vendredi 5 octobre 2012

Octave Uzanne antisémite masqué-démasqué sous le pseudonyme de Theo-Doedalus : auteur de L'Angleterre Juive - Israël chez John Bull (1913).

Nous nous le sommes promis lorsque nous avons lancé ce blog de travail consacré à Octave Uzanne : Nous essaierions de savoir tout ce qu'il est possible de savoir, et nous ne cacherions rien de nos découvertes. Du passé resurgit bien souvent l'ombre et les ténèbres. Ce fut le cas aujourd'hui. Nous vous racontons l'histoire telle que nous l'avons vécue chronologiquement. (*)

5 octobre 2012

Nous avons reçu ce matin un exemplaire d'un livre d'Octave Uzanne qu'on trouve facilement mais que, je l'avoue, je n'avais pas encore pris la peine d'acquérir. Il s'agit de son Pietro Longhi, publié aux éditions Nilsson dans la collection des Maîtres Anciens et Modernes, collection menée sous la direction de Gustave Geffroy de l'Académie Goncourt. Ce livre a été publié en 1924. C'est un petit in-8 carré, imprimé sur papier de médiocre qualité, tiré à très grand nombre probablement mais néanmoins assez richement illustré et au texte que nous n'avions pas encore eu le plaisir de découvrir. A réception de l'ouvrage nous avons simplement voulu lire les quelques pages de préface données par Gustave Geffroy.

"Octave Uzanne, homme de lettres, curieux des pays, des moeurs, de la femme, des modes, du XVIIIe siècle, du monde moderne, épris des manifestations de l'esprit, bibliophile passionné, d'une science impeccable, - je vous salue !" ainsi commence cette préface. Il poursuit : "Il se trouve qu'à l'écart, sans suivre les voies tracées, renonçant délibérément aux succès de romans et de pièces de théâtres auxquels il pouvait prétendre, Uzanne a édifié une oeuvre d'une espèce particulière, à nulle autre pareille, dont l'énumération détaillée et analytique déborderait les limites de cette préface." Geffroy en indique ensuite à grands traits les subdivisions : Uzanne bibliophile, Uzanne voyageur, Uzanne, les femmes et la mode, ses rééditions de poètes et conteurs anciens, etc. Geffroy évoque ensuite les projets de livres d'Octave Uzanne (nous y reviendrons dans un prochain billet), puis enfin son ouvrage sur Pietro Longhi. Mais c'est la section bibliographique consacrée à Octave Uzanne voyageur qui retint mon attention dès la première lecture : "Le voyageur épris des aspects extérieurs, des modes de vivre, des sentiments indélébiles, de tout ce qui marque une région et une race, a réuni ses sensations, tableaux de vie pittoresque : la locomotion à travers l'histoire et les moeurs, sports et transports terrestres et aériens ; l'Angleterre juive, Israël chez John Bull, une des vues les plus perspicaces sur l'activité des comptoirs de nos voisins d'outre-Manche ; Instantanés d'Angleterre ; Vingt jours dans le Nouveau-Monde." Nous les connaissais tous ! Tous, sauf un ! Quel était cet ouvrage dont nous n'avions jamais entendu parler intitulé L'Angleterre Juive ?

Quelques recherches plus tard via les bases numérisées disponibles sur le net et voici les références exactes de l'ouvrage : L'Angleterre Juive - Israël chez John Bull. Etudes sur l'histoire et la progressive influence des fils d'Israël dans la société, le négoce, la politique, l'armée, les lettres, les finances et les moeurs britanniques. Le volume porte en haut du titre le nom d'auteur : THÉO-DOEDALUS. C'est un volume mesurant 18 x 12 cm (in-8), de 384 pages. Il a été publié sous deux adresses, celle de Bruxelles, chez la Veuve Ferdinand Larcier et à Paris, chez Fontemoing et Cie, en 1913. Ce livre est dédié par son auteur à la mémoire de Richard Patrick Davey, journaliste, homme de lettres et critique, auteur de "The Pageant of London et de "The Nine Days Queen" (1848-1911) "qui eut la claire et constante vision de l'Angleterre en péril d'Israël ce livre est affectueusement dédié".

Nous avons cherché à savoir ce qu'on disait de ce livre dans la critique lors de sa parution. Nous avons voulu avoir confirmation que sous le pseudonyme de Théo-Doedalus se cachait bien Octave Uzanne. Qu'avons-nous trouvé ?

