samedi 11 mai 2013

Octave Uzanne membre du Comité de réforme du mariage (1905-1908) : Deuxième partie - Présentation d'Octave Uzanne par MM. Henri Coulon et René de Chavagnes dans l'ouvrage intitulé Le Mariage et le Divorce de demain (1908)


Caricature parue dans Le Rire
Séparation de l'Eglise et de l'Etat
(loi adoptée le 9 décembre 1905),
qui n'est pas sans rapport avec les partisans de l'union libre
défendue par le Comité de réforme du mariage.

Octave Uzanne écrit le 26 décembre 1905 :

La seule réforme logique [concernant le mariage] dont il puisse être question est celle de la séparation définitive « de la morale et de l'Etat ».


Le Comité de réforme du mariage.
Sa constitution. (*)

Le Comité de réforme du mariage fut constitué à la suite d'une importante enquête, faite par M. René de Chavagnes à Gil Blas en 1905, sur un projet de loi à l'initiative du président Magnaud. Celui-ci, s'inspirant de la pensée de M. Paul Hervieu, lequel dans une proposition qui eut quelques retentissements demanda l'introduction du mot amour dans l'article 212 du Code civil "... poignée de sable d'or jeté dans les yeux de la justice en manière d'ironie et de défi" (Henry Bataille), celui-ci, disons-nous, associa le mot amour au mot mariage et il en profita pour donner à ce dernier l'ampleur inhérente à l'idée même qu'il comporte et dégagée de toute question d'intérêt. Estimant que seul le mariage qui commence et se fonde exclusivement sur l'amour est l'union "dite sottement libre" que les législations antiques, plus positives, plus réalistes que la nôtre, reconnaissaient "dignement", il voulait que ce "mariage" fût constaté par l'officier de l'état civil et devint source de "droits familiaux", au moins au regard des enfants. Il voyait, dans cette réforme, une réparation partielle de l'injustice commise envers certains êtres particulièrement intéressants, puisque, soumis aux obligations de tous sans en posséder tous les droits, ils ne doivent leur situation sociale qu'à leur énergie, qu'à leur travail, qu'à leur intelligence. Et il espérait que "la femme trouverait dans la légale union libre, infiniment plus facile à obtenir que le mariage, une précieuse garantie d'avenir contre les conséquences de la séduction et les entraînements de la passion". Selon lui, son projet devait préciser la législation actuellement en vigueur sur l'union libre, laquelle est reconnue et sanctionnée par le Code, en ce sens que "la loi autorise le recherche de la maternité naturelle". Et, avec l'aide de MM. Béranger et Rivet, il proposait d'étendre ce principe à la recherche de la paternité. "Le jour, concluait-il, où ceci sera promulgué, l'union libre sera enfin reconnue. Pour n'être pas insolents à l'égard des humbles, vous devrez même l'appeler mariage ; et pour avoir une police sociale sérieuse, vous admettrez enfin que cette union puisse se constater au préalable par simple procès-verbal, signé des intéressés sur le registre de l'état civil et se rompre de la même manière à la requête de tous deux ou même d'un seul. Alors le Code portera non seulement le mot, mais la pensée de l'amour."

