Bibliopsychophile : mot forgé par Octave Uzanne pour la première fois le 10 novembre 1888. Ce mot n'a pas été inséré dans le Bibliolexique publié en 2009 par Jean-Paul Fontaine (éditions des Cendres) |
« Peu à peu les livres de luxe font leur rentrée en scène, sans hâte encore ni confusion cependant ; on sent qu'il y a eu, lors des dernières campagnes, plus de vaincus que de vainqueurs sur les champs de bataille de la librairie ; les livres soldés en nombre qui pullulent de toutes parts dans les « Bon Marché » (1) des carrefours, les rabais considérables affichés à toutes vitrines, ont logiquement douché les amateurs qui ne se pourvoient plus aujourd'hui de nouveautés qu'à bon escient. On annonce cependant de divers côtés de lourdes entreprises, toutes dans les œuvres modernes. Les audacieux ne sont pas rares, mais les bibliophiles s'affinent, s'épurent et se « roublardisent ». Je ne pense point que les succès d'emballement soient aussi accusés qu'autrefois ; la librairie de luxe deviendra difficile à conduire et ma foi ! tant mieux ! - Dans ces dernières années, c'était à qui détrousserait le plus galamment du monde à l'aide des grands papiers, des petits nombres, des entièrement épuisés, la bourse des amateurs taillables à merci.
Les éditeurs les plus profanes se mettaient de la partie et le commerce pour amateurs était grotesquement pratiqué par les plus impayables bibliopoles (2) - de Paris et de province. - Un armistice était nécessaire. Espérons qu'il durera quelques temps et que nous pourrons, à l'avenir, judicieusement inventorier des livres bien élaborés, illustrés avec goût, et dignes de ravir les Bibliopsychophiles (3) de race, sur lesquels les boniments de la réclame n'ont aucune prise.
Octave Uzanne »
Il est amusant de constater le paradoxe Octave Uzanne : D'un côté il dénonce les roublardises des éditeurs tandis que de l'autre il emploie des procédés similaires avec l'astuce des petits nombres et des entièrement épuisés. En effet, un an plus tôt, paraît dans les mêmes colonnes du Livre (livraison du 10 décembre 1887) consacrées aux livres d'étrennes, un paragraphe consacré au Miroir du Monde qui venait de sortir en librairie. Nous avions donné cette réclame claironnante dans un billet en date du 19 novembre 2012. « Cet ouvrage est aujourd'hui archi-épuisé et fait déjà prime » écrivait-il alors, tout juste un mois après l'impression du volume le 7 novembre 1887. Astucieuse méthode Couet ? Vérité ? Mensonge ? Il est fort probable qu'Octave Uzanne cherche par ce biais à lancer son ouvrage dans les meilleures conditions. Uzanne ne manquait certes pas de roublardise lorsqu'il s'agissait de mettre en avant ses propres productions artistiques et littéraires destinées à un public bibliophile d'élite forcément sollicité de toutes parts.
Octave Uzanne n'était pas à un paradoxe près : amoureux amant déclaré des femmes nous avons bien du mal aujourd'hui à en retrouver une seule - irréligieux en plus d'une occasion il fait dire des messes après le décès de sa mère - ennemi des honneurs et de la gloriole il montre souvent un ego surdimensionné et un caractère orgueilleux.
Bertrand Hugonnard-Roche
(1) allusion aux Boucicaut du livre comme les appelait Octave Uzanne, ces imprimeurs-éditeurs tels qu'était la maison Jouaust.
(2) libraires
(3) Bibliopsychophiles : néologisme donné ici par Octave Uzanne vraisemblablement pour la première fois. Ce mot est absent du Bibliolexique publié par Jean-Paul Fontaine en 2009 aux éditions des Cendres.
Bravo Bertrand !
RépondreSupprimerDepuis 2009, de nombreuses découvertes mériteraient d'être publiées dans une nouvelle édition du "Bibliolexique", mais quel éditeur prendra le risque de cette publication aujourd'hui ?
Baudelaire regrettait déjà que la Déclaration des Droits de l'Homme ait omis le droit de se contredire... Arco Amirad
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