Émile Zola par André Gill L'Éclipse, 16 avril 1876 |
Emile Zola. - Notes d'un ami, par Paul Alexis. Paris, Charpentier,1 vol. in-18. - Prix : 3 fr. 50.
Lorsque l'an passé, dans le supplément littéraire du Figaro du 12 mars, M. Paul Alexis donna des fragments du volume qu'il publie aujourd'hui, je pus m'apercevoir avec quelle étrange naïveté ces Notes d'un Ami étaient rédigées et de quelle manière pesante et ridicule le disciple distribuait la louange au maître naturaliste. Jamais le pavé de l'ours ne fut manié avec plus de prétention à la gracieuse tendresse et ces notes intimes feront rire nos petits-neveux, à l'exemple d'un Calino écrivant les mémoires de son patron. Ce livre est d'une ingénuité exquise, soit qu'il traite des origines de Zola et de son enfance à Aix, soit qu'il montre le grand homme à ses débuts dans la vie littéraire. Franchement, les plaisantins de la presse, comme disent ces messieurs de Médan, ont beau jeu à faire rire leurs contemporains avec les trésors recueillis à chaque page de ce livre ; c'est à croire que le sieur de La Palisse ait été acquis au naturalisme et engagé spécialement pour la biographie du père de Nana. M. Alexis est à croquer lorsqu'il conte le plus sérieusement du monde que Zola, dans la première enfance, prononçait les t pour les c et qu'il disait : Tautitton pour saucisson. "Un jour pourtant, écrit le mémorialiste, vers quatre ans et demi, dans un moment d'indignation, il proféra un superbe : cochon ! Son père, ravi, lui donna cent sous."
A combien le mot cher à M. Margue était-il donc tarifé ?
Plus loin, M. Alexis parlant de la Curée, s'écrie : "Pour écrire ce roman, Zola eut à surmonter un ordre de difficultés tout nouveau, contre lequel il ne s'était pas encore buté jusqu'à ce jour. En effet, la Curée se passe entièrement dans le très haut monde de l'Empire, dans un milieu luxueux où il n'avait jamais pénétré. Il fallut donc à l'auteur beaucoup de perspicacité et de divination pour arriver à dépeindre sans erreur grossière ces régions ignorées. Il se donne beaucoup de mal. Rien que pour la question "voitures", il dut aller interroger deux ou trois grands carrossiers et prendre vingt pages de notes. Pour décrire l'hôtel de Saccard, il se servit de l'hôtel de M. Ménier, à l'entrée du parc Monceau ; mais, ne connaissant pas alors M. Ménier, il ne prit que l'extérieur. Plusieurs années après, étant allé aux soirées de M. Ménier, Zola regretta de n'avoir pas vu autrefois l'intérieur, bien plus typique que ce qu'il avait dû imaginer."
Pavé de l'ours ! voilà bien de tes coups !
Lorsque M. Paul Alexis aborde la critique et M. Zola et qu'il constate amèrement que les grands hommes de science ne se sont pas encore occupés de M. Zola, qui n'a été livré qu'aux critiques de la presse ordinaire, il devient irrésistible. Mais la perle du volume est assurément dans le passage relatif aux lettres reçues par l'auteur des Rougon-Macquart ; ces correspondances inventoriées par à peu près, ces prêtres qui se fient au créateur de l'Abbé Mouret, ces jeunes femmes "rêveuses, sentimentales", qui "flirtent" dans leurs épîtres, sans se douter que "leurs effusions, dit le biographe, passeront sous les yeux de Mme Zola", tout cela est du dernier comique bourgeois.
Que dire des vers inédits de M. Emile Zola qui terminent le volume ? Ils nous révèlent un collégien qui pastiche assez piteusement Alfred de Musset et servent à prouver que Zola naturaliste vaut encore mieux que Zola romantique. C'est que l'épicerie et la sottise,ces "idéals" du naturalisme, étaient les plus grands épouvantails du fier romantisme.
