vendredi 14 juillet 2017

Nécrologie de Joséphin Péladan par Octave Uzanne (La Dépêche, 24 juillet 1918). " [...] un héroïque soldat de la virile pensée française, un héroïque champion de notre idéalisme, un défenseur de notre intellectualisme civilisateur."


© Photo RMN-Grand Palais - Droits réservés

JOSÉPHIN PÉLADAN (*)

Au milieu de la tourmente qui jonche le jardin de l'humanité du produit de ses meilleures créations, il nous devient chaque jour plus difficile de relever nos morts, de les mesurer à terre, de les honorer comme il convient en leur accordant le lot qui leur est dû. La chaux de l'oubli qui les recouvre et les brûle, consume vite leur mémoire et nous ne pouvons plus nous attarder au delà d'une seconde vis-à-vis de leur sépulture, ni même nous y recueillir dans la reconnaissance des vertus disparues.
Il nous faut tourner quand même, d'un doigt inconscient et rapide, le feuillet du livre de la vie avec la perception que tout n'y a pas été dit ni lu avec la précision et l'attention désirables. Aussi bien que les vivants, sinon davantage, les morts, les pauvres morts, insuffisamment mensurés par l'aveugle service de la critique ignorante, préjugiste, hasardée ou partiale, connaissent trop souvent pour l'éternité l'injustice insondable des jugements d'ici-bas. Ils sont catalogués au petit bonheur par la légèreté, l'esprit superficiel, l'incompréhension des contemporains, avec un minimum de chances d'une révision de la postérité qui a tout à gagner en ne contrôlant pas les iniquités des opinions et les déplorables bases des réputations acquises.
Josephin Péladan qui, récemment, tomba dans cette "tranchée civile" où il combattit jusqu'au bout avec une énergie chevaleresque pour une oeuvre de supérieure beauté, d'idéale vérité et d'art suprême, fut un esprit de première digne, toujours frémissant et valeureux dans l'offensive des idées, infatigablement prodigue de visions neuves dans l'universel domaine de l'intellectualité. Les lettres françaises ne comptent guère, au cours des ces trente dernières années, de cerveaux comparables à celui de ce noble créateur de formes ingénieuses qui se dévoua, avec la conscience d'être le plus souvent incompris, à l'enseignement éthique, esthétique, mythique et mystique, sans y rencontrer autant de disciples passionnés qu'en eût sans doute souhaité son apostolat.
Admirable romancier, critique d'art de supérieure allure, catholique dans le style des grands penseurs de la Renaissance, wagnérien impénitent, mage subtil et profond, osant se proclamer Sâr sans estimer usurper un titre charlatanesque, érudit au point d'outrager l'ignorance et la frivolité de ses lecteurs, dramaturge tétralogique, d'un lyrisme prodigieux et d'un style parfois vertigineux, théoricien de la décadence latine, dont il s'efforça de composer une vigoureuse éthopée dans d'étranges et substanciels romans tels que le Vice suprême, Curieuse, l'Initiation sentimentale, l'Androgyne, Finis Latinorum, Pérégrine et Pérégrin, fondateur enfin du Salon de la Rose-Croix, cet étonnant maître de l'Amphithéâtre des Sciences mortes, nourri d'antiquité, d'occultisme, fanatique de culture française fut, qu'on le reconnaisse ou non, un véritable génie, un de ceux trop rares qui, par-dessus l'opinion, les académies, les honneurs publics, rehaussent aux regards de l'étranger la valeur spirituelle de leur nation.