Le compte-rendu bibliographique le plus intéressant que nous avons trouvé à cette heure est celui donné dans la Revue Critique des Idées et des Livres (25 sept. 1913, tome XXII, n°131, page 377-378), nous le reproduisons in extenso ci-dessous :

"L'Angleterre juive : Israël chez John Bull. - Le titre et la façon dont le sujet est divisé montrent que l'auteur de ce livre a sans cesse eu devant les yeux la France Juive de Drumont. Et sans doute l'on dit qu'il faut viser haut ; mais il n'est pas sans danger d'évoquer dans l'esprit du lecteur des ouvrages trop illustres : on peut avoir à souffrir de la comparaison. Il y avait certainement à écrire sur la place et le rôle des Juifs dans l'Angleterre contemporaine une étude des plus intéressantes. Il a peut-être manqué à M. Théo-Doedalus, pour l'écrire, d'avoir assez nettement circonscrit sa matière, et, ayant à l'avant arrêté ses limites, d'avoir su s'y tenir. Sans cesse, à la lecture de son livre, on a l'impression qu'il va creuser son sujet, sortir des généralités et arriver enfin au détail significatif ; et, sans cesse aussi, l'on est déçu : l'auteur abandonne le sujet après l'avoir effleuré, passe à autre chose, ou, ce qui est pire, se perd dans des incidentes. Si bien, qu'après ce livre, où, certes, la connaissance de l'Angleterre ne manque pas, et où l'on sent perpétuellement que l'auteur, embarrassé d'un sujet trop vaste, n'a pas eu le temps ni la place de dire tout ce qu'il sait, la question reste encore en surplus de savoir comment l'Angleterre réagit à l'égard du Juif, et s'il est bien exact que, comme elle le prétend, elle soit arrivée à l'assimiler par en haut. Il faut souhaiter que quelque jour une étude plus approfondie nous soit donnée sur ce sujet si plein d'intérêt ; son auteur ne pourra pas ignorer l'ouvrage de M. Théo-Doedalus. [Signé] J.A."

La Revue Critique des Idées et des Livres n'avance rien quant à l'identité de l'auteur.

Nous sommes ensuite tombé sur un article d'une revue anglophone dont nous n'avons malheureusement pas les références complètes (recherches en cours) qui écrit : "L'Angleterre Juive : Israël chez John Bull, by Theo-Doedalus, published in Paris by Fontemoing, is a vicious, intemperate attack on the Jews of England, made in the name of much abused Psychology. It would be too mild altogether to merely describe the book as "a stroogly worded anti-Semitic study. etc." Rien sur l'identité de l'auteur. Nous n'avons cependant pu lire qu'un fragment de l'article.

Nous désespérions de trouver un lien établi dans la presse entre Théo-Doedalus et Octave Uzanne, quand nous l'avons finalement trouvé dans un article de la Revue Hebdomadaire de 1900 où il est écrit (en parlant de la guerre de l'Angleterre contre les Boers en Afrique du Sud) : "Relisez à cet égard l'enquête de M. Octave Uzanne sur l'Angleterre Juive." Cette enquête dont il est question ici a été publiée dans le journal antisémite dirigé par Edouard Drumont, La Libre Parole, en 1900. En parcourant rapidement L'Angleterre Juive (1913) ont lit page 354-355 : "Il y a là un singulier optimisme, M. Octave Uzanne, en 1900, signalait dans la Libre Parole les journaux suivant ayant des directions ou des attaches antisémites (sic)."

Octave Uzanne cité par Théo-Doedalus ! Et pas qu'une fois puisqu'il est précédemment cité page 336 (Uzanne citant la Comédie Humaine de Balzac et les passages antisémites).

