lundi 7 octobre 2013

« La Queue du Diable » par Octave Uzanne, in Revue de l'Enseignement Primaire (16 mars 1913).


Vignette pour son Altesse la Femme (1885)
Voici un petit texte découvert par notre ami Fabrice Mundzik du blog L'Amicale des Amateurs de Nids à Poussières. Ce blog dont le seul but est de partager les découvertes faites dans les revues, les livres, journaux, etc., est à visiter régulièrement pour les pépites qu'il contient.
Il n'y a que le hasard, la persévérance des fouineurs, et la folle envie de tout partager, qui feront qu'un jour, peut-être, la totalité des articles publiés par Octave Uzanne sera exhumée de manière exhaustive.
Merci aux initiatives et aux initiateurs désintéressés ! Merci Fabrice !

Bertrand Hugonnard-Roche





La Queue du Diable


Combien de fois cette question ne fut-elle pas [posée] (*) : « Quelle est l'origine de cette queue ? » Je [l'ai] souvent rencontrée dans l'Intermédiaire des [chercheurs] et des curieux, dans la Revue des [Questions], sinon dans certains petits périodiques [...] aux questions de philologie intéressant le [plus] grand nombre.
Le hasard m'a mis aux prises, ces jours derniers, [avec] un vieux franc-comtois (**), alerte, bien que [nonagénaire], et nourri des primitifs folklores de sa [province]. Et, après dîner, cet aimable érudit voulut [...] avec sa mémoire fidèle, me reconstituer un [conte] traditionnaire qui semble lui avoir été [transmis] dès sa jeunesse et qui vaut certes d'être [conté] pour fixer une ingénieuse origine à cette [fameuse] queue du Diable. Les légendes populaires ne [sont]-elles pas les plus adorables fictions [imaginables] ?

