mercredi 13 novembre 2013

Octave Uzanne hygiéniste ... Hôtellerie et insalubrité au début du XXe siècle.

Intérieur de chambre à coucher d'hôtel vers 1900
Ce n'est pas la première fois que nous évoquons la vie d'hôtel vue par Octave Uzanne. Il a fréquenté un nombre incalculable d'hôtels en France mais également en Europe et même encore au delà (Egypte, Etats-Unis, et certainement au Japon). Très exigeant sur la propreté, Uzanne en donne un aperçu à son frère dans les nombreux courriers qu'ils ont échangé dans les années 1906-1910. "J’ai donc eu, écrit-il à son frère, deux jours durant, et plus, 3 femmes de ménage et la petite bonne de ma propriétaire qui sous la direction et à la charge de celle-ci, ont tout lessivé, lavé à grande eau, encaustiqué, etc. – Tout était déjà prêt pour quelques pièces, literie rebattue, linge rideaux blanchis, etc." (St-Raphaël, 7 décembre 1907). Le 14 décembre 1908 il écrit encore au même : "La journée hier fut superbe. Je visitai les Roches Rouges, à la veille de faillite, puis à pied d’Agay à Anthéor où je m’attardai à l’hôtel – (ignoble et sale) – Beau Rivage à Raphaël est bien à ma convenance." Octave Uzanne a fréquenté de grands et beaux hôtels : le Beau-Rivage à St-Raphaël notamment. Mais également l'hôtel Victoria à Chicago, le Savoy-Hotel à Berlin, le Modern Hotel à Marseille, et bien d'autres encore.

Intérieur de chambre à coucher d'hôtel vers 1900
Voici son opinion sur le sujet, parue tout d'abord en article dans la presse puis repris en volume dans le Sottisier des Moeurs publié en 1911. Il faut garder à l'esprit qu'à cette époque (entre 1905 et 1911), Octave Uzanne a été malade, suffisamment pour décider de changer de mode de vie. Désormais une vie plus calme, le plus souvent possible loin de Paris, loin des tentations en tous genres (repas grandioses, réceptions, invitations, spectacles, femmes, etc.). Uzanne est à la recherche d'un confort absolu et hygiénique, voire hygiéniste, comme pour se préserver du mal. Nous découvrirons à l'occasion de la publication d'autres articles le côté hypocondriaque qu'il développa une bonne partie de sa vie et notamment durant cette même période.

