L’Inassouvie, par Ant. Albalat. Paris, Ollendorff, 1882, in-12. — Prix : 3 fr. 50.
Dès la première page, un relent bien en vue, aussitôt suivi de la minutieuse description d’un « chœur de grenouilles, nous préviennent que le débutant s’enrôle sous le drapeau naturaliste. Alphonse Daudet, à qui, avant de publier son volume, il en avait communiqué les bonnes feuilles, lui a donné l’accolade en ces termes : « Je vous garantis qu’au second livre vous serez quelqu’un. » Le compliment reste en deçà de la vérité. Allons plus loin et, sans attendre d’autre preuve, accordons à M. Albalat le dignus es intrare. Eh ! qui donc mériterait mieux de grossir le bataillon des littérateurs madrés que l’adroit compère assez au fait déjà des procédés de l’école pour écrire hypocritement dans sa préface : « Peut-être trouvera-t-on dans cette étude quelques pages un peu vives ; mais la volupté y est une souffrance, et la souffrance purifie. » Oh ! la bonne excuse ! Par malheur, elle a servi si souvent qu’elle ne trompe plus personne. Ayez donc une bonne fois la franchise d’avouer que ces pages sont précisément placées à dessein et polies amoureusement pour épicer l’œuvre, atteindre au scandale et vendre le plus d’exemplaires possible.
Un don Juan naturaliste se reconnaît à un signe infaillible : il n’aime que les femmes odorantes et il respire avec délice l’arôme de leurs sueurs. Dès qu’elles n’exhalent rien, adieu le sentiment ! Le premier soir que sa maîtresse introduit celui-ci dans sa chambre à coucher, savez-vous quelles émotions l’agitent ? D’autres seraient impatients, enflammés de désirs, insensibles à toute sensation qui éloignerait du but. Lui entre là le nez au vent. « Je visitai en artiste ce sanctuaire si convoité. J’examinai les tableaux, je humai l’odeur de femme qui s’échappait des tentures et du lit, dont la couverture blanche faite au crochet pendait jusqu’à terre. » Plus loin il ira jusqu’à préciser le degré de température inhérent à chaque partie du corps de la dame ; il l’a sans doute parcourue de haut en bas, un calorimètre en main.
Il est bon d’avertir que l’Inassouvie est un roman intime ou plutôt une sorte de confession autobiographique. On ne sait, il est vrai, si le prétendu homme de lettres qui y raconte ses impressions est un être fictif ou l’auteur en personne, tant M. Albalat s’identifie avec son Léon. Il a négligé seulement de nous le peindre au physique. Nous l’entendons draper à chaque instant les autres de pied en cap, sans qu’il se regarde lui-même une seule fois au miroir. Sa maîtresse l’appelle souvent vilain polisson ; mais ce n’est pas là un signalement. Ses façons de parler ont néanmoins, par places, un accent marseillais qui sent déjà la Canebière et le Vieux-Port. Autant qu’on peut le juger d’après sa conduite, il est suffisant, vaniteux, certain par avance de triompher des femmes et il ne recherche en elles que la satisfaction d’appétits physiques, leur reprochant comme un crime la lassitude où il tombe pour avoir trop abusé d’elles.
L’histoire qu’il nous raconte ne se distingue en rien des séductions banales. Une femme unie à un mari peu passionné et qui espère trouver ailleurs que dans ses bras des voluptés inconnues au lit conjugal ; le mari benêt que l’on trompe sans qu’il s’en doute et qui introduit lui-même dans son intérieur le jeune muguet ; enfin celui-ci, qui profite de la sottise du mari pour capter sa confiance et endormir ses soupçons au moyen de parties de billard et de pêche à la ligne ; voilà le trio complet. Passons sur les délicatesses de la femme, sur sa répugnance à se livrer ainsi à deux hommes. Léon, après s’être fait tirer un peu l’oreille, consentira bien à l’enlever, à fuir avec elle à Nice, puis à Paris ; mais nous savons d’avance que leur flamme ne sera qu’un feu de paille, que la désillusion suivra de près l’enthousiasme. Il suffit, pour deviner le résultat de l’escapade amoureuse, de voir quelles idées hantent la cervelle du ravisseur le jour même de l’enlèvement. Figurez-vous qu’il s’amuse à noter l’état de l’atmosphère et la calme tiédeur d’une après-midi d’été.
« Pas un frisson de brin d’herbes, pas un cri d’oiseau dans l’espace. Partout le grésillement ronflant des cigales ; on les entendait sur les arbres qui bordaient la route et sur d’autres de plus en plus éloignés ; de sorte que ces milliers de cris s’épandaient au loin et m’environnaient d’un cercle de bruit toujours élargi et toujours reformé. » La description ne finit pas là ; il nous faut subir encore les rayons d’un soleil torride qui noient de leur blancheur les bastidons endormis, puis les vignes qui se tordent le long des terres fendillées. « Les châtaigniers lointains, les oliviers plus rapprochés, les mûriers poudrés de poussière se raidissaient, sans un balancement de branches, sans un tremblement de feuilles, léthargiques et anéantis. La clarté du soleil dégageait au loin une lumière cendrée, pareille à une buée d’étuve qui semblait mollir les collines. »
Ici le procédé saute aux yeux ; notre narrateur, cela est évident, a oublié le motif qui l’amène, le tourment qui l’agite, pour ne plus songer qu’à rendre le paysage en toute exactitude. Ainsi partout chez M. Albalat ; l’intrigue n’est qu’un cadre à insérer ses tableaux. Quand les amants arrivent à Nice, leur premier soin est de se mettre à la fenêtre pour regarder la mer ; plan, description poétique de la mer et du mouvement des vagues. A Paris, Léon, dégoûté de sa maîtresse, après avoir descendu avec elle tous les degrés de la dépravation, la laisse au lit le soir pour venir respirer l’air sur le balcon ; nouveau tableau comme il s’en trouve tant dans une Page d’amour :
Voyez-vous ce garçon-là,
Qui va dégoûter Zola !
