu’il n’était plus là ce cher ami, ce joyeux et facétieux drille décadent. Octave ferma les yeux et s’endormit, rompu de fatigue, dans un tourbillon de rêves japonisants et féminins, probablement provoqués par les mille et une fadaises décoratives provenant de l’orient qui s’entassaient tout autour de lui, au mur, sur la cheminée de marbre et même jusqu’aux bois du lit. Quant aux femmes, il y en avait sous mille formes variées dans cet appartement : dessins, gravures, tableaux. Octave était fort galamment entouré encore, du haut de ses soixante-et-un ans. La nuit passa sur le monde comme une trainée de poudre. L’aube filtra au travers d’un carreau du petit salon. Une nouvelle journée s’engageait. Octave fit comme à son habitude ; les courriers arrivèrent ainsi que le Figaro du jour ; la matinée avançait, il était 9 heures passé. Octave ne se doutait pas de ce qui venait d’arriver de l’autre côté de l’océan, vers ce nouveau monde qu’il adulait tant. A 2h20 du matin heure de New York, le paquebot géant Titanic de la White Star Line, venait de sombrer en laissant dans son sillage près de 1.500 victimes happées par le froid glacial de l’océan. 700 rescapés seulement, essentiellement des femmes et des enfants. Octave sentit comme un souffle au dessus de son épaule. Pourtant la journée de ce lundi s’écoula sans que notre écrivain ne semble affecter par quoi que ce soit de ce qui pouvait se passer de l’autre côté du monde. La journée s’écoula dans le travail acharné comme celle de la veille. Uzanne s’éveilla ce mardi matin avec à l’idée de reprendre quelque article abandonné récemment au profit d’un autre. Il en avait tellement en cours.

Envoi autographe d'Octave Uzanne sur l'exemplaire de son livre
"Vingt jours  dans le Nouveau Monde" (1893)
"à m. Perche, ce souvenir d'un vagabond."
Octave regarda attentivement la première page du Figaro de ce mardi 16 avril. En dernière colonne de droite, en bas, il pouvait lire : « le paquebot géant le Titanic, l’un des deux plus grands navires du monde, a heurté une banquise en faisant route sur New York ; suivant les premières dépêches, il avait réussi à se maintenir à flot. En dernière heure on annonçait que le bateau était coulé. Mais heureusement ses 1.600 passagers sont sains et saufs. Ils ont été recueillis à bord de plusieurs bateaux venus à leur secours. » Octave sentit un frisson lui parcourir le corps. Quelle nouvelle ! Quelle catastrophe évitée de justesse pensa-t-il ! Octave poursuivit avidement la lecture de cette première colonne. Il tourna la page où l’article se poursuivait. On pouvait lire le détail de la liste des passagers, quelques chiffres sur ce monstre des océans dont c’était ici la croisière inaugurale. Octave Uzanne arriva enfin sur la deuxième colonne de cette deuxième page, il put lire : « DERNIERE HEURE : DE NOMBREUSES VICTIMES. A deux heures et demi du matin, l’agence Havas nous communique cette dépêche qui infirme la plupart des informations reçues et transforme le naufrage en véritable désastre. » L’article se poursuivait en donnant quelques détails sur ce paquebot hors norme. Octave posa son monocle et baissa la tête. Une telle catastrophe ! Lui qui avait fait la traversée Le Havre – New York en avril 1893 ! Il avait en effet embarqué au Havre en première classe sur La Gascogne et débarqué à New York le 10 avril. Il y était resté 3 mois environ. Il était pour l’occasion envoyé spécial du Figaro. Il rapporta de ce périple, entre New York, Chicago, Montréal et Boston, un ouvrage passionnant intitulé Vingt jours dans le Nouveau Monde (2), titre erroné s’il en est puisqu’il y passa en réalité près de 90 jours. Mais ce titre correspondait à celui d’une collection publiée par May & Motteroz dans la Collection des Guides-Albums du touriste. Vingt ans ! Près de vingt ans s’étaient écoulés entre le 10 avril 1893 et ce 12 avril 1912 qui voit sombrer le plus beau rêve maritime de plaisance de l’époque. Octave Uzanne se remémorait son propre périple. Les images se bousculaient dans sa tête. A compter de ce mardi matin tout le monde à Paris et ailleurs ne parla plus désormais que de cela. Le mercredi 17 avril apporta encore son lot de précisions macabres sur la catastrophe. Le Figaro, tout comme les autres journaux, de France, et du monde, continuèrent à écrire sur le sujet, encore et encore. Les années passèrent. Octave Uzanne vieillit avec ces images de morts dans la tête. Il avait lui-même fait cette traversée de l’Atlantique. Il mourut le 31 octobre 1931. Il avait 80 ans. »

