mardi 15 mai 2012

Octave Uzanne prend position sur l'institution de la Polygamie ou "La maîtresse légitime, Essai sur le mariage polygamique de demain" par Georges-Anquetil (1922).

Le 29 novembre 1922 sort des presses de MM. Vernet & Warin, maîtres imprimeurs à Paris, un volume destiné à un faramineux succès. Avec "La maîtresse légitime, Essai sur le mariage polygamique de demain" on peut parler de best-seller. Les éditions Georges-Anquetil, sises au 5 de la rue Boudreau à Paris ont probablement réalisé là une extraordinaire opération financière. On trouve en effet des exemplaires de ce livre portant la mention de 303e mille ! Ce sont des centaines de milliers d'exemplaires qui furent ainsi vendus en quelques mois seulement (1).

"La maîtresse légitime" sous-titré "Essai sur le mariage polygamique de demain" annonce clairement ses intentions : l'auteur, Georges-Anquetil (2), dédie cette étude "aux parlements de tous les pays, mais principalement aux parlements européens, pour attirer leur attention à la fois sur l'ampleur du problème sexuel et sur les dix-huit millions d'européennes que le surnombre des femmes, le massacre des mâles et l'égoïsme de la monogamie condamnent aux misères physiologiques et morales du célibat." Le débat est posé.

Cet épais volume de près de 450 pages se veut donc une étude à visée sociologique, tout ce qu'il y a de plus sérieux donc, il ne se veut pas, comme l'indique l'auteur en tête de sa courte préface : "l'oeuvre paradoxale d'un fantaisiste." L'auteur s'appuie sur des faits graves, des arguments irréfragables. Ce livre n'a d'autre objet pratique que l'abrogation de l'article 340 du code pénal interdisant et punissant la bigamie et à fortiori la polygamie. La préface est datée de septembre 1922, à la Cotinière d'Oléron.

En septembre 1922, Octave Uzanne est dans le mois de ses 71 ans. Ce n'est plus le fringuant jeune homme du "Bric-à-brac de l'amour" (1879), des "Surprises du coeur" (1881) ou de "Son altesse la femme" (1885), c'est un homme vieillissant, sans doute déjà affaibli par la maladie. N'écrivait-il pas pourtant dans un Cupidoniana (in Bric-à-brac de l'amour) : « Un homme de bon sens se garde bien de prendre une maîtresse légitime, c’est-à-dire attitrée ; - il y a tant d’imbéciles qui en auront pour lui. » Uzanne avait alors 28 ans. C'est donc quelques 43 ans plus tard qu'il est amené à revenir brièvement sur ce sujet de la maîtresse légitime.

En effet, Georges-Anquetil consacre la troisième partie de son ouvrage aux réponses et commentaires sur son enquête sur la polygamie. L'auteur avait demandé à différents personnalités du tout Paris leur opinion tant sur la polygamie que sur l'opportunité de son institution. Ces réponses avaient été publié une première fois dans le journal "Le Grand Guignol. La liste des intervenants est assez imposante, voici les plus connus aujourd'hui : Colette, Rachilde, Henri Lavedan, Lucien Descaves, Edmond Haraucourt, Henri Barbusse, Félicien Champsaur, Léo Clarétie, etc., et ... Octave Uzanne.

Certains ont répondu d'une manière très rapide et concise, d'autres ce sont un peu plus étendu sur le sujet. On doit à Octave Uzanne deux belles pages de réponse, que nous transcrivons ici intégralement :

Réponse de M. Octave Uzanne, homme de lettres. (3)

"Mon cher confrère,

Nous appartient-il vraiment de prendre parti dans cette question de la Polygamie ou Polyandrie ? Je ne le crois point. La nature suffit à régler tout ce qui est du ressort des unions et de la fécondation des êtres et des choses, au mieux de ses mystérieux intérêts et besoins.

L'Alma Mater n'est jamais longue à faire éclater le prétentieux corset des lois sociales qui veulent la pousser à se conformer à un code absolument contraire à sa raison d'être. Elle maintient, malgré toutes les puissances hypocrites, nos instincts, et favorise, sans discontinuité, la perpétuation de la vie, par la multiplicité des facteurs génésiques. Elle réalise tous les rapprochements sexuels. Peu lui importe les accidentels excédents féminins. Jamais elle ne tarde à faire une équitable répartition proportionnelle entre les éléments mâles et femelles des contingents humains. Elle s'entend mieux que nous à maintenir ou rétablir la balance en équilibre. Elle a horreur du vide, comme l'affirmaient nos pères, avec un esprit judicieux. On peut donc être assuré qu'elle orientera les vierges délaissées vers le Dieu des Jardins. Priape, tout aussi bien que notre coeur, a ses raisons, que la raison même ignore. Il ne manque pas les occasions de se prodiguer dans l'ombre favorable à ses caprices, et celles qui en rêvent connaissent l'heure du muletier.
Il ne nous convient aucunement d'établir la polygamie. Elle n'a cessé d'exister, depuis l'origine des êtres. Les édits d'une morale d'Etat n'ont jamais pu s'opposer à sa libre allure parmi nous, la société et ses conventions furent toujours des intrus et apparurent comme de ridicules non-valeurs, vis-à-vis de l'Espèce et des conditions biologiques de l'Humanité.
Il est difficile d'imaginer une polygamie réglementée, acceptée par tous, dans l'état de nos moeurs actuelles. L'épouse est si étroitement jalouse de ses droits de possession et de ses prérogatives dans un ménage où sa volonté impérieuse est d'être unique et incontestée, qu'il serait téméraire de croire qu'elle puisse jamais admettre les partages, le morcellement de son pouvoir ou la division de sa puissance d'achat déjà si inférieure à ses désirs d'inapaisable coquetterie.
En ce qui concerne l'homme, je ne puis concevoir la polygamie que dans le Code pénal, comme une sorte de condamnation intermédiaire entre les travaux forcés et la punition capitale. Dans notre Occident, ce serait un enfer effroyable, où il faudrait abandonner toute espérance, après s'être livré aux tortures des furies perpétuellement dressées contre le mâle infortuné qui les aurait choisies pour se créer un paradis de Mahomet, inacclimatable chez nous.
Aristophane disait : "Il n'y a pas moyen de vivre avec ou sans ces coquines". Le dilemme est toujours aussi ardu que dans l'antiquité. La monogamie constitue un minimum de peine afflictive. La pénitence est douce aux uns, cruelle aux autres - mais la polygamie... Quel jardin des Supplices ! Y songez-vous ?

