mardi 24 septembre 2013

Léon Bloy « Délaissé, miséreux comme Job, ulcéré, sur le fumier de ses propres déjections [...] ». Octave Uzanne et le Mendiant ingrat, Visions de Notre Heure (7 mai 1898)


Page de titre du Mendiant ingrat de Léon Bloy
Bruxelles, Edmond Deman, 1898
Source Gallica
L'article ci-dessous se trouve dans le volume d'Octave Uzanne intitulé Visions de Notre Heure, Choses et Gens qui passent (Paris, H. Floury, 1899). Ce volume est la publication en volume de divers articles parus entre 1897 et 1898 dans l'Echo de Paris sous la signature énigmatique La Cagoule. Octave Uzanne est La Cagoule (il l'indique lui-même dans la préface du volume). Cet article devrait donc être retrouvé en Une de l'Echo de Paris, celui du vendredi 13 mai 1898 qui contient des chroniques datées du 29 avril au 10 mai. Or cette chronique assassine sur la dernière oeuvre publiée de Léon Bloy ne s'y trouve pas. Sans doute l'article n'a-t-il pas été retenu par l'Echo de Paris. A-t-il été jugé trop virulent ? Trop polémique ? Nous ne savons pas. Ce qui est certain, c'est qu'Octave Uzanne, lui, n'a pas omis de l'insérer dans son volume. Les Visions de Notre Heure n'a été imprimé qu'à 710 exemplaires. Léon Bloy a-t-il lu cet article si peu complaisant à son égard ?  On n'a certainement pas manqué, à l'époque, de lui faire savoir cet avis. Encore une fois nous ne savons pas.

Bertrand Hugonnard-Roche

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7 mai [1898]. - Le mendiant ingrat. - De Bruxelles me parvient ce livre d'un pamphlétaire qui s'avisa de vomir l'injure, à dégoût continu, sur la littérature de ce temps. - A ceux qui lui demandèrent réparation par les armes, il montra les poings, esquiva la poitrine et prodigua d'excrémentielles opprobres.
Délaissé, miséreux comme Job, ulcéré, sur le fumier de ses propres déjections, relégué dans un in pace de silence, l'ex-entrepreneur de démolitions s'insurge d'une fougue déjà plus éteinte, exhalant des cris indéniablement plus faibles, tendant vers la lumière son livre dans lequel nous en retrouvons plus que partiellement ce style catapultueux, ces épithètes cyclopéennes, cette véhémence pompeuse que Barbey d'Aurevilly comparait à de la ronde bosse peinte. Au début de son oeuvre d'impénitent Marchenoir a écrit :

Malheur à celui qui n'a pas mendié.
Il n'y a rien de plus grand que de mendier.
Dieu mendie, les Anges mendient. Les rois, les prophètes et les saints mendient.
Les morts mendient.
Tout ce qui est dans la gloire et dans la lumière mendie.
Pourquoi voudrait-on que je ne m'honorasse pas d'avoir été un mendiant, un mendiant ingrat ?

Pourquoi voudrait-on que je ne m'honorasse pas d'avoir été un mendiant et surtout un mendiant ingrat ? - Que nous importe que Bloy s'en honore ! Qu'est-ce que ce dernier ouvrage de l'auteur du Désespéré ? - Un journal de mendiant le long d'un chemin évidemment aride et douloureux, une série de notes de révolte, de vengeance et de volontaire espoir à chacune des marches d'un calvaire toujours plus escarpé et plus âpre, et aussi un autopanégyrisme d'un insolent orgueil, d'une indomptable et aveugle fierté.
De 1892 à 1895, celui que nous nommions naguère Bloy-le-noir, de Goncourtise sur les menus faits de sa vie de misère stagnante, dans le croupissement d'une personnalité combative qui s'exaspère de demeurer dans la moisissure du silence et des basses fosses sans issue. Lecture d'un goût vireux, opiacé, amer ; on regrette de ne pas trouver chez ce chrétien provocant plus d'abnégation, d'indulgence, d'oubli des injures et davantage de miséricorde. - Ah ! que l'ingratitude du mendiant gagnerait en beauté si on ne la sentait haineuse, féroce et si exclusivement faite d'orgueil blessé, d'individualité accaparante, de volonté toute dévouée à la perversité du mal et au désir de blesser les humbles, les doux, les désarmés qui le servirent avec dévotion.
Le Mendiant ingrat, le titre est heureux ; il eût été plus juste d'y ajouter en sous-titre : Voyage de Caïn Marchenoir autour de son Glorieux Nombril !


Octave Uzanne
Visions de Notre Heure,
7 mai1898

1 commentaire:

  1. Si en 1887, au moment de commenter le Désespéré Uzanne connait Bloy et estime le travail de Léon Bloy, en 1898 les choses ont changé, Uzanne n'a plus, semble-t-il toute l'estime qu'il pouvait avoir pour le travail de démolition de son confrère. Nous verrons bientôt pourquoi ...

    B.

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