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Joséphin Péladan avant, dans sa jeunesse, commis l'irréparable faute d'amuser la curiosité publique par l'étrangeté de ses costumes, par l'intégrité d'une chevelure abondante et hirsute qu'il prétendait sauvegarder en dépit des ordonnances égalitaires du service militaire nivelant tous les crânes sous la tondeuse régimentaire. Il ne comprit pas, à l'heure opportune, combien il est téméraire de se soustraire aux moindres expressions des modes régnantes et de fronder les usages et coutumes même inesthétiques. Pour avoir voulu illustrer individuellement, hors temps de carnaval, son Prince de Byzance, il attira sur sa personne, ses écrits, ses rythmes, les foudres impitoyables des jupitériens bourgeois de la caricature vengeresse. Ses innocents costumes à la Watteau, ses pourpoints de satin merveilleux se transformèrent aussitôt en d'inexorables tuniques de Nessus que jamais plus depuis lors il ne put arracher. Elles lui corrodaient la peau jusqu'à la paralysie de ses mouvements dans les efforts multipliés qu'il fit pour dégager son âme, cependant si claire, si peu cabotine, si fougueuse à l'assaut de toutes les éthiques et esthétiques et la délivrer de l'accumulat des salissures, boursouflures comiques, des hyperboles ridicules, des légendes extravagantes répandues sur sa personne et sur son oeuvre d'occultiste sincère.
Il se redressa toutefois avec la conscience de sa force et de sa foi. Lors de mon premier voyage en Orient, vers 1883, cet incantateur émerveillé du verbe m'écrivait : "Puisque vous vous rendez au pays d'où tout vint, dites aux mages que vous rencontrerez, - si vous en rencontrez, - que je porte bravement la chape du ridicule que le rire moderne met aux épaules des adeptes."
Et cette chape, il la soutint religieusement, fièrement. Il fit admirer ses sortilèges dans son chef-d'oeuvre d'Istar, dans sa comédie lyrique le Fils des Etoiles, dans la tragédie d'Oedipe et le Sphynx, dans la Terre du Sphynx (Egypte) et dans la Terre du Christ (Palestine), dans Comment on devient Mage et dans l'Art ochlocratique. Il porta la bonne parole à l'étranger, en Hollande, en Suisse et ailleurs... Ailleurs, il y était plus et mieux connu que par ceux de sa race. Il y était lu, interprété, commenté, admiré. On y exaltait ses œuvres romanesques si originales, si fortes et planant si noblement au dessus des marécages de l'érotologie contemporaine française qui assurait tant de succès publics à ses confrères psychologues et mondains, assurés d'une clientèle soi-disant bien pensante dans l'auto-gobage des salons littéraires où se consacrent les réputations bien parisiennes.
Un brésilien de Paris s'est indigné des articles parus dans différents journaux au lendemain de la mort de cet étonnant remueur d'idées que l'on bâtonna sans le connaître et sans soupçonner l'élévation et la noblesse de son oeuvre. "De tout temps, hélas ! écrit-il justement au Mercure, les journalistes se sont moqués du génie, qu'il s'appelât d'Aurevilly ou Hallo." Il nous faut  donc entendre sa protestation, parce que lui, écrivain étranger, malgré le journalisme, ne croit pour des raisons foncières qu'à la culture française et qu'il souffre de voir ainsi humilié par delà le tombeau, un des plus grands et des plus purs esprits de cette race qui va vaincre et de cette terre qui va refleurir.
La décadence latine n'entraîne pas celle de toutes les consciences. Péladan doit être vengé de ses pitoyables nécrologues du boulevard si peu faits pour le comprendre et l'aimer. Nos alliés nous imposeront peut-être le culte de sa mémoire. Quelques-uns d'entre nous les y aideront. Ce fut un héroïque soldat de la virile pensée française que Joséphin Péladan, un héroïque champion de notre idéalisme, un défenseur de notre intellectualisme civilisateur. Il est l'heure de l'affirmer puisque l'actualité n'a pas encore abandonné son ombre.

OCTAVE UZANNE


(*) article paru dans La Dépêche du Mercredi 24 juillet 1918. Il occupe les deux premières colonnes de la première page. Péladan était mort à l'âge de 60 ans à Neuilly-sur-Seine le 27 juin. Il est inhumé au cimetière des Batignolles (6e section). Cet article nous apprend qu'Octave Uzanne a entrepris son premier voyage en Orient (Egypte ?) vers 1883.

Lire également sur Sâr Péladan et Uzanne :

- Un envoi autographe du Sâr sur L'Initiation Sentimentale (1887)
- Octave Uzanne admirateur sans condition du Vice Suprême de Joséphin Péladan (1884)
- Opinion d'Octave Uzanne sur le Sâr Joséphin Péladan et son oeuvre (février 1894)
- Octave Uzanne commente le nouveau roman du Sâr Joséphin Péladan : A coeur perdu (1888)

lundi 10 juillet 2017

The Ballad of Reading Gaol : la Ballade de la prison de Reading, par Oscar Wilde, critique par Octave Uzanne (6 avril 1898).

