Une possibilité de mode de lecture en 2013
Voici un texte qui méritait, me semble-t-il, d'être tiré de l'oubli. Comme une sorte de pendant et de complément au texte La fin des livres publié pour la première fois en anglais, The end of books, dans le n°2 du Scribner's Magazine du mois d'août 1894 (pp. 221-231), avec des illustrations par Albert Robida, publié ensuite en français dans les Contes pour les Bibliophiles achevés d'imprimer sur les presses de l'ancienne maison Quantin le 27 novembre 1894.
Ce texte bien connu, et pour ses vues d'anticipation et pour les savoureuses illustrations de Robida (qui différent d'ailleurs entre l'édition américaine et l'édition française), est peut-être celui qui restera comme le texte d'Octave Uzanne le plus réédité depuis que l'édition électronique des textes en permet la diffusion par internet et les supports numériques. Uzanne avait vu juste, en partie. Le sonore, le visuel a pris le pas sur l'imprimé sur papier. Cependant l'invention de Gutenberg n'est pas encore, loin s'en faut, reléguée aux oubliettes de l'histoire des lettres.
La seule possibilité de mode de lecture en 1894, l'impression papier.
Couverture du numéro du mois d'août 1894 du Scribner's Magazine dans lequel a paru
The end of books par Octave Uzanne, avec des illustrations d'Albert Robida.
(Coll. B. H.-R.)
Dans ce premier texte, la fin des livres est abordée du point de vue des progrès technologiques. Dans ce second texte intitulé Les bibliothèques de l'avenir, qui date de février 1901 (soit 7 ans plus tard) c'est une vision plus générale, et disons le mot, plus philosophique, qui est mise en évidence. L'homme de la fin du XXe siècle raisonnera sa passion bouquinière pour en faire une mode select de livres sélectionnés. L'autodafé est ainsi inévitable selon Uzanne (et Mercier). Qu'en est-il aujourd'hui, en 2013, quand Uzanne tente de prédire 1995 ou 2000 ? Tout ce qu'il avait prévu s'est-il réalisé ? Que nous réserve encore demain ? en 2050 ? en 2100 ? Que deviendront nos Amis les Livres en papier ?
Les bibliothèques de l'avenir paraît de manière assez obscure et discrète dans la Revue Franco-Allemande, au mois de février de l'année 1901. Il ne semble pas que ce texte ait été repris ailleurs dans la presse. Il est ainsi resté enfoui pendant plus d'un siècle avant que l'on puisse désormais de lire à loisir et le faire connaître au plus grand nombre.
Je vous laisse lire et apprécier ce texte non dénué d'un certain humour, d'une véritable justesse ici ou là, et surtout très agréable à lire pour qui, aujourd'hui encore, s'intéresse au destin chaotique du livre imprimé sur papier.
Bonne lecture.
Partagez ce texte autant que vous pourrez. Il le mérite, à notre avis, tout autant que La fin des livres. Ce texte est peut-être un peu long pour trouver sa place naturelle dans un blog au XXIe siècle, mais rien n'est moins sûr. Nous vous offrirons très rapidement une version Ebook et une autre au format Acrobat Reader PDF de ce texte.
Bertrand Hugonnard-Roche
* * *
Les bibliothèques de l'avenir
Les Bibliophiles sont des sages ; ils ne paraissent guère s'inquiéter de la postérité. L'idée de la mort, de la vente
après décès, du destin des livres qu'ils ont réunis ne les
préoccupe qu'à de rares instants ; ce sont des Épicuriens qui ne veulent pas empoisonner leurs jouissances du jour par la
crainte du lendemain. C'est tout au plus si la vanité de la possession les pousse à supputer à quelles honorables conditions ils
pourraient céder les plus rares exemplaires qu'ils ont acquis « au
bon moment » et qu'ils ont fait habiller par le meilleur faiseur,
avant que celui-ci ne fut à la mode et ne fit payer ses reliures
au poids des bank-notes.
