Crédit Photo : Fonds Y. Christ, Archives de l'Yonne |
Voici une lettre (*) qu'Octave Uzanne adresse à son frère Joseph le 24 février 1905, soit un mois jour pour jour après le décès de leur mère :
[carte-lettre bordée noir à l’adresse de la Place de l’Alma]
Paris, ce 24 février 1905.
Mon cher franginot, Je reçois ton mot. Il fait aujourd’hui beau et tiède à Paris. Chez moi c’est exquis. Hier la température fut gibouleuse, mais, ce février est plutôt agréable ici, alors qu’il est grinchu, odieux, sur le littoral. Je me souviens du froid que j’essuyai l’an dernier à cette date à St-Raphaël, ce fut mémorable pour mes sens – je n’eus jamais peau si glacée, corps si transi. Ma santé bonne, bien que je ne me trémousse point à mon gré depuis le retour. Ce soir j’irai diner à Versailles chez Lady Mary. Je suis désolé de te savoir encore fatigué et souffrant. Je pense que ça ne sera que passager. Oui la mère Van der Steppen est une excellente femme qui me plait beaucoup. C’est un ancien modèle épousé, mais elle a toutes les qualités de rondeur et d’intelligence innée des braves femmes d’origine simple, si préférables aux mondaines et noblaillottes. Le mari aussi bon gros garçon, d’un talent tertiaire, mais excellent cœur. Oui, nous règlerons les affaires et ce serait urgent. Je crois que notre chère mère avait omis pour son bon à lot de Panama de demander sa part de liquidation, si bien que je crains que cette valeur ne vaille plus un sol. Ganquiteau m’a écrit il y a 3 semaines que nous devions toute l’année d’impositions – j’ai mis de côté toutes lettres de Normand et Cie – à ton retour tout sera en ordre. Je suis encore bien hanté par notre chère maman, le soir en me couchant – ces chagrins sont lents, lents à perdre de leur acuité. Mes tendresses. Octave. PS : Je t’envoie un journal où tu liras l’article : Inconscience que tu ne dois ignorer.
Comment est-il possible que le même Octave Uzanne, cinq ans plus tard, en 1910, écrive à son frère : « J’ai assisté samedi & dimanche aux offices – notre pauvre mère mourut en 1904 et non en 1905, ce serait donc le 5è anniversaire et la cinquième année de sa mort – si je ne me trompe. » Pourtant Octave Uzanne se trompe bel et bien dans l'année de décès de sa maman chérie. Joseph Uzanne lui ne se trompait pas.
Quoi qu'il en soit, très affecté par la mort de sa mère, Octave Uzanne fut sans aucun doute longtemps hanté par sa vision de mère aimante. N'oublions pas que le père d'Octave et Joseph Uzanne est mort en 1866 alors qu'ils n'étaient que de jeunes adolescents.
Le décès de Madame Veuve Uzanne, Elisabeth Octavie Laurence Uzanne, née Chaulmet, auxerroise-bourguignonne de souche depuis le XVIIe siècle au moins, a très probablement fragilisé Octave Uzanne au point d'être, au début de cette année 1905, un élément important et déclencheur dans sa décision de changement de mode de vie. Désormais Octave Uzanne aspira à la tranquillité, à une vie plus saine, loin des tentations de Paris, des débauches en tous genres et autres obligations liées à son statut d'homme de lettres et de de journaliste. C'est ce qu'il ressort clairement de la correspondance avec son frère entre 1905 et 1910. Sa volonté d'indépendance déjà si prégnante ne fera que s'accentuer au fil des années.
Nous sommes convaincu que le décès de sa mère est la clé-réponse à de nombreuses questions concernant la vie privée et publique d'Octave Uzanne à partir de février 1905.
Bertrand Hugonnard-Roche
(*) Fonds Y. Christ, Archives de L'Yonne
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