lundi 13 avril 2015

L'OCTAVE de la Société des Bibliophiles Contemporains (1894) par un Bibliophile-Ecrivain anonyme membre de cette même société. Transcription intégrale.


Page de titre du pamphlet intitulé
L'OCTAVE (1894)
      Après vous avoir donné une version numérisée du document original intitulé L'OCTAVE, pamphlet anonyme dirigé contre Octave Uzanne, Président des Bibliophiles Contemporains, et imprimé en 1894 à 160 exemplaires seulement, voici la transcription intégrale de ce texte.
Nous reviendrons prochainement sur le décodage nécessaire d'un tel document.
      En attendant je vous laisse savourer les différents degrés de la méchanceté bibliophilique dont était capable ce Bibliophile contemporain ennemi du Symbolisme, ennemi de l'ordure distillée par Guy de Maupassant. Nous verrons si nous pouvons mettre un nom sur l'auteur de ce tapé à la machine.


Bertrand Hugonnard-Roche





[premier feuillet avec simplement une portée de notes avec les notes ut ré mi fa sol la si do, au centre]

Dessiné et Gravé par Ajax Agathos [en bas à droite du même feuillet]


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Il a été tiré de cet ouvrage
sur papier à chandelle, d'Arras
160 exemplaires
numérotés à la presse
de 1 à 160

N° offert [à l'encre]
à M. A.Fontaine : E. Rondeau [noms à l'encre]


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[page de titre gravée]

L'Octave
de la Société
des
Bibliophiles Contemporains

Athènes,
Chez Alexandros KOULOS,
Imprimeur de Périclès
100, Cul de Sac du Luc (près l'Acropole)

1000 800 80 14
IN TEMPUS ET ANTE

[le tout dans un encadrement formé de filets gras avec dans les angles les lettres O U B C et en haut : Académie des Beaux-Livres. Et au dessous : LIBRI SEMPER VIRESCIT AMOR]

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- * * * * * -

Quelques-un jetteront ce livre par la
fenêtre, mais ils ne diront rien à personne,
et on me lira ; car la Vérité se tient cachée
au fond d'un puits, mais lorsqu'il lui vient
le caprice de se montrer, tout le monde, éton
né, jette ses regards sur elle, puisqu'elle
est toute nue. Elle est femme et toute belle.

(Jacques Casanova de Seingalt.)


-1-

L'OCTAVE
-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Nil ultra Deos lacesco
(Horace)

Avant l'arène.

L'Octave ! Pourquoi ce titre ? vas-tu de-
mander, lecteur bibliophile, blasé autant qu'insa-
tiable.
L'octave, en musique, comprend huit no-
tes. Celle dont il est ici question en a donné huit
aussi, d'un autre genre, spécial et sentant son
coiffeur (1) d'une lieue. A tout à l'heure.
Anonyme ! diras-tu, ami bénévole, taillable
et corvéable à merci ; pourquoi pas ?
Anonyme parut le Temple de Gnide, le dé-
licieux poème en prose du grand Montesquieu, ano-
nyme fut Candide, d'abord ; anonyme (et que
ne l'est-elle restée ?) la Pucelle, de Voltaire ;
Anonyme, la Vénus de Milo ....
Anonymes, tutti quanti et des meilleurs ;
passons.
L'auteur, voulant se renfermer dans l'in-
cognito le plu intangible, s'est fait imprimer à
Athènes. La, il passe tous ses hivers ; ne le cher-
che donc pas, mais :

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1) Ant. Laporte : Les Bouquinistes etc. page 7 ligne 14.


-2-

Devines son nom si tu peux,
Ou bien, choisis-le, si tu l'oses ....
Sache, seulement, qu'il n'a reculé devant
aucun sacrifice pour te livrer un ouvrage ne dépa-
rant pas ceux émanés de la Société des Bibliophiles
Contemporains et même, les surpassant.
Qu'il soit pour toi persona grata !
Va petit livre et fais ton chemin, Justice
est ton but, tu trouveras sympathie et appui, chez
ceux qui sont encore les rares esclaves de la
Vérité.
Constatons en terminant cette avant-scène,
que l'Inconstance étant depuis cent ans le vice de
notre siècle, ce vice devait posséder tout entier
celui qui, comme Alcibiade, ne connaît que le MOI.
Pascal a dit : Le moi est haïssable, a-t-
il eu tort ? Oh non : non ....
Et maintenant, tout à l'Octave !

