Pointe sèche originale par Rodolphe Piguet
pour le Menu du dîner du 28 mai 1892 des Bibliophiles contemporains,
Académie des Beaux Livres fondée par Octave Uzanne à la fin de l'année 1889.
250 x 185 mm (cuivre)
309 x 227 mm (feuille)
Impression en trois couleurs pour la pointe sèche (noir)
rehauts de couleurs au crayon (bleu et rose)
Impression du texte du menu en typographie (rose)
Collection Bertrand Hugonnard-Roche
(acquisition novembre 2012)
Le 28 mai 1892 était un samedi. C'est le jour qu'avaient choisi les Bibliophiles contemporains pour dîner ensemble et se réunir ensuite en assemblée générale, comme le voulait la coutume instaurée depuis la fondation de cette Société de Bibliophiles à la fin de l'année 1889 par Octave Uzanne, Président-Fondateur.
L'assemblée précédente avait eu lieu le 25 novembre 1891. Les convives se réunissaient à 9 heures et demie du soir, dans une des salles, au premier étage, du restaurant Marguery, à Paris, boulevard Bonne-Nouvelle.
On peut supposer que le dîner du 28 mai 1892 s'est déroulé dans les mêmes conditions et au même endroit. A noter que l'assemblée suivante eut lieu le 26 novembre 1892, au même endroit, dans les mêmes conditions.
Cependant, à y regarder de plus près, et ayant sous les yeux les deux volumes des annales administratives des Bibliophiles contemporains pour le second et troisième exercice (1891-1893), il n'est fait aucune mention d'une assemblée ou d'un dîner à cette date du 28 mai 1892. Doit-on en conclure que ce dîner a été finalement annulé ? reporté ? On l'ignore pour le moment.
Cette année 1892 fut une des plus chargées pour Uzanne. Il menait de front sa revue L'art et l'idée avec les publications en cours de réalisation pour les Bibliophiles contemporains. Au mois de mai 1892, ce sont les Contes Choisis de Maupassant qui doivent occuper une bonne partie de son temps. La publication de ces Contes Choisis ne sera effectivement achevée qu'en novembre 1892. Par ailleurs il commence à présenter, dans le courant de l'année 1892, aux membres de cette société, les premiers plans d'un ouvrage ambitieux : les Contes d'Haraucourt, L'Effort, La Madone, L'Antéchrist, qui verra finalement le jour en 1894 et marquera pour ainsi dire la fin des Bibliophiles contemporains. En lisant ces mêmes annales pour l'année 1892, on s'aperçoit qu'Octave Uzanne demande déjà à cette date à être remplacé à la Présidence de cette société. Il n'y parviendra pas, personne ne souhaitant prendre ce poste. Il restera encore, le temps de parachever les derniers ouvrages en chantier. "Nous devons reconnaître qu'il (Uzanne) n'a pu accomplir cette tâche qu'en nous sacrifiant son temps et ses peines. Puisse notre reconnaissance être un allègement à son dévouement en même temps qu'un encouragement à nous le continuer" ainsi s'exprime Alfred Piat, secrétaire-archiviste des Bibliophiles contemporains, lors de son rapport annuel (novembre 1892).
Pour revenir à ce dîner dont nous n'avons pas trouvé mention dans les annales, lisons l'hypothétique menu : Potages : Bisque et Saint-Germain. Hors d'oeuvre : Beurre, Radis, Crevettes, Concombres. Relevé : Truite saumonée, sauce Noisette et sauce Crevettes. Entrées : Selle de pré-salé aux pois paysanne. Rots : Poulardes truffées à la Périgourdine. Cannetons de Rouen au sang. Salade. Légumes : Asperges à la sauce et haricots verts au beurre. Entremets : Bombes glacées, Gaufres, Fromages, Fruits, Desserts. Vins : Bordeaux, Médoc, Chablis Moutonne, Saint-Julien vieux, Volnay (Hospice), Champagne Montebello. Café et liqueurs. Gageons que les convives furent bien calés ! repus même ! En général les dîners des Bibliophiles contemporains regroupaient une vingtaine à une trentaine de personnes, presque toujours les mêmes (Uzanne s'en plaint dans un courrier annexe). L'assemblée qui suit réunit en général moins d'une soixantaine de personnes, ce qui suffit généralement malgré tout à pouvoir faire voter les motions (dans la digestion générale...).
Il nous reste à trouver d'autres informations sur ce dîner du 28 mai 1892.
Concernant l'aspect artistique de ce menu. C'est sans doute le plus beau que nous avons eu l'occasion de voir. Gravé à la pointe sèche (cuivre) et imprimé en noir avec des rehauts de rose et de bleu, le texte du menu étant imprimé typographiquement en rose. Il est signé R. PIGUET pour Rodolphe Piguet.
Rodolphe Piguet, comme nous l'indique Henri Béraldi dans son ouvrages sur les graveurs du XIXe siècle, est un artiste d'origine Suisse, né à Genève en 1840, et qui "grave de belles pointes sèches" (op. cit. p. 280). Piguet avait notamment illustré un livre pour les Amis des Livres d'Eugène Paillet (Société de Bibliophiles concurrente à celle d'Uzanne mais dont la fondation est antérieure de plusieurs années) : Mariages de Paris d'Edmond About (1887) avec 52 illustrations d'après Piguet. Piguet s'était fixé à Paris. Il a donné de nombreux portraits, notamment des portraits de femmes, de mode.
Ce menu gravé pour les Bibliophiles contemporains est une franche réussite mêlant japonisme (masques, fleurs, etc), amour des livres, féminité (il y en eut pourtant si peu chez les Bibliophiles contemporains ...) et art décoratif (bibelots, livres, statuette, etc). Le tirage que nous avons sous les yeux est sur papier du Japon ancien et blanc. Les retouches de couleurs rose et bleu nous semblent faites à posteriori au crayon (par l'artiste ?). L'ensemble est très agréable à l'oeil et le tirage parfait.
Bertrand Hugonnard-Roche
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