lundi 23 novembre 2020

Un des premiers livres de la bibliothèque du jeune Octave Uzanne : Les Commentaires de Loriot, par l'auteur des Lettres de Toto à Margot. Auxerre, Imprimerie Ch. Gallot, 1869.

Voici un petit livre pour ainsi dire insignifiant. Nous nous y intéressons surtout et d'abord parce que ce petit volume a appartenu à Octave Uzanne, ensuite parce que ce petit volume est rare, voire très rare, au point qu'on ne le rencontre pour ainsi dire jamais dans les catalogues. Pourquoi ? Par qui ? C'est ce que nous essaierons d'établir. Au moins poser ces questions est-ce déjà faire renaître ces "Commentaires de Loriot" qui n'était certes pas César ! ...

La seule mention intéressante de cet ouvrage que nous avons pu trouvé dans la littérature a paru dans le journal L'Illustration, premier semestre de l'année 1869, volume 53. Voici ce qui est écrit de la plume de Jules Clarétie alors jeune critique littéraire :

"Un débutant, qui a été soldat, vient de publier à Auxerre (son pays sans doute), un petit volume gros de réflexions, les Commentaires de Loriot. Loriot n'est pas César et il s'en vante. Mais il a ses opinions tout comme un autre. Il faut lui demander ce que souffre le soldat en campagne, ce que pèse la discipline et le fusil. Le pauvre diable parle en homme et tout naturellement à son colonel.

- Quand on parle à son colonel, dit celui-ci, on doit trembler !

Humeur caporale du pays qui fit l'Encyclopédie, tu changerais peut-être, si tous ceux qui ont porté l'habit bleu, la tunique, - tunique de Nessus, - disaient ce qu'ils ont enduré et combien elle gène l'être physique aux entournures et l'être moral aussi. Je vous recommande ces Commentaires de Loriot, écrits un peu crûment, comme le ferait, je suppose, un Montluc chapardeur. Il y a là des pages. - L'auteur - je ne le connais que de nom et je commets une indiscrétion peut-être, s'appelle Ernest Joly. Ce doit être un jeune homme.

Jules Clarétie


Ce mince volume de format in-8 (20 x 13 cm) compte 155 pages chiffrées. Au verso de la page de faux-titre on lit, imprimé au centre : Pour paraître prochainement LES AVENTURES DE DOMINO. Au début du volume on trouve une courte épître d'une page adressée à Jacques Schirmer. Elle est signée Ton vieux camarade, TOTO, "en souvenir du pain dur que nous partagions et mangions ensemble." La page de titre est ornée d'une petite gravure montrant le paquetage du soldat avec au centre un numéro "7183" qui pourrait bien être le matricule de l'auteur. Au verso du dernier feuillet chiffré on lit : "Ami lecteur, tout ce que je t'ai raconté n'est pas vrai ; je ne connais pas Loriot ; toutes les femmes sont charmantes ; je ne suis jamais allé en Afrique ; je ne connais de colonels que ceux qui caracolent dans les revues. L'état militaire me paraît une institution aimable, et le soldat ne pense pas autant à son ventre que je te l'ai fait voir. Autrement, je crois que je t'en eusse dit bien davantage.

L'exemplaire que nous avons sous les yeux a été relié en pleine soie beige décorée de motifs floraux en semis. Cartonnage à la bradel sorti des ateliers du relieur parisien Pierson, il est décoré au dos d'un fleuron poussé à froid, avec la date dorée en queue et une pièce de titre en cuir noir. Les plats de couverture ont été conservés. Octave Uzanne, premier possesseur de cet ouvrage, et sans aucun doute celui qui commandita la reliure de Pierson, a apposé trois fois sa marque d'appartenance dans ce volume. Une première fois en haut de la couverture, la mention manuscrite à l'encre : Ex libris Oct. Uzanne, en dessous la date : 1872. Une seconde fois : avec son ex libris artisanal contrecollé dans la partie basse du faux-titre. Enfin, une troisième fois, la même mention manuscrite à l'encre en haut du titre : Ex libris Oct. Uzanne, en dessous la date : 1872. Sur le second plat de couverture est esquissé un soldat au crayon. Nous ne savons pas si ce dessin est de la main d'Octave Uzanne, mais c'est une possibilité.

En 1872 Octave Uzanne est âgé de 21 ans. Il n'est rien. L'homme de lettres, le critique, le bibliophile, le journaliste, l'éditeur d'art ne sont pas encore nés. On sait qu'Octave Uzanne était en Angleterre pour ses études pendant le siège de Paris et la Commune (1870-1871). En 1872 il est de retour en France, à Paris, où il termine ses études de droit. D'après une lettre que nous possédons (publiée sur www.octaveuzanne.com) on sait qu'en novembre 1873 Octave Uzanne n'est pas encore fixé sur sa situation professionnelle et qu'il sollicite alors un poste de secrétaire auprès d'un homme de lettres (sans doute Barbey d'Aurévilly). Donc en 1872, Octave Uzanne est encore étudiant et en passe de devenir quelqu'un dans le monde des lettres. Pourquoi ce volume imprimé à Auxerre, ces "Commentaires de Loriot" figure-t-il alors dans sa bibliothèque balbutiante ? L'auteur de cette brochure était-il l'un de ses amis ? un proche ? Qui était cet Ernest Joly dénoncé par Jules Clarétie ?

Que trouvons-nous sur Ernest Joly ? Nous trouvons un don fait par M. Ernest Joly au Musée d'Auxerre (n°397 - Marc en cuivre du XVIIIe siècle) listé dans le catalogue de 1870 (donc chronologiquement très proche de la date d'édition des Commentaires de Loriot). Dans les  Levées dans le département de l'Yonne : pendant la guerre de 1870-71 et la défense locale, on trouve mention d'Ernest Joly "l'un de nos volontaires" de Villeneuve-la-Guyard (situé à environ 85 km au nord d'Auxerre, quelques kilomètres au nord de Pont-sur-Yonne). Une autre mention du Grand Dictionnaire de Pierre Larousse (de Toucy) indique une Collection Ernest Joly, qui possédait alors une toile de Corot "Le pêcheur de grenouilles" (1869). Nous trouvons également qu'Ernest Joly fut Capitaine de la 5e compagnie (ancienne 7e) constituée le 27 août 1870, des Gardes Nationaux dits d'Yonne. Ernest Joly écrit dans l'Yonne du 6 octobre 1870 : « ... et si écrasés par le nombre, nous tombons tous ensevelis dans le grand linceul de la France, ce sera en criant comme ce géant de Waterloo qui ne voulut pas se rendre et répondit le mot « immortel que l'on connaît. »

Ernest Joly serait donc également Toto, alias l'auteur des Lettres de Toto à Margot. Ce volume a bel et bien été publié à Auxerre, également chez Gallot, l'année précédente, en 1868 (in-8 de 74 pages). Ce volume semble tout aussi rare et introuvable que les Commentaires de Loriot. Le volume annoncé : Les Aventures de Domino (en tête des Commentaires de Loriot) semble ne jamais avoir été publié.

Saurons-nous autre chose sur cet ouvrage et sur cet Ernest Joly ? ses relations avec Octave Uzanne natif d'Auxerre ? Sans doute par hasard ... un jour.


Bertrand Hugonnard-Roche

samedi 14 novembre 2020

Le Paroissien du Célibataire d'Octave Uzanne analysé par Augustin Filon (Revue Bleue, 1890). "une langue à la fois archaïque et moderne qui a l'air d'une héroïne de Maupassant habillée en demoiselle d'honneur de Marguerite de Valois."


Illustration par Albert Lynch pour le Paroissien du célibataire d'Octave Uzanne.
Octave Uzanne représenté à son bureau, inspiré par les muses des lettres ... et de l'amour ...