Le bibliophile vit donc parmi ses livres joyeusement, l'esprit
en fête, comme l'amant au bras de sa maîtresse ; il aime à s'aveugler
sur cet avenir, sur ce lendemain des choses, que les âmes inquiètes
scrutent avec ardeur en cherchant à violer ses secrets et ses
mystères. — Toutefois, au risque de troubler les heureux béati-possidentes, hypnotisés dans le rêve et d'éveiller des somnambules
qui côtoient, comme tous les humains, d'invisibles abîmes, il nous
sera bien permis de nous demander ce que la postérité réserve
à nos chers livres contemporains et quel accueil les publications
de cette fin de siècle recevront de nos petits-neveux.
Beaucoup d'amateurs répondront : « Qu'importe ! Après nous
la fin des livres ! — Pourquoi nous soucierions-nous de ce que
peut devenir le verre où nous avons sablé nos ivresses champenoises ! »
Nous ne saurions blâmer les amoureux des Livres de cette
belle insouciance et de ce désintéressement que d'ailleurs nous
partageons, mais encore, la curiosité, cette épouse tracassière de
notre imagination, nous pousse-t-elle à concevoir ce que pourra
bien être la passion bibliophilesque d'ici un siècle environ, vers
1990 ou l'an 2000 . . . . C'est toujours l'histoire du mur qui se
trouve sur notre route, il nous arrête un instant au passage et
pendant l'espace de quelques minutes, nous cherchons à savoir ce
qui peut bien se passer derrière cette barrière de pierre. — Le
temps présent, disait Leibnitz, est gros de l'avenir, et nous avons
parfois le désir de connaître le résultat de l'accouchement.
*
* *
Sébastien Mercier, l'écrivain des tableaux de Paris qui fut le
plus extraordinaire précurseur de nos idées actuelles et qui eut la
vision aiguë de nos mœurs et de notre civilisation essaya, en 1775,
dans un livre imaginaire plus curieux que tous ceux de Jules Verne
et intitulé L'AN Deux Mille quatre cent quarante, rêve s'il en fut
jamais, de prophétiser l'état de nos façons d'être au XXVème siècle
de notre ère chrétienne.
Un chapitre de son bouquin est particulièrement intéressant ;
il a trait à la Bibliothèque du Roi, aujourd'hui nationale, où s'entassent les exemplaires de tous les livres et de tous les journaux
publiés jour par jour. — Dans son rêve, Mercier parvient aux
portes de ce monument de nos gloires littéraires ; il s'apprête à
marcher longtemps tout le long d'immenses galeries, à parcourir
de considérables étendues de livres mis en rayons superposés et
sa surprise est grande de découvrir un bâtiment d'aspect modeste.
Il y entre, et, dans le hall central, il ne rencontre que cinq
bibliothèques vitrées de petite dimension. — Dans la première, il
voit conservées parmi les œuvres grecques, celles d'Homère, de
Sophocle, d'Euripide, de Démosthène, de Platon et de Plutarque.
Dans la seconde armoire réservée aux Latins, il constate la
présence de Virgile, de Pline au complet, de Tite-Live, et de
fragments de Cicéron, d'Ovide, d'Horace et de Quintilien. — La
troisième bibliothèque porte le pavillon d'Angleterre, il y rencontre
tous les philosophes qu'a produit cette île guerrière, commerçante
et politique, Milton, Shakespeare, Pope, Young et Richardson . . . .
Le quatrième corps de bibliothèque inspectée par le visionnaire,
s'ouvrait à la littérature italienne et on y distinguait l'Arioste, le
Tasse, Dante et beaucoup de grands lyriques de cette nation
philosophe, rêveuse et poétique.
La cinquième armoire, enfin on le devine, donnait l'hospitalité
aux écrivains français et ils n'y étaient qu'en fort petit nombre,
Descartes, Montaigne et Charron, Fénelon, Corneille, Racine,
Molière, La Fontaine et Voltaire, à l'état de squelette, diminué
des trois quart de son œuvre, ainsi que Rousseau très réduit,
ratatiné en quelques tomes.