Bertrand Hugonnard-Roche


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LE GITE ET LE REPAS

Intérieur de chambre à coucher d'hôtel vers 1900
Nous venons d'aborder la question des hôtelleries regrettant de constater avec quelle déplorable lenteur ceux qui, en France, émettent la prétention de tenir des hôtels de premier ordre, s'érigent véritablement à la hauteur des progrès aujourd'hui réalisés presque partout en Suisse, en Angleterre, en Allemagne et même en Italie.
Il n'y a pas à dire, répétons-le, la majorité de nos grandes auberges ne favorisent pas le voyage dans un pays cependant si admirablement varié que le nôtre et qui, au dire des étrangers, qui savent voir et comparer, est encore, comme le nommait Shakespeare : le jardin de l'univers le plus merveilleux à parcourir et visiter qui se puisse rencontrer sur cette planète.
Certes, nos compatriotes ne se montrent guère exigeants sur la propreté, la coquetterie décorative, la clarté, la fraîcheur et la salubrité des chambres qui leur sont offertes dans la plupart de nos préfectures et sous-préfectures. Les négociants, voyageurs et touristes se contentent de gîtes dont l'exiguïté, la laideur, la saleté, l'affreux mobilier, les tentures passées, les peintures défraîchies, les tapis usés jusqu'à la trame donnent une véritable sensation d'angoisse et de dégoût à ceux qui aiment trouver, hors de chez eux, la chambre lumineuse, aux rideaux de guipure bien blancs sur des vitres impolluées, au parquet ciré ou lavé, aux papiers nets et propres, aux meubles simples et brillants, au lit de fer ou de cuivre n'éveillant aucune appréhension pour le dessous des couvertures, des matelas et des draps.
Combien peu fréquentes, hélas ! dans le centre de notre beau pays, se rencontrent ces chambrettes souriantes et avenantes dans leur simple mousseline ! Après un long et poussiéreux trajet en chemin de fer, en auto ou à bécane, elles représentent cependant pour nous le port salutaire, le nid accueillant où, dans une harmonie de blanc majeur, nous aimerions à opérer les nécessaires ablutions, et à goûter dans la fraîcheur, le silence et la propreté bienfaisante un repos sainement gagné, sur une literie impeccable.
Ce que le voyageur quelque peu délicat attend, espère et se croit en droit d'exiger, c'est un logis aussi peu compliqué, aussi sommaire que possible comme mobilier et décoration, mais apparemment net de toute souillure, avec des murs, un plafond, un parquet brillants, un lit agréable à voir dans sa tonalité et sa bonne senteur de complet blanchissage ; une table de nuit hygiénique ne dégageant aucun relent des provenances azotiques et ammoniacales que la stagnation ou la négligence et le défaut de soins rendent vite intolérables. Ajoutons à ces desiderata la toilette de bois blanc coquettement lingée, l'armoire de pitchpin, la table à écrire et quelques chaises légères, cannées ou paillées. Tout cela est aisé à réunir et installer sans frais, ni génie d'organisation. A proximité, le voyageur recherche des w.-c. ou indispensables à chasse, ou, pour le moins, munis de système à siphons, des retirate, comme disent les Italiens, clairs, bien aérés, soigneusement ripolinés, et faisant oublier nos plus humiliantes fonctions, ou, pour mieux dire, celles des passagers locataires qui nous précédèrent, car nous sommes plutôt inaccessibles au dégoût de notre propre humanité.
Au lieu de cette simplicité lessivée, astiquée, frottée, maintenue en rigoureuse netteté après chaque occupation, que nous offre-t-on, le plus souvent ?... Des chambres du temps de la Restauration, avec un mobilier boiteux de l'époque, des tentures poussiéreuses et brûlées par la vétusté, des murs tapissés depuis cinq ou dix lustres, des plafonds surchargés de tapisseries, de corniches encrassées et crevasses pitoyables, des baldaquins de lits, avec ou sans rideaux, mais qui recèlent plus de détritus qu'il n'en faudrait pour intoxiquer des centaines de cobayes ; des lits, enfin, où l'on a fumé, aimé, transpiré, exhalé des senteurs de maux divers, de lits qui ne furent jamais purifiés, ni dans les dessous essentiels, ni dans l'ébénisterie, ni dans les couvertures. Les draps sont insuffisants à neutraliser tant de miasmes et tant d'évocations de l'organique malpropreté des innombrables humains qui dormirent là sans souci, ni écœurement, hélas ! et sans la moindre protestation.
Quant au petit meuble contenant "le vase qu'en chambre, on demande", c'est la plus nauséabonde cassolette que l'odorat puisse supporter. Le bois s'est imprégné des essences ammoniacales et des acides uriques au point que le voisinage, à l'heure du sommeil, en devient un supplice indicible, une demi-asphyxie. Quant aux nécessités, ou w.-c., disons que c'est trop généralement une honte. Les odeurs en sont si effroyables dans certains hôtels, cependant réputés, qu'elles envahissent les couloirs, les escaliers, les chambres, rappelant les latrines des collèges, des séminaires, des casernes, les lieux publics des vieilles gares de chemin de fer.