Si Claude Larchey avait écrit la Physiologie de l'amour moderne dans la langue de Bonaventure Desperiers, de Béroalde de Verville et du sieur Des Accords, nous aurions eu quelque chose d'analogue à ce Paroissien du Célibataire (*), livre très mignon, très érudit, très pervers, qui nous arrive, embelli d'images à l'appui et à l'avenant. Il y a une analogie entre les auteurs comme entre les sujets. Tous deux, dans leur première jeunesse, ont goûté plus ou moins Barbey d'Aurévilly, dont je suis obligé de dire que ses élèves valent mieux que ses livres. M. Octave Uzanne et M. Paul Bourget ont énormément étudié, feuilleté la femme, pioché l'amour comme des bénédictins. Entre eux, il y a des différences et des divergences. D'abord, M. Octave Uzanne, si j'ose m'exprimer ainsi, n'est pas M. Paul Bourget : énonciation hardie qui ne peut faire de peine ni à l'un ni à l'autre et qui rend très bien ma pensée. Et puis, du genre baptisé par Emile Augier "le cochon triste", nous passons au cochon gai. Le volume de Claude Larchey aboutit à une sorte de brusque conversion. Le célibataire dont M. Uzanne a noté les théories et les souvenirs finit dans l'impénitence. Il ne demande qu'à "brûler entièrement dans ce délicieux enfer de la femme". Bien éloigné de geindre comme Claude sur l'abandon de sa Colette, il est peu sensible à la trahison. Le point, pour lui, c'est de ne pas laisser perdre une seule des jouissances que peuvent donner ces petits êtres "à la fois anges et démons, singes et enfants, maîtresses et esclaves". La méchanceté de la femme, involontaire à demi comme le coup de griffe d'une chatte nerveuse, est, à le bien prendre, un des éléments de notre bonheur ; c'est "l'idée", la fameuse idée qui aide les cérébraux à aimer. Tandis que le philosophe caché sous le masque de Claude Larchey se déclare chrétien de tendance et d'inspiration, sinon de pratique, le célibataire de M. Uzanne remercie ironiquement l'Eglise et tout ce qu'elle a fait pour créer l'idéalisme des sens par la savoureuse notion du péché qu'elle a mise en circulation, et il cite à l'appui un passage du Père La Ferté, des frères Prêcheurs, qui est véritablement délicieux de finesse et d'ingénuité. Enfin, d'après la théologie de M. Uzanne, qui semble brouiller complaisamment les péchés capitaux avec les sacrements, c'est l'Eglise qui a "institué" la luxure. Du reste, la morale, même laïque, n'est pas traitée avec beaucoup plus de cérémonie que la religion ; elle est mise en réquisition pour assaisonner le plaisir de ses vertueuses prohibitions : "la morale, ce champignon parasite poussé sur la nature primitive, nous procure ces délicatesses délicieuses de la pudeur, et ces agréables viols des convenances et des décences que nous nous plaisons tous (les célibataires, bien entendu !) à opérer par nos discours, par nos écrits, par nos actes journaliers." L'arbre du mal fleurit donc toujours parmi nous et il n'y a, paraît-il, que son fruit pour nous charmer. Nous le dévorons vert, nous le dégustons pourri, et nos romanciers nous en font des confitures pour que l'estomac affaibli des vieillards puisse encore le digérer dans l'arrière-saison.

L'homme qui comprend ainsi la vie, c'est celui que M. Bourget appelait "l'amant" et que M. Uzanne nomme le féministe. Il "sait" la femme, et il en joue ; il est le prêtre de ce culte-là, et, comme tout prêtre intelligent, il exploite son idole... Oh ! ces féministes ! J'écoute avec recueillement tout ce qu'on me dit sur leurs exploits, mais je suis étonné de trouver, lorsque j'ouvre un roman, que le héros n'est presque jamais l'un d'entre eux, et, si c'en est un, que le roman est odieusement plat et ennuyeux. Ces professeurs d'amour ne seraient-ils pas un peu comme le pauvre diable aux coudes blanchis et aux bottes éculées qui vient offrir au public un moyen infaillible de faire fortune à la bourse ? Je ne sais, mais je me figure que les femmes n'aiment pas être si bien devinées, si scientifiquement cultivées, et habilement mises en rapport, et qu'après tout un peu de sincérité et de jeunesse, par conséquent un peu d'imprévu, ne serait pas pour leur déplaire, de temps à autre.

Je m'avise un peu tard que je n'avais peut-être pas le droit d'ouvrir ce Paroissien du célibataire, puisque je ne fait partie d'aucune des catégories de lecteurs auxquelles l'écrivain déclare le destiner, et que je me retrouve, au contraire, plusieurs fois dans la liste des exclus. Avant tout, le livre est interdit aux bons bourgeois, craignant Dieu et leurs femmes (surtout leurs femmes !) ; il l'est encore aux "instinctifs", qui  n'en comprendraient pas le raffinement" ; aux "prisonnier des petites villes", qui n'ont pas la gloire d'être Parisiens ni cosmopolites. L'auteur repousse aussi très énergiquement les fêtards et les libertins, "qui peuvent encore tolérer la courtisane" ; car, il est bien entendu que la femme qu'il s'agit de dépraver et de déifier, c'est la mondaine, la femme bien élevée.

M. Uzanne aura plus d'admirateurs qu'il ne voudrait parmi les gens mariés et aussi parmi les ardents galopins qui cherchent à compléter l'éducation du collège. Ceux-là donneront plus d'attention que je n'ai fait à des charmantes personnes postées au seuil et à la sortie des chapitres, les unes en toilette de five o'clock, les autres ... comment dirais-je ?.. en toilette de paradis. Je me hâte d'ajouter que le livre plaira encore et surtout aux purs lettrés, aux amateurs de prouesses de style. Ils trouveront dans le Paroissien du célibataire ce qu'il y a de plus raffiné dans les sports de la plume, les plus étonnants "numéros" du trapèze littéraire, une langue à la fois archaïque et moderne qui a l'air d'une héroïne de Maupassant habillée en demoiselle d'honneur de Marguerite de Valois.


Augustin Filon (**)

Courrier littéraire, in "Revue bleue"

tome XLVII, 1er semestre 1891


(*) Octave UZANNE LE PAROISSIEN DU CÉLIBATAIRE. Observations physiologiques et morales sur l'état du célibat, par Octave Uzanne. Illustrations de Albert Lynch gravées à l'eau-forte par E. Gaujean. Paris, Ancienne Maison Quantin, May & Motteroz, 1890 1 volume in-8 (24,5 x 16,5 cm) de XXX-295-(1) pages. Frontispice, vignette de titre et 10 bandeaux gravés à l'eau-forte par Albert Lynch. Tirage à 1.100 exemplaires numérotés (1.000 ex. sur papier vergé des Vosges ; 25 ex. sur Chine ; 25 ex. sur Whatman et 50 ex. sur Japon). Voici le détail des chapitres : Qui vive ! - Traité du célibat et physiologie du véritable célibataire - De l'homme à femmes, du féministe et de l'amoureux par innéité, causerie du boudoir - Le nid du célibataire - Des filles, dames et damoiselles dans la vie de garçon - Des charmes et maléfices de la correspondance d'amour - Des rendez-vous, ruses et subterfuges dans la contrebande du mariage - Le jardin du monde, démonstration nécessaire des décors d'amour - La Bible de Satan ; Théorie des voluptés intimes - Le Miroir de l'éternel féminin, aphorismes, fragments et réflexions d'un gynépsychologue. Cet ouvrage sera republié avec quelques changements au Mercure de France en 1912 sous le titre "Le Célibat et l'Amour, traité de vie passionnelle et de dilection féminine." , avec une préface inédite de Remy de Gourmont. (1 vol. in-8). "Les petites femmes d'Albert Lynch sont ici fort gracieuses et constituent déjà ce qu'on pourrait appeler sa seconde manière. Lynch est devenu en effet non seulement le peintre de la Parisienne, mais aussi de la Cosmopolite, de ce type de Parisienne de la colonie étrangère qui se montre si attirante, si étrange parfois, d'une beauté relevée encore par l'originalité des toilettes et la distinction de l'allure. C'est la Parisienne du quartier Monceau, celle qu'on voit l'hiver à Nice, à Naples, à Florence, à Palerme ou au Caire que le délicat illustrateur du Paroissien du célibataire s'efforce avec goût de nous montrer dans ses délicieux dessins aujourd'hui en vogue. Ce livre, entièrement illustré par Lynch, marquera, croyons-nous, bien nettement son époque ; il sera parmi les bouquins typiques de la fin du XIXe siècle." (Octave Uzanne, commentaire sur son exemplaire de ce livre).