Sébastien Mercier de s'exclamer : « Mais qu'a-t-on fait de
tant de milliers d'auteurs, de tant de millions de livres, publiés de
mon temps et auparavant, sans compter ceux qui ont dû voir le
jour de 1775 à 2.440 ? — Où sont tant d'éditions de nos hommes
célèbres ? — Le bibliothécaire répond : « De votre temps, on
écrivait, puis on pensait. — Nos écrivains suivent une marche
toute opposée. — Nous avons immolé tous les auteurs qui ensevelissaient leurs pensées sous un amas de mots et de vains discours ; rien n'égare plus l'entendement que la multiplicité des
livres. Une bibliothèque nombreuse est le rendez-vous des plus
grandes extravagances et de continuelles répétitions ; comme nos
jours sont bornés et qu'ils ne doivent pas se consumer dans une
puérile philosophie, nous avons, d'un consentement unanime, réuni
dans une vaste plaine tous les livres frivoles, inutiles ou dangereux,
nous en avons formé une pyramide aussi haute que la tour de
Babel et nous avons mis le feu à cette masse épouvantable comme
un sacrifice expiatoire offert à la vérité au bon sens, au véritable
bon goût. — »
*
* *
Pensez-vous que cette hypothèse de destruction par la flamme
de toutes les frivolités et sottises écrites par les hommes soit si
folle, et ne croyez-vous pas que fatalement, faute de trouver place
pour les loger, il faudra anéantir avant deux siècles nos productions
imprimées ? —
Ne le ferait on pas, que bien peu des ouvrages qui causent
aujourd'hui encore notre admiration seraient jugés dignes de survivre à la Mode.
Tout est révolution, aussi bien sur la surface du globe que
dans les variations de l'esthétique qui préside à la conduite de
nos esprits. — La génération présente sera ridiculisée par celle
qui la suivra, et de même que nous nous moquons de la littérature
de nos devanciers, nos successeurs riront largement de la nôtre,
si toutefois ils ont le loisir de s'occuper encore de nous ce qui
paraît plus qu'incertain.
Avons-nous une idée de ce que sera demain ? Pouvons-nous
concevoir les secrets qui sortiront de la nature, les inventions qui
bouleverseront nos mœurs, les nouvelles combinaisons sociales qui
peuvent se manifester ?
Nous connaissons peu, quoi que nous en puissions penser,
l'ensemble de l'intellect humain. Où est l'ouvrage, s'écriait un
philosophe, qui soit réellement fondé sur la connaissance profonde
du cœur de l'homme, sur la nature des choses, sur la droite
raison ? — Notre physique ne nous présente-t-elle pas un Océan
dont à peine nous commençons à côtoyer les bords — Ne devons-nous pas nous hâter de mépriser ce misérable orgueil qui nous
aide à croire que nous pavenons à fixer les limites d'un art.
Tout est soumis ici-bas à la loi incertaine des modes ; nous
croyons parfois les dominer, mais elles nous subjuguent et nous
conduisent à notre insu. — Nous n'avons point, à vrai dire,
d'indépendance de jugement, de vision ou d'esthétique ; nous
subissons les contingences multiples de notre temps, de l'art et
de la littérature qui nous enserrent le cerveau aussi bien que des
préjugés dont on nous allaita, et aussi nous accueillons des opinions
que nous jugeons souveraines et indiscutables par ce que chacun
les accepta sans les contrôler. — Notre époque nous marque, dès
le berceau, de l'empreinte spéciale à notre génération et nous
faisons partie d'un convoi de moutons qui bêlent, pensons-nous,
avec art, et qui, d'une même allure, s'en vont au fatal abattoir
du Destin, sans pouvoir jamais nous convaincre du rôle inconscient
que nous avons joué ou que nous allons jouer ici bas. — Nos livres,
que nous jugeons comme des chefs d'œuvre, que nous habillons
avec une joie vaniteuse, que nous conservons précieusement en
nos demeures n'ont pas plus d'importance et de durabilité que
nous n'en avons nous-mêmes ; ce sont nos jouets qui risquent de
nous survivre ou bien d'être brisés avant nous. S'ils résistent au
temps, ils passeront aux mains des générations suivantes comme
de curieux bibelots qu'on feuillettera distraitement mais qu'on ne
lira plus.
*
* *
Mais revenons à des régions de philosophie moins pessimiste
et générale et ne nous inquiétons pas de rechercher la valeur de
ce mot d'Immortalité, qui n'a pas plus de poids que tous les autres
vocables humains.
Comment s'amuseront les bibliophiles futurs ? — Quels seront
leurs jouets préférés ? A quelle source de vanité nouvelle accommoderont ils leurs passions pour le livre ? — Tels sont les points
qui nous peuvent complaire à envisager rapidement.
