lundi 9 septembre 2013

Aubrey Beardsley, portrait après décès par Octave Uzanne (26 mars 1898) "C'est un grand artiste anglais qui vient de s'éteindre, phtisique, à peine âgé de vingt-quatre ans"



Voici un joli témoignage d'enthousiasme artistique de la part d'Octave Uzanne pour la mémoire et l'oeuvre de l'artiste anglais Aubrey Beardsley (1872-1898). Cette courte chronique fut tout d'abord publiée dans l'Echo de Paris au mois de mars 1898, puis repris en volume par la Cagoule (Octave Uzanne) dans Visions de Notre Heure l'année suivante.
Cet art tout en noir et blanc, au trait, moitié étrange et onirique, largement teinté d'érotisme à l'antique, était la marque reconnaissable entre toutes de son travail d'artiste. Une originalité profonde qui fait encore aujourd'hui d'Aubrey Beardsley un artiste moderne et très admiré.
Octave Uzanne et Aubrey Beardsley échangèrent plusieurs lettres conservées par les universités de Princeton et d'Oxford. Une lettre datée du 31 mai 1897 dans laquelle Beardsley écrit à Uzanne au sujet d'un livre qu'il devait illustrer pour Uzanne (Themidore - livre qui ne vit jamais le jour). Uzanne devait lui montrer un exemplaire de La Bonne Chanson de Verlaine (édition de 1870). Il y a une lettre datée du 15 juin 1897 (il écrit à Uzanne qu'il n'illustrera pas Themidore), une autre du 19 août 1897 (il écrit à Uzanne qu'il passera l'été à Dieppe pour revenir à Paris à l'automne - il lui par d'illustrations pour Casanova (jamais réalisées) - il ira sans doute à Venise avant l'hiver). Par ailleurs, dans une lettre adressée à André Raffalovich, Beardsley indique qu'Uzanne lui a indiqué l'Egypte comme un lieu de villégiature extraordinaire et très bon marché. Uzanne devait lui fournir des adresses. On comprend dès lors l'affliction d'Octave Uzanne qui avait été en contact très récent avec cet artiste sensible.

Bertrand Hugonnard-Roche


Aubrey Beardsley (1872-1898)
Photographie Frederick H. Evans
Vers 1895 
26 mars [1898]. - Aubrey-Beardsley (*). - C'est un grand artiste anglais qui vient de s'éteindre, phtisique, à peine âgé de vingt-quatre ans, sous le soleil de Menton. Tout le clan de la nouvelle esthétique en Angleterre sentira cruellement le deuil qui le frappe.
Aubrey-Beardsley fut un des plus prodigieux exemples de la prématurité d'art instinctif qu'il ait été permis d'enregistrer.

A quinze ans, sans professeur, sans direction, il se révélait illustrateur de premier ordre. Son dessin net, vigoureux, précis, déroutait, inquiétait, passionnait par son extravagante originalité de conception et de facture les vétérans de l'art contemporain. On y retrouvait, avec un véritable malaise d'analyse, les styles grecs, persans, hindous, arabes, les visions du quinzième siècle, les grâces de notre dix-huitième, tout cela mêlé à des procédés vaguement tonkinois, à des reconstitutions de pantalonnades italiennes, à de somptueuses décorations dans le goût des premiers xylographes.


A chacune de ses oeuvres nouvelles, tous les amateurs de Londres tombaient en émoi ; à Paris, Beardsley avait ses fidèles admirateurs et aussi ses élèves, ou plutôt ses plagiaires, à un âge où l'on tâte encore le chemin. Ses eaux-fortes et vignettes pour la (sic) Morte d'Arthur sont des chefs-d'oeuvre ; il y faisait revivre avec un maniérisme exquis le cycle de la table ronde ; ses dessins pour la Salomé d'Oscar Wilde, ceux de la revue The Savoye (sic) et du Yellow-Book ont été les points de départ de toute une nouvelle école de noir et blanc. C'est un véritable maître qui disparaît.
Aubrey-Beardsley adorait Paris ; il était venu s'y fixer le dernier printemps sur le quai Voltaire, avant d'aller villégiaturer à Saint-Germain.


Grand, maigre, diaphane, avec des yeux démesurés, des oreilles décollées, des cheveux rares, il était impressionnant à voir. - Au travers de sa chemise de lumière - comme disent les mages - on lisait la brièveté de sa destinée. Il aura du moins en sa précocité connu et peut-être apprécié tous les avantages des succès immédiats.

OCTAVE UZANNE
Visions de Notre Heure, Choses et Gens qui passent
Paris, H. Floury, 1899




(*) Aubrey Vincent Beardsley est né le 21 août 1872 à Brighton et mort le 15 mars 1898 à Menton.


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