Bertrand Hugonnard-Roche


(1) Instantanés d’Angleterre par Octave UZanne. Paris, Librairie Payot et Cie, 1914. In-18 de 317 pages. Tirage à 1.815 exemplaires. Le texte de cet ouvrage avait été publié précédemment pour partie seulement en 1898 sous le titre de Types de Londres (Paris, Floury, in-folio).

(2) Vingt jours dans le Nouveau Monde par Octave Uzanne. 175 illustrations d’après nature. Paris, May & Motteroz, s.d. (1893). In-8 oblong à l’italienne de 214 pages. Tirage sur papier vélin teinté ordinaire (il n’a été tiré que 2 exemplaires sur papier de Chine selon les propres déclarations de l’auteur. Voir catalogue de la vente de ses livres (2 et 3 mars 1894).

lundi 9 avril 2012

Laurent Tailhade (1854-1919) par Octave Uzanne (juillet 1926).


Première page du manuscrit autographe d'Octave Uzanne.
Sans date, mais joint à l'exemplaire du livre de Pierre Dufay consacré à Laurent Tailhade,
on peut le dater de quelques jours ou quelques semaines après le 20 juillet 1926, date de l'achevé d'imprimer.



Le hasard presque seul et une certaine persévérance dans nos recherches nous a permis de retrouver l'exemplaire du livre intitulé Laurent Tailhade (*) - Lettres à sa mère 1874 1891 publié par Pierre Dufay (**) à Paris chez René Van den Berg et Louis Enlart, en 1926, offert à Octave Uzanne par l'auteur avec l'envoi autographe suivant : "A Octave Uzanne, évocateur du passé et qui me l'a fait aimer, respectueux et affectueux hommage, Pierre Dufay." Cet exemplaire ayant été offert à Uzanne porte quelques traces de lecture, notamment quelques passages marqués au crayon en marge, mais surtout il est accompagné d'un manuscrit autographe d'Octave Uzanne concernant Laurent Tailhade. Ce manuscrit de quelques pages (qui a dû servir pour la publication d'un article dans la presse) nous l'annoncions dans un précédent billet consacré à Pierre Dufay et à l'éloge funèbre qu'il avait fait d'Octave Uzanne. Le voici.

Laurent Tailhade par Octave Uzanne. Manuscrit autographe non signé. Sans date (quelques jours ou quelques semaines après le 20 juillet 1926). 5 demi-feuillets oblongs in-12 écrits seulement au verso [fragments que nous avons retranscrits dans l’ordre dans lequel nous les avons trouvé attachés ensemble par un coin de métal]. Joint à Lettres à sa mère 1874-1891 avec des notes et une introduction par P. Dufay. Paris, 1926, petit in-8, broché. Envoi de P. Dufay à Octave Uzanne.