*
**
*


-3-

Ut - ré - mi - fa - sol - la - si - do -

L ' O C T A V E

-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Il se nomme ainsi le Grimaud de lettres
rongé par l'Inconstance et qui n'existe qu'avec l'ap-
pui bienveillant, éclairé et fidèle, des Brivois,des
Gausseron et d'autres amis, n'oublions par l'ancien
notaire, Piat, le chef de son contentieux.
Il a, depuis près de vingt ans, inondé le
marché littéraire de productions spéciales autant
que polychromes ; écrites en argot et dont le bon
sens public a su faire justice.
Accaparant les presses de la rue St-Benoît,
il fonda il y a quinze ans la double Revue "Le LIVRE".
Cette revue l'a fortement aidé au placement de ses
foetus.
Le LIVRE rétrospectif et moderne, 20 vol.
dura 10 ans, laps sérieux, inespéré ; il dut la vie
aussi longue à ses abonnés auxquels il pesait lour-
dement.
En 1889 le féministe outrancier, le bi-
blio-pharmacopole, enfourchant son dada : "Toujours
de l'avant", fonda la Société des Bibliophiles Con-
temporains, Académie des beaux livres, avec 160
braves gens, dont nous fûmes avec toi, doux lecteur
Panurgique.
Larousse avait été vidé par le Livre, il
fut rouvert pour le Livre moderne, 1890-1891, et
L'Art et l'Idée, 1892. Publications périodiques,
enfants du patissier de lettres et d'images.
Ephémères furent ses mensuels, ils râlè-
rent trois ans. Ajoutons que, bien que fort inuti-
les, ils ne furent nullement nuisibles, Requiescant !


-4-

Le MOI du fondateur y domine et si de rares
écrivains, de talent Français et clair, ont apporté
leur collaboration à ces doux derniers mor-nés, le
chef suprême a mis tous ses soins à les étouffer.
Changer de périodiques étant toujours al-
ler au-devant de la mort avec phrases, et, de plus,
étant fort improductif, on a dû se consacrer, presque
exclusivement, à la Société qui seule doit nous occu-
per ici.
Prenons donc son histoire au début : le Livre
agonisant annonça à coups de réclames la formation
de la Société des Bibliophiles Contemporains.
Contemporains est une trouvaille asinuzan-
nesque, euphémique et nature.
Son sous-titre plus précis : Académie des
Beaux Livres, ouvrait le champ aux idées vastes et
pleines d'espérances.
Voyons ce qu'elle a donné cette nouvelle
Académie, qui n'est pas au coin du quai, et uzanon-
nons la première note de l'Octave.

1890. UT - LES DEBUTS DE CESAR BORGIA, de JEAN RICHEPIN,
(auteur du vaste four "Vers la joie") enluminée par
Georges Rochegrosse, furent le premier cri du Prési-
dent autocrate, il nous donna son UT, ce ténor chevelu.
L'auteur, normalien au picrate, irrégulier
et obscène, ne nous a fourni là que la mie de son pain,
le peintre en a fourni les croûtes.
Les DEBUTS, pastiches de certains romans
en faveur en 1830, bien oubliés aujourd'hui, morts,
mais aussi bien plus propres, fourmillent d'anachro-
nismes évidents, d'odieux mensonges, de faussetés his-
toriques voulues, afin de provoquer l'épatement.

-5-

Jean, le cynique opulent des Blasphèmes, a
paraphrasé le sale Marquis de Sade, il a déshonoré
notre Société par ses lignes infâmes et ultra-hysté-
riques. Orgia, dès le premier plat ! généralement
c'est quand on est repu qu'arrive l'orgie !
Les Sociétaires courbèrent la tête et se
dirent : la suite fera oublier ce pénible début, la deuxième note de l'octave résonna :
1890. RE - Elle nous donna : L'ABBESSE DE CASTRO,
de feu Stendhal, déception noire ; en dehors du style
démodé, vieillot, le livre est noir, noir comme un
four, éteint, noir comme :
Le nouveau drame de Séjour
Dont on admirait (jadis) la sombre trame
et quels dessins, lâchés autant que noirs !
Eugène Courboin, l'illustrateur, s'est
fait charbonnier à cette occasion, afin d'être maître
chez lui. Comme Maître-Pathelin, il a voulu démon-
trer qu'il y avait plus foncé que noir. Le drapier
Guillaume attendait cette couleur-là ; Courboin l'a
trouvée, faut-il l'en féliciter ?
Tant de noir n'est pas atténué par les en-
cadrements paginals, lourds, envahissants, écrasants,
maussades enfin ; bref leur suppression eût atténué,
peut-être, la dureté de l'opuscule RE. Mais il faut
donner beaucoup, c'est dans les us, dans les cordes
du grand chef qui essaie de noyer les imperfections
dans des quantités immenses autant que douteuses.
Ces deux publications auraient dû voir la
lumière en 1890, elles ne parurent qu'en 1891, l'hi-
ver rigoureux étant passé, et puis, on n'est jamais
pressé au céleste séjour du Quai Voltaire 17, pas
plus que chez St-Benoît.