Une autre manie commune à tous les naturalistes et que M. Albalat pousse jusqu’à l’extravagance, c’est de rapporter de point en point les conversations, les propos les plus insignifiants, les niaiseries échangées entre deux amants et qu’ils peuvent trouver adorables, mais dont le lecteur n’a que faire.
Il me resterait à rendre compte de la seconde partie du volume. Elle n’a presque aucun rapport avec la première. Elle est consacrée aux amours de la maîtresse abandonnée par Léon et qui est allée en province, au fond d’une petite ville, pour s’y mettre au vert, ce qui ne l’empêche pas de s’offrir, en manière de distraction, le fils de son hôtesse, un jeune collégien imberbe et encore timide de toutes sortes de belles illusions. Mais puisque M. Albalat annonce qu’il publiera bientôt un autre volume, nous aurons l’occasion de reparler de lui.
— A. J. P. (*)
(*) article publié dans la revue Le Livre le 10 novembre 1882 (troisième année, onzième livraison) et signé des initiales A. J. P. Il s'agit d'A.-J. Pons, auteur auquel on doit plusieurs comptes-rendus dans cette revue et plusieurs études bibliographiques et d'érudites préfaces. Octave Uzanne valide cet article agressif encore une fois avec le naturalisme et ceux qui s'en réclament. Plus tard, Antoine Albalat ne sera pas tendre avec Octave Uzanne. Sans doute un juste retour de bâton pour avoir vu ses productions littéraires fustigées avec soin par Le Livre.
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Résumé
Cet article est une critique du roman L’Inassouvie (1882) d’Antoine Albalat. Dès les premières pages, l’auteur adopte un style naturaliste marqué par des descriptions minutieuses et parfois triviales, notamment des sensations olfactives liées aux femmes. L’intrigue suit Léon, un homme superficiel et vaniteux, obsédé par les plaisirs charnels, qui séduit la femme d’un mari naïf. Leur liaison les conduit à fuir à Nice, puis à Paris, mais la passion s’éteint rapidement, laissant place à la lassitude. La narration se perd dans des descriptions détaillées du paysage au détriment de l’action. La seconde partie du livre, sans lien réel avec la première, montre la maîtresse abandonnée se réfugiant en province, où elle entame une nouvelle liaison. La critique souligne le procédé répétitif d’Albalat : insérer des tableaux descriptifs et retranscrire fastidieusement les dialogues insignifiants, donnant un récit plus esthétique que vivant.
Analyse
Style et narration :
Le critique reproche à Albalat un excès de naturalisme : l’auteur privilégie des descriptions poétiques ou réalistes — notamment d’ambiances, d’odeurs, de paysages — au détriment de la progression narrative. L’intrigue, réduite à un simple prétexte, devient un cadre pour insérer ces tableaux. Cette surabondance descriptive, bien qu’habituelle dans le naturalisme, tourne ici à l’artifice : le narrateur oublie le « tourment » de ses personnages et se perd dans la contemplation.
Caractères et intrigue :
Le personnage principal, Léon, est peint comme un séducteur prétentieux et superficiel, préoccupé avant tout par ses désirs sensoriels. La psychologie féminine est caricaturale : la femme adultère est dépeinte comme frivole, plus objet de volupté que sujet actif. L’intrigue elle-même est jugée banale, relevant d’une histoire de séduction ordinaire, sans relief ni profondeur morale.
Thèmes :
Le texte aborde la lassitude amoureuse, la quête inassouvie de sensations, la dégradation morale, et critique un certain naturalisme qui confond observation minutieuse et intérêt littéraire. L’idée de « don Juan naturaliste » souligne cette réduction de l’amour à une mécanique de désir et de répulsion.
Point de vue du critique :
Le ton est acerbe et moqueur. Le critique dénonce la complaisance de l’auteur pour le sensationnel et la fausse excuse d’une « souffrance purificatrice » pour justifier des passages licencieux destinés à appâter le lecteur. Il s’agace aussi de la minutie dans le rendu des dialogues et des détails inutiles, qu’il estime sans intérêt pour le lecteur.
Conclusion :
Pour le critique, L’Inassouvie est plus un exercice de style naturaliste qu’un roman abouti. L’œuvre ne dépasse pas le stade de la provocation facile et s’enlise dans une esthétique descriptive creuse. Le roman échoue à produire une véritable émotion ou réflexion, car l’auteur préfère accumuler des effets pour choquer et séduire le public.
Publié le 3 juillet 2025 par Bertrand Hugonnard-Roche
Pour www.octaveuzanne.com
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