Octave Uzanne."

A cette réponse développée d'Octave Uzanne, Georges-Anquetil commente :

"Il est extraordinaire que la plupart de mes correspondants me parlent de mon projet d'établir la polygamie, et viennent me dire : la nature suffit à régler tout.
Mais pardon, moi, je ne veux rien instituer. C'est l'Etat qui a institué une monogamie fausse et arbitraire, en punissant le polygame. Moi je ne demande que l'abrogation de cette interdiction, et, si la nature suffit en effet à régler tout, ne faites pas intervenir de lois prohibitives, comme celles qui existent, dans des questions que la nature suffit à régler : par conséquent laissez ceux qui le veulent libres d'épouser qui ils veulent et autant qu'ils le peuvent.
On voit qu'au début de sa lettre, mon érudit correspondant invoque des préceptes en honneur du temps de Bacon qui, - au fait - fut loin d'être un âne. N'était-ce pas lui qui, père de la meilleure médecine moderne, avait surtout confiance en cette vis medicatrix naturae, sur laquelle semble encore compter, sans la nommer, M. Octave Uzanne ?
Rappelons-lui cependant l'adage : Aide-toi, le ciel t'aidera, et souvenons-nous que, de même que, parfois, le forceps vient très heureusement au secours de la nature, les lois humaines apportent de non moins heureux correctifs au désordre naturel ou aux folies meurtrières des hommes.
Nous avons vu à plusieurs reprises - notamment après la guerre du Péloponnèse et après la guerre de Trente ans - l'institution de la polygamie légale sauver Athènes, la civilisation grecque, puis l'Europe.
La nature avait daigné accepter la collaboration humaine ! Et, heureusement, car la nature n'a ni coeur ni pitié. Comme elle crée sans joie, elle laisse mourir sans chagrin.
Quant à l'acclimatation éventuelle chez nous du Paradis de Mahomet, je continue à prétendre que ce n'est qu'une question d'éducation et d'accoutumance. L'expérience des Mormons suffit à le prouver, encore qu'ils aient eu l'extrême habileté de placer cette propagande sur le terrain religieux, qui permet la soumission sans révolte à un dogme.
Que si l'on m'objecte que je parle toujours des Mormons, je répondrai que j'ai là au moins la bonne fortune de ne pas parler en théorie, mais d'après une longue et gigantesque expérience de la vie pratique, et c'est pourquoi mon argument est irréfragable. (Georges-Anquetil)"

(1) Nous avons la chance d'avoir en mains un exemplaire de l'édition originale du premier mille. En effet, ce livre ayant connu un incroyable succès, comme nous l'avons indiqué, a été imprimé à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires. Ainsi il est très aisé de trouver un exemplaire de ce volume portant une mention de mille. Il est moins facile de trouver un exemplaire sans mention, ce qui est le cas de notre exemplaire (voir photo de la couverture imprimée en noir sur papier rouge). Le détail du tirage de luxe (encore plus rare) est donnée en tête du volume, sur un feuillet imprimé à part. Il a été tiré 25 exemplaires sur papier du Japon (n°1 à 25 dont le n°1 est hors commerce) ; 25 exemplaires sur papier de Chine (n°26 à 50) ; 100 exemplaires sur Hollande Van Gelder (n°51 à 150) ; 150 exemplaires sur papier vélin pur fil Lafuma (n°151 à 300) ; 200 exemplaires sur papier vergé pur fil Lafuma (n°301 à 500). Chaque exemplaire de luxe étant numéroté et signé de la main de l'auteur-éditeur. L'édition ordinaire est tirée sur papier bouffant genre alfa (notre exemplaire).
(2) Georges-Anquetil aussi connu sous son pseudonyme Georges Denfer, est né le 27 avril 1888 à Limésy (Seine-Inférieure), mort le 1er mars 1945 déporté à Weimar Buchenwald (Allemagne). Tout à la fois avocat, homme d'affaires, publiciste, et aussi directeur de nombreux journaux dont Le Bolcheviste, Les Soviets, Le Titre censuré, La Rafale, La Garde rouge, Le Grand Guignol, etc. Pamphlétaire acharné il dénonça tout et provoqua très souvent le scandale. Il s'intéressa toujours aux sujets les plus croustillants et les plus provocateurs, ainsi La maîtresse légitime, essai sur le mariage polygamique de demain (1922) ou encore sa suite L'amant légitime ou la bourgeoise libertine (1923) connurent un succès de librairie faramineux. En 1922 Georges-Anquetil a 34 ans, Octave Uzanne fait donc office de caution à son ouvrage en témoignant sur ce sujet de la polygamie. On voit que l'auteur n'est finalement guère satisfait de sa réponse qui donne tous les pouvoirs législatifs en la martière à mère nature.
(3) pp. 359-362

Bertrand Hugonnard-Roche

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