(**) Augustin Filon (Pierre-Marie-Augustin Filon, également connu sous le pseudonyme de Pierre Sandrié, est un auteur et enseignant français. Il est notamment le précepteur du fils de Napoléon III, Louis-Napoléon, et auteur de romans, nouvelles ainsi que d'études littéraires et historiques. Né à Paris le 28 novembre 1841, Augustin Filon est le frère de Gabriel-François Filon (1835-1898), enseignant et historien. Il est également le fils d'Auguste Filon (1800-1875) universitaire. Après avoir obtenu l'agrégation de lettres en 1864, Augustin Filon devient le précepteur du Prince Impérial de 1867 à 1875. Il collabore à la Revue bleue ainsi qu'à la Revue des Deux-Mondes et à la Fortnightly Review. À partir de 1879, il vit à Croydon en Angleterre où il meurt le 13 mai 1916. L’Académie française lui décerne le prix Montyon en 1884 pour Histoire de la littérature anglaise, depuis ses origines jusqu’à nos jours et le prix Vitet en 1895. Nous ne connaissons à cette heure (14 novembre 2020) aucun lien particulier entre Octave Uzanne et Augustin Filon.



Illustration par Albert Lynch pour le Paroissien du célibataire d'Octave Uzanne.
une nymphe au lit jouant avec un chérubin ailé ...

vendredi 6 novembre 2020

Introduction aux Lettres de Vincent Voiture par Octave Uzanne (juillet 1880).


Portrait de l'auteur gravé par Ad. Lalauze.


INTRODUCTION
aux Lettres de V. Voiture
publiées
avec notice, notes et index
par Octave Uzanne (*)


Voiture est le premier qui fut en France ce qu’on appelle un bel esprit.

Voltaire.

Voiture qui si galamment
Avoit fait, je ne sçay comment,
Les Muses à son badinage.

Sarrasin.


    C'est en songeant à Voiture que Saumaize écrivait : « Valère est si connu parmi les anciennes précieuses, si estimé parmi les jeunes, si célèbre dans les écrits de tous ceux de son temps, et ses œuvres si bien imprimées dans les esprits de tous ceux qui font profession soit de lettres, soit de galanterie, qu’il est presque impossible d’en dire quelque chose qui ne soit su de tout le monde. »
    Il y aurait certes, il faut en convenir, une réelle outrecuidance de notre part à prétendre apporter du nouveau dans les quelques pages de notice dont nous faisons précéder ces lettres curieuses, si souvent rééditées. Il est des hommes que la critique peut toiser hâtivement, mais que la conscience se refuse à étudier à la légère ; Voiture est de ceux-là. Il tient si essentiellement à la première moitié de son siècle dont il reflète comme un miroir fidèle l'esprit littéraire ; il s’encadre si précieusement dans la belle société d’alors, dont il fut l'ornement ; il évoque tant de souvenirs et se trouve mêlé à des événements si importants et si frivoles à la fois, qu’on ne saurait sans naïveté essayer de portraire de pied en cap et de placer dans la vérité même de sa lumière cette grande figure de poète épistolier aux traits contrariés et fuyants.
    Pour nous, vis-à-vis de ce grand prêtre de l’Hôtel de Rambouillet, de ce parfait courtisan, de ce galant ami des femmes les plus illustres du XVIIe siècle, nous éprouvons comme une défaillance, car nous le jugeons si profond et si complexe sous les badinages apparents de son style ; nous entrevoyons dans l’enjouement de sa vie aventureuse de tels mystères de diplomatie et des amitiés puissantes si soudainement écloses à première vue ; nous rencontrons enfin dans ses relations littéraires un esprit de philosophie sociale si heureusement conduit, qu’il nous paraît impossible de fixer dans une simple étude, à l’exemple de nos prédécesseurs, les caractères particuliers et les arêtes les plus saillantes de cette physionomie malicieuse et mobile.
    Chez Voiture, l'écrivain ne semble point avoir conscience de lui-même pour lui-même ; c’est un dandy de lettres qui s’ignore ou feint de s’ignorer, et, s’il se sent doué de facultés supérieures, il les dissimulera sous les nuances les plus heureuses du bel esprit. Il veut séduire les grands, mais séduire plus généralement que profondément ; il s’inquiète peu des sentiments durables ou de la gloire immortelle, et, selon le mot charmant d’un critique, il a tout mis en viager ; il s’est consumé tout entier à plaire, il n’a été qu’un charme et une merveille de société, un être formé pour la compagnie la plus choisie, moins un fils prodigue qu’un enfant gâté qu’on recherche, qui coquette et qu’on cajole.
    Cependant, si dans sa correspondance il ne laisse en relief que des plaisanteries vives et colorées sur les à-propos du jour, ou des narrations pleines de verve sur les agréments de sa vie de courtisan, errant à la suite de Gaston d’Orléans, si dans ses poésies exquises et originales il ne met en jeu que les grâces badines ou amoureuses de ses qualités prime-sautières, nous osons affirmer qu’on n’a évidemment pas assez recherché, à coté de ces talents de l’homme mondain, les rôles du négociateur politique, dont l’activité et la rare intelligence d’intrigue mériteraient une longue étude d’investigation pour les quelques missions qu’il eut à remplir en Flandre, en Espagne, en Italie ou ailleurs » 1.
    Si l'on pouvait suivre politiquement cet introducteur des ambassadeurs chez Monsieur, en Lorraine, à l’armée, en Afrique, en Portugal, à Bruxelles, à Florence, à Rome, ainsi que dans ses voyages en Dauphiné, en Catalogne et en Picardie, on serait frappé de la diversité de ses facultés et de l’incontestable appui qu’il devait prêter à ceux qui se l'étaient attaché. Voiture, dans les différents milieux où sa vie, d’apparence insouciante, fut promenée, offre à l'esprit le thème d’un travail des plus séduisants. Ce serait un gros volume d’aperçus curieux et pour ainsi dire toute une résurrection sociale à opérer ; par la variété même de l’homme et de son entourage, le sujet prête abondamment, et l’on peut se montrer étonné que Victor Cousin n’ait pas entrepris un ouvrage de ce genre parmi ses remarquables chapitres d’Histoire de la société française au XVIIe siècle. Quant à nous, quoique sincèrement amoureux de cette époque de haute politesse, à laquelle nous avons consacré nos premières passions de chercheur et de curieux, nous ne saurions aborder aujourd’hui en compagnie de Voiture au pays du Grand Cyrus ; la place nous demeure trop mesurée, tout au plus il nous sera permis de tracer la silhouette de cet épistolier, sans nous égarer au milieu des ruelles ou dans le bel Empire des œillades si redoutable, pour y suivre ce roi des alcovistes, toujours tendre, spirituel et plaisant, qui poussa lart des civilités enjouées jusqu’aux derniers confins de la plus aimable galanterie.