*
**

L'occasion, attendue par nous, de saisir à nouveau l'opinion de toutes ces questions dans le but d'obtenir enfin quelques résultats, auxquels les tentatives individuelles précédentes n'avaient pu aboutir, était propice. Nous ne la laissâmes pas échapper. Nous ouvrîmes, auprès des écrivains et des sociologues les plus qualifiés par leurs oeuvres et leurs tendances généreuses et réformatrices, une consultation qui aboutit, conformément à nos prévisions et à nos désirs, en décembre 1905, à la formation d'un Comité, lequel prit le titre de Comité de réforme du mariage.
Pour cette nécessaire réforme, pour l'amélioration du sort des enfants naturels et des filles-mères, qu'exigent non seulement les principes de justice et de bonté auxquels la société moderne semble enfin vouloir obéir, mais qu'imposent encore tant de douleurs, tant de détresses jamais apaisées, l'abaissement de la natalité, l'inquiétante mortalité infantile, les juristes et les psychologues les plus éminents se groupèrent spontanément. Ainsi ils affirmèrent, en une magnifique manifestation, leur volonté formelle de s'intéresser directement, de prendre part même à "l'organisation" sociale jusque là incertaine et flottante, hasardeuse et irrationnelle, de remplir enfin la véritable fonction qui incombe à l'élite et que nous nous sommes efforcés de définir, au début de ce livre : la recherche et la réalisation de l'harmonie sociale par les voies de la vérité, de la justice et de la liberté.
Nous ne saurions trop les remercier ici d'un effort si nouveau, si significatif, si fécond qui leur a permis de refondre, en vingt-deux séances, tenues hebdomadairement de janvier à juin 1906, toute une législation matrimoniale caduque et d'établir - ce que le Parlement jusqu'ici fut impuissant à élaborer - un premier projet de loi complet de quatre-vingt-trois articles donnant pleine satisfaction à tous les esprits libéraux, donnant au Code "cet assentiment moral sans lequel les règles de droit ne sauraient être véritablement efficaces." Avant de donner un aperçu de quelques-unes des plus importantes séances du Comité, nous croyons utile de présenter les membres du Comité ou plutôt, de rappeler, pour chacun d'eux, les oeuvres qui justifièrent notre appel à leur compétence.

[Henri Coulon]

Suit la liste des membre du Comité, une rapide présentation suivie elle-même de l'opinion émise par le membre lors de l'enquête à Gil Blas - Voici la liste des membres du Comité de réforme du mariage :

Messieurs :

Paul Adam
Henry Bataille
Jules Bois
Armand Charpentier
Lucien Descaves
Jean Finot
Léopold Lacour
Maurice Leblanc
Sébatien-Charles Leconte
Lucien Le Foyer
Pierre Louys
Maurice Maeterlinck
le Président Magnaud
MM. Paul et Victor Margueritte
Octave Mirbeau
Charles Morice
Marcel Prévost
Jules Renard
J. Joseph-Renaud
MM. J.-H. Rosny
Séré de Rivières
C.-M. Savarit
le Dr Toulouse
Octave Uzanne

Mesdames :

Mme Avril de Sainte-Croix
Mme Bertault-Séguin
Mme Oddo-Deflou
Mme Héra Mirtel
Mme J.-E. Schmahl
Mme Séverine

Soit 26 membres de sexe masculin et 6 membres de sexe féminin.

Nous donnons ci-dessous la présentation de M. Octave Uzanne par Henri Coulon :

