Les documents dont vous allez pouvoir prendre connaissance ci-dessous sont pour la plupart difficile d'accès. Le factum qu'envoie G. Boudet, éditeur, successeur de H. Launette, qui présente ici sa démission de la Société des Bibliophiles contemporains. A. Ferroud proteste aussi dans un autre document éphémère parfaitement conservé. C'est un petit miracle que celui-ci nous soit parvenu intact. Il se trouvait parmi une quinzaine d'autres documents imprimés (circulaires, avis, prospectus, etc), tous concernant la fondation et les activités de la Société des Bibliophiles contemporains depuis sa création à la fin de l'année 1889 jusqu'à sa dissolution complète et définitive en 1894. Nous verrons que même bien après cette date, les Bibliophiles contemporains existent encore, sous une forme non officielle (à lire dans un prochain billet). Les autres documents donnés ci-dessous sont extraits de la revue le Livre moderne et peuvent être plus aisément consultés.
Lisez et faites-vous votre propre opinion sur les différents protagonistes de l'affaire. Il s'avère que A. Ferroud et Octave Uzanne ont eu (courant 1889 ou au début de 1890) un différend sérieux. Nous n'en connaissons pas la raison. Est-ce une lutte d'ego ? (fort probable) un incident d'édition ? les liens entre eux et un artiste qu'ils se disputaient ? Nous en saurons plus en découvrant de nouveaux documents.
Bonne lecture.
Bertrand Hugonnard-Roche
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26 mars 1890 - Lettre imprimée sur papier à en-tête de la
Librairie Artistique H. Launette & Cie, éditeurs, G. Boudet, succr., 197,
Boulevard Saint-Germain, Paris. [Imprimé en rouge et noir]. 2 pages in-4
Monsieur,
J’ai l’honneur de vous adresser
ci-dessous, la copie d’une lettre envoyée à M. Octave Uzanne, en réponse à un
entrefilet paru dans le Livre du mois de mars, que vous avez lu probablement,
mais dont je vous adresse également copie d’autre part.
Veuillez agréer, Monsieur,
l’expression de mes sentiments distingués,
G. BOUDET.
Monsieur
Octave Uzanne,
Directeur
du Livre,
On me communique à l’instant le
numéro du Livre du mois de mars, dans lequel vous consacrez un entrefilet à
l’adresse des Bibliophiles contemporains ; vous y faites allusion au
lancement d’un ouvrage mis en sous-location par une Maison d’édition chez un
débitant de publications du boulevard St-Germain.
Si vous le voulez bien, nous
mettrons les noms afin d’y voir plus clair. Tout d’abord l’ouvrage dont il
s’agit est le Daphnis et Chloé, illustré par Raphaël Collin. – La maison
d’édition est la Librairie Artistique H. Launette et Cie, G. Boudet successeur,
et le débitant de publications est le libraire-expert A. Ferroud que vous
connaissez très intimement.
Dans quel but avez-vous écrit des
choses aussi injurieuses sur notre maison ? C’est ce que je ne puis
arriver à comprendre. Nous pensions que dix années passées dans l’édition avec
un rang honorable, et le légitime orgueil de n’avoir jamais manqué à nos
engagements, nous mettrait à l’abri d’une attaque aussi injustifiée.
Nous n’avons rien à voir dans vos
rancunes avec M. Ferroud, votre collaborateur dévoué dans la création de la
Société des Bibliophiles contemporains, et que pour des raisons qui ne nous
regardent pas, vous avez mis de côté une fois la Société formée ; mais que
pour lui dire des choses désagréables vous ayez eu besoin de marcher sur nous
et d’attaquer à l’avance un ouvrage que vous avouez ne pas connaître, c’est
dépasser les bornes de la critique.
Un passage de l’entrefilet en
question m’a vivement étonné. Vous voulez interdire aux Libraires et Editeurs
d’avoir aucune communication avec les Contemporains ! comme si vous
vouliez accaparer pour vous seul, l’attention de ces Messieurs. Je crois que
vous outrepassez vos droits de Président en voulant éviter aux membres de la
Société, tout contact avec les éditeurs et en ayant l’air de les mettre en
tutelle comme étant incapables d’acheter un livre de leur propre initiative.
Vous n’avez sans doute pas réfléchi
à l’énormité de la chose ; car enfin, l’éditeur après avoir publié un
ouvrage au prix de beaucoup d’argent, doit avoir la liberté d’en chercher le
débit auprès de ceux qui aiment les livres, à moins que vous n’ayez la
prétention de remplir leurs bibliothèques exclusivement de vos ouvrages.
Faudra-t-il désormais vous demander l’estampille sur les éditions que nous nous
proposerons de publier pour les amateurs ?
Quoi qu’il en soit, nous pensions
avoir mieux mérité de votre impartialité et de vos louanges passées, pour ne
pas être taxé de mettre une partie de notre future édiiton en sous-location
chez un débitant comme vous le dites si élégamment.
La vérité, la voici : M.
Ferroud a traité pour une édition spéciale à 50 exemplaires de Daphnis et
Chloé, comme il l’a fait précédemment avec la Maison Quantin pour 50
exemplaires de Cinq Mars. Qu’y-a-t-il dans cette opération qui vous blesse au
point de vous laisser aller à attaquer une maison qui ne vous demande rien ?