-6-

Les débuts et l'Abesse venaient en place
des Trois Contes de Flaubert, votés en Assemblée
générale. Ce vote, vrai coup de maître, se changea
en un coup d'épée dans l'eau.
La famille de Flaubert refusa à notre pré-
sident, diplomate maladroit et peu aimable, sans dou-
te, partant nullement sérieux, une oeuvre qu'un sym-
pathique libraire du Boulevard St-Germain, artiste et
travailleur a obtenu des héritiers du grand maître.
Sur trois contes deux ont paru et le troi-
sième ne peut tarder à venir. Trois chefs-d'oeuvre,
car on ne peut douter du talent de Merson.
Quelle grande honte pour notre Société, c'est grand pitié !
1890. MI - (3ème note de l'octave) nous donna
l'Annuaire de 1890, en 1891, ne nous étendons pas
sur ce livre ordinaire. Il n'eut d'impressionnant
que les Sonnets hermétiques (odorants et latrinals)
de Richepin, déjà nommé, vidangeur pour la circons-
tance. Pouah !
1891. Passons au FA, cette quatrième note sonna-
t-elle clair ?
CONTES CHOISIS de GUY de MAUPASSANT,
Choisis par lui, nous dit-on ; dix contes,
pris parmi les plus malsains dont Gil Blas a eu la
primeur. Deux ou trois, à peine, peuvent être mon-
trés aux honnêtes lecteurs.
Dessins variés, ..... coloriés en partie et
par des procédés épinalesques retrouvés mais non amé-
liorés. De l'art, si peu, un éclair de ci de là, voilà tout.
On a beau chercher à éviter l'ordure dont
la route est remplie, on y patauge, on en est pollué.
Nous cédons encore, et disons avec le grand
romain :
Quosque tandem O.U. abutere ....


-7-

L'espérance, vertu des forts n'abandonne
pas encore les Sociétaires décontenancés et humiliés,
de plus en plus. Le moment est proche, peut-être, où,
rentrant dans le rang, on abordera l'honnêteté, le
pur, le bon goût, la raison, le vrai.
TA RA TA TA TA, note 6, nous le dira bien-
tôt, fredonnons le SOL (5ème note) l'Annuaire de
1891, qui paraît en 1892, et constatons tout simple-
ment son apparition ; il est, disons-le, pour n'en plus
parler, bien inférieur à son aîné MI. C'est incon-
testablement angoissant. C'est pénible, mais c'est
ainsi ! (Nana)
1892-1893. Le LA, plus laid que celui du dernier mé-
nestrel : 
"Lai charmant qu'on aime à relire",
Nous fait entrer en plein symbolisme, décadent, épileptique, insensé, fou :
QUATRE CONTES D'HARAUCOURT ;
(1892-1893) Voient le jour en 1894 et bien
avant dans cette année, la dernière de notre asso-
ciation.
L'EFFORT (Quid ?) L'effort de quoi ? De qui ?
d'Haraucourt seul et avec lui de LA MADONE. - de
L'ANTE-CHRIST. - de l'IMMORTALITE. - de la FIN DU MONDE ...
Le tout illustré (?) par Alexandre Lunois,
Eugène Courboin (bis) Carlos Schwabe, Alex. Séon.
Voilà les 4 petits de l'auteur de la Légen-
de des Sexes (For ever) quel galimatias ! quel rébus !
quelle gageure ! un traducteur s.v.p. Et les dessins ! ...
Haro, Harooo (long). Un haro court est suffisant.
C'est le coup de l'assommoir. Amis Contem-
porains quel est celui d'entre vous qui a compris
une ligne de ce gigantesque Effort ? De cette
double insulte au bon sens ? Où est-il, ce devineur
d'hiéroglyphes ? Que celui qui a saisi le sens de