Peut-être pourrait-on dire que M. Octave Uzanne est l'homme d'un seul livre. Cette appréciation, du moins, ne lui déplairait pas, puisque, entre tous les ouvrages qu'il conçut, il en est un qu'il aime aveuglément, parce qu'il forme la synthèse de ses opuscules divers et qu'il représente, selon l'aveu même de son auteur, "une victoire de la volonté sur l'inertie d'un dégoût qui semblait invincible". Ce livre, c'est Son Altesse le femme (1885), et c'est "l'histoire psychologique de la femme française depuis le moyen âge jusqu'à l'heure présente."
Captivante histoire que M. Uzanne sut présenter, ainsi que nous l'allons voir, parée de tous ses attraits. Avant de la commencer, notre historiographe estima devoir "dire son fait" au public ; et il le lui dit, avec un courage et une vigueur rares, en une page hautaine, mordante et désabusée qui vaut d'être rappelée.
"Public ! Généralité inconstante, affolée, frivole, fugace et insaisissable ! Public !.. ainsi que l'écrivait Voltaire - montre énorme qui a tant d'oreilles et de langues, étant privé des yeux !
"Public que fouailla si ironiquement et si vertement Beaumarchais et qui fit que Chamfort se demanda de combien de sots peut bien se composer la totalité ... Pauvre public, foule vague et flottante, océan d'incertitude humaine au gré duquel se confient tant de naïves espérances, masse impersonnelle, à la fois benoîte et tyrannique, innocente et féroce, composée de débonnaires et bourgeoises individualités ; le proverbe n'est point mensonger affirmant que celui qui te courtise ou te sert peut, certes, se vanter d'avoir un mauvais maître."
Puis l'apostrophe reprend, plus violente encore :
"Public inconscient, toi qui fais les modes, les fortunes, les réputations, les gloires, aussi facilement que tu les subis, être hybride, en même temps mâle et femelle, qui donnes et reçois l'impulsion et dont la nature de courtisane montre toutes les provocations et toutes les viles passivités ; public, société anonyme, ridicule et lâche, qui, tour à tour, semblable au minotaure de Crète et aux moutons de Panurge, impose tes volontés farouches et meurtrières ou emboîtes le pas niaisement aux histrions de la réclame qui te captivent ; pitoyable public, toujours dupeur ou dupé, en défiance de la supériorité qui passe, nature de laquais devenu maître, tu donneras longtemps encore tête baissée dans tous les pièges de la sottise, dans tous les cloaques de la grossièreté, dans tous les bas-fonds de l'immondice, dans tous les faux talents de la charlatanerie, tant que les pitres et les banquistes déploieront sous ton mufle de bête délirante, les écarlates couleurs qui éveillent la brute ou le clinquant pailleté qui éblouit les alouettes."
Enfin, la péroraison, d'une émouvante sobriété, comme il convient : "Public, divinité vulgaire et méprisable qui mets le masque de l'opinion, je jette ce nouveau livre à ton amusement ou à ton dédain ; te sachant inconstant, je te brave, semblable à ces philosophes qui ne se soucient point de la fidélité de leur maîtresse et pensent que la confiance protège mieux la féauté que l'incertitude ou la jalousie ne la conservent. Je ne viens donc pas, en bonne foi, dans une humble préface, classique auteur à genoux, pour te demander grâce ... Je ne réclame ni indulgence ni pardon, ni cette ridicule bienveillance qui est l'extrême-onction morale que tu distribues aux faibles qui t'encensent. Il plaît à ma sincérité de te provoquer, de donner des coups d'épée dans le vide de ta raison sociale : Sottise et Cie, de faire feu, sinon balle dans ton esprit de corps immatériel, de fouetter l'air où flottent les fantasmagoriques outrecuidances et de me rebeller enfin contre ta puissance, faux Dieu qui éclipses le Veau d'Or ! - invisible moteur de la roue de la Fortune !"
La satirique ayant ainsi parlé laisse place à l'historien et au décorateur, unis chez M. Octave Uzanne en la plus harmonieuse collaboration. Le très fin et très averti bibliophile qu'est M. Uzanne, illustre, en effet, lui-même le texte de ses livres de gravures aquarellées d'un sentiment très artistique.
"J'ai rêvé, dit-il, à ce propos, de grouper en un même point l'art de concevoir, de traduire et d'imprimer une pensée à diverses dates et dans certains milieux de notre histoire littéraire et morale ; j'ai également apporté tous mes soins à l'illustration de chaque début de chapitre, espérant donner la sensation visuelle des frontispices de jadis, et faire à la fois l'éducation artistique, philologique et physiologique de quelques lecteurs qui aimeront à s'égarer dans ce panorama descriptif de nos moeurs nationales."
Voilà de bien bonnes raisons pour faire lire et voir : Son Altesse la Femme, ainsi que les autres ouvrages de M. Octave Uzanne, qui ne sont pas d'un intérêt moindre : La Française du siècle, le Miroir du monde, les Moeurs secrètes du XVIIIe siècle, les Ornements de la femme, le Paroissien du célibataire, Bric-à-Brac de l'amour, etc.

Suit l'opinion d'Octave Uzanne publiée dans le Gil Blas du 26 décembre 1905.

A suivre ...


Bertrand Hugonnard-Roche

(*) Henri Coulon et René de Chavagnes, Le Mariage et le Divorce de demain. Paris, E. Flammarion, s.d. (1908). Extraits cités pp. 72-75 et 191-195

1 commentaire:

  1. Amusant de savoir Pierre Louys siéger à la même table qu'Octave Uzanne ... L'opinion de Pierre Louys (avec le recul de ce que l'on sait ... n'est pas peu intéressante).

    B.

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