lundi 22 avril 2013

Octave Uzanne à Chicago - mai 1893 - Deuxième partie : Les grandes maisons.



Chicago - Randolph street
mai 1893



Octave Uzanne, 42 ans, débarque à New-York le 10 avril 1893. Il y restera jusqu'au 10 juin. 2 mois d'excursions entre New-York, Philadelphie, Baltimore, Washington, Chicago, Niagara Falls, Montréal, Québec, Boston et New-York en retour final. Octave Uzanne était envoyé en tant que journaliste pour le Figaro afin de couvrir la World's Fair de Chicago : il passe ainsi 3 semaines à Chicago et en fait une ample description dans le guide qu'il publie à la fin de l'année 1893 à son retour : « Vingt jours dans le Nouveau Monde. De Paris à Chicago. 175 dessins. » Titre bien mal choisi puisque le périple, plus long qu'annoncé, donne un panorama complet du parcours suivi par Uzanne pendant son séjour de deux mois. Fidèle à ses habitudes, ce sont des sensations très personnelles que nous livre le journaliste. Dans ce guide il ne sera d'ailleurs pour ainsi dire pas question de la fameuse Exposition de Chicago (Columbian Word's Fair), puisque cet aspect sera traité particulièrement dans les articles qu'il livrera au Figaro (et aussi àL'Illustration), nous y reviendrons bientôt.

Uzanne séjourne à Chicago pendant 3 semaines. Il en repart le mardi 23 mai 1893 comme il l'indique dans une très belle lettre adressée ce même jour à sa mère (Archives de l'Yonne, fonds Yvan Christ). Il a dû arriver à Chicago dans les premiers jours du mois de mai. C'était il y a tout juste 120 ans !

En attendant, cette description sensitive de la mégapole Chicago nous donne l'occasion de vous présenter le texte en plusieurs parties, publiées à la suite dans les jours qui viennent. Voici.

Bertrand Hugonnard-Roche





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Chicago. Les grandes maisons.

Je n'ai, de ma vie, rien vu de plus souverainement extravagant que ces maisons à vingt étages, ruches démesurées, percées d'innombrables fenêtres et qui, sous les noms de Masonic temple, de l'Auditorium, du Tacoma office ou du the Chamber of commerce, contribuent à donner à Chicago l'aspect d'une ville de barnums de la maçonnerie n'ayant pour devise qu'un enfantin : « Toujours plus haut ».
Je crois qu'il faut renoncer à faire comprendre à ces hommes qui voient gros et qui veulent étonner le monde par leurs maisons-citadelles les lois de l'harmonie. Notre-Dame de Paris, transportée à Chicago, ferait la plus piteuse mine du monde : ce serait un bijou enfoui sous la gigantomachie de la bâtisse.
Le temple de Gnide, en Carie, n'avait cependant que six petites colonnes ioniques, mais si jolies, si délicates, si parfaites qu'elles constituaient le canon de la proportion humaine : la somme, comme disaient nos pères.
Le style escaladeur du ciel des architectes altiers de Chicago est une provocation à la nature ; malheureusement, l'esprit américain, amoureux du phénoménal et du surpassant, semble préconiser dans les constructions nouvelles ces folles cages à ascenseurs. Quo non ascendam est leur devise. Déjà New-York commence à se déshonorer par des monuments à quinze étages, dans un sentiment de lutte avec Chicago, sa rivale. Il faut espérer que la raison reviendra aux Yankees de l'Est, et que ces mêmes gens qui ont su, comme nous l'avons remarqué, élever sur le River Side et aux environs du Central Park tant de maisons si éminemment modernes et d'un style si dégagé et si simple, sauront préserver leur ville de l'énormité architecturale.
La seule excuse des habitants de Chicago est dans le prix du terrain, qui se paye, dans le centre, de 1,000 à 2,000 dollars et même davantage le yard (soit environ 5,000 à 10,000 francs et même davantage le mètre) ; en conséquence, le propriétaire, dominus coeli, grimpe sa bâtisse le plus haut possible, afin de rentrer, s'il se peut, dans l'intérêt de son capital engagé.
Le Temple maçonnique à Chicago, ainsi nommé parce qu'il est la propriété d'une corporation de bienfaisance de francs-maçons, renferme sept cents bureaux différents, disséminés dans ses vingt-quatre étages. Deux ascenseurs électriques, conduits par des mécaniciens et fonctionnant de sept heures du matin à huit heures du soir, montent les visiteurs aux différents étages où leurs affaires les appellent. Des tableaux indicateurs, au rez-de-chaussée et aux étages, vous donnent le nom des titulaires des bureaux, leur profession et leur numéro. Le conducteur de l'ascenseur, si vous lui demandez un renseignement, se contente de vous répondre du doigt, en vous indiquant le tableau chargé de vous renseigner. Personne n'habite ces maisons, qui n'ont même pas de concierge. Les locataires ferment leurs bureaux de cinq à sept heures du soir ; le mécanicien ferme les ascenseurs, et chacun prend un funiculaire ou un tramway électrique pour aller à dix, vingt kilomètres ou plus, retrouver sa famille habitant une maison d'un étage, de deux au plus, coquettement installée dans un jardin soigneusement entretenu. Un corps de police, payé par tous ceux qui ont intérêt à employer ses services, surveille les immeubles où se trouvent les boutiques et les bureaux, et il est excessivement rare d'apprendre que des voleurs ont trompé la vigilance de cette police particulière, qui ne relève que des personnes qui l'emploient. (*)

OCTAVE UZANNE


A suivre dans le prochain billet ... Chicago. Les rues de Chicago.


Chicago. - State street
mai 1893


(*) pp. 133 à 137 du Guide intitulé Vingt jours dans le Nouveau Monde par Octave Uzanne. 175 illustrations d'après nature. Paris, May & Motteroz, s.d. (1893), in-8 oblong.

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