lundi 2 septembre 2013

Albert Mérat (1840-1909), poète parnassien oublié. Envoi autographe à Joseph Uzanne. Eléments biographiques.


Envoi autographe d'Albert Mérat à Joseph Uzanne
sur Petit Poème (1903)
La découverte d'un envoi autographe du poète Albert Mérat à Joseph Uzanne nous donne l'occasion de revenir sur la biographie de cet oublié du Parnasse de la fin du XIXe siècle. 
Cet envoi se trouve sur le feuillet de faux-titre d'un exemplaire de Petit Poème, publié en 1903 à Paris par la Société d'impression et d'édition L. Boyer, rue Monsieur-le-Prince. C'est un petit volume de format in-12 de 40 pages seulement. L'exemplaire en question est imprimé sur papier vert, sans justification de tirage. Joseph Uzanne a fait relié ensemble trois exemplaires de ce petit ouvrage. Le premier est imprimé sur papier vert (celui avec l'envoi), le second est imprimé sur papier vélin crème, tandis que le troisième est imprimé sur papier rose. Les couvertures sont conservées pour les trois exemplaires et le papier utilisé est différent. A noter une particularité : il a été placé en tête du premier exemplaire (papier vert), un feuillet (carton) imprimé sur papier ordinaire (bruni et cassant) qui contient uniquement la première strophe de quatre vers du poème. Il s'agit vraisemblablement d'une version censurée (refusée) car sans doute jugée trop libre.
Ce poème raconte les tourments d'un homme épris d'une prostituée, une "chair impure". Ce long poème est entièrement consacré à la femme prostituée qui affole les sens. Les sens du narrateur mené malgré une résistance vaine à une perdition certaine. Est-ce l'histoire intime d'Albert Mérat ? Ce poème est resté méconnu des biographes et bibliographes qui se sont penchés sur l'oeuvre du poète parnassien.
"à Joseph Uzanne son vieil ami Albert Mérat" tel est l'envoi autographe. A quelle époque Joseph Uzanne connait-il Albert Mérat ? Probablement depuis vingt ou trente ans ans si l'on se réfère au "vieil ami" qui signifie peut-être une amitié très ancienne, soit vers les années 1870-1875. Octave Uzanne connait Albert Mérat vraisemblablement vers les mêmes dates comme le prouve des exemplaires des premières œuvres avec envoi qu'il possède également.
Nous donnons ci-dessous plusieurs articles intéressants la vie et l'oeuvre d'Albert Mérat, en relation avec les frères Uzanne. La notice consacrée à Albert Mérat par Joseph Uzanne cette même année 1903 pour l'Album Mariani. Un article du Petit Parisien du dimanche 17 janvier 1909, lendemain du suicide par arme à feu d'Albert Mérat devenu "neurasthénique". La notice consacrée par Octave Uzanne dans le catalogue de sa vente de livre en mars 1894 aux éditions originales avec envois qu'il possède.
Nous n'avons pas trouvé d'articles rédigés par l'un ou l'autre frère Uzanne sur la mort tragique d'Albert Mérat.
Il ne reste plus aujourd'hui de Mérat que la faible trace de l'anecdote sur la parodie zutiste par Verlaine et Rimbaud, alors proches du poète, du sonnet du recueil l'Idole (Sonnet du trou du cul).


Bertrand Hugonnard-Roche

*  *  *

Voici la notice consacrée à Albert Mérat et rédigée par Joseph Uzanne pour les Figures contemporaines tirées de l'Album Mariani, huitième volume, 1903 (achevé d'imprimer le 30 mai 1903) :

