Vieux airs – Jeunes paroles[1].
Variations sur les choses qui passent (notes familières d’un curieux).
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Il me
prend un scrupule en terminant ces vieux airs sur une ritournelle que l’on
pourrait taxer de « pornographique », selon un mot détourné de son
sens et dont on fait abus hors de saison.
Je
parlais dernièrement avec complaisance, et même avec une pointe d’enthousiasme,
de Restif de la Bretonne et de Monsieur
Nicolas ; aujourd’hui j’aborde Giorgio Baffo, sans préambules hypocrites,
et sans mettre le faux nez pudibond d’un monsieur qui se rend dans les vilains
endroits et qui s’excuse, non sans chattemiterie, de ce qu’il y va faire. Des
lettes – anonymes, il est vrai, – affectent de me blâmer d’oser signaler des
ouvrages aussi contraires aux bonnes mœurs que ceux publiés par M. Liseux. A
lire entre les lignes, je pourrais me demander avec tristesse si je ne suis pas
un malheureux inconscient qui a laissé son bon sens moral s’égarer sur les
rayons malsains des bibliothèques clandestines. Un examen de conscience
approfondi me rassure à l’instant. En littérature l’immoral commence où
finissent la santé et la droiture de l’esprit ; là où l’intelligence est
très cultivée, jaillissante de sève et nourrie dans l’humus des génies vraiment
humains, des sublimes poètes et prosateurs grecs et romains et surtout de l’essence
gauloise de notre admirable langue du XVIe siècle ; là ou le lettré
apparaît, la fausse pudeur n’est plus de mise et l’immoral ne saurait exister.
Les lecteurs de cette revue sont recrutés parmi des érudits éclairés et blasés
sur le propos ; je ne pense pas qu’il soit nécessaire de les traiter en
petites demoiselles. Lorsqu’on a guerroyé dans la vie des livres en compagnie d’Aristophane,
de Lucien, de Pétrone, de Suétone, de Rabelais, de Beroald de Verville, de
Boccace ou de Bonaventure Desperriers, on serait mal venu de donner à ses
lèvres l’accentuation du proh pudor ! à propos de Restif ou de Baffo. –
Pour les lecteurs bibliophiles, les ouvrages que je signale, tirés à un nombre
restreint au possible, ne sont dans le domaine littéraire que des curiosités
analogues aux singuliers cas pathologiques du musée Dupuytren. Ils ont pour eux
le même intérêt dans l’excentrique. – Personne n’est absolument forcé de
pénétrer dans ces collections d’anatomie érotique : mais ceux qui aiment
la nature jusque dans ses verrues y font visite simplement, sans prendre pour
cela une mine gaillarde de bourgeois en bonne fortune. – Je n’insisterai pas d’ailleurs
sur ce sujet, car je me suis toujours demandé avec Montaigne, le sage des sages
et le logicien par excellence, ce que l’action génitale, dans ses diverses
manifestations, cette action si naturelle, si nécessaire et si juste avait bien
pu faire aux hommes, pour qu’on l’exclue de propos délibéré, avec une horreur
bien risible, de tous propos réglés et sérieux.
La
pudibonderie, si amusante et si gracieuse chez la femme, n’est jamais que
ridicule chez un mâle ; elle prend même un autre nom quand elle atteint
les érudits. J’en appelle aux casuistes.
Octave
Uzanne
[1] « Vieux
airs – Jeunes paroles » in Le Livre, bibliographie moderne, cinquième
année, troisième livraison du 10 mars 1884 (n°51), pp. 138 (pour le passage
cité).
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