« [Feuillet 1 non coté] Laurent Tailhade
Plus rapidement que jamais, les morts s’enfoncent rapidement dans le profond néant de l’oubli. Les réputations ne tiennent pas longtemps l’affiche. Chaque génération, désormais, ne voudra connaître d’autres valeurs intellectuelles que celles qui appartiendront à leur règne ici bas. Le mot de Postérité perd de plus en plus son sens de durée. Rien n’est plus que modes qui traversant le champ d’actualité et disparaissant à jamais hors du rayon visuel des équipes qui entendent se renouveller sans se préoccuper des précédentes qui leur ont ouvert la voie. On déblaie la vie, on soulage la mémoire, on se libère des admirations du passé et de ceux qui y firent figure originale. C’est à peine encore si on ose l’avouer cyniquement, il y a convenance Tacite dans la jeunesse actuelle à proclamer que tout ce qui fut hier est inexistant et que seul aujourd’hui compte et vaut qu’on y prête attention.
Bientôt ce sera l’Evangile de la Religion du présent. Il gagnera certes [cet évangile] à être nettement affirmé et dégagé de toutes les hypocrisies qui la dissimulent encore. Les héritiers du Passé ne sont pas éloignés de proclamer, du fait de leurs droits à la méconnaissance de toute gratitude vis-à-vis des grands et nobles aïeux et à prendre pour Devise : Chacun son Heure, après Chacun sa vie..
Nous y arriveront d’autant plus brièvement que l’Héritage est déjà trop chargé et qu’on ne le peut accepter que sous bénéfice d’inventaire, car on ne saurait dans la traversée vertigineusement rapide qui est notre vie, contrôler la millième partie du lot de connaissances qui nous est légué [cela] est absolument hors de nos moyens.
Actuellement déjà nombre de nos contemporains notoires s’en vont vers l’au-delà pour ainsi dire à l’anglaise, sans déranger personne. La nécrologie qui sévissait encore en longues paroles de Deuil et se diluait lamentablement dans les quotidiennes colonnes des journaux, l’éloge funèbre abondant, arrosé de regrets, de condoliantes affections verbeuses a fait son temps. Un maigre entrefilet suffit, on use infiniment moins des mots vides de sincérité sur le défunt inoubliable ou sur l’œuvre qui ne périra pas. Le constat de décès et le minimum de mots [Feuillet 2 marqué (2) en haut à gauche] cela apparait suffisant. Il y a là un progrès qui a sa valeur. Le jour ou les enterrements à locomotion lente, encore hypomobiles, cesseront d’embouteiller la circulation des vivants dans les grandes cités, il conviendra d’applaudir à la nouvelle méthode. Si les morts vont vite dans toutes les capitales du monde, ce n’est pas encore à Paris et c’est surtout vis-à-vis de cette transport de notre guenille au vestiaire éternel qu’il faut réaliser la transport quatrième vitesse.

*
**

Un livre posthume de Laurent Tailhade, Recueil de Lettres à sa mère que je viens de recevoir et de lire me fait ratiociner sur les départs à la cloche de bois de la plupart de nos compatriotes. Le poète du Jardin des Rêves nous a quittés, je crois, il y a environ trois ans.

[Feuillet non coté] Laurent Tailhade
Le Poète esthète du Jardin des rêves et de Vitraux, le véhément satirique des poèmes aristophanesques et d’Au Pays du mufle, le journaliste lettré qui publia tant de chronique audacieuses, le très acerbe contempteur de nos mœurs sociales sur la fin du siècle dernier, [l’écrivain] qui nous donna ces deux ouvrages amusants et féroces : à travers les grouins et Imbéciles et gredins, Laurent Tailhade fut une des figures les plus originales de ce monde des lettres d’hier qui, déjà, comme tout ce qui est d’avant guerre, s’efface chaque jour davantage de notre mémoire et intéresse peu la jeunesse actuelle.

Lorsqu’il mourut, pauvre, perdant pied dans la société nouvelle, n’ayant plus son tremplin des beaux jours du vieux boulevard, ni son public d’élite, dispersé par le grand cataclysme, Tailhade se sentait fini, vaincu. Sa disparition ne provoqua aucun profond mouvement d’intérêt dans le public des lettres. et Fort peu nombreux furent les amis qui l’accompagnèrent au lointain cimetière de la banlieue parisienne où repose cet enfant du Béarn, si réfractaire aux turpides complaisances du temps où il vécut.
Tailhade qui avait fait ses études au lycée de Tarbes [et il] suivit les cours de la faculté de droit à Toulouse, où il revint souvent, depuis son entrée dans la littérature. [rature] Armand Silvestre avait été, pour ainsi dire, son parrain et son protecteur, l’avait présenté à Banville qui fut le préfacier du Jardin des Rêves et avait [de son mieux] guidé ses premiers pas à Paris. Sa destinée devait le porter rapidement à lancer une lapidaire apostrophe au Czar Alexandre II, alors que [pamphlétaire] il entrevoyait toutes les fatales conséquences de l’alliance Franco-Russe et à s’insurger contre la politique bourgeoise de l’époque, ce qui le conduisit un long temps à l’hôpital : qu’importe l’acte, avait-il dit, pourvu que le geste soit beau.
Cette pitoyable aventure qui fit plus pour la célébrité de Laurent Tailhade que vingt volumes de poésies, le situa dans le monde des révolutionnaires par [fin du feuillet – il manque la suite].