Uzanne cité deux fois dans le texte ! Il me fallait lire le texte, rapidement, sentir le style de l'écrivain qui se cachait derrière ce Théo-Doedalus. Il ne m'a pas fallut bien longtemps pour avoir la certitude que, hélas, Octave Uzanne était bel et bien l'auteur de ce torchon antisémite de 384 pages. Plusieurs indices concordants que les lecteurs d'Octave Uzanne connaissent bien : Octave Uzanne ne peut s'empêcher d'utiliser des néologismes (le livre en contient un certain nombre), comme il ne peut s'empêcher d'employer de très nombreux anglicismes imprimés en italiques (sur ses ordres - comme on peut le voir dans ses manuscrits autographes où ces anglicismes (et néologismes) sont soulignés). Enfin, argument décisif, sans doute le plus flagrant pour qui connait l'homme Uzanne un peu mieux que le commun des mortels, l'emploi d'une expression récurrente, située presque toujours en conclusion de ses livres ou de ses articles de presse : "nos petits-neveux (...)". Octave Uzanne n'ayant jamais été marié ni n'ayant eu d'enfants, donna toujours la réplique "virtuelle" à ses hypothétiques "petits-neveux", comme pour prendre à témoin le futur sur ses écrits. De petits neveux il n'aura point non plus d'ailleurs puisque son frère Joseph Uzanne n'eut lui-même pas d'enfants. Expression qui trahit l'homme ... coupable d'antisémitisme !

Antisémite ! Tout le monde à cette époque l'était ou presque ! Certes. Uzanne ne fut pourtant pas un des derniers puisqu'il était l'ami d'Edouard Drumont, le célèbre auteur de La France Juive. France Juive qu'Uzanne contribua à faire imprimer chez le dijonnais Darantière (en 1886) ; ouvrage publié aux frais de Drumont sur ses gages de journaliste. Drumont collaborateur un temps de la revue Le Livre. Drumont directeur de La Libre Parole.

Résumons. Octave Uzanne est bel et bien l'auteur de cet ouvrage antisémite intitulé L'Angleterre Juive, probablement sortie des presses vers le début du mois d'août 1913. Octave Uzanne n'a à notre connaissance jamais fait état publiquement de la paternité de cet ouvrage. Nous n'avons trouvé aucune autre source que Gustave Geffroy pour citer cet ouvrage comme étant d'Octave Uzanne. Cet ouvrage fut publié au même moment que des centaines d'autres sur le même sujet : la haine du juif. Cet ouvrage est-il passé inaperçu ? Uzanne a-t-il regretté de l'avoir écrit ? Uzanne est âgé de 62 ans au moment de la publication de cet ouvrage qui tranche foncièrement avec tout ce qu'il a pu écrire auparavant. Son ouvrage intitulé Instantanés d'Angleterre qui paraîtra tout juste un an plus tard, en 1914, n'évoque absolument pas cette question.

La personnalité d'Octave Uzanne, toute en paradoxes, nous amènera à compléter et à amender cette ébauche d'article qui, nous n'en doutons pas, nous conduira un jour, à connaître sa position dans l'affaire Dreyfus.

Le texte intégral de L'Angleterre Juive d'Octave Uzanne est téléchargeable ICI.

A suivre ...

Bertrand Hugonnard-Roche


(*) Cet article nécessite l'ajout de nombreuses notes explicatives. Nous le ferons ultérieurement.

4 commentaires:

  1. J'ai noté une mention de cinquième édition sur un exemplaire proposé actuellement à la vente, ce qui dénote un certain succès pour cet ouvrage.

    Je suis preneur de toute information concernant cet ouvrage.

    B.

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    Réponses
    1. Très intéressant.
      Ceci m'amène 2 réflexions.
      La première, heureusement que tu n'a pas publié un livre trop tôt sur Uzanne. Cet élément nouveau est de la plus haute importance et nécessite en effet d'être creusé.
      La deuxième c'est qu'Uzanne a publié sous un nom d'emprunt cet ouvrage et ne semble pas l'avoir revendiqué. Une sorte de vie (ou en tout cas de pensée) secrète. Qu'en est-il concernant les femmes ? A-t-il réellement mené cet vie de grand séducteur ou bien derrière la façade officielle n'y avait-il pas une réalité qu'il aurait aussi voulu cacher ?

      Eric

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  2. Merci Eric de tes pertinentes remarques et interrogations, qui, je l'avoue, sont aussi les miennes.

    Concernant les amours d'Octave, à ce jour, ils restent un mystère à peu près complet.

    Je cherche encore la lettre d'amour enflammé qu'il a bien dû écrire un jour à l'une de ses maîtresses...

    B.

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  3. La boîte de Pandore est ouverte ?
    Mes petits-enfants (je n'ai pas de petits-neveux) se poseront-ils des questions quand ils liront les relations de leur gran-père avec Uzanne ?

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