Portrait photographique de l'imprimeur Claude Motteroz (1838 ? - 1909)
repris en photogravure, tiré en bistre, en madaillon,
en haut à gauche du papier à lettre.
Octave Uzanne a ajouté son nom de sa main
(comme il le faisait presque systématiquement de tous les courriers reçus)
Le Paroissien du Célibataire d'Octave Uzanne sort des presses de May et Motteroz (ancienne Maison Quantin, May et Motteroz directeurs - 7, rue Saint-Benoît) le 10 décembre 1890. Le volume est donc probablement déjà en train lorsque l'imprimeur Motteroz écrit la lettre ci-dessous à Octave Uzanne.
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Collection B. H.-R. |
Paris 2 octobre [18]90
Cher Monsieur Uzanne,
Votre intention de reproduire une partie de l'article Bassett (1) est aimable, comme tout ce qui me vient de vous ; mais comment m'y prêter : j'ai prié le Bulletin de l'Imprimerie (Guasco) de ne pas embêter ses lecteurs avec ce développement exotique de la motterozomanie - vous savez de qui est le mot (2).
Impossible d'accepter d'un côté ce que j'ai refusé de l'autre. De plus, j'ai l'honneur d'être votre imprimeur ; tout ce que vous mettriez à propos de moi passerait pour simple condescendance.
Ce motif m'a fait jusqu'ici prier Charavay de ne rien laisser passer me concernant dans son Imprimerie (3).
Il est préférable, s'il y a quelque chose à dire du bonhomme, d'attendre que, lui n'étant plus là, ses ennemis soient disposés à répondre au moins Amen, s'il y a lieu.
D'ici là, les quelques raffinés d'imprimerie dont vous êtes le drapeau, en me donnant un peu de leurs sympathies, me font beaucoup oublier les sentiments contraires que je trouve chez presque tous mes confrères.
Donc, merci pour votre très flatteuse proposition ; mais, si je ne puis l'accepter, elle me fait encore davantage, s'il est possible, votre cordialement dévoué.
Motteroz (4)
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Ce courrier montre en M. Motteroz un homme humble, soucieux de ne pas faire parler de lui plus qu'il ne faut, cherchant à ménager les susceptibilités. Il ne semble pas qu'Octave Uzanne ait finalement donné suite à l'article de Bassett concernant M. Motteroz, sur le conseil avisé de ce dernier. Sans doute Uzanne avait-il l'intention de reprendre l'article de John Bassett dans sa revue bibliographique Le Livre moderne.
Bertrand Hugonnard-Roche
(1) John Bassett, Eminent living printers, Chicago, 1890. Série de biographies des plus importants imprimeurs du moment. Jean-Claude Motteroz y est présenté.
(2) C'est Uzanne qui, fidèle à son habitude de forgeur de néologismes, a dû écrire ou dire un jour motterozomane ou motterozomanie.
(3) Eugène Charavay, fils de Gabriel Charavay était alors directeur du journal L'Imprimerie.
(4) Le typographe Jean-Claude Motteroz, qui avait commencé à travailler dès l'âge de 8 ans, exerça tous les métiers manuels ou presque, d'estampeur à maçon, en passant par la serrurerie et peu de temps — il se rattrapera plus tard — par la typographie, où on le vit compositeur typographe. Après quelques autres métiers, il se consacra à la seule typographie. Compositeur à Saint-Étienne, puis à Lyon, lithographe à Paris, presssier à Dijon, il s'installa à Paris et devint chef conducteur chez Gauthier-Villars, chez Jules Claye, dans d'autres imprimeries encore. En 1863, il fonde, avec Gabriel Charavay, L'Imprimerie, journal de la typographie, de la lithographie et des arts accessoires, où il publiera d'importants articles. En 1873, Hippolyte Marinoni (1823-1904), inventeur de machines à imprimer, plus tard patron du Petit Journal, fait appel à lui pour perfectionner sa nouvelle machine rotative à papier sans fin. Il va l'aider à créer sa première imprimerie, installée d'abord rue Visconti, avec un atelier d'héliographie pour les reproductions de textes, dessins et manuscrits, déménagée rue du Dragon, puis 54 bis rue du Four. En 1877, peut-être avant, il imprime sa marque. Se donnant la devise : TU PENSES J'ŒUVRE, Claude Motteroz se plaçait, à juste titre, sur un plan d'égalité avec les auteurs, construisant une page comme un écrivain construit un paragraphe ou un chapitre de roman, jouant avec le matériel typographique comme un auteur joue avec les mots. Un écrivain se reconnaît à son style, on reconnaissait Motteroz à ses initiales, ses vignettes, à des accolements fantaisistes de caractères ; il avait aussi, en 1881, inventé un caractère de labeur en transformant le trop classique Didot. Influencé dans sa jeunesse par la typographie romantique, il garda toute sa vie le goût d'une ornementation florissante. Imprimeur de livres, il ne dédaigna pas d'imprimer des catalogues pour les premiers magasins de nouveautés, La Ville de Saint-Denis, Le Petit Saint-Thomas, Le Printemps. Timide encore dans l'impression de ces catalogues, il affirmera sa personnalité lorsqu'il imprimera des publicités pour Marinoni, Hetzel, pour les Imprimeries-Librairies réunies. Son élève, le typographe Francis Thibaudeau (1860-1925) admirait son art de faire parler des papiers qui, en effet, devaient s'imposer pour être efficaces : annonces, catalogues, circulaires, prospectus. Quelques fusions d'imprimeries plus tard, en 1897, le voici directeur des Librairies-Imprimeries réunies.
On emprunte la conclusion à l'article de Francis Thibaudeau, Motteroz le Typographe (Annuaire graphique 1910-1911), qui fut à l'origine de ces quelques lignes sur Motteroz : « Cet homme bon, ce grand honnête homme, après avoir connu l’aisance, retomba […] à l’état d’extrême pauvreté ; il dut cette catastrophe à un excès de probité commerciale qui honore sa mémoire mais dont on trouverait peu d’exemples […] tout ce qu’il lui avait été permis de conserver comme livres et mobilier fut dispersé au hasard des enchères ». Claude Motteroz fut l'un des imprimeurs d'Isidore Liseux. Quelques pages lui sont consacrées dans Paule Adamy, Isidore Liseux 1835-1894 Un grand "petit éditeur", Bassac, Plein Chant, 2009. [Notice extraite du site de l'éditeur Plein Chant. Source : http://www.pleinchant.fr/marginalia/2013marginalia/motteroz/pageune.html].
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