II

    Vincent Voiture naquit à Amiens, place du Marché, dans le courant de l'année 1598. Son père, riche marchand de vin en gros, suivait la cour dans ses pérégrinations. C’était, parait-il, un homme de bonne chère et fort aimé des grands, qu’il obligeait parfois de sa bourse, et auprès desquels il se prévalait de son rare mérite au jeu du piquet  2 .
    Vincent n’était point fils unique, il avait un frère cadet qui mourut officier au service de Gustave-Adolphe, et deux sœurs dont l'aînée épousa un sieur de Pinchesne, père de ce même Martin de Pinchesne, poète de talent (en dépit des ridicules que lui prêta Despréaux), et publicateur, par la suite, des œuvres de Voiture, dont il se plut à pieusement réunir les manuscrits épars, qui, sans aucun doute, n’eussent jamais été mis au jour sans les soins de ce neveu fidèle.
    Il est probable que les premières années du jeune Vincent se passèrent au cabaret, à Amiens, puis à Paris, rue Saint-Denis 3, sur les genoux des gentilshommes qui s’y donnaient rendez-vous pour y verser des brocs en chantant les alléluias du temps ou y deviser d’intrigues galantes ou d’équipées nocturnes. Nous le retrouvons quelque temps plus tard également à Paris, aux collèges de Calvi et de Boncour, ou il reçut une éducation des plus soignées en compagnie d’illustres condisciples, tels que le comte Claude de Mesme d’Avaux, le futur plénipotentiaire de Munster, qui devait dans la vie de Voiture jouer un rôle si bienfaisant par ses protections continuelles.
    Le fils du marchand de vin était de complexion faible et portait sur sa figure, dès son jeune âge, à défaut d’une distinction de race, cette finesse mélancolique, ou plutôt cette langueur efféminée, qui est comme le caractère noblement délicat des tempéraments lymphatiques 4. L’esprit était impétueux et la parole vive et mordante chez cette petite personne ; sur les bancs de l'école, il charmait ses maîtres et ses camarades par son intelligence ouverte et l’originalité de ses vues. Déjà la fortune semblait avoir jeté les yeux sur cet amoureux de la métaphore. Dès l'âge de quatorze ans il invoquait la Muse et faisait courir des vers de sa façon sur le retour d’Astrée. Deux ans plus tard, en 1614, il adressait des stances à Gaston, frère du roi 5, et dans ces essais, bien que médiocres, on rencontre déjà l’empreinte de cette facilité et de cette grâce qui font de ses poésies les plus adorables pièces légères du XVIIe siècle.
    Au sortir du collège de Boncour, Voiture avait été envoyé à l’université d’Orléans, afin d’y étudier le droit 6 ; on pourrait croire qu’à ce moment il commit certaines fredaines, car Sarrasin, fort exact d’ordinaire dans les curieuses relations de sa Pompe funèbre, laisse entendre bien des folies dans ce passage : Comme Vetturius cribloit de nuit dans l’Université d’Orléans, et comme un matois normand lui coupa les doigts 7.
    De retour à Paris, il fut agréé comme contrôleur général de la maison de Gaston d’Orléans, titre qu’il ne devait pas tarder à échanger contre celui d’introducteur des ambassadeurs. Il revit alors le comte d’Avaux, qui retrouva son ancien condisciple avec un plaisir sensible ; il s’était formé entre le gentilhomme et le poète une grande intimité, qui provenait de sympathies mutuelles et de goûts analogues pour les lettres et la philosophie courante. L’ami de Voiture voyait à Paris tout ce qui tenait assemblée, et ses relations étaient très étendues ; sans être libertin, il recherchait les plaisirs de son âge et courait volontiers les aventures galantes dans un monde honorable. Le comte résolut de présenter son camarade du collège Boncour dans les principaux bureaux d’esprit ; il s’efforça de mettre en relief de son mieux ses talents naissants ; pour le pousser encore plus hâtivement dans la société, il pensa que rien n’égalait la tendresse ambitieuse d’une femme, et il alla jusqu’à lui donner sa propre maîtresse, la jolie Mme de Saintot, la femme d’un trésorier de France, à ce que nous apprend Tallemant 8.
    Nous ne nous attarderons pas sur ces amours, qui furent constantes du côté de l’inconstance, c’est-à- dire de la femme 9. Voiture dès ce moment se révéla galant au possible. Il fut l’un des mourants les plus à la mode, et fît profession d’en conter à toutes les belles, de quelque condition qu’elles fussent, « depuis le sceptre jusqu’à la houlette, depuis la couronne jusqu’à la cale ». Il courtisa la fille du gazetier Renaudot, Mme Desloges, Mlle Paulet, la marquise de Sablé et bien d’autres. Il serait intéressant d’étudier tour à tour ces divers sentiments, qui tous formeraient de petits chapitres curieux, groupés autour du gros roman principal, personnifié par Mme de Saintot. Les attentions du poète se manifestaient le plus souvent par des petits vers musqués, des pointes enflammées, des bouquets à Chloris tout confits en douces choses, et quelquefois aussi par des madrigaux d’assez mauvais goût, tels ces vers qu’il adressa à Mme de Saintot, après une chute qu’elle fit de compagnie en carrosse, et où elle révéla des appas cachés :

Je m’estois gardé de vos yeux ;
Et ce visage gracieux,
Qui peut faire pallir le nostre,
Contre moy n’ayant point d’appas,
Vous m’en avez fait voir un autre,
De quoy je ne me gardois pas.