Matériellement parlant, deux hypothèses se présentent. — La
première nous fait admettre que l'impression par caractères mobiles
et que la formule jusqu'ici admise du livre typographique plié au
format et broché, soient abolis, qu'une invention nouvelle remplace
la méthode de Gutenberg.
La seconde hypothèse nous porte à croire à la durée de la
typographie avec des améliorations déjà prévues pour le tirage
et l'illustration des livres.
Dans l'un et l'autre cas la bibliomanie persistera. — Le
livre toujours sera collectionné et l'abolition de la formule typographique ne ferait qu'accentuer la recherche des beaux spécimens
d'impression de la fin du XIXe siècle ainsi que des bibelots rares,
et comme les derniers témoignages d'un art réformé. — On a
recherché les incunables, c'est à dire les ouvrages du berceau de
l'Imprimerie, on recherchera, peut être avec non moins de passion,
les éditions funébrables ou pour mieux me faire entendre, les exemplaires qui marqueront l'agonie des presses rotatives.
D'autre part, plus la vie future deviendra fiévreuse, combative, occupée, dure à maintenir, même à force de travail, plus les
sages apprécieront les refuges du home, la thébaïde de la bibliothèque, la vie retirée nécessitant un minimum d'effort et de
dépenses. Pour ces philosophes amoureux des ivresses intellectuelles,
curieux de vie rétrospective, le choix sera difficile dans l'encombrement formidable d'ouvrages que le XIXe siècle aura jetés sur
le marché littéraire, tant en France qu'en Angleterre, en Allemagne, en Amérique et sur tous les points du globe. — Des
millions, des milliards peut-être d'ouvrages se disputeront l'attention de la postérité, car s'il y eut un Malthus accusé d'exercer
ses ravages sur la reproduction de la Race, il n'y eut pas, hélas ! de philosophes ni d'avocats de l'abstinence pour les productions
de l'esprit et personne ne vint mettre sur les livres le moindre
embargo. C'est pourquoi la parole biblique : Croissez et multipliez
fut observée avec une déplorable exagération par des nuées
d'écrivains bi-sexués, sans compter les bas-bleus.
*
* *
Les bibliothèques de l'avenir, pensons-nous, ne contiendront
qu'un choix de livres très judicieux. — Aucun roman, fort peu
d'ouvrages de poésies, quelques rares récits historiques, de nombreuses bibliographies, des Dictionnaires spéciaux à pleins rayons,
et des Oeuvres de Référence, autant que possible. — A ce fonds de
roulement, on joindra une pharmacie de l'âme, c'est-à-dire une
sélection de moralistes « Blacks and Whites » faits pour être lus
selon les éclairages intérieurs et d'après les élévations du thermomètre intellectuel, à niveau des mélancolies ou des joies excessives.
Les romans, ces dupeurs d'imagination et ces inutiles
gaspilleurs de temps, seront à jamais proscrits ainsi que les
œuvres de théâtre qu'on pourra voir interpréter — et encore ! —
mais qu'on ne lira plus. — Le bibliophile, devenu pratique, considérera sa bibliothèque comme un immense directory des littératures
universelles, comme un guide à travers les connaissances générales
de la bibliographie, comme une source claire de tous renseignements
littéraires. On collectionnera les index de toutes natures, les
encyclopédies condensées, les glossaires des mots et des choses, les compendiums des sciences modernes, de façon à posséder sous la main en
un cabinet confortable, une sorte de bibliothèque servant d'office
à toutes les littératures du monde. — Tous les livres seront
solidement reliés avec certaines allégories ou symboles sur les dos,
afin de faire reconnaître leur classement, leur nature ou leur genre.
