mardi 26 mars 2013

Octave Uzanne chez les Spartiates - « Les Spartiates de Paris » par Arsène Houssaye.


Arsène Houssaye (1814-1896)
Président des Spartiates


Octave Uzanne faisait partie du petit cénacle des Spartiates. Qui étaient-ils ?

Voici l'historique des Spartiates par Arsène Houssaye publié dans le tome cinquième de ses Confessions :

Les Spartiates de Paris

Faute de grandes dames pour réunir à sa table la belle compagnie littéraire et artistique panachée d'ambassadeurs, de ministres et de généraux, je créai la petite académie des Spartiates.
On a beaucoup parlé du dîner des Spartiates, dont on m'a donné la présidence, parce que je m'entends au brouet noir.
Cette année, quand Lord Lytton, un des nôtres, revint en France à titre d'ambassadeur, je lui écrivis que nous voulions commencer 1888 sous ses auspices. Il me répondit ainsi :

Ambassade d'Angleterre

Ce samedi soir.

Mon cher roi de Sparte,

La gracieuse salutation dont je viens d'être honoré de la part de Votre Majesté a bien réjoui le coeur de votre exilé.
Je ne suis arrivé ici qu'en particulier pour installer ma famille, et je repars demain matin, pour prendre congé de la Reine ; mais je compte être de retour le jour de l'an. Il me tarde de rejoindre mes compatriotes dans votre beau pays, et je prends pour témoin les dieux tutélaires de votre Sparte. Vous savez que, depuis treize ans, je suis resté votre sujet fidèle,

LYTTON.

Les armes de lord Lytton : couronne de marquis, portent cette devise : Hoc virtutis opus.
Le 17 janvier, le Figaro et le Gaulois publiaient notre histoire :
« Hier, les Spartiates de Paris ont donné, au Lion d'Or, un festin au brouet noir à leur fidèle Spartiate lord Lytton, ambassadeur d'Angleterre, qui est de la confrérie depuis quinze ans. Quand il était vice-roi des Indes, il envoyait tous les ans son toast à ses chers Spartiates. Mais donnons la parole à l'ancien président, l'historien du 41e Fauteuil de l'Académie française. Voici comment, hier, il a fait en quelques mots l'historique de ce fameux dîner :
« Après avoir porté à Lord Lytton un toast très chaleureux, il s'est fait ainsi l'historiographe des Spartiates :
« En 1869, à la veille des révolutions plus ou moins sociales, déjà nous songions à serrer les rangs, nous autres, pour qui les joies de l'esprit et des lèvres sont la seule ambition, et nous avons créé, Théophile Gautier, Paul de Saint-Victor et moi, le dîner des Spartiates. On m'en donna la présidence, parce qu'on disait - dans ce temps là - que je portais bonheur (je n'ai pas l'orgueil de me comparer au cochon porte-veine). Le bibliophile Jacob, le duc de Persigny, Edmond de Goncourt, le comte Nigra, Henry Houssaye, Paul Baudry, le duc d'Acquaviva, voulurent être de la fête. Mal dîner cela les changeait.
« Il nous vint bientôt d'autres convives : Gaston Jollivet, le comte de Laferrière, Raoul Duval, du Boisgobey, Banville, Coppée, Dupray, Valfrey, Molinari, le général Read, le prince Galitzine, le général Schmitz, Ziem, pour finir par la dernière lettre de l'alphabet.
« Nous avions déjà deux ambassadeurs : Nigra et Read, quand Lord Lytton, vice-roi des Indes, voulut, pour changer son menu, prendre place à notre table. Nous élûmes ensuite Ferdinand de Lesseps, Dumas, Magnard, Jules Clarétie, Gaston Bérardi, Octave Uzanne, de Lescure, Albéric Second, le prince Stirbey, P. Gille, Meilhac, du Sommerard, Paul Perret, Monselet, Hérédia, Mitchell, José Paz et Bardoux, ci-devant ministre des lettres et des arts. Il y a aussi des absents : Lafayette, le marquis de Rougé, le baron de Heeckeren, Qui encore ? Madrazzo, si je me souviens bien.
« Par malheur, il y a des absents qui ne reviendront pas.
« Tous les jours au 41e régiment d'infanterie, à l'appel du matin, on ne manque jamais d'évoquer la figure de La Tour-d'Auvergne. Le sous-officier de semaine répond : « Mort au champ d'honneur. » Tradition sublime !
« Pourquoi ne ferais-je pas ici l'appel des soldats de la pensée, de nos amis les Spartiates qui sont morts au champ de gloire ? Théophile Gautier, Persigny, Paul de Saint-Victor, du Sommerard, le bibliophile Jacob, Albéric Second, Raoul Duval, Paul Baudry, Monselet et le duc d'Acquaviva.
« Tous ces noms, dignes du Livre d'or de l'Amitié, prouvent que, si les alouettes rôties manquaient quelquefois à notre table, l'esprit courait sur la nappe. C'a été, en effet, une encyclopédie vivante. Nous  nous sommes toujours placés au-dessus de toutes les politiques et de toutes les écoles, parce qu'il n'est pas un seul d'entre nous qui n'eût le haut scepticisme du dédain pour tout ce qui n'est pas l'éternelle vérité, c'est-à-dire la raison armée d'esprit.
« Cette académie des Spartiates a été créée, comme toutes les belles choses, sans préméditation. Dieu n'avait prémédité ni la vigne, ni la rose, ni la femme. On a mis en gerbes des amitiés franches comme le blé. Dans chaque génération, les esprits fraternels s'appellent les uns les autres, quels que soient le devoir, le travail, l’aspiration contraires. L'harmonie se fait par les oppositions. Nous sommes soldats et poètes, artistes et rêveurs, historiens et hommes d'état ; nous sommes un monde et non une secte ; nous touchons à tout.
« Et nous représentons tout, vraie synthèse de l'homme libre et vaillant. Ce nom de Spartiates, nous le méritons par notre mépris des préjugés, notre dédain des vanités - et surtout par la frugalité de notre dîner. - Cueillir l'heure, c'est la sagesse quand l'heure est charmante et que le brouet n'est pas trop noir.
« Les anciennes académies ont trop psalmodié le dialogue des morts.
« Savez-vous pourquoi ces académies sont tristes ? C'est parce qu'on n'y dîne pas.
« Ce qui fait la force de l'académie des Spartiates, c'est qu'elle ne siège qu'à table. Sa fourchette, c'est sa plume. Elle ne prononce pas d'oraisons funèbres, parce que ceux des siens qui tombent sur le champ de bataille de la vie se relèvent plus vivants dans le pays des âmes, qu'il ne faut pas confondre avec le pays des ombres.
« Nous voulons tous porter un toast à Lytton, non pas seulement parce qu'il a été vice-roi des Indes et qu'il est ambassadeur d'Angleterre, mais aussi, mais surtout parce que ce rare esprit, fils de Bulwer, ce grand cousin de lord Byron, est un des meilleurs écrivains de l'Angleterre de par la poésie, l'imagination, l'ironie et l'humour.
« Lord Lytton n'a-t-il pas créé toute une comédie humaine par ses fables lyriques où, comme La Fontaine, il a montré par les bêtes et les choses toute la folie et toute la sagesse de l'humanité. Ecoutez ces belles strophes, ne les dirait-on pas tombées de la plume d'or de lord Byron ? [suit un poème intitulé L'idéal et la possession]
« Mon toast à lord Lytton a été trop applaudi grâce à un dîner où il y avait pas mal de truffes hachées dans le brouet noir des Spartiates. Lord Lytton a répondu par une improvisation ruisselante d'esprit, de philosophie et d'humour.
Si on avait parlé politique, on aurait parlé de tout ; mais chez les Spartiates la politique, on aurait parlé de tout ; mais chez les Spartiates la politique reste dans l'antichambre. Lord Lytton avait dépouillé sa majesté des Indes et sa dignité d'ambassadeur pour reprendre son esprit ironique et sa verve byronienne.
A un autre dîner, j'ai rappelé que l'article 3 obligeait les Spartiates à faire un sonnet sans défaut ou un discours ne dépassant pas les quatorze lignes du sonnet sur les Spartiates partis pour l'autre monde. [suivent les sonnets et discours d'Arsène Houssaye pour Paul de Saint-Victor, d'Acquaviva, Persigny et Théophile Gautier].