    Ce fut vers 1625 que Voilure fut présenté par Chaudebonne à l’hôtel de Rambouillet, dont les réunions étaient alors dans tout leur éclat. L’heureux soupirant de Mme de Saintot reçut dans cette assemblée l’accueil le plus flatteur. Il sut plaire tout d’abord à la rayonnante Arthénice, et conquit les sympathies, qui sait ? peut-être certains côtés du cœur de la princesse Julie. Dans ce temple du beau langage, il connut le cardinal de La Valette, qui devint pour lui un protecteur dévoué, le comte de Guiche, le marquis de Montausier, et son frère, le comte de Sainte-Maure, le galant inspirateur de la Guirlande et le soupirant de Julie d’Angennes. Parmi les littérateurs, il se lia avec Corneille, Balzac, Chapelain, Racan, Godeau, évêque de Grasse ; Vaugelas, Chandeville, neveu de Malherbe ; Arnauld de Corbeville, les Habert (Germain et Philippe) et leur cousin de Montmort ; Malleville, son rival pour le sonnet de la Belle Matineuse ; d’Andilly ; Gombaud, le vétéran du madrigal, et Charles d’Angennes, marquis de Rambouillet, le maître du lieu.
    Parmi les femmes qui venaient quelquefois au grand rond, comme on disait, Voiture put coqueter devant Mme la princesse et Mlle de Bourbon, sa fille, plus tard duchesse de Longueville ; il vit Mmes de Clermont et de Vigean, Marie de Gonzague, la future reine de Pologne, et enfin la belle lionne, Angélique Paulet, qui devint la confidente et l’amie de l’épistolier, avec lequel elle se brouilla assez sérieusement dans les dernières années de sa vie.
    « Malgré son origine plus que bourgeoise, écrit M. A. Ubicini dans son étude très correcte sur Voiture, il ne fut nullement embarrassé parmi cette société de marquis et de beaux esprits. Il n’y avait rien en lui qui sentît le cabaret de son père. Outre qu’il s’abstint toute sa vie de boire du vin, il était né pour la cour ; il ne fallait pas trop se fier à cette mine « entre douce et niaise », comme disait le marquis de Rambouillet, qui lui donnait, à ses heures de digestion, l'air d’un mouton qui rêve. C’était bien le plus coquet des humains, prenant son avantage en toute chose, avec une façon de dire que vous eussiez juré qu’il se moquait des gens en leur parlant : beau joueur, perdant galamment ses écus et les prêtant de même, d’ailleurs bon pour un coup d’épée 10. Bref,  rien ne lui manquait, et, dit Martin de Pinchesne, « il approchait fort près, au jugement de toutes les dames, des perfections qu’elles se sont proposées pour former celui que les Italiens décrivent sous le nom de parfait courtisan, et que les Français appellent un galant homme. »
    Ce que Voiture avait d’incomparable, c’était l’enjouement ; soit qu’il parlât, soit qu’il écrivît, il mon- trait des grâces ondoyantes, faisait des pointes originales, appuyait sur tout, en ayant l'air de glisser. Il fallait le voir et l'entendre, avec son œil perçant et malicieux, son fin sourire toujours ironique que dissimulait à peine sa moustache légère ponctuée d’une royale, avec les narines mobiles et voluptueuses de ce nez divisé sur la pointe par une manière de fossette très friponne, avec cet organe plein d’onction et de brièveté à la fois : on ne savait jamais s’il se gaussait ou s’il demeurait sincère et sérieux. Il inquiétait les femmes par cette préciosité de Mascarille de génie ; il tenait toujours leur esprit en haleine par ses jeux de pensée et ses équivoques ; il était audacieux parfois avec elles, mais il habillait toujours ses désirs des métaphores les plus congrues. C’était bien le poète folâtre qu’il fallait à ces cercles où l’on raffinait sur tout et où chacun s’alambiquait les idées pour trouver des propos nouveaux à lancer dans le feu roulant de belles conversations qu’on ne laissait point mourir faute d’esprit 11.
    Au physique, Voiture était petit, petit à se mesurer à Godeau, le Nain de la princesse Julie ; mais, bien qu’il se consolât malaisément de l’exiguïté de sa taille, il feignait d’en prendre son parti en disant que, selon le proverbe : « Aux petits flacons les plus exquises essences. » Du reste, dans une de ses Lettres à une maîtresse inconnue, il a tenu à nous laisser son portrait par lui-même, vers 1636 environ, c’est- à-dire à l’âge de trente-huit ans. « Ma taille, dit-il, est de deux ou trois doigts au-dessous de la médiocre ; j’ai la tête assez belle avec beaucoup de cheveux gris ; les yeux doux, mais un peu égarés, et le visage assez niais. (Cette niaiserie était bien l'ironie la plus forte : celle qui s’ignore.) En récompense, une de vos amies vous dira que je suis le meilleur amant du monde, et que, pour aimer en cinq ou six lieux à la fois, il n’y a personne qui le fasse si fidèlement que moi. »
    Dans une autre lettre, il complète sa pensée : « Je ne comprends pas, écrit-il, comme il se peut faire qu’un homme aime ainsi sept personnes à la fois : car, pour moi, je n’en ai jamais aimé que six, lors- que j’en aimois le plus, et il faut être bien infâme pour en aimer sept. » 
    Il en aima davantage cependant, et ce petit homme fut un petit coq, très fier, très tyrannique, très gaulois, très actif et très jaloux de toutes ses poulettes, qu’il rêvait de cajoler à lui seul. Il était également très couru et nullement platonique pour son siècle 12. Bien que chaque matin il entendit dévotement la messe, il y allait, suivant le mot de Chapelain, « par corruption d’esprit invétéré 13 » , et de même que les renards vont au gélinier pour y guetter quelque tendre colombe. Le Ménagiana rapporte une boutade assez grossière du père de Voiture, alors que celui-ci logeait au cabaret de sa naissance pendant le passage de la cour à Amiens : « Comme il étoit très à la mode et fort couru des dames, il y en avoit toujours quelqu’une qui le venoit demander. « Il n'y est pas », crioit son père dès qu’il voyoit un carrosse s’arrêter à la porte. « Ces carognes là, ajoutoit-il, ont déjà donné deux fois la v.... à mon fils, et, si Dieu ne l’assiste, je crois qu’elles la lui donneront bien tôt pour une troisième 14. »  
    Voiture fut un assidu de l’hôtel de Rambouillet et l’un des causeurs les plus enjoués de la Chambre bleue ; là il n’y avait pas de badinages qu’il ne commît et de petites coquetteries qu’il ne déployât. Comme il demeurait rue Saint-Honoré , à deux pas de la rue Saint-Thomas du Louvre, il arrivait tous les jours dans le cénacle vers huit heures, lorsqu’il n’y soupait point, et aussitôt tout le monde s’assemblait pour l'écouter. Il entrait immédiatement en scène par quelque plaisante histoire et savait divertir comme personne tous les amis de la marquise jusqu’au moment où, à dix heures, chacun se retirait. Il ne faisait pas métier de bel esprit cependant ; il se défendait très sincèrement d’être écrivain de profession, et craignait plus l'impression de ses œuvres qu’il ne la recherchait. « Vous verrez, disait-il un jour à Mme de Rambouillet, qu’il y aura d’assez sottes gens pour aller chercher ça et là ce que j’ai fait, et après le faire imprimer ; cela me fait venir quelque envie de le corriger 15. »
    Le rôle de Voiture au Palais de Roselinde (comme on nommait l’hôtel de la marquise) fut si important que les anecdotes, les faits curieux, les querelles littéraires, que nous ont conservés les écrivains du temps, rempliraient presque un volume ; nous ne nous y attarderons point et suivrons à peine l’auteur de l’Histoire d’Acidalis et de Zélide, chez Monsieur et dans ses différents voyages, dont ses lettres donnent la meilleure narration possible. 
    En 1629, il suivit Gaston d’Orléans ou plutôt le rejoignit sur les terres du duc de Lorraine, où il fut accueilli et fêté à l’envi ; il revint à Paris en 1630 ; mais, par suite de toutes les intrigues politiques de Monsieur avec le cardinal de Richelieu, il fut entraîné à la suite de son maître dans toutes les phases de ces discordes mémorables. Voici donc Voiture tour à tour à l’armée de Gaston, en Lorraine, en Auvergne, en Flandre, puis partant en mission en Espagne, montrant dans toutes ces occasions un esprit et une habileté extrêmes, parlant l’italien et l'espagnol aussi aisément que le français, composant des vers dans ces différentes langues, et s'attachant, partout où il séjournait, des amitiés illustres et durables l6.
    Après un parcours rapide en Espagne, ou il observe et dépeint les mœurs et usages du pays avec une netteté de jugement qu’on ne lui supposerait pas au premier abord, Voiture passe en Afrique et en Portugal, puis revient à Bruxelles, datant de chacune de ses résidences ces lettres originales qu’on va lire tout à l'heure, et dans lesquelles sa belle humeur, sa critique et son esprit ne faiblissent jamais. Dès 1634, lors de la formation de l’Académie, Voiture fut compté au nombre des premiers membres admis, avec de Boissat, Vaugelas et Laugier de Porchères ; mais il ne parut qu’une fois en sa vie dans cette grande assemblée naissante, et encore fut-ce par gageure. Il correspondait déjà à cette époque avec Costar, qui eut plus tard à son sujet la fameuse querelle avec Girac l7.
    En 1638, le roi envoya Voiture à Florence pour notifier au grand-duc la naissance du jeune prince qui devait se nommer Louis XIV. Toutes les lettres écrites de ce voyage sont encore charmantes et pleines de traits à l’adresse de Mme de Rambouillet, qui se flattait de se connaître en architecture, et qui avait prié son poète correspondant de lui parler des œuvres et monuments d’art de l'Italie.
    De 1639 à 1648, époque de sa mort, nous retrouvons Voiture mêlé aux intrigues de la cour et protes- tant de son dévouement à Richelieu, puis à Mazarin. Il fut du voyage du Roi et de Monsieur en Catalogne, et descendit le Rhône jusqu’à Avignon sur la flottille du Cardinal. Les épitres qui parlent de l'exécution de Cinq-Mars et de De Thou sont d’un curieux intérêt historique ; celle qui traite de l’arrestation de Monsieur le Grand est aussi nourrie de détails que pourrait l’être la chronique la plus complète d’un journaliste d’aujourd’hui. Sous le ministère de Mazarin, Voiture, outre sa charge d’introducteur des ambassadeurs chez Monsieur, avait celle de gentilhomme ordinaire et de maître d’hôtel de Madame. Le comte d’Avaux, surintendant, le fit nommer premier commis des finances, agréable sinécure s’il en fut, et le total du traitement de ces divers emplois pouvait monter à près de 18,000 livres de revenu 18.
    C’était alors une somme considérable, environ 80,000 fr. de notre monnaie du jour, mais Voiture n’était guère économe ; ce que lui laissaient les femmes, le jeu le lui prenait ; c’était un terrible joueur, et il met-tait, raconte Tallemant, tant d’ardeur à cette passion dominante « qu’il falloit qu’il changeât de chemise toutes les fois qu’il sortoit du jeu ». 
    Voiture fit encore deux voyages à Rome, le dernier pour y solliciter un procès au nom de Mlle de Rambouillet. Là il fut présenté à l'académie des Humoristes 19, et peu après reçu membre de cette société. — A dater de 1642 20, quoiqu’il n’eût alors que quarante-quatre ans, il ne s’ absenta plus guère de Paris ; le nombre de ses aventures amoureuses, ses excès de femmes, avaient miné sa santé, et le pitoyable Voiture, bien qu’il eût du alors dételer sans rémission, ne songeait même pas à enrayer. Il lui fallait chaque jour une mie nouvelle, et, à ce jeu-là, il ne devait point dépasser la cinquantaine.
    Sa dernière équipée fut son duel avec Chaveroche 21.
Dans la seconde quinzaine du mois de mai 1648, Voiture mourut après quatre jours d’une fièvre ardente, qu’on attribua a un remède a la Purgon pris pendant une crise de goutte ; mais nous croirions plutôt qu’il succomba, à la façon de François Ier , à la suite de ce mal galant que son père craignait si fort de lui voir gagner une troisième fois. Il expira, selon le mot de Mlle Paulet, « dans les bras de ses sultanes, comme le Grand Seigneur », car Mme de Saintot, dès la nouvelle de sa maladie, était accourue pour le soigner, et ne l’avait point quitté jusqu’au dernier moment, ainsi que la fille du gazetier Renaudot, qu’il avait aimée assez publiquement pour la brouiller avec son mari. Lorsque la marquise de Sablé apprit la nouvelle de sa mort, elle s’écria : « Jusqu’à présent, je n’avois eu que la crainte de la mort, mais, puisqu’elle m’ôte Voiture, je la veux haïr jusqu’au tombeau. »
    Voiture laissait deux filles naturelles : l’une qui se maria et reçut le nom de La Touche, l’autre qui fut religieuse ; c’est de celle-ci, si nous en croyons Tallemant, qu’on a eu le portrait du poète. Par vénération pour la mémoire de son père, elle le fit habiller en saint Louis, parce que ses grands cheveux plats ressemblaient assez à ceux de ce roi, et aussi pour sauvegarder dans le recueillement de sa cellule le souvenir d’un homme aussi mondain et si peu dépêtré de la matière.
    Notre courtisan laissait une partie de sa fortune à trois de ses neveux, dont l’un, Martin de Pinchesne, devait être, l'année suivante, l’éditeur de ses Œuvres diverses. On trouvera des indications moins sommaires sur la biographie de Voiture dans les ouvrages que nous indiquons au hasard à l’usage des curieux ou des érudits : — Pélisson et d’Olivet, Histoire de l’Académie Françoise ; — l’abbé Goujet, Bibliothèque Françoise, tome XVI ; — Perrault, Hommes illustres ; — Lettres de Chapelain ; — Lettres de Balzac ; — Menagiana (passim) ; — Titon du Tillet, Parnasse François ; — Moreri, Dictionnaire ; — Lettres de Guy-Patin ; — Lettres du comte d’A vaux a Voiture (publiées chez Aubry) ; — La Pompe funèbre de Voiture, par Sarasin ; — Lettres de Bussy ; Mémoires de d’Artigny ; — Tallemant des Réaux, Historiette de Voiture ; — Mémoires latins de Huet ; — Discours de l’esprit, de la conversation, des agréments ou de la justesse, ou Critique de Voiture, par le chevalier de Méré, avec les Conversations du même chevalier et du maréchal de Clairambault ; et, plus récemment : Discours sur Vincent Voiture, Amiens, 1847 (couronné par l’Académie d’Amiens), ouvrage de M. Alexandre Gresse ; — Discours sur Voiture, par A. Dauphin, Amiens, 1847 ; — Étude sur Voiture et la société de son temps, lettres et poésies inédites de cet écrivain, par N. N. Alphen, Versailles, 1853 (Extrait des Mémoires de la Société des sciences de Seine-et-Oise) ; — Recherches sur Vincent Voiture, par M. A. Dubois, Amiens et Paris, 1868 (Extrait du Congrès scientifique de France, 34e session, à Amiens) ; — Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XII, etc., etc.
    M. de Callières, l’auteur de la Science du Monde, fit sur Voiture ce joli huitain :