Albert Mérat (1840-1909)
gravure d'après photo pour l'Album Mariani de 1903
"C'est dans le cadre de ce clair Luxembourg, aimé de Rubens et de Watteau, vis-à-vis la belle fontaine Marie de Médicis, à l'un des étages les mieux situés au Palais de Jacques de Brosse qu'habite Albert Mérat. Charmant logis de poète ! Les pinsons et les ramiers y viennent voleter et roucouler près des fenêtres et l'oeil enchanté aperçoit, derrière les pelouses et les bosquets, les bustes enguirlandés de Murger et de Banville. - Albert Mérat, l'un des poètes les plus doués de l'école Parnassienne, a succédé au Sénat, à la belle suite des bibliothécaires : François Coppée, Anatole France, Leconte de Lisle, Lacaussade, Rastibonne ! C'est dire quelle tradition Albert Mérat poursuit dans le sévère palais hanté encore, à certaines heures, des ombres gracieuses de Segrais et de Mademoiselle.
De la génération abondante et si talentueuse des Mendès, des Silvestre, des Hérédia, des Soulary, etc., l'écrivain adorable d'Au fil de l'eau et des Poèmes de Paris débuta dans les lettres, vers 1863, en publiant, avec le regretté Léon Valade Avril, Mai, Juin, un recueil printanier de poésies. A peine avait-il vingt-six ans, à peu près au temps où Sully Prudhomme publiait Stances et Poèmes et François Coppée son Reliquaire, qu'Albert Mérat s'affirmait, avec un volume nouveau : Les Chimères que l'Académie couronnait et que Sainte-Beuve, au déclin d'une glorieuse vieillesse, apprécia publiquement comme il convenait.
Poète de la femme, Albert Mérat l'a délicieusement chantée dans L'Idole, les Souvenirs, l'Adieu, Chansons et Madrigaux. Les Ville de Marbre puisent leur noble inspiration à tous les beaux souvenirs de la vieille Italie. Ce n'est pas seulement, comme on a voulu le dire, en rêvant sous les Fenêtres fleuries parisiennes mais encore en promenant ses méditations dans les beaux jardins Boboli de Florence ou les bosquets odorants de Rome que le poète a trouvé le secret de ces vers musicaux, où semble bruire le chant de la cigale antique. Ah ! le joli itinéraire qu'accomplit, dans les Villes de marbre, au pays de Virgile, d'Horace et de Boccace, M. Albert Mérat. Venise, Naples, Rome le charment et le retiennent. "A Venise, dit M. Emmanuel des Essarts qui l'a si bien compris, ce sont les marbres roses, les vierges peintes, les chevaux de St-Marc et la teinte verte des ciels qu'il reproduit excellemment. A Rome, les fontaines le charment, le Mercure du Vatican le ravit... Florence est peut-être sa plus délicate inspiratrice. C'est le paysage toscan, c'est le flot de l'Arno, c'est le vieu palais plein de Dante qui lui dictent des pages d'une couleur parfaite et d'une adorable harmonie." Mais ne le retiennent pas toujours les sites de la campagne romaine, la baie napolitaine, le ciel si pur de Venise. Ce petit-fils de Ronsard et de Belleau porte au coeur les souvenirs familiers de Paris et de l'Ile de France. Comme Montaigne, il pourrait dire sans se parjurer : "J'aime bien ma ville." Il l'aime, en effet, sous les aspects les plus divers de ses quartiers, avec un cœur filial et attendri. Il en célèbre les rues et les maisons, les jardins pleins d'oiseaux et d'enfants, les promeneuses et les passantes. Les sites de la banlieue l'attirent comme ils attirèrent le Musset de Mimi-Pinson, le Victor Hugo des Chansons des rues et des bois. "Mieux qu'aucun autre, dit M. Catulle-Mendès, Albert Mérat célèbre cette nature si spirituellement artificielle ; il dit tous les mystères à deux voix qui chuchotent sous les cerisiers de Montmorency ; il sait voir le côté d'élégance et de poésie des dimanches à la campagne et grâce à son art tout à fait charmant, les Asnières et les Meudon qu'il célèbre sont dignes d'une oaristys."
Ainsi le prouvent : Printemps passé, Poèmes de Paris, Au Fil de l'eau, Triolets des Parisiennes de Paris, Camées parisiens et toutes autres oeuvres ingénues, si fraîches, si piquantes, d'une force de jeunesse souple et durable.
L'oeuvre d'Albert Mérat restera ; elle a sa place marquée dans les anthologies des meilleures poésies de la seconde moitié du XIXe siècle.
Le poète, au demeurant, est doublé d'un causeur avisé, plein de verve et d'esprit, c'est un ami affable et sûr, se réjouissant du succès des autres et dont la vie littéraire est toute entière d'une haute et irréprochable tenue. Sa muse, comme celle de Léon Dierx, à qui nous pouvons le comparer pour la bonté du cœur et pour la beauté de l'oeuvre, vibre éternellement à toutes les formes de l'Art. "Aile et ramage de fauvette", comme a dit d'elle un poète.