Au temps où régnait le galant François Ier, vers [...], dans une petite ferme isolée sur le finage de [...] lez-Vesoul, habitait, en compagnie de sa [...] Baby, un certain Meirot, cultivateur bûcheron, [joyeux] drille, paresseux, ivrogne et débauché, dont [la] bourse était toujours à qula et la cave [continuellement] à sec. Certain soir d'hiver, par un froid de [...] qui avait durci la neige sur les routes, Meirot [qui] revenait de la ville, où il avait fait de [nombreuses] libations dans les cabarets, en compagnie [...] offensifs mauvais drôles de son espèce. Comme [il] traversait le bois du Froussard, avant de gagner [sa] demeure, chantant pour calmer son inquiétude à [travers] les hautes futaies blanchies où les squelettes [des] arbres craquaient de froid sous le faix des [...] le bon pochard aperçut à terre, au milieu [du] carrefour de la forêt, le corps d'un vieil [homme] déguenillé qui semblait lui barrer la route [et se] prit à lui dégoiser mille discours facétieux. [En] s'apercevant que le corps était rigide, il le [...] sur son épaule et gagna son logis voisin.
« Femme ! dit-il, en entrant chez lui avec son [fardeau], n'as-tu pas cuit aujourd'hui ?
« Ne le sais-tu point, outre à vin, répondit [l'aimable] Baby, vois et sens ! les miches sont encore [chaudes]. - Dans ce cas, ouvre moi la porte du [...] que je fasse dégeler ce malheureux vieillard [qui] ne donne plus signe de vie - Tu veux le mettre [dans] le four ? Mais il va s'étouffer ! - Laisse-moi [...] il y a une chattière comme prise d'air à la [porte] du four ; si le pauvre diable en revient, il [respirera] par ce pertuis. »
[Meirot] déposa le corps insensible sur les briques [...] chaudes du four, ferma la porte de fer et s'en [...] comme souper, casser une croûte et boire au [...].
Baby, qui était restée près de la gueule du four, [...] et obstinée, s'avança tout à coup, le visage [...], près de son homme.
« Meirot ! - Eh ! Baby, qu'as-tu ? - Es-tu bien [...] d'avoir rapporté un bonhomme sur ton dos ? Ça oui, que j'en suis sûr ! - Tu es un serin ; [très] saoul ; c'est un veau que tu as rapporté et [mis] au four - Un veau !... tu es folle. - Pas le moins du monde !.. tu sais la chattière - Oui, eh bien ? - Eh bien ! je viens de voir sortir de ce trou une queue de veau toute rousse et toute roussie qui frétillait comme une vipère. - Allons regarder ça, - dit le bûcheron, quittant son verre à regret, et curieux de vérifier le dire de sa femme.
Aussitôt dans le fournil, il ne put nier le phénomène : une queue de veau ou quelque chose d'approchant s'agitait, se tordait avec frénésie au dehors de la chattière - Gaiement, le brave Meirot s'empara de cet appendice vélu, l'enroula autour de sa main et tira violemment. - Un hurlement plaintif retentit : Aïe ! Aïe ! Doucement, je te prie ! tu me fait mal, tu me l'arraches ! - Le bon ivrogne ne fit qu'en rire aux éclats et tira plus fort encore. « Meirot ! Meirot ! Lâche-moi par pitié ! beugla l'être étrange emprisonné dans le four. - Le bûcheron, comme pour s'amuser, tirailla encore par petites secousses précipitées. - « Ne continue pas ! grâce ! arrête-toi, continua la voix, je te donnerai tout ce que tu voudras ! - Tu es donc pourvu de jaunets ? - Oui, je suis riche, très riche ! Ça tombe à pic, ricana Meirot, j'ai laissé ce matin mon dernier écu à la Pomme de Pin, chez le cabaretier d'Auxon. - Tiens voilà, prends cette poignée d'or. - Une main velue et crochue sortit de la chattière et fit tomber sur la plaque du four une vingtaine de pièces sonores et trébuchantes. - Ah ! sacrebleu ! fit Meirot, quelle aubaine ! Mais tu es donc le diable en personne ? - je le suis ! - Mais alors, comment « Diable », te trouvais-tu sur mon chemin à l'état de gel ? - C'est imprudence de sortir avec de si rigoureux frimas. - Eh bien, mon cher Satan, je suis si ravi de te posséder que je te garde, s'exclama le bonhomme ! - Il prit donc un marteau, des clous et se mit en demeure de fixer la queue diabolique sur un énorme billot de bois où il était accoutumé à débiter ses fûts d'orme, de chêne ou de hêtre.
Après une journée passée à la ville, où il offrit à boire à tous venants, Meirot, fort éméché, s'en revint le soir à la maison, le gousset vide et déterminé à faire appel à son providentiel banquier. A peine à la porte du four, il agita la queue de Belzébuth avec la rage d'un écolier qui tire une sonnette sur son passage dans une rue silencieuse. Un long cri de douleur lui répondit. - Je n'ai plus un rond, plus un liard, mon vieux compère ! - Voilà de l'or, dit Satan, sortant une poignée de beaux jaunets de sa patte griffue. - Ça ne me suffit plus, fit Meirot, j'ai formé le projet de construire une colossale auberge où tout le monde pourra loger, banqueter et boire gratis à tire-larigot. - Voilà ! voilà ! voilà ! acquiesça le bon diable, semant l'or à terre. - Ecoute encore, ce n'est pas tout, fit le bûcheron ; j'ai en tête l'idée d'un couvent où les moines produiraient toute l'année des liqueurs fines et réconfortantes pour les pauvres bougres qui s'y rendraient en pélerinage. - Une cascade de pièces ruissela hors de la chattière. - Merci, Satan ! donne toujours. Je désire fonder une Académie de bons zigues dans laquelle on pourra dire, faire, penser à sa guise sans contrôle de personne. » - Ici Meirot dut tirer la queue avec force, car Satan semblait faire sourde oreille. L'or afflua de nouveau. - « Une dernière prière, insista l'insatiable quémandeur. Je veux créer une trésorerie pour doter les jeunes filles pauvres. - Ce drôle va me ruiner ! » gémit l'être maudit, mais il céda : une dernière pluie d'or tinta sur la terre battue.
Au petit jour, Meirot s'en fut chercher autant d'ânes qu'il en put trouver afin de charger son trésor et de le conduire à Vesoul. Les baudets pliaient sous le faix des sacs et le brave bûcheron, tout à sa joie d'être riche, semait son argent à pleines mains dans les poches des travailleurs rencontrés sur son chemin. Cela fit du bruit. Quatre capucins, habiles à surprendre son secret, traversèrent le bois du Froussard pour frapper à la cabane de Meirot. Il ne trouvèrent que la femme. « Nous voudrions voir la queue du Diable, dirent-ils à dame Baby. - Hélas, s'écria en pleurant la malheureuse ... J'ai fait la sottise de la couper tout au ras des reins et de la chattière, car mon mari est un vrai panier percé et j'espérais cacher la queue et m'en servir seule selon nos besoins, mais j'ai tari la source la fortune. Le Diable s'est enfui, en me labourant le visage de son pied fourchu et me cassant trois dents sur le devant. Tenez, voici la queue. Elle est sans pouvoir désormais. »
Les moines, fort dépités, s'attelèrent, deux à deux en sens inverse, à l'extraordinaire appendice et tirèrent comme quatre chevaux de fardier. La queue se rompit et tous quatre roulèrent à terre, [...] brisant les os du nez et partie de la mâchoire. Ainsi finit la primitive légende de la queue du Diable.
Si je la transcris ici et la rapporte de nouveau à mes lecteurs, c'est que j'eus à l'entendre le même plaisir que je ressens toujours à la lecture d'un conte de Bandillo, de Straparole ou du Savoureux Beroalde de Verville. 


Octave Uzanne
La Queue du Diable,
in Revue de l'Enseignement Primaire,
23e année - N°24 - 16 mars 1913



(*) Les crochets [ ] remplacent le mots qui n'ont pu être lus dans l'exemplaire numérisé par la Bibliothèque Denis Diderot à Lyon (pp. 11-12). Nous avons mis [...] lorsque le mot ne pouvait être raisonnablement déduit du contexte. Les mots déduits sont entre crochets. Ce texte sera revu sur un exemplaire papier prochainement.

(**) Ce vieux franc-comtois dont il est question ici, très au fait des folklores locaux de la Haute-Saône et de la Bourgogne également, est sans aucun doute François Fertiault (1814-1915). Âgé de 99 ans au moment de cette entrevue, Fertiault meurt à l'âge vénérable de 101 ans en 1915. Fertiault est l'auteur de traductions des Noels Bourguignons notamment, mais aussi de poésies sur l'amour des livres (Les Amoureux du Livres, 1877) et bien d'autres livres sur la bibliographie et la bibliophilie. Uzanne connaissait Fertiault depuis les années 1876 et la revue le Conseiller du Bibliophile, revue dans laquelle Fertiault était cité.

1 commentaire:

  1. ce conte est bien connu des Francs-Comtois, il a été repris en 1951 par Jean Defrasne dans le volume "contes et légendes de Franche-Comté" dans la collection de fernand Nathan.

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