Pour faire une exacte peinture
De l’esprit du fameux Voiture,
Il faudroit emprunter le sien :
Il eut des grâces sans égales
Dans ses vers, dans son entretien,
Dans ses lettres originales ;
Partout il badina si bien
Qu’il fit des chefs-d’œuvre de rien.

III

Une dame de qualité et d’excellent esprit résumait ainsi son jugement sur les deux grands épistoliers de la première moitié du XVIIe siècle : « On est forcé de louer Balzac, mais on est bien aise d’admirer Voiture. » A cette époque de transition dans notre littérature, il n’y avait que le style de d’Ablancourt qui fut d’usage, et il était malaisé de trouver un bel esprit qui tournât une lettre raisonnablement. Balzac et Voiture furent donc dans leur genre des innovateurs ; mais, là ou Balzac était pompeux et pédant, Voiture sut se montrer enjoué et plein d’originalité, et fut proclamé a bon droit le « père de l'ingénieuse badinerie ». Avant ces deux écrivains, il n’y avait qu’un commerce épistolaire sans art défini : on pouvait compter des épistolographes, mais on ignorait encore le charme des vrais épistoliers 23. Mme de Sévigné, et plus tard Voltaire, n’ont fait que perfectionner Voiture et raffiner sur l’agrément et la préciosité qu’il introduisit dans ses lettres familières.
    Le style de Voiture lui est bien personnel, et on ne saurait se méprendre sur l’influence qu’il exerça par la suite. « Il a prodigieusement d’esprit, dit M. E. Geruzez dans une étude parfaite sur le héros de l’hôtel de Rambouillet ; il ne se contente pas d’en avoir, il en fait ; il cherche les rapports les plus éloignés, et peu lui importe qu’ils soient disparates, pourvu qu’ils surprennent et que le rapprochement fasse jaillir une étincelle ; il joue avec les idées et souvent avec les mots ; il a des tours d’adresse et des tours de force pour exprimer ce qui ne peut se dire, et plus l’idée est scabreuse, plus le péril est grand, plus il montre de dextérité ; il côtoie la licence et la bouffonnerie sans y tomber jamais ; il badine ingénieusement, les témérités de son esprit ne lui servent qu’à en montrer la souplesse et l’agilité ; il aime à inquiéter la pruderie, et il ne l’offense pas. C’est qu’au fond son esprit vaut mieux que l’emploi qu’il en fait ; il le gâte sciemment pour mieux divertir l’auditoire, dont il aime la surprise et les applaudissements. Il ne s’abuse pas sur la valeur des traits qui lui attirent des suffrages ; homme du monde plutôt qu’écrivain, et voulant vivre parmi les grands sur le pied d’égalité, il lui fallait compenser le tort de sa naissance en prenant ses avantages du côté de l’esprit. Courageux, familier, quelquefois hautain, toujours soigneux de sa dignité d’homme, dans son rôle d’amuseur, il a fait reconnaître les privilèges de l’intelligence, parmi les privilégiés de la naissance qui n’étaient pas des sots. » 
    On a dit de Voiture qu’il avait pris la livrée qu’avait l’esprit en son temps, mais nous pouvons ajouter qu'il honora cette livrée, qu’il sut l’embellir en y ajoutant du sien, et qu’il la porta si gentiment que nul autre mieux que lui ne saurait la personnifier aux yeux de la postérité. Pour bien comprendre le mérite, le haut ragoût et le friand de ses lettres, il faut être bien au fait des mœurs et des mille incidents de la société où il vécut. Avec Victor Cousin, le public peut être à demi initié à l’existence mondaine du XVIIe siècle, mais les commérages de Tallemant des Réaux peuvent seuls servir presque entièrement de commentaires aux épîtres que nous publions. Si l’on faisait, et cela serait à faire, une monographie de l'Hôtel de Rambouillet, Voiture poète, causeur et épistolier y apparaîtrait en relief singulièrement grandi pour ceux qui, de prime abord, ne peuvent le juger dans son véritable milieu.
    L’esprit de Voiture, quoi qu’on en puisse dire, était prime-sautier ; ses œuvres sont composées de pièces de circonstance, écrites pour l’heure et la minute présentes, écloses spontanément sur l'événement du jour. Qu’on lise ces modèles du genre : la lettre de la Carpe au Brochet ; celle qui est datée d’Afrique et signée Léonard, gouverneur des Lions du roi de Maroc, ou encore cette épître A Mlle de Bourbon, ou il raconte comment il fut berné, en détaillant l’histoire burlesque de ce supplice à la Sancho Pança. Dans sa correspondance politique, on trouve des passages qui étonnent par leur perspicacité, leur sûreté de jugement ou leur beau caractère de morale et de philosophie. Sa lettre, écrite en 1636, sur la reprise de Corbie, n’est-elle pas un chef-d’œuvre et n’indique-t-elle pas un homme de grand sens chez Voiture ?
    M. Ubicini, dans son intéressante notice, remarque avec justesse qu’on ne se rend pas suffisamment compte, de notre temps, de ce qu’ont été dans le développement de notre littérature les Balzac, les Chapelain, les Conrart, les Ménage et toute cette société qui donna naissance à l’Académie. On a trop vu leurs ridicules, et pas assez leurs défauts et les services qu’ils rendirent à la langue : « Voiture, dit-il, quoique jeté dans un monde à part, ne les perdit point de vue entièrement. Il était le trait d’union entre l’érudition et le bel esprit. »
    Dans la correspondance et surtout dans les petits billets adressés à Costar, on trouve en Voiture l'honnête homme, plein de fierté et de délicatesse à la fois. On voit qu’il est dévoué à ses amis et qu’il ne cherche qu’à les obliger. Balzac lui écrit pour lui emprunter quatre cents écus et lui envoie son billet. Voiture le lui retourne avec un autre ainsi libellé : « Je confesse devoir à M. de Balzac huit cents écus pour l’honneur qu’il m’a fait d’avoir pour agréable que je lui en prêtasse quatre cents. » Le signataire de cette obligation était certes bien digne d’être l’ami et le familier de tous les gentilshommes de son temps. Nous n’avons pas, malheureusement, mission d’envisager ici Voiture comme poète et de montrer les réformes qu’il apporta dans la poésie par son retour aux ballades, rondeaux et triolets, auxquels il sut donner un caractère tout nouveau. Boileau, dans sa neuvième satire, a proclamé :

... Qu’à moins d’être au rang d’Horace ou de Voiture, 
On rampe dans la fange avec l’abbé de Pure.