[Joseph Uzanne]

MERAT (Albert), poète français, né à Troyes, le 23 mars 1840. Débute en 1863, par un volume de sonnets, Avril, Mai, Juin, en collaboration avec Léon Valade, avec qui il devait, quelques années plus tard, donner une traduction de l'Intermezzo, de Heine. Attaché aux bureaux de la Présidence du Sénat où il occupa, successivement, les postes de sécrétaire, de sous-chef, enfin de bibliothécaire, M. Albert Mérat n'a cessé de publier une série de volumes remarquables : Les Chimères, qui obtinrent, à l'Académie Française, le prix Maillé Latour Landry (1866) ; l'Idole, sonnets (1869) ; Les Souvenirs, sonnets (1872) ; L'Adieu (1873) ; Les Villes de Marbre, poésies couronnées par l'Académie Française (1873) ; Printemps passé, poèmes parisiens (1874) ; Le Petit Salon en vers (1876-1877) ; Au fil de l'eau, poésies (1877) ; Poèmes de Paris (1889) ; Vers le Soir, les joies de l'heure (1902) ; Chansons et Madrigaux (chansons, madrigaux, camées parisiens (1902) ; Poésies complètes : Les Chimères, l'Idole, les Souvenirs, les Villes de marbre. Vers oubliés pour paraître incessamment. Ensuite viendront : Epigrammes où la verve satirique du poète se révèlera et étonnera, Triolets, Petites pièces. Pour les lettres.
M. Albert Mérat est chevalier de la Légion d'Honneur.


[Joseph Uzanne]

*  *  *


SUICIDE DU SOUS-BIBLIOTHÉCAIRE DU SÉNAT.
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Dans un accès de neurasthénie
M. Mérat se brûle la cervelle
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C'est la nuit dernière que le poète des "Chimères" a mis fin à ses jours.
Depuis quelque temps, il avait manifesté son dégoût de la vie.


Une triste nouvelle nous est parvenue hier : M. Albert Mérat, sous-bibliothécaire du Sénat et poète de talent, s'est suicidé la nuit dernière.
Célibataire, il vivait seul et habitait, depuis de nombreuses années, un petit pavillon situé 3, rue de la Sablière, près du parc Montsouris. Il avait meublé modestement, mais avec un goût parfait, ses appartements, et y avait réuni une magnifique collection de tableaux et de dessins. Indépendamment d'une bibliothèque des mieux fournies et des plus riches, il possédait des sculptures de réelle valeur. Longtemps il avait paru se complaire dans cet intérieur d'artiste. M. Mérat comptait de nombreuses relations parmi les lettrés. Il était, notamment, très lié avec M. Léon Dierx, le prince des poètes.
Cependant, depuis quelques semaines, le caractère de M. Mérat avait changé. Il était devenu taciturne. La neurasthénie l'eut bientôt envahi au point que son état donna des inquiétudes à son entourage. Il parlait fréquemment de son dégoût de la vie et de son désir d'y mettre un terme. On apprit enfin qu'il avait acheté un revolver !
Il y a quelques jours, ses amis le décidèrent à entrer dans une maison de santé, et il devint le pensionnaire des frères de Saint Jean-de-Dieu. Mais il ne demeura pas longtemps chez eux.
Au bout de quatre jours, il quitta l'établissement de la rue Oudinot, en disant :
- Il est inutile que je reste davantage dans cette maison, puisque je ne suis pas malade.
Son premier soin fut de se procurer un nouveau revolver - une arme de petit calibre, chargée de balles blindées.
Hier matin, quand sa femme de ménage pénètre, comme de coutume, vers neuf heures, dans l'appartement, pour prendre son service, elle trouva le malheureux sous-bibliothécaire du Sénat étendu sur le tapis de la chambre à coucher. Le cadavre était déjà froid.
Dans sa main crispée, M. Mérat serrait encore l'arme dont il s'était servi pour se brûler la cervelle. De la tempe droite s'était échappé un filet de sang, maintenant coagulé. Le visage était calme. Le défunt ne semblait pas avoir souffert.
Deux nièces, Mlles Verdier, 9, rue des Dames, étaient les seules parentes du défunt. Elles ont été avisées de la mort tragique de M. Mérat, dans l'après-midi, par les soins de M. Baissac, commissaire du quartier, qui avait procédé aux constatations.