-8-

cette purée épaisse aille le dire à l'ombre de feu
Gagne, le chantre de l'Unitéide, encore aux lymbes !
Cet Effort, trop fort, aurait dû attendre
1900, fin de ce siècle maudit. Cette année-là la
terre tremblera, les morts sortiront de leurs tombes
pour y faire entrer ceux des vivants qui auront com-
pris l'inintelligible-décadent, le macabre et sym-
bolique Effort. (1)
Assez, n'en parlons plus et passant très
légèrement sur la 7ème note de l'octave :
1894 SI - Les BALADES dans Paris, constatons
l'inutilité de cette bluette, pillée un peu partout,
et dont les Mystères de l'Hôtel des Ventes, de
Rochefort (triste exilé) ont inspiré le meilleur
chapitre.
O Gausseron ! pourquoi tant d'argot ?
C'est peu digne de toi ; il est vrai que Balade,
n'est pas dans le dictionnaire français, on n'y
trouve que Baladin, l'un des petits noms du farceur
qui nous a donné l'Octave.
E. R. Doit prendre l'air avant de pren-
dre la plume, quelle galette ! Quant à Adolphe
Retté, qui s'affirme révolutionnaire, il ne sait
pas son histoire aussi bien qu'Alexandre Dumas et
Ponson du Terrail. Poète ?.... décadent et des pi-
res, la gloire des Verlaine, Mallarmé, etc. l'étouf-
fe. Pauvre jeune homme, que tu es bête !
En passant, complimentons les entourages
fleuris d'Alexandre Lunois ; c'est du Madeleine Le-
maire, en petit, mais bien gentil, bien mignon.

-------------------------------------------------
1) Est-ce une réclame à la Coca qui est au bas de
la page 86 ?


-9-

Comprenons dans la dernière note :
DO, la 8ème de l'Octave, les deux minces
Annuaires de 1892 et 1893, avec celui de 1894, à
venir, et qui nous est annoncé comme devant être
de pure forme.
Après eux, un os à ronger pris sur le
reliquat en caisse, donnons d'abord satisfaction
aux services de la Société, et attendons cet os,
c'est l'Avenir dont nous ne pouvons parler.
L'Assemblée générale du 10 Novembre pro-
chain va voter, nul n'en peut douter, la liquidation
sociale, après le banquet des nouveaux Girondins,
chez Marguery.
Notre président, n'ayant pas fait d'élè-
ves, ne peut avoir ni successeur ni imitateur, pour
la plus grande gloire de l'Art et du Goût Français
et pour le repos, bien gagné, des 160 miséreux et
dupés.
Pendant cinq années nous avons suivi ce
fils de Clodion le chevelu, nous lui avons confié
notre or, avec l'idée, naïve, qu'il serait sagement,
utilement répandu.
Nous avons aidé le chef à placer ses
oeuvres, à faire sa vente de Mars 1894, vente an-
noncée à son de trompette ; que cette trompette
soit celle de son dernier jugement !
Que reste-t-il de tout cela ?
du vent, du vent et "nunc et semper".
La Société est bien morte. Pour la faire
renaître et la faire durer ce que dure celle
des Amis des Livres, toujours vivace, il faut d'autres
errements, les trouvera-t-on ? Peut-être ? Pour
cela il est indispensable de renoncer à ceux du
Président des Contemporains.


-10-

L'Académie, née de l'Inconstance, meurt
par l'Inconstance abracadabrante de celui qui, en-
vers et contre tout et tous, y a voulu être tout,
même fabricant de papier, et qui n'a daigné con-
naître comme disciple de Guttenberg, que Quantin,
toujours et in aeternum !
Bon voyage au Bibliognoste indigeste,
l'Amérique lui ouvre ses bras, le pays Yankee est
neuf, il trouvera là beaucoup à faire.
Plutôt Adieu qu'au Revoir !


-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-

Nota triste. - Au moment de confier ces
pages à la brocheuse, le lecteur partagera notre
déconvenue et notre chagrin cuisants. Puvis de
Chavannes, le grand peintre symboliste, qui nous
avait promis l'Illustration de notre oeuvre, vient
à son grand regret, de reprendre sa parole. Cette
critique sera donc toute nue, comme la Vérité.
Cependant, si son heureux possesseur veut
en faire aquarelliser les marges, il a tout près de
lui de vrais artistes qui ont nom : Carac d'Ache,
Chéret, Forain, Guillaume, Mars, Steinlen, Stop, Willette,
etc., etc. j'en passe ....
Ami lecteur, l'écrivain te salue et
t'aime, crois-le bien.


*
**
*


Achevé d'imprimer
le 2 Novembre 1894
à ATHENES

-:-:-:-:-:-


Pour le Bibliophile-écrivain
sur les Presses hydrauliques d'Alexandre Koulos,
imprimeur de Périclès,
avec les caractères, éternels, de La Bruyère,
les Encres inaltérables du Salut,
le papier à chandelle, d'Arras,
(trouvé par l'auteur conducteur)
Broché avec les fils de soie
de Cempuis.

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[suit un feuillet blanc]

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