Un dernier mot : M. Alexis invoque souvent Balzac comme l'initiateur de l'école actuelle. Il faut bien le redire, cependant, rien n'est plus faux et révoltant : M. Zola ne continue Balzac que comme la rue de Pantin continue la rue Lafayette - Et encore ! le mot de Voltaire relatif à Desfontaines serait-il plus juste dans son image scatologique.
L. D. V. [Louis de Villotte alias Octave Uzanne]
Bertrand Hugonnard-Roche
Quel c..
RépondreSupprimer(C'est tout ce qui m'est venu à l'esprit avec : Quelle B........ littéraire ce Uzanne)
Olivier
Je complète en citant H de B mort trop tôt pour avoir croisé le bon Octave : "La France a le plus profond respect pour tout ce qui est
RépondreSupprimerennuyeux. Aussi le vulgarisateur arrive-t-il promptement à une
position : il passe homme grave du premier coup, à l’aide de
l’ennui qu’il dégage. Cette école est nombreuse. Le vulgarisateur
étend une idée d’idée dans un baquet de lieux communs et
débite mécaniquement cette effroyable mixtion philosophicolittéraire
dans des feuilles continues. La page a l’air d’être pleine,
elle a l’air de contenir des idées; mais, quand l’homme instruit y
met le nez, il sent l’odeur des caves vides. C’est profond, et il n’y
a rien : l’intelligence s’y éteint comme une chandelle dans un
caveau sans air. Le Rienologue est le dieu de la Bourgeoisie
actuelle; il est à sa hauteur, il est propre, il est net, il est sans accidents.
Ce robinet d’eau chaude glougloute et glouglouterait in
sæcula sæculorum sans s’arrêter."
Olivier
Bonsoir Olivier,
RépondreSupprimereffectivement en lisant et relisant Uzanne presque à longueur de journées, par extraits ou textes entiers, il m'arrive, je dois bien le reconnaître, de me dire qu'il a parfois voire souvent écrit des lapalissades ou mieux encore mouliné du vide ou plutôt remué des lieux communs et autres caves vides comme écrivait si bien Balzac. Néanmoins, de nombreuses fois également j'ai eu le sentiment qu'il mettait le doigt sur un aspect, une psychologie, une pensée, un raisonnement, qu'il découvrait un artiste, sa sensibilité profonde, bref, qu'il n'était pas si inutile que cela dans le débat des lettres et des arts. Alors sans doute n'a-t-il pas toujours fait les bons choix. Concernant les naturalistes il reviendra cependant sur ce premier sentiment haineux (il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis n'est-ce pas). Je ne cherche ni à défendre son oeuvre, ni à la dénoncer, ce qui m'intéresse c'est de la découvrir dans son entier maximum et de la faire découvrir de même.
J'espère y parvenir ... un peu.
Bonne soirée
B.
Bertrand,
RépondreSupprimerBien entendu il ne s'agissait pas de vous dont je salue le travail de bénédictin (d'ailleurs je le lis régulièrement). Je le salue d'autant plus que, pour ma part, Octave m'assomme(oir).
En passant je me demandais, car le fil de ce blog est long à rembobiner..., si vous aviez consacré un billet à la bibliothèque d'OU? Y-a-t-il un catalogue pour se faire une idée?
De belles fêtes à vous!
Olivier
Bonsoir Olivier, pas de soucis, il m'assomme aussi parfois ;-) mais je ne me pose même plus la question ... je veux savoir ... le plus possible ... alors je fouille ... je me suis pris au jeu de sa vie ...
RépondreSupprimerVoici un lien qui vous donnera divers billets sur ses livres et sa bibliothèque : http://www.octaveuzanne.com/search/label/Biblioth%C3%A8que%20Octave%20Uzanne%20%28essai%20de%20reconstitution%29
Bonnes fêtes de fin d'année.
B.