Pour faire suite à Paris à tabler : le Restaurant du Gymnase (Restaurant Marguery) voici une dernière évocation par Octave Uzanne du chef cuisinier grand entrepreneur es gloutonnerie Nicolas Marguery. Octave Uzanne publie sous le pseudonyme de Un Kodakiste, dans la Dépêche de Toulouse du 1er mai 1910, un dernier article intitulé En souvenir de Marguery. Cet article fait partie d'une petite série d'articles publiés au printemps 1910 sous ce pseudonyme photographique Un Kodakiste.
Nicolas Marguery vient de mourir (27 avril). Octave Uzanne recycle en partie son article du Monde Moderne du 1er octobre 1896. Voici cette courte nécrologie :
Au FIL
des JOURS
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EN SOUVENIR DE MARGUERY
Nicolas Marguery (1834-1910) |
A Paris, il était pour ainsi dire le traiteur familier de tous les Labadens qui tenaient chez lui leurs agapes annuelles, et aussi des sociétés littéraires, confraternelles, scientifiques et provinciales, qui se réunissaient successivement, chaque mois, dans les sous-sols ou les étages élevés de cette entreprise sans rivale de banquets excellemment servis. A l'heure des discours, qui de nous n'a vu la bonne figure de vieux ténor du père Marguery apparaître à la porte, l’œil curieux et amusé, le sourire aux lèvres, envoyant, d'un geste imperceptible, son salut prequ'à chaque convive alternativement. Il était légendaire et il nous semblait qu'il ne dût jamais disparaître, tellement nous nous étions accoutumés à voir ce vétéran un peu voûté, toujours en habit, la serviette blanche sur le bras, qui, grisé par l'odeur de ses fourneaux, olfactivement nourri par l'atmosphère de ses rôtis, de ses coulis et de ses "roux", ne dînait, ni ne déjeunait jamais, oubliant d'avoir faim, ayant perdu le sens du besoin de s'alimenter, lui, le chef de l'alimentation. L'Officier de la Légion d'honneur, ce restaurateur distingué, qui avait conservé la coupe de cheveux et de barbe des hommes du second Empire, ne portait pas les insignes de sa décoration, insinuant qu'humble maître-queue, en relation avec des clients de haut mérite intellectuel, il devait faire montre de modestie et ne pas d'autre part exposer sa rosette dans un conflit possible avec quelque dîneur mécontent ou mal élevé.
Issu d'une famille de cultivateurs bourguignons, Nicolas Marguery fut l'enfant de ses œuvres. Il débuta dans la carrière de rôtisseur comme simple marmiton, ainsi que naguère le florentin Jean-Baptiste Lulli, non pas chez quelque princesse émule de Mlle de Montpensier, susceptible de favoriser son élévation, mais simplement au Rocher de Cancale. Vers 1852, ce restaurant fameux était alors situé à Bercy. De là, Marguery émigra chez Champeaux, place de la Bourse, comme aide-garde marger. Beau garçon, tempérament de séducteur, il épousa la fille de la maison, dont il prit la direction vers 1858. Ce fut en 1861 - il y aura bientôt 60 ans - qu'ayant acquis l'établissement Lecomte, sur le boulevard Bonne-Nouvelle, Marguery fonda ce restaurant du Gymnase qui fait partie aujourd'hui de ces grandes boîtes d'alimentation dont le vicomte d'Avenel a exposé les rouages dans son Mécanisme de la vie moderne et où il est démontré que la nation dépense pour se nourrir quatre fois davantage que pour se vêtir et meubler.
Marguery fut en quelque sorte, avec Duval le père, le Chauchard des grandes entreprises culinaires pour une moyenne de gourmands plutôt supérieur. S'est-il enrichi ? Cela est fort douteux. Il est mort fidèle à son établissement et à ses caves, où il s'efforçait de faire le trust des meilleures crus de Bourgogne, il n'aurait su vivre hors de sa profession.
Parmi ceux qui accourent en foule chez les restaurateurs, écrivait Brillat Savarin, bien peu se doutent que celui qui créa le Restaurant ait été un homme de génie et un observateur profond ; - les salon des restaurateurs est l'Eden des gourmands."
Marguery, pour qui tant de Parisiens de France conservent la mémoire et la reconnaissance de l'estomac, valait bien le médiocre instantané que voici qui, certes, gagnerait à être développé à loisir.
Carème, Grimaud de La Reynière ou le Baron Brisse, n'eussent pas manqué d'honorer Marguery, mais le journalisme est impérieusement bref et commande la sobriété.
UN KODAKISTE [Octave Uzanne]
Dépêche de Toulouse, 1er mai 1910
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