dimanche 2 mars 2014

Octave Uzanne répond à une enquête sur la réglementation de la prostitution (1927)


Octave Uzanne et la question de la prostitution n'est pas un petit sujet pour l'étude du personnage et de ses idées relatives à la question de l'amour tarifé. A la fin de l'année 1893, Il donne dans La Femme à Paris une partie entière divisée en plusieurs chapitres entièrement consacrés à la prostitution : La Femme hors des lois morales. Chapitre XIV. La Basse Prostitution. L'Artifice de la prostitution contemporaine. - La Rôdeuse des fortifs. - La Gigolette et ses souteneurs. - Les Raccrocheuses et Pierreuses. - Les Petites Bouquetières. - Les Fausses ouvrières. - Les Filles de brasserie. - Les Étudiantes. - Les Fenêtrières. Chapitre XV. Prostitution bourgeoise. Les Insoumises. - Leurs procédés d'après M. Lecour. - Leur accroissement. - Ruses et détours. - La Décadence des maisons officielles. - Mœurs des réclusières. - La Traite des blanches. - Les Bals publics de Paris. - Petits trucs de la prostitution en chasse. Chapitre XVI. Prostitution clandestine. Les modes d'action divers de la prostitution clandestine. - Les Gares. - Les Hôtels. - Les Marchands de vin. - Les Buraux d'omnibus. - Les Boutiques fallacieuses. - Les Fausses veuves. - Filles et Mères. - Les Marieuses. - Femmes de théâtre. - Maisons de rendez-vous. Chapitre XVII. Les Phrynés actuelles. La Grand Cocotte et les Belles-Petites. - Observations générales.
Si Octave Uzanne s'est intéressé à décrire minutieusement la prostitution et y a consacré plusieurs articles de presse c'est sans doute dans sa propre vie privée qu'il faut aller en chercher les raisons profondes. Il n'a pas échappé à la règle qui prévalait alors presque toujours dans la bourgeoisie du second Empire qui voulait qu'un jeune homme fasse son éducation auprès des filles de la rue ou des petites maisons. Comme nous l'avons déjà relevé dans un précédent article, Octave Uzanne a cultivé le jardinet de la prostitution. « […] Tout en cultivant le jardinet de la prostitution, j’aillais dire de l’amour ; ton ami Octave a le plus profond dégout pour toutes ces ninons cariées qui roulent au quartier ; il rêve de suaves amours que son cœur encore intact conserverait pieusement ; il envie l’eau pure d’une fontaine, et il s’abreuve aux immondices du ruisseau. […] » écrit-il à son ami Emile Rochard le 29 janvier 1872. Octave Uzanne a donc fréquenté les filles du ruisseau, les plus basses prostituées de la capitale, selon ses propres dires. Nous ne savons pas si cette habitude a perduré ou si l'habitude de fréquenter les filles de mauvaise vie lui a passé. Quoi qu'il en soit, plusieurs articles publiés dans les journaux permettent de penser que cette habitude n'existe plus au début des années 1900.
La redécouverte récente par Fabrice Mundzik (site consacré à J.-H. Rosny) d'une enquête sur la prostitution menée par Maurice Hamel et Charles Tournier (1927), nous livre la réponse d'Octave Uzanne. A la question : Faut-il abolir la prostitution réglementée ? Comment résoudre ce problème social ? Octave Uzanne répond :

« L'histoire de la prostitution est celle de l'humanité. Dans l'antiquité, et même dans la Bible, les causes de l'acte de débauche ne furent pas les mêmes que celles qui, croit-on, sont aujourd'hui à la base de l'impudicité publique ; instincts de dépravation, misère, paresse aboulique, goûts de vie luxueuse et turbulente, esprit de révolte contre la monotonie du foyer et les servitudes domestiques. L'infinité des causes à signaler me porte à la synthèse nécessaire.
Quant aux effets et conséquences : il serait puéril de vouloir les réformer, car le culte d'Astarté varia d'expression, selon les âges et les pays, chez les Hébreux, les Grecs, les Romains, les Egyptiens et les Arabes.
La femme galante eut souvent ses vertus ; son rôle social de réparatrice des richesses fournirait matière à une thèse intéressante à la fois philosophique et économique.
Les femmes de plaisir, que le bon Montaigne appelait proprement des Garces à jouir, ont toujours été une nécessité. Pourquoi et comment l'abolir et dans quelles mesures la réglementer ?
Le mieux, à mon avis, serait de laisser vagabonder assez librement les trafiquantes d'amour dans les marges du Code.
La prostitution, à vrai dire, est insaisissable dans les innombrables variétés et expressions. La police qui régit et tient en rigueur la fille publique ne traque et n'atteint, en général, que les miséreuses et échouées dans les pires sentines des faubourgs, les pauvresses exténuées, qui déjà triment sous la menace des souteneurs. Les poules un peu huppées sont les pourvoyeuses des industries de luxe, vivent dans la considération publique qu'on accorde toujours à la réussite, à l'arrivisme, à la fortune.
Il en fut toujours de même. L'animal humain respecte la fange dorée et envie même ceux qui s'y vautrent.
Si nous ne subissions pas des idées de morale collective rigoureuses qui s'opposent à l'exposé de théories qui paraîtraient téméraires, bien que logiques, il me semble que l'on pourrait arrêter le grand courant de la prostitution clandestine et réglementée au profit de la repopulation !... Mais, jugez un peu des cris que je ferais pousser en parlant de primes aux filles-mères et d'une institution de gynécées nationaux qui exerceraient une dérivation à la fois salutaire et urgente. »


Octave Uzanne.

A cette réponse, Maurice Hamel répond à son tour par une question :

« Tout cela est très bien, cher confrère, mais ne pensez-vous pas qu'il serait grand temps qu'on laissât un peu de côté les littératures traitant de la prostitution pour envisager enfin les mesures susceptibles de l'abolir ? »

En 1911 déjà Octave Uzanne évoquait la possibilité de Haras humains. Traitant de la polygamie évidente dans la société moderne, il écrit : « Si nous étions moins hypocrites, moins domestiqués à l’idée de la civilisation sociale, nous conviendrions qu’il ne s’agit que de reconnaître et d’organiser cette polygamie jusqu’ici occulte et qui livre sans cesse aux faiseuses d’anges ceux qui, logiquement, seraient les êtres les mieux constitués pour perpétuer la vigueur de notre race. Car, observons-le bien, on n’enraye parmi nous que l’amour libre, on ne détruit que les produits de la « sélection naturelle », et ce sont ceux-là, justement, qu’il faudrait préserver. » De là à rejoindre les théories téméraires sur la réglementation de la prostitution pour en faire des gynécées nationaux avec primes aux filles-mères, le tout au profit de la repopulation, il n'y a qu'un pas.
Très étonnant de voir que l'auteur de cette enquête sur la prostitution ne relève pas du tout ce dernier argument, cette dernière hypothèse hardie. Il ne retient finalement de la réponse d'Octave Uzanne que le superficiel lié à la littérature de la prostitution. C'est faire finalement bien peu de cas de son opinion. En 1927, Octave Uzanne est dans l'année de ses 76 ans.


Bertrand Hugonnard-Roche

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