vendredi 2 août 2013

Octave Uzanne et les plumitifs de la presse quotidienne (16 juin 1919).



62, Bd de Versailles St-Cloud-Montretout (S&O)


Ce 16. VI 19. (16 juin 1919)

Mon cher ami,

M’étant présenté à la maison des journalistes, j’ai du fournir, en hâte, les noms de deux témoins ; je me suis permis de joindre le vôtre à celui d’un autre camarade de plume – je tiens à vous le dire, n’ayant pu m’autoriser de vous-même. Je crois, d’après ce qui me fut dit, qu’on est assez grincheux dans cette maison, vis-à-vis des gens de lettres qui se présentent et qu’on réserve le meilleur accueil aux simples plumitifs de la presse quotidienne. J’ai toutefois pris votre patronnage (sic) si indépendant, si littéraire, si inféodé à la haute critique et au livre. Je ne me blesserais pas d’un refus. Tout arrive aux vieux de la vieille dont je suis. Croyez moi bien affectueusement votre,

Octave Uzanne




Cette carte-lettre conserve une bonne part de mystère. De quoi est-il question lorsqu'il évoque "les noms de deux témoins" qu'il devait fournir à la maison des journalistes ? Quel est ce correspondant mystérieux dont Uzanne réclame "le patronage si indépendant, si littéraire, si inféodé à la haute critique et au livre" ? Un critique littéraire certainement, mais qui ? Qu'est-ce exactement que de cette Maison des journalistes ? Nous y reviendrons prochainement.

Octave Uzanne aimait à employer ce terme de plumitif à l'égard des journalistes. Il écrit dans Barbey d’Aurévilly (Paris, A la Cité des Livres, 1927) : "Les petits plumitifs de la presse boulevardière qui, pour la plupart, ignoraient son oeuvre ou ne la pouvaient comprendre, s’amusaient de cette vision d’un vieux beau portrait d’ancêtre sorti de son cadre. En grande majorité, ils s’évertuèrent au cours de sa vie, à faire de la personne de cet écrivain hors de pair une effigie de fantoche extravagant, dont l’allure don-quichottesque méritait d’être bardée de ridicule et s’offrait non moins risible que le costume désuet et le maintien hautain."


Bertrand Hugonnard-Roche

1 commentaire:

  1. Comme j'enseigne (entre autres) l'histoire du journalisme je pense qu'Uzanne s'est présenté auprès d'une des associations professionnelles de journalistes (ce qu'il appelle "la maison des journalistes") pour en devenir membre (je ne sais pas quels avantages exacts en étaient retirés à l'époque, la carte de presse ne datant que de 1935). Même si c'est un peu tardif dans le cas du message d'Uzanne, depuis la toute fin du 19ème monte une revendication de professionnalisme au sein du monde de la presse. Auparavant les journaux étaient essentiellement peuplés d'écrivains. Avec la loi de 1881 la presse explose en termes de tirages et de nombre de personnes vivant du journalisme. Les associations professionnelles se créent et visent à écarter les "amateurs" pour qui le journalisme n'est qu'une activité parmi d'autres (écrivains mais surtout fonctionnaires et militaires). D'où les deux témoins de "moralité" qu'a dû mobiliser Uzanne, vraisemblablement pour adhérer.
    Par ailleurs les critiques croisées entre écrivains et journalistes sont un classique de la période. Les premiers reprochant aux seconds de ne pas savoir écrire, les seconds reprochant aux premiers de bien écrire mais pour ne rien dire. C'est le moment où les journalistes revendiquent de ne plus se distinguer par leurs qualités stylistiques mais par ce qu'ils produisent : l'information.

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