Collection Bertrand Hugonnard-Roche - juin 2012
Continuons notre visite au sein de la Société des Bibliophiles contemporains. Plusieurs documents viendront à la suite pour compléter cette intéressante étude de la première société de bibliophiles fondée par Octave Uzanne à la fin de 1889. Comme on le verra, celle-ci fut mise en train dès le début de l'année 1889 mais plusieurs retards empêchèrent qu'elle ne voie le jour avant novembre de cette même année.
Voici une première lettre dans laquelle Uzanne invite Claudius Popelin à devenir membre des Biblios Contempos. Il ne le deviendra pas. Popelin mourra en 1892 âgé de 67 ans.
Bonne lecture.
Bertrand Hugonnard-Roche
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Lettre
autographe signée d’Octave Uzanne à Clodius Popelin, datée du 20 février 1889
et écrite sur papier à en-tête de la revue Le Livre, revue du monde littéraire,
Maison Quantin, 7, rue St-Benoit, Octave Uzanne, Rédacteur en chef. ¾ page in-8
– papier vergé crème.
Paris le 20 février 1889
Mon cher confrère,
Je vous fais parvenir sous bande un projet de
société lettrée[1]
dont je serais heureux que la teneur put vous intéresser.
D’ici peu, cette académie d’amis des livres sera
constituée et comptera parmi ses membres des noms illustres ; je voudrais
parmi ceux-ci voir figurer celui de Clodius Popelin[2]
qui synthétise si brillamment l’art du livre par la pensée et la forme
« ut pictura poesis[3] »
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Je serai donc ravi, mon cher confrère, de recueillir
votre bulletin de sanction[4],
si le projet, tout grossièrement ébauché qu’il soit, vous séduit.
Croyez, mon cher confrère, à l’expression de mes
sentiments les plus distingués.
Octave Uzanne
[1] La Société des Bibliophiles
Contemporains ou Académie des Beaux Livres, qui naîtra quelques mois plus tard.
[2] Claudius Popelin, né Claudius Marcel Popelin le 2 novembre 1825 à Paris
2e et décédé le 17 mai 1892 à Paris
8e, est un peintre, émailleur et poète français. Élève de François-Édouard Picot et d'Ary Scheffer, il est peintre
d'histoire, de portraits et d'émaux.Il épouse à Paris 8e le 15
avril 1858 Marie Thérèse Anquetil (Paris 8e, 1er septembre 1836 -
idem, 19 février 1869). De cette union naîtra un seul
enfant, Gustave (1859-1937), artiste peintre.
[3] La comparaison
entre les arts de la vue et ceux de l'ouïe s'inscrit dans une longue tradition
qui, selon Platon, remonterait à Simonide, et qui s'est
diffusée à la Renaissance à travers la lecture d' Horace. « L'esprit,
écrit Horace dans l'Épître aux Pisons, est moins vivement frappé de ce que
l'auteur confie à l'oreille, que de ce qu'il met sous les yeux, ces témoins
irrécusables » (Art poétique, Flammarion, “ GF ”,
1990, p. 264).Reprise
par les théoriciens de la Renaissance, cette comparaison sera à l'origine de ce
qu'on a appelé la doctrine de l'« ut pictura poesis ». Or
celle-ci s'est constituée sur un contresens au sens propre, c'est-à-dire sur
une inversion. Alors qu'Horace comparait la poésie à la peinture, rapportant
les arts du langage à ceux de l'image, les auteurs de la Renaissance inversent
le sens de la comparaison. Un poème est comme un tableau devient un tableau est
comme un poème. L'« ut pictura poesis », telle qu'on l'entend dans le
champ du discours sur l'art, consiste toujours à définir la peinture, à
déterminer sa valeur, en fonction de critères qui sont ceux des arts poétiques.
La fécondité de cette doctrine pendant plusieurs siècles fut incontestable
(…)C'est ainsi que Félibien, dans le Songe de
Philomathe, met en scène l' « ut pictura poesis » à travers
un dialogue entre deux sœurs, l'une blonde, l'autre brune, la première
s'exprimant en vers, la seconde en prose (publié en 1683, ce texte a été repris
en appendice au Livre X des Entretiens sur les vies et les ouvrages
des plus excellents peintres anciens et modernes, 1668-1688).
L'« ut pictura poesis » ne se contente pas de modifier l'image
et le statut de la peinture; elle transforme aussi sa définition en lui imposant
les catégories de la poétique et de la rhétorique (l'invention, la disposition)
et en lui attribuant une finalité narrative. La doctrine de l'ut pictura
poesis triomphe ainsi dans la peinture d'histoire, considérée
longtemps comme le genre le plus noble de la peinture. "ut
pictura poesis erit": il en est de la poésie comme de la peinture
(Horace). Nous renvoyons à cette page pour en savoir plus sur cette comparaison
entre art poétique et
peinture : http://robert.bvdep.com/public/vep/Pages_HTML/$COMPARAISON2.HTM
[4] Le compte rendu de la réunion
constitutive des Bibliophiles contemporains en date du 18 novembre 1889 et qui
donne la liste des membres fondateurs de cette société, ne mentionne pas le nom
de Clodius Popelin. Popelin n’aura donc pas répondu favorablement à la missive
d’Octave Uzanne. Popelin meurt le 17 mai 1892 à Paris.
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