[Feuillet coté (2)] qu’on se plaisait aux écritures lapidaires, sertissant des mots de rare symbolisation, des expressions figuratives hyperboliques et qu’on goûtait le jeu des invectives taillées à facettes, à la manière de la polémique et de la satire spirituelle et prodigieusement individualisée par un talent âprement combatif que Laurent Tailhade se distingua, malgré ses très remarquables dons poétiques.

**
*

[Feuillet coté (1)] Laurent Tailhade
C’est une [très originale] figure de poète satirique, de journaliste lettré, au style lapidaire souvent acerbe, jamais banal, toujours combatif que celle de l’auteur du Jardin des Rêves, de Vitraux et d’Au pays du mufle. Laurent Tailhade est mort au cours de [ces] dernières années, assez pauvre, un peu oublié et sa disparition en ces heures d’après guerre où l’article nécrologique a perdu de sa valeur et de son intérêt n’a pas [guère] remué guère l’opinion [des élites] littéraires. Ce réfractaire aux [complaisantes] mœurs sociales contemporaines, ce farouche contempteur de la médiocratie parvenue assise à tous les postes enviables s’en est allé à la façon de ceux qui ont perdu pied dans les évènements.


[Fin]


Nous avons volontairement livré ce manuscrit sans aucun commentaire ou tentative d'analyse. Les commentaires posés ultérieurement permettront d'amender cet article de toutes les informations susceptibles de venir le compléter utilement.