Frontispice par Eric Forbes Robertson
pour les Visions de Notre Heure
Paris, H. Floury, 1899

Octave Uzanne évoque Oscar Wilde dans ses Instantanés d'Angleterre publiés en 1914 : "[...] Oscar Wilde qui alors âgé de trente-cinq ans (vers 1892) était un vrai dandy, gras, rose, maniéré, dans l’apothéose éclatante de ses succès mondains dont les lendemains, hélas ! devaient être si amers et pitoyables. [...]." Octave Uzanne aurait alors fait la connaissance de l'auteur du Portrait de Dorian Gray. Voici un article qu'il publie dans l’Écho de Paris en avril 1898. Octave Uzanne nous livre ici en demi-teinte ses impressions sur le poète anglais qu'il décrit comme doué d'une supersensibilité anormale. Octave Uzanne ne dénonce ni ne condamne l'homosexualité du poète. Il se contente de constater la qualité de son œuvre littéraire.

Bertrand Hugonnard-Roche

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      6 avril 1898 - The Ballad of Reading Gaol : la Ballade de la prison de Reading, par C. 3. 3. - Ainsi se frontispice un livre qui vient de paraître à la fois en Angleterre et en Amérique et qui, primitivement imprimé à 800 exemplaires, a vu monter son tirage au delà de six mille. - O vertueuse et curieuse Albion !
      C. 3. 3. fut le chiffre matricule à la prison de Reading du poète, romancier et auteur dramatique Oscar Wilde, mis à l'ombre durant deux années en raison de ses goûts-non conformistes, et il est juste de dire que l'originalité de ce pseudonyme est un trait d'humour auquel ne résistèrent pas ses compatriotes ; - on lit, on s'arrache en ce moment dans le monde littéraire la Ballade de Reading gaol.
      Cette plaquette de 31 pages est dédiée à la mémoire de C. T. W., anciennement soldat du régiment royal des horse guards, qui mourut à la prison de Reading, en Bertshire, le 7 juillet 1896. C'est un poème d'environ sept cents vers, groupés par stances de six, et qui conte les angoisses, les mortelles affres, les nuits de terreur et d'émotion que ressentit le détenu Oscar Wilde durant la captivité, voisine de la sienne, d'un jeune soldat condamné à mort pour avoir tué sa maîtresse.
      A la suite d'une sorte d'avatar ou d'hallucination que les rigueurs de l'internement suffisent à expliquer par l'état de supersensibilité anormale d'Oscar Wilde, le poète qui avait vu, connu peut-être, le cavalier meurtrier de son amie, s'était pris de pitié pour ce jeune homme destiné au supplice de la potence en sa cellule même. Chaque jour, à chaque heure, à mesure qu'approche le dénouement terrible, le condamné au hard labour note les frayeurs, les dysphories du soldat à la veille d'être exécuté ; il croit sentir toutes les tortures, les remords, les émois, les anxiétés, les suées, les effroyables transes du malheureux qu'il peut apercevoir chaque jour au cours de sa régulière et pénible promenade dans le préau de la prison.
      En des stances au rythme noble, berceur et pitoyable, il nous dit l'expression de l'homme vers qui convergent aussitôt nos sympathies et notre commisération ; il nous montre ses yeux étrangement bleus, sa mélancolique résignation, et comment lui est venue, à lui poète, cette prise de possession morale par un autre être dont il partage ou plutôt exagère toutes les souffrances et toutes les émotions.
      Ce poème révèle un admirable pathétisme de supérieure humanité chez son auteur, une sensibilité exquise, affinée, dont l'expression nous gagne et nous méliore ; l'intellectuel, le paradoxal Oscar Wilde, l'homme des recherches de mots précieux, des originalités voulues et qui nous énervait à force de tarabiscoter sa pensée et de nous donner le change sur ses réelles émotions ; Wilde qui se mit en scène dans un rôle de Desgenais superbe en son roman de Dorian Gray et que la société anglaise considéra comme le cœur le plus sec sous le cerveau le plus souple et le plus brillant, rachète amplement dans ce tendre poème de pitié toutes ces préventions. Loin du sommet de gloire qui lui donna le vertige, en sa cellule de Reading, il aura senti dans l'ombre et le recueillement, - en même temps que le rire cessait de creuser son masque gras, - renaître en soi la source des larmes et des douleurs fécondes ; c'est pourquoi, si ce petit poème ne doit pas être considéré comme son œuvre la plus sereinement esthétique et la plus haute, on peut être assuré que ce sera la plus humaine, celle qui vivra non pas par un genre d'esprit qui se démonétise ou par une symbolique d'art dont la mode peut passer, mais par l'émotion sincère, indestructible, qui aura toujours son écho dans le cœur des hommes qui ont vécu, souffert et aimé ... chacun selon ses instincts.