    C’est grand honneur pour l’auteur du sonnet d’Uranie, mais Boileau sacrifiait ou prônait souvent un poète hors de propos, pour le besoin de sa rime, et nous trouvons le père Rapin plus concluant lorsque, dans ses Réflexions sur la poétique, il analyse le talent de Voiture et le félicite d’avoir été un des premiers qui aient entrepris de retrancher le faux brillant des grands mots et l’affectation du grand style dans les vers. Pour nous, Voiture est un merveilleux poète, qu’on ne se lasse point de lire, tant sa forme est charmante.
    S’il nous était permis de citer quelques-uns de ses rondeaux, stances, sonnets, chansons et triolets, il nous serait agréable de montrer combien Alfred de Musset était, dans sa poétique, imprégné de la lecture des œuvres de Voiture, et combien dans ses œuvres il l’imita souvent, jusqu’à reproduire non seulement l’allure des rythmes, mais jusqu’à des fragments entiers de ses chansons et ballades.
    C’est une remarque qui n a point été faite jusqu’à ce jour, mais nous n’oublierons pas que le poète Voiture doit faire partie de nos Poètes de ruelles au XVIIe siècle, qu’il y prendra figure intégralement, avec sa Pompe funèbre, par Sarrasin, en appendice : alors nous pourrons présenter comme il nous convient cet aimable nourrisson des Muses, et montrer avec quel art et quelle aisance il fit revivre la manière de Marot, et devança, selon Sainte-Beuve, la manière même de Voltaire.

IV

    L’histoire bibliographique des Œuvres de Voiture trouverait malaisément sa place ici, tant serait longue la nomenclature des éditions diverses, et compliquée l’analyse des variantes et compléments de chacune d’elles. Depuis que Martin de Pinchesne, de concert avec Conrart et Chapelain, se livra à la révision et à la publication des écrits de son oncle ; depuis le premier privilège du Roi, qui porte la date de juillet 1648, et l'édition originale parue en 1650, les œuvres de Voiture furent réimprimées près de quarante fois, avec des additions de pièces et des fragments nombreux.
    Ces œuvres eurent à leur début un énorme succès, car à cette époque où le célèbre Barbin disait joyeusement à Boileau : « Monsieur, votre Lutrin s’enlève, et, s’il plaît à Dieu, nous en vendrons cinq cents exemplaires », Voiture se vendait bien au delà, et sept éditions successives s’épuisèrent en quelques années.
    Dans son édition de 1855, M. A. Ubicini a cru devoir adopter un classement particulier, en rétablissant patiemment un ordre chronologique auquel les précédents éditeurs n’avaient pas toujours eu égard. Tout en reconnaissant l’excellence de cette méthode et en applaudissant avec sincérité à un labeur aussi méritoire, nous avons préféré, à l’exemple de M. Amédée Roux, dans son excellente édition in-8°, publiée chez Didot en 1858, ne rien changer au travail de Pinchesne, et porter dans nos annotations, placées à la fin des volumes, tout le contingent de nos remarques et de nos découvertes.
    Nous avons, en maint endroit, et comme il convenait, eu recours à ce précieux exemplaire in-4 , de la cinquième édition de 1656, conservé à la bibliothèque de l’Arsenal, lequel porte en marge des notes et commentaires manuscrits qu’on a reconnu être de Tallemant des Réaux, et non pas de Huet, évêque d’Avranches, ainsi que le prétendait M. Soulié.
    Nous avons, d’accord avec notre érudit éditeur, adopté le texte déjà revu et corrigé avec tant de soin par M. A. Leroux, sans laisser d’y apporter des corrections et modifications nouvelles ; enfin, dans nos annotations sommaires, nous nous sommes efforcé de réunir le plus grand nombre d’éclaircissements et de documents curieux, donnant ainsi à cette dernière édition tout l'attrait d’une révision des plus châtiées, joint a un luxe typographique digne des bibliophiles modernes.
    On rapporte que Mme de Sévigné, parlant de Voiture et de ses Lettres, souvent fort obscures, se serait écriée : « Tant pis pour ceux qui ne l’entendent point. » Nous reconnaissons bien là cet esprit de coterie et cette fierté d’égoïsme de la belle marquise ; mais pour les lecteurs d’aujourd’hui, moins au fait que l’élève de Ménage des mœurs intimes du XVIIe siècle et des petites aventures du temps, il fallait une interprétation sobre des passages douteux ; nous croyons l’avoir donnée sans pédanterie ni profusion, en songeant que nous nous adressons à des lettrés, et que, selon un mot très judicieux : « Les savants d’à présent ne sont que les échos des anciens. » Heureux échos qui se répercutent à l’infini dans les profondeurs des sensations intimes ! échos qui font vivre et qu’on aime à entendre solitairement, en dehors du bruit des foules et des fièvres de la politique courante.

OCTAVE UZANNE. (**)

Paris, juillet 1880.



1 . La perte de la correspondance politique de Voiture est des plus regrettables. Pellisson nous apprend qu’il avait laissé après sa mort plusieurs mémoires autographes composés pendant son voyage en Espagne. Quelles lumières nouvelles ces notes n’eussent-elles pas apportées à l’étude du génie de Voiture et des mœurs politiques du temps !

2. « Le père de Voiture était un grand joueur de piquet, dit Tallemant ; on dit encore aujourd’hui qu’on a le quarré de Voiture quand on a soixante-six de point, parce que ce bonhomme croyait gaiement gagner quand il avait ce quarré. » On sait que ce ne fut qu’en 1629 que Louis XIII donna des armoiries au corps des marchands de vin de Paris, qui portèrent alors d’azur au navire d’argent surmonté de la bannière de France et accompagné de six petites nefs, de même à l’entour, avec une grappe de raisins de gueules en chef. Cette réunion de métaux et de couleurs rappelait les trois nuances des vins du pays : blanc, rouge et bleu. Voyez La Fizelière : Vins à la mode et cabarets du XVIIe siècle. Si Voiture hérita de son père la passion du jeu, il n’en reçut pas le goût du vin et fut buveur d’eau toute sa vie ; son père avait l’habitude de dire qu’on l’avait changé en nourrice. Blot fit sur notre poète ces couplets, sur l’air de : Réveillez-vous, belle endormie :

Pour bien goûter tous les délices,
Il faut, Saint-Phal, Blot et Bomains,
Passer la nuit entre deux cuisses
Et tout le jour entre deux vins.
Va, Voiture, tu dégénère,
Retire-toi, si tu m’en crois ;
Tu ne vaudras jamais ton père :
Tu ne vends de vin ni n’en bois.

3. Voiture, le père, tenait boutique ouverte rue Saint Denis, en 1605. Voir l’acte de naissance du frère de Vincent, extrait du registre de Saint-Eustache, dans le Dictionnaire de Biographie de A. Jal.

4. Voiture resta toujours chétif et très faible de santé. Il était sans cesse enrhumé et se plaignait à tout venant, ce qui le fît nommer le pitoyable Voiture dans tous les cercles des précieuses.

5. Ces stances s’imprimèrent chez Julliot, en 1614, ainsi qu’une pièce latine en faveur du président de Verdun. Elles ont été insérées pour la première fois à la suite des Œuvres, dans l’édition de 1734 et autres éditions qui suivirent.

6. « Voiture avait étudié pour être avocat », dit Tallemant ; au reste, dans une de ses lettres à Mme de Saintot, il dit : « Tout grand jurisconsulte que je sois, je suis bien empêché de vous répondre, etc. »

7. La manchette de la Pompe funèbre indique en note en cet endroit : le président des Hameaux. Voiture se battit en effet à Orléans avec ce président. Ce fut le premier de ses quatre duels.

8.  Tallemant dit à ce sujet : « Voiture fît amitié avec  M. d’Avaux, et cette amitié produisit ensuite l’amour de Mme Saintot. Il fut reçu chez elle, et peu de temps après le mari mourut. Il avoit déjà de la réputation et avoit fait imprimer en une nuit, au devant de l’Arioste, cette lettre qui avoit tant couru. » (Voyez : Lettre IV, tome I, page 22.)

