mercredi 18 septembre 2013

« Enveloppé d’une cape, monoclé, Octave Uzanne s’asseyait à notre table, et il parlait. Il parlait bien, il abondait en anecdotes. Ses thèmes préférés étaient Jean Lorrain et Barbey d’Aurevilly […] » (André Billy, Les Beaux jours de Barbizon)



«  […] Il parlait bien, il abondait en anecdotes. Ses thèmes préférés étaient Jean Lorrain et Barbey d’Aurevilly […] »

André Billy

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« […] Le soir, après le dîner, apparaissait aux Charmettes[1] un écrivain dont le nom m’évoquait, bien avant que je le connusse, le Paris de l’époque antérieure, celui du Boulevard, du premier Echo de Paris et des chroniques à mots d’esprit. Enveloppé d’une cape, monoclé, Octave Uzanne s’asseyait à notre table, et il parlait. Il parlait bien, il abondait en anecdotes. Ses thèmes préférés étaient Jean Lorrain et Barbey d’Aurevilly, à qui François Coppée l’avait présenté à ses débuts et dont il avait gardé l’éblouissement.
Une autre marotte d’Uzanne était le célibat. Sans doute amassait-il alors des documents pour le Célibat et l’Amour[2] qu’il devait publier quelques années plus tard avec une préface de Remy de Gourmont. Quand je créai la collection Leurs Raisons[3], il m’écrivit pour se rappeler à mon souvenir et me proposer un petit livre qui se serait intitulé Pourquoi je suis célibataire[4].
Il mourut peu de temps après[5]. Je passe souvent devant la petite maison qu’il habitait rue Antoine Barye[6], et il est bien rare alors que je ne dédie pas une pensée à cet homme charmant qui savait tant de choses et qui a tant écrit sur les matières les plus disparates, avec le souci dominant de la femme et de l’amour. […] »

André Billy, Les beaux jours de Barbizon
Editions du Pavois, 1947, pp. 112-113




[1] L’hôtellerie des Charmettes était une des plus réputées de Barbizon. Joseph, le frère d’Octave Uzanne y venait loger régulièrement. Nous savons par sa correspondance privée avec son frère Joseph, qu’Octave Uzanne est à Barbizon de l'été à l’automne 1907 (juin à octobre) : « Cher Joseph,Je n’ai pas reçu ta lettre à Barbizon avant midi. Les postes barbizonniennes comme, tout, d’ailleurs, en ce pays reste à demi sauvage (ce qui en fait le charme) fonctionnant plutôt déplorablement. […] Quelle différence de température [Auxerre] avec ce bon Barbizon si bien protégé qu’en hiver même il y fait doux et sec. Et quel air à Barbizon – on ne peut trouver mieux – Rien ne le souille, tout le parfume. […] Paris m’ennuie et me fatigue, sans utilité – J’arriverai bien un jour à régler ma vie selon mes idées et la pratique de ma sagesse. En attendant j’ai trouvé l’idéal à Barbizon. Pour 5 f. par jour […] pour la Pentecôte tout est loué à Barbizon et partout, aux alentours de Paris » (lettre datée d’Auxerre le 27 avril 1907). Octave Uzanne s’installe donc aux Pleiades, pension de Mme Delhomme. Le premier juillet, il écrit à son frère : « Hier le dimanche barbizonien fut marécageux et la forêt fut tout le jour inhospitalière, car le ciel s’arrêta peu de sanglotter et, sauf les promenades au village, je ne m’aventurai point sous les futaies toujours si accueillantes et protectrices. » Le 28 juillet il écrit à son frère : « Toujours heureux dans mon petit nid. Barbizon est comble et je ne m’en aperçois guère. Il y a les Ernest-Charles, femmes et filles aux Charmettes, mais je ne les vois que modérément, ainsi que les autres personnages que j’ai pu connaître et qui se sont présentés à moi. Je deviens de plus en plus solitaire et ceux que je vois et écoutent, me semblent le plus souvent si vides, si vaniteux, si dépourvus d’intérêt que je ne suis guère sollicité de fuir ma propre compagnie. Il fait chaud, orageux, mais la forêt est fraîche et ma demeure aussi, loin de la grande rue, des parisiens, des hôtels, etc. Pas de poussière ni d’autos. » et encore le 4 août : « Quant à quitter Barbizon pour des eaux quelconques … Horreur ! En ce mois d’août !! Je n’estime pas ma vie monotone, loin de là ; je savoure sa quiétude et ne m’en lasse ni m’en ennuie. D’autre part, je la juge très saine, en air parfait, loin des bruits et des poussières et des humidités. La vue seule des Charmettes en fête, jouant au genre balnéaire, suffirait à me détourner l’imagination de vagabondage. L’exercice pondère mes états neurasthéniques […] » Il fête son anniversaire à Barbizon le 14 septembre, il écrit toujours au même : « Mon anniversaire très touchant ici – messe intime à la chapelle de Barbizon par le curé de Chailly, charmant homme, Retté y assistait et aussi la vieille damoiselle [Mlle de Santeuil] de 83 ans dont je t’ai parlé et dont on plaisantait la virginité. » Le 27 septembre, il écrit à son frère : « J’espère que ce sera bien et que, dès que Barbizon et la forêt seront rendus ce qu’ils sont sans étrangers, je jouirai doublement de mon séjour ici. Je compte, à vrai dire, sur l’automne et ses beautés forestières, ses temps gris, plus agréables que ces ciels encore ardents de septembre. » Il quitte Barbizon le 7 novembre 1907 pour Paris. Il hivernera ensuite à Saint-Raphaël (Var).
[2] Le Célibat et l’Amour, Traité de vie passionnelle et de dilection féminine, avec une préface par Remy de Gourmont, parait au Mercure de France le 20 mai 1912. André Billy se trompe en disant qu’Uzanne rassemblait alors du matériel pour écrire ce livre, car en réalité ce livre était écrit depuis fort longtemps puisqu’il avait été publié avec d’infimes variantes dès 1890 (Paris, A. Quantin). Preuve, encore une fois, que l’œuvre d’Uzanne est très mal connue des générations d’après 1900.
[3] 1928
[4] Cet ouvrage a-t-il été écrit ? terminé ? existe-t-il quelque part à l’état de manuscrit ?
[5] 31 octobre 1931
[6] Nous n’avions pas connaissance de cette adresse d’Uzanne à Barbizon. La pension Les Pleiades est Grande Rue, la rue Antoine Barye est non loin. La rencontre entre Uzanne et André Billy n’a donc pas eu lieu en 1907, mais bien entre 1908 et 1910 ( ?) si l’on se réfère au mot : « qu’il devait publier quelques années plus tard ».

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