La Cagoule alias Octave Uzanne (*)

(*) article publié initialement dans l’Écho de Paris du 6 avril 1898 puis réédité par Octave Uzanne dans le volume Visions de Notre Heure achevé d'imprimer le 8 mars 1899.

vendredi 7 juillet 2017

"[...] pour une fois que je suis à Paris, la dent incisive et l'appétit ouvert, le gibier récalcitre et se dérobe. [...] (3 novembre 1898). Octave Uzanne a un ami chasseur originaire de Bressuire (Deux-Sèvres).

Carte-Lettre autographe d'Octave Uzanne à un ami [chasseur ?] resté non identifié. Carte-Lettre a en-tête de l'adresse du 17, Quai Voltaire à Paris et datée du 3 novembre 1898. Marque gravée par Félicien Rops aux initiales d'Octave Uzanne (Daphnée).

Coll. B.H-R.
Texte intégral :

[17, Quai Voltaire. Paris, ce] 3 novembre 1898

Cher monsieur et ami (*),
un employé du chemin de fer vient de venir m'aviser qu'un colis, à mon nom, venant de Bressuire, n'avait pas été retrouvé.
Comme je suis assuré qu'il s'agit d'une généreuse attention de votre part, je m'empresse de vous écrire pour vous remercier de l'envoi non reçu, et aussi pour vous avertir de l'objet égaré ; sans doute un produit de votre chasse.
Croyez-vous que je n'ai pas de veine avec vos aimables envois ; pour une fois que je suis à Paris, la dente incisive et l'appétit ouvert, le gibier récalcitre et se dérobe.
Une bonne poignée de main et bien à vous
Octave Uzanne

(*) Nous n'avons pas retrouvé de qui il pouvait bien s'agir ici. Un homme, visiblement chasseur, habitant à Bressuire. Deux hypothèses plausibles s'offrent pourtant à nous à l'étude de la liste des membres de la Société des Bibliophiles contemporains fondée fin 1889. Nous trouvons en effet au sein de cette liste deux personnes originaires de Bressuire (Deux-Sèvres) : Monsieur Alfred Barion, admis comme nouveau membre dans le courant de l'année 1891. Monsieur Henri Thuile, chef de district aux chemins de fer de l’Etat, rue Barbotin, faisant partie des membres fondateurs de ladite société de bibliophiles. Lequel de ces deux hommes était chasseur ?

Bertrand Hugonnard-Roche

jeudi 6 juillet 2017

Jean Lorrain réclame à Joseph Uzanne de l'Elixir Mariani et du Vin Mariani pour sa mère et lui.



Coll. privée


45, rue d'Auteuil  [s.d.]

Mon cher ami
Ma mère réclame de l'Elixir et moi du reconstituant - à bon entendeur salut.
Voulez-vous donc, très cher José, nous faire
adresser 45, rue d'Auteuil, bouteilles de vin et d'Elixir aussi
et croyez moi votre
Jean Lorrain (*)

(*) La notice biographique de Jean Lorrain apparaît dans le troisième volume des Figures Contemporaines Mariani publié en 1897. C'est Joseph Uzanne qui rédige la notice (peut-être aidé par son frère Octave à moins que ce ne soit tout bonnement Octave Uzanne qui donne cette notice). Jean Lorrain écrit alors : "Le vin Mariani // effroi de la Neurasthéni // e, au poète rajeuni // fournit la rime à l'infini. (voir ci-dessous).

Lire nos autres articles concernant Jean Lorrain et les frères Uzanne : ICI


Notice extraite des Figures Contemporaines Mariani
Troisième volume, 1897

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