L'OEUVRE DU POÈTE

Né à Troyes en 1838 (i.e. 1840), M. Mérat fut quelque temps employé à la préfecture de la Seine, puis devint secrétaire d'une des commissions permanentes du Sénat. Sous-chef au secrétariat de la présidence le 25 mai 1892, il fut décoré de la Légion d'honneur le 31 décembre 1887.
Il publia : Avril, Mai, Juin, recueil de sonnets d'une facture élégante et inspirés par un sentiment délicat (1863) ; les Chimères, poésies (1866) ; l'Idole (1869) ; les Villes de marbre, poèmes qui ont pour objet les principales villes d'Italie (1869) ; les Souvenirs, poésies (1872) ; le Petit salon (1876) ; Au fil de l'eau (1877) ; Poèmes de Paris, Parisiennes, Tableaux et Paysages (1880). En collaboration avec M. Léon Valade, il traduisit l'Intermezzo d'Henri Heine (1868) et partagea, avec M. Edouard Plouvier, le prix Lambert, décerné par l'Académie Française.
C'est surtout dans la composition de tableaux de mœurs ou de petits paysages parisiens que le poète excellait. Tour à tour aimable et narquois, ses œuvres dégageaient un sincère sentiment d'optimisme. Rien, dans aucune d'elles, n'eût pu laisser prévoir la fin tragique de leur auteur.
"Il est sincère, voit juste et dit bien, a écrit Anatole France à propos de ce poète. Ses petits tableaux, ajoute-t-il, sont traités franchement. Certains y voudraient un fini, un poli qui n'y est pas. Pour moi, j'aime ce goût un peu négligé et cette franchise qu'il a toujours gardés. Il y a du Millet en lui."
Dans la soirée, vers cinq heures, le juge de paix de l'arrondissement a apposé les scellés chez le sous-bibliothécaire du Sénat.
La date des obsèques n'a pas encore été fixée.


[Le Petit Parisien - Dimanche 17 janvier 1909]

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303. Mérat (Alb.) Les Chimères, Paris, Achille Faure, 1 vol. in-12, 1866. - Intermezzo, poème, Lemerre, 1868, in-12, papier jaune. - L'Idole, Paris, 1869. - Les villes de marbre (le titre manque ex. sur chine). Lemerre, 1873. - Les Souvenirs, Paris, in-16, 1872. - L'adieu, Paris, Lemerre, 1873, in-16. Ex. sur papier de Chine. Ensemble 6 vol. bien reliés, la plupart avec 1/2 reliure mar. coins.

Editions originales, avec les couvertures. Envois autographes.

Mérat est un des plus exquis parnassiens de la génération de 1869. Son livre des Chimères restera longtemps apprécié par tous les amoureux de l'élégante poésie vibrante, émue et pittoresque, opposée à l'école des impassibles. De même, le livre de l'Idole, dont les chants d'amour sont empreints d'une passion douloureuse qu'embellit encore la forme poétique dont elle est revêtue. Toutes ces éditions sont rares autant que peuvent l'être des livres de poésies.


[Octave Uzanne, Livres contemporains d'un écrivain bibliophile - Octave Uzanne -
Paris, Durel, mars 1894.
Ce lot a été adjugé 11 francs.]

A noter également : Poèmes de Paris, Parisiennes. Tableaux et paysages parisiens, par Albert Mérat. 1 vol. Paris, chez Lemerre, éditeur. [compte rendu élogieux non signé (probablement par O. Uzanne) dans Le Livre, livraison du 10 juin 1880].

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