(*) Laurent Tailhade, né à Tarbes le 16 avril 1854 et mort à Combs-la-Ville le 2 novembre 1919, est un polémiste et poète français. Le poète satirique et libertaire Laurent Tailhade est issu d'une vieille famille de magistrats et d'officiers ministériels, lesquels, pour l'empêcher de s'adonner à la vie de bohème littéraire l'obligèrent à faire un mariage bourgeois et à le confiner dans l'ennui doré de la vie de province. « Libéré » à la mort de sa femme, Tailhade put gagner la capitale et dilapider en quelques années tout son bien, en s'adonnant à la vie qu'il désirait mener depuis toujours. Devenu l'ami de Verlaine, Jean Moréas et Albert Samain, Tailhade, tout en écrivant des vers influencés par les Parnassiens, développait sa fibre anarchiste et anticléricale dans des poèmes et des textes polémiques et d'une vigueur injurieuse peu commune. Son nom devint populaire à partir de décembre 1893, lorsqu'il proclama son admiration pour l'attentat anarchiste d'Auguste Vaillant avec une phrase fameuse, « Qu'importe de vagues humanités pourvu que le geste soit beau ! » Par une étrange ironie du sort, Tailhade fut lui-même victime quelques mois plus tard, alors qu'il dinait au restaurant Foyot, d'un attentat anarchiste, d'où il ressortit avec un œil crevé ; mais il ne se renia nullement et continua à afficher son anarchisme de manière encore plus déterminée. C'était un habitué des duels (plus de 30 à son actif), et il avait été blessé plusieurs fois par ses adversaires, notamment par Maurice Barrès. En 1902, lors des obsèques d'Émile Zola, il en prononce le panégyrique (lui-même, comme Zola, était dreyfusard) ; il est reconnaissant que ce dernier soit venu le défendre, au nom de la défense de la liberté de la presse, à la barre du tribunal l'année précédente lorsqu'il est poursuivi pour avoir écrit un article incendiaire constituant un véritable appel au meurtre à l'encontre du tsar Nicolas II qui fait en 1901 sa seconde visite en France. Il est d'ailleurs condamné à un an de prison ferme et séjourne environ six mois à la prison de la Santé entre octobre 1901 et février 1902. Laurent Tailhade prend l'habitude de passer la saison estivale à Camaret: d'opinion libertaire, voire anarchiste, de mœurs libres (il y fait scandale en partageant sa chambre à l'Hôtel de France à la fois avec sa femme et un ami peintre), il était volontiers provocateur, écrivant des articles très violents dans différents journaux, entre autres L'Action, souvent très durs à l'encontre des Bretons dont il critique à la fois l'ivrognerie et la soumission à la religion (même s'il aimait les paysages bretons, se promenant beaucoup à pied dans la presqu'île de Crozon). Le scandale du 15 août 1903 est resté longtemps célèbre à Camaret : le 15 août est traditionnellement le jour de la Fête de la bénédiction de la mer et des bateaux : après la messe, la procession part de la chapelle Notre-Dame-de-Rocamadour, suit le "Sillon" et longe les quais du port avant de faire demi-tour et de retour à la chapelle, est suivi des vêpres ; des couronnes de fleurs sont jetées à la mer et les bateaux sont bénis par le curé de la paroisse tout au long du parcours de la procession. Lorsque celle-ci se trouve à hauteur de l'Hôtel de France, Laurent Tailhade, dans un geste de provocation, verse le contenu d'un vase de nuit par la fenêtre de sa chambre, située au premier étage. Le 28 août 1903, 1800 camarétois font le siège de l'Hôtel de France, menaçant d'enfoncer la porte d'entrée, criant « À mort Tailhade ! À mort l'anarchie ! », et menacent de jeter Tailhade dans la vase du port. L'intervention des gendarmes de Châteaulin dans la nuit suivante suffit à peine à calmer les manifestants et le 29 août l'écrivain est contraint de quitter Camaret, "bénéficiant" de plus d'une véritable "conduite de Grenoble]". de la part des manifestants qui l'accompagnent jusqu'à la limite de la commune. Il se réfugie à Morgat et se venge, notamment en publiant dans la revue satirique L'Assiette au beurre du 3 octobre 1903 un pamphlet intitulé "Le peuple noir" où il critique violemment les Bretons et leurs prêtres. Un procès lui est par ailleurs intenté par le recteur (curé) de Camaret devant la Cour d'Assises de Quimper. La chanson paillarde Les Filles de Camaret a d'ailleurs probablement aussi été écrite anonymement par Laurent Tailhade pour se venger des Camarétois. Le nom tailhade est devenu pendant une bonne partie du xxe siècle dans le parler local un nom commun synonyme de "personnage grossier, mal élevé", même si ce mot est désormais tombé en désuétude. Ses recueils les plus célèbres, Au Pays du mufle (1891) ou encore Imbéciles et gredins (1900), n'ont rien perdu de leur veine rageuse, insultante et d'une verve où se mêlent l'argot des faubourgs et la richesse d'une langue luxuriante d'une vaste culture. Sa fille fut l'épouse du journaliste Pierre Châtelain-Tailhade, journaliste au Canard enchaîné. (Source Wikipedia)


(**) Pierre Dufay (1864-1942) est un écrivain qui a publié plusieurs ouvrages intéressants notamment Autour de Baudelaire (1931), Laurent Tailhade, Lettres à sa mère 1874-1891 (1926), L'Enfer des classiques (ouvrage collectif publié en 1933), etc. Il était membre fondateur de la Société J.-K. Huysmans. Lire sur Pierre Dufay le témoignage de M. Maurice Garçon, Cahiers J.-K. Huysmans, n° 20, mai 1947. Pierre Dufay a également publié un important ouvrage intitulé Le Pantalon féminin, Un chapitre inédit de l'histoire du costume. Ouvage publié pour la première fois en 1906 et réédité en 1916 (chez Carrington la première fois et à la Librairie des Bibliophiles parisiens la deuxième (qui est en fait la même adresse). Ce livre doit certainement beaucoup à Octave Uzanne qui est d'ailleurs cité à plusieurs reprises dans le volume. On peut supposer que les liens entre Pierre Dufay et Octave Uzanne datent de cette époque (1905-1906) pour la préparation de cet ouvrage imposant (plus de 580 pages pour la seconde édition). Il faut dire que c'était un sujet qu'Uzanne connaissait bien pour avoir largement traité au cours des 30 années précédentes de la mode féminine.

Bertrand Hugonnard-Roche

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