[fin du chapitre VIII des Confessions d'Arsène Houssaye]

Octave Uzanne avait ouvert les colonnes de sa revue Le Livre (bibliographie rétrospective - pp. 359-363 - livraison de décembre 1881) au même Arsène Houssaye qui y présente le même discours que ci-dessous, à quelque variantes près. Houssaye y expose les lois du dîner des Spartiates qui tiennent en 4 articles, les voici :

Article premier.

« Le dîner des Spartiates, fondé pour dîner en causant - pour causer en dînant, - continuera à tenir ses assises chez Paul Brébant Ier, restaurateur des lettres.

Article II.

« Le nombre des sociétaires est de vingt ; les remplaçants seront élus par une majorité de quinze voix, sans vouloir faire les quinze-vingts.

Article III.

« Le Spartiate élu en remplacement d'un Spartiate parti pour l'autre monde sera obligé, à son premier dîner, de faire un sonnet sans défaut ou un discours en quatorze lignes sur les vertus de son prédecesseur.

Article IV.

« Un tout petit livre discret confié au secrétaire non perpétuel renfermera ces sonnets et ces discours qui marqueront un souvenir de brave amitié. On commencera par les épitaphes des quatre Spartiates qui manquent à l'appel, le duc d'Acquaviva, le duc de Persigny, notre très cher Théophile Gautier et notre très cher Paul de Saint-Victor. » [suivent les mêmes sonnets que ci-dessus].



Caricature d'Arsène Houssaye par André Gill


A quelle date Octave Uzanne a-t-il été adoubé chez les Spartiates ? Probablement peu de temps avant la date de publication de cet article dans le Livre, dans le courant de l'année 1881. Octave Uzanne introduisait ainsi le texte d'Arsène Houssaye :

« Les Spartiates de Paris sont des bibliophiles de race. A ce titre nous en parlerons ici, ou plutôt nous donnerons la parole à leur ancien président [Arsène Houssaye]. »

D'après divers témoignages, notamment ceux de Goncourt et d'Edouard Drumont, Uzanne était un assidu du dîner des Spartiates. Nous ne savons pas à quelle date se terminèrent les dîners des Spartiates. Uzanne y fut présent probablement de 1881 à 1889 ou 1890 puisqu'il y est décrit dans un article en tant que Président des Bibliophiles contemporains. Ces réunions dînatoires lui permirent d'ailleurs sans aucun doute de tisser sa toile bibliophilique et éditoriale tout au long de ces années au Livre chez A. Quantin.

Arsène Houssaye était de 37 années l'aîné d'Octave Uzanne. Ce dernier n'étant âgé que de 30 ans à peine lorsqu'il intègre les Spartiates. Près de deux générations d'écrivains séparent les deux hommes.

Bertrand Hugonnard-Roche

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