Notre Prospectus-écriteau, pour me
servir de votre spirituelle expression, fait mention des noms suivants :
Préface de Jules Clarétie, de l’Académie française ; compositions de
Raphaël Collin, médaille d’honneur à l’Exposition universelle de 1889, gravées
à l’eau-forte par Champollion dont l’éloge n’est plus à faire auprès des
amateurs.
Est-il vrai que ce prospectus,
sortant de notre maison, avec les garanties d’honorabilité que nous pouvons
offrir et les noms qu’il porte, soit destiné à prendre rang dans certain
chapitre de Rabelais ? C’est la question que nous allons avoir l’honneur
de soumettre à tous les membres impartiaux de la Société des Bibliophiles
contemporains, en leur adressant copie de cette lettre, afin de leur demander
s’ils approuvent un tel langage sous la plume de leur Président.
Je vous
salue,
G. BOUDET.
Je
m’associe entièrement aux termes de la protestation de M. Boudet et je proteste
personnellement, en vous priant de recevoir ma démission, de membre des
Bibliophiles contemporains.
H. LAUNETTE.
26 mars
1890
Lettre imprimée sur papier blanc de
M. A. Ferroud aux Bibliophiles contemporains. 1 page in-8 avec écriture en
fac-similé d’un envoi d’Octave Uzanne à A. Ferroud. 26 mars 1890.
26 mars 1890.
Monsieur,
En réponse aux attaques parues dans
le dernier numéro du Livre, je me bornerai à mettre sous les yeux des membres
de la Société des Bibliophiles Contemporains, la dédicace ci-dessous, que M.
Octave Uzanne m’adressait sur son dernier ouvrage : « Le Miroir du
Monde ».
A
M. A. Ferroud
Le
grand propulseur-bibliophile de
mes
livres.
Bibliophiliquement
Octave
Uzanne
Veuillez
agréer, Monsieur, mes plus empressées salutations.
A. FERROUD.
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Document
imprimé, extrait du Livre Moderne du 10 mars 1890 :
La Société des Bibliophiles Contemporains
est à peine créée que déjà on prétend abuser de cette réunion de lettrés,
amoureux d’ouvrages de ce temps. La Liste des membres fondateurs très
recherchée par les placeurs de livres, a été, par l’obligeance de quelques
collègues, communiquée à des libraires aux aguets, car on nous apprend qu’un
débitant de publications fraîchement décorées vient de lancer ses
prospectus-écriteaux à tous les membres de la Société, pour une édition mise
chez lui en sous-location. Il s’agit d’une opération de librairie que nous
avons d’autant moins à recommander que nous l’ignorons ; mais nous ne
saurions trop mettre en garde nos confrères contre les sollicitations de toute
nature qui les visent. Le titre de membre de l’Académie des Beaux Livres n’implique
pas celui de : souscripteur breveté de MM. les éditeurs et libraires. –
Amis, barricadez-vous, gardez vos munitions pour les belles causes à défendre,
pour les vraies batailles de l’art et de l’idée à soutenir ; laissez
pleuvoir les bulletins de souscription. Il est un chapitre dans Rabelais, où la
plupart de ces prospectus méritent de figurer.[1]
Réponse
d’Octave Uzanne publiée dans le Livre Moderne (pp. 247-249)
Les Sociétaires des Bibliophiles
contemporains ont tous reçu, ainsi que certains de nos abonnés, une
lettre-prospectus dont la copie originale avait été adressée au directeur du
Livre moderne.
Ce long réquisitoire, écrit dans un
français très peu orthodoxe et filandreux, était signé par un éditeur de
publications d’art en faveur duquel nous n’avons jamais que trop largement
distillé la louange.
Il y avait, dans cette fastidieuse
épître, une série de récriminations et de doléances mesquines dont nos
collègues nous affirment n’avoir même pu supporter la lecture. – Ce factum, qui
n’intéressait ni de près ni de loin les Académiciens des Beaux livres, a donc
été mis au panier avec un ennui légitime. – La réclame aura manqué son but du
tout au tout.
La théorie soutenue par ce négociant
semble être que le président des Bibliophiles contemporains outrepasserait son
droit en ne laissant pas les éditeurs et libraires libres de soumettre leurs
publications nouvelles aux cent soixante membres de la Société. – Cette
insinuation ne peut obtenir aucun crédit auprès de nos collègues.
Nous n’avons jamais eu le ridicule
de prétendre régenter une Académie où la communauté du goût et des idées d’art
nous ont réunis tous dans un même intérêt ; mais il était urgent que le
bibliographe dont est doublé le fondateur des Néo-bibliophiles avertît ces derniers
qu’ils devaient recevoir avec une grande réserve les communications de
librairie, et leur affirmât que ces envois de circulaires et bulletins de
souscription – ainsi que la communication des listes d’adresses de la Société –
étaient absolument faites contre son assentiment et non pas avec sa complicité.
Cette note (voir pages 165-166)
servait d’avertissement général ; elle prenait prétexte du lancement d’un
prospectus qu’on nous signalait comme adressé à tous nos confrères. Il suffit
de la relire pour se convaincre qu’elle ne visait directement ni ne nommait
personne.
Au surplus, il ne nous convient
point d’insister sur cette circulaire sans portée aucune.
Le jeune éditeur qui a pris la
succession d’une maison dont il vante avec raison l’honorabilité n’