Notre confrère et ami Marcel Prévost a fréquemment signalé dans d'excellents articles de journaux ces tares déplorables de notre industrie hôtelière. Nous avouons qu'il le fit avec une philosophie infiniment plus résignée que la nôtre, dans un esprit fort rabelaisien, plaçant au premier rang les plaisirs de la table, généralement supérieurs, estime-t-il, en nos auberges de France à tout ce qu'on peut rencontrer dans les first-class hôtels de l'étranger.
La théorie de Marcel Prévost semble être celle-ci : "Il faut opter entre les deux meubles, entre le lit et la table, entre le gîte et le repas." L'heureux châtelain de La Roche, dans le Lot-et-Garonne, est indulgent à la cuisine, aux savoureux ragoûts, aux bidoches habilement déguisées, aux délicatesses des desserts de nos grandes auberges. Il estime sans doute que l'agrément de bons et solides repas peut fort bien être payé par un bien-être absent et une hygiène douteuse du coucher. Certes, il préférerait plus d'harmonie entre les deux symboles du réconfort humain et pousserait volontiers l'exigence jusqu'à prétendre bien dormir en voyage, ayant bien dîné, ou bien déjeuner ayant bien dormi, mais on devine que la question du gîte est moins importante à ses yeux que celle du repas.
Nous devons montrer ici des tendances absolument contraires. On peut toujours choisir ses mets, obtenir des vins honnêtes, ou des eaux minérales rassurantes, des légumes faciles à cuisiner en son assiette, des oeufs du jour ou de la veille, et du pain masticable. Les fromages et les desserts permettent également d'échapper à la faim, ainsi que les fruits, les biscuits, les confitures ou pâtisserie. Mais pour le gîte, pour la prison nocturne, où il faut bien, quelque dégoût qu'on en ait, demeurer un minimum de neuf à dix heures enfermé, il n'en va pas de même. Ah ! certes non !
Rien n'est plus faux que le proverbe : "Une mauvaise nuit est bientôt passée." Dire cela d'un mauvais repas serait mieux conforme à la vérité, car, en définitive, un gourmet accoutumé à des goûts sobres ne s'indigestionnera jamais de nourritures mal préparées et d'aspect inassimilables. Il calmera seulement son appétit avec ce qu'il pourra trouver de mangeable et ne s'en portera pas plus mal, bien au contraire. Le voyageur délicat, amoureux de netteté, de propreté, d'air salubre, de décoration harmonieuse et propre, de rigoureuse simplicité, de lumière sereine, d'attouchements sans traces aux doigts, et de sensations olfactives saines et agréables, souffrira mort et passion dans une chambre maussade, sombre, sentant l'animal humain dans ses substances les moins nobles et les plus pénétrantes, ne permettant pas de se livrer, sans suspicion, au sommeil et aux ablutions dans un entourage mobilier répulsif dont on ne saurait s'évader par crainte de trouver pis encore ailleurs.
Reconnaissons que le Français omnivore attache une excessive importance au repas et ne se soucie guère du gîte. Notre réputation culinaire est encore considérable dans le monde entier, tandis que notre renommée pour le bon gîte hôtelier laisse énormément à désirer et devient chaque jour plus médiocre, pour ne pas employer un qualificatif plus mordant.
Nos vieilles hôtelleries sont représentatives d'un conservatisme mobilier affligeant. Il serait temps de s'apercevoir que nous ne vivons plus sous le règne de Charles X ou de cette bonne poire de Louis-Philippe, que les bois d'érable, de sapin, de chêne ou de frêne bien entretenus sont supérieurs à l'acajou, au palissandre datant de 1820, ou au poirier noirci de 1850, que les appareils sanitaires des w.-c. sont plus nécessaires qu'un beau service de table et que le lit offert au voyageur doit être, avant tout, un chef-d'oeuvre de propreté, d'hygiène et de confortable.
Au prix que réclament aujourd'hui les plus modestes tenanciers d'hôtels, il n'est pas déraisonnable d'exiger un gîte qui ne soit plus un bouge dégoûtant ou une écœurante prison passagère. La vie d'hôtel est honorée, prônée, et prend une importance de jour en jour progressive en Angleterre et aux Etats-Unis.
Nous ne saurions suivre un tel mouvement en France. Chez nous, les souvenirs de la vie d'hôtel provincial - villes d'eaux et stations climatériques mises à part - ne seront jamais de ceux qu'on évoque sans rancoeur et sans dégoût. Le Touring à quelque peu amélioré la situation, mais ce qui lui reste à faire pourrait décourager les plus vaillants de ses apôtres fervents. Il faudrait cent Hercules pour assainir tant d'écuries d'Augias dans le centre et la circonférence même de notre territoire.
Mais la routine ne sera-t-elle par éternellement triomphante dans notre doux pays.


Octave Uzanne
Le Spectacle Contemporain, Sottisier des Moeurs,
Paris, Em. Paul, 1911
pp. 274-279

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