Il m'est avis qu'aucun Bibliophile de l'avenir ne possédera
plus des masses de livres très encombrants et d'autant plus
pénibles à consulter que trop souvent y manquent les tables et
les index. Mais, comme la curiosité, la science, l'amour de l'étude,
la passion des écritures d'art ne perdront pas leurs droits, le lettré
du XXe ou XXIe siècle sera abonné à quelque cercle considérable,
sorte de Polybiblion Club, où il aura, à sa convenance, pour lire
sur place en de merveilleux salons silencieux — sinon pour emporter à domicile, tous les ouvrages dont ces index auront bien
pu lui révéler l'existence. Ces Polybiblion Clubs seront constitués
aisément au capital de 2 ou 3000 sociétaires, lesquels, par esprit
de tranquillité et aussi d'économie, après avoir calculé les prix
énormes que leur passion bouquinière leur pourrait coûter, à l'état
de liberté, ne trouveront pas excessif de verser comme cotisation
annuelle à ces Bibliophilic Clubs un millier de francs afin de constituer à cette maison de science une rente générale de 2 à 3
millions nécessaire à l'achat et à l'entretien des livres et au train
des conservateurs.
*
* *
On peut concevoir aisément quel allègement ce sera pour
les bibliophiles que d'être relevés du souci d'entretenir une grande
bibliothèque. Ils obtiendront téléphoniquement de leur club, des
renseignements et des assurances d'envois de livres et ils ne conserveront à leur disposition, en une seule armoire, que le matériel
nécessaire à l'aiguillage de leur intelligence sur toutes les voies
possibles de la littérature, de l'histoire, de la science, de la théologie et des voyages.
Toutefois, comme la passion des livres est soudée assez fortement à l'idée de possession, le futur Polybiblion Clubs fellow se
réservera d'acquérir à de rares exceptions, des livres bibelots
d'art, tirés à une centaine d'exemplaires au prix de 200 à 300
francs et qui réaliseront tout ce que le goût moderne, interprété par des artistes de premier ordre, sera susceptible de produire
dans le domaine de la plus subtile bibliotechnie. — Ces livres,
dans le but d'encourager les jeunes artistes et les élèves-éditeurs
pourront être le sujet de compétitions ou de concours sur divers
sujets ; les illustrateurs arrivés ou connus n'auront pas droit au
concours, le but sera de chercher à faire sortir de l'ombre des
décorateurs de génie et de les produire dans une aristocratie de
gens de goût.
Ces productions contemporaines, véritables keepsakes d'art,
n'encombreront pas la bibliothèque de l'homme de demain. Deux
ou trois, tout au plus, par année, seront par lui jugés dignes de
prendre place sur ses tablettes de bois précieux ; ce seront des
perles qui lentement formeront un collier d'ensemble.
*
* *
Mais nos livres actuels, ceux que nous aimons à voir, que
nous choyons, que nous habillons de maroquin à mosaïques, que
nous enrichissons d'autographes, de dessins originaux, de jolies
aquarelles sur marques, et qui portent comme ex-libris, de si hautes
marques de possession . . . . . Nos chers livres de cette fin du
XIXe siècle, que deviendront-ils ?
Hélas ! à de rares exceptions ; nous craignons de deviner leur
sort ! — Le temps matériellement aura fait justice de leur mauvaise
constitution, le papier de coton, la mauvaise qualité de l'encre les
vouera à une prompte destruction. —
Ainsi que l'on dit dans les prophéties, des milliers et des
milliers périront, des éditions entières seront englouties. De tous
nos romans, de toute notre librairie journalière et de pacotille, il
ne restera rien, sauf peut-être quelques grands papiers du Japon
décolorés ou certains exemplaires sur Hollande affreusement jaunis
et peut-être encore peu présentables.
C'est à peine si l'on peut supposer que les œuvres de luxe
résistent beaucoup mieux ; mais le peu qui subsistera se dispersera
selon les remous des révolutions sociales et les déplacements des
centres de civilisation. — Bibliopolis c'est encore actuellement Paris
ou Londres. - Mais quelle sera la Bibliopolis de 1995 ou de
l'an 2000 ?
Nous sommes un peu myopes pour regarder si loin et tout
ce qu'on peut prévoir devient fantaisie.
« La littérature, disait de Bonald, est l'expression de la société », mais la société passe, se transforme, s'abolit et tout ce qui
constituait ou reflétait son expression s'évanouit peu à peu et dis-
paraît — les livres de ce temps pour les êtres pratiques des
générations futures, ce seront des poids morts dont il faudra s'alléger pour la marche rapide en avant.
OCTAVE UZANNE
Revue Franco-Allemande, février 1901
il est un peu trop optimiste sur les générations futures : prédire la fin des romans au profit des oeuvres de référence...
RépondreSupprimer