9. La passion de Mme de Saintot pour Voiture, avec ses ruptures, ses refroidissements, ses réconciliations, serait bien une des pages les plus intéressantes à écrire dans la vie de Voiture. Dans un portrait tracé par elle-même et que nous a conservé Conrart (Bibl. de l’Arsenal, Mss. in-f°, tome IX, p. 775), Mme de Saintot écrit ceci après la mort de son amant : « La perte que j’ai faite est le seul malheur qui ne partira jamais de ma mémoire ; c’est une personne si parfaite et si accomplie que les mérites en sont estimés de tout le monde. Depuis cette infortune-là, ma vie est toujours languissante et je trouve partout à dire cette chère personne. Je sais bien que ma vie sera trop courte pour réparer une semblable perte, et qu’elle me semblera trop longue, après l’avoir soufferte. »

10. Tallemant insiste sur ses duels : « Il est tel brave, dit-il, qui ne s’est point battu tant de fois que lui, car il s’est battu jusqu’à quatre fois, de jour et de nuict, au soleil, à la lune, aux flambeaux. La première fois contre le président des Hameaux ; la seconde, contre Lacoste pour le jeu. Le troisième combat fut à Bruxelles, contre un Espagnol, au clair de la lune, et le quatrième et dernier (le plus célèbre), fut dans le jardin de l’hôtel de Rambouillet, aux flambeaux, contre Chavaroche, intendant de la maison. Leur querelle venoit de l’aversion qu’ils avoient l’un pour l’autre dès le temps qu’il y avoit trois sœurs à l’hôtel de Rambouillet, qui estoient honnêtement coquettes. » Dans tous ses duels, Voiture eut une bravoure et une contenance remarquables.

11. Dans le Cyrus, Voiture est peint sous le nom de Callicrate : « C’étoit, dit Mlle de Scudéry, un homme d’une basse naissance, qui, par son esprit, en étoit venu au point qu’il alloit de pair avec tout ce qu’il y avoit de grand dans Paphos, et parmi les hommes et parmi les dames... Sa conversation étoit très-divertissante à certains jours et à certaines heures, mais elle étoit fort inégale, et il y en avoit d’autres où il n’ennuyoit guère moins que la plupart du monde l'ennuyoit lui-même. En effet, il avoit une délicatesse dans l’esprit qui pouvoit plutôt se nommer caprice que délicatesse, tant elle étoit excessive. » Voiture choisissait donc, comme tous les esprits d’élite, ses milieux , ses heures, ses interlocuteurs, et ne pouvait se montrer banal dans la conversation, lorsque le terrain même de la conversation ne lui paraissait pas digne de lui.

12. Mlle de Scudéry, dit encore de Callicrate : « Il faisoi profession ouverte de galanterie, mais d’une galanterie universelle... Comme il avoit l’esprit impérieux, il aimoit à avoir toujours quelqu’un qu’il pût mépriser impunément, et comme il n’eût assurément pu trouver cela parmi des personnes de qualité, il en souffroit quelques autres, seulement, pour avoir le plaisir de pouvoir les tourmenter et d’être plutôt leur tyran que leur amant. Au reste, tout le monde a toujours bien su qu’il adoroit plus dans son cœur Vénus Anadyomène que Vénus Uranie, car enfin il ne pouvoît comprendre qu’il pût y avoir de passion détachée des sens. »

13. Lettre manuscrite de Chapelain à Balzac, du 14 juin 1645 : « Pour écrire des épîtres licencieuses et lascives, dit Chapelain, Voiture n’en est pas moins bon chrétien, et il a trouvé le secret de vivre en même temps selon le siècle et selon l’Évangile ; d’aller soigneusement à la messe le matin et de galantiser assidûment l’après-dînée par une corruption d’esprit invétérée. »

14. Ménagiana, édition de 1713 , in- 16, tome II, page 191.

15. Voiture a néanmoins fait imprimer plusieurs ouvrages de son vivant ; les voici : Hymnus Virginis, seu Astraeae. Paris, in-4 , 1612 ; — Mars à Monseigneur, frère unique du Roi, stances. In-12, 1614.

16. Le duc d’Olivarès se lia avec Voiture, qui fît plus tard son éloge (Nouvelles Œuvres, 1658). Lorsque le duc vit revenir Voiture en France, il en éprouva un vif chagrin : « Ne laissez pas de m’écrire, lui dit-il ; si ce n’est d’affaires, ce sera de belles choses. » (No dexe V. M. de escrivirme ; aunque no fuera de negocios, nos escriviremos aforismos.)

17. Voir, sur cette dispute célèbre, la série des opuscules qui accompagnent d’ordinaire ces lettres imprimées, et surtout la Deffense de Voiture, qui est fort curieuse. 

18. La place d’introducteur des ambassadeurs chez Monsieur valait à elle seule 2,000 livres de gages ; celle de maître d’hôtel servant chez Madame, 900 livres. Tallemant dit que Voiture se faisait 18,000 livres de revenu.

19. « Il y a parmi les Romains, écrit Voiture à Costar, une académie de certaines gens qui s’appellent les Humoristes, qui est à peu près comme qui diroit bizarre ; et, en effet, ils le sont tant qu’il leur a pris fantaisie de me recevoir dans leur corps, et de m’en faire donner avis par une lettre que m’a écrite un de leur compagnie. »

20. Nous ne comptons pas pour voyage important la conduite qu’il fît jusqu’à Péronne, en qualité de maître d’hôtel, à Marie de Gonzague, épouse d’Uladislas, roi de Pologne, lorsque celle-ci se rendit dans ses États en 1646. Mme de Saintot suivit Voiture dans cette excursion , mais elle le fit furtivement et faillit être arrêtée à Saint-Denis (n’y pouvant trouver un logis) comme femme de mauvaise vie.

21. Vigneul-Marville (B. d’Argonne), dans ses Mélanges d’histoire et de littérature, tome II, donne de piquants détails sur ce duel et en particulier sur Chaveroche, gentil-homme du Limousin, qu’il connut.

22. On a souvent donné de fausses dates sur la mort de Voiture ; M. Amédée Roux, dans la notice de son édition de 1858, prétend que Voiture mourut en juillet ; c’est encore une petite erreur. Voici des actes extraits des registres de Saint-Eustache, où il fut inhumé : « Ledit jour, mardy, 26e mai 1648, convoi de... prestres pour les entrailles de M. de Voiture. »
    « Au jeudi 28 mai 1648, réception de 42 prestres, et le lendemain en suivant, service complet pour deffunt Monsieur Vincent de Voiture, vivant conseiller du Roy en ses conseils, maistre d’hôtel ordinaire de Sa Majesté, introducteur des ambassadeurs près la personne de Monseigneur le duc d’Orléans, demeurant rue Saint-Thomas du Louvre (?). Apporté de Saint-Germain-l’Auxerrois, inhumé en nostre église. »
    On peut donc croire, d’après ce qui précède, que Voiture mourut du 15 au 24 mai ; peut-être même avant, car on ne saurait fixer le nombre de jours pendant lesquels son corps resta déposé dans les caveaux de Saint-Germain-l’Auxerrois. La première éducation de Voiture avait été faite rue Saint-Denis, où son père s’établit vers i6o5. La paroisse de Saint-Eustache lui était familière ; peut-être avait-il quelques parents inhumés dans cette église et a-t-il manifesté le désir d’y avoir sa sépulture.

23. Au XVIe siècle le terme d’épistolier qualifiait celui qui chante l’épître au Dimanche.

(*) Paris, Librairie des Bibliophiles (Paris, Damase Jouaust), 1880. Collection "LES PETITS CLASSIQUES". 2 volumes in-18 (18 x 11,5 cm). Tirage à petit nombre sur papier vergé de Hollande (16 francs les 2 volumes). Il a été fait un tirage spécial de 30 ex. sur Chine et 30 ex. sur Whatman. Portrait gravé par Ad. Lalauze.

(**) Octave Uzanne n'a pas encore 30 ans. Ce volume constitue l'un des titres de la collection dite des "Petits poètes des ruelles". Les notes et éclaircissements (que nous ne reproduisons pas ici) occupent les pages 259 à 268 du premier volume et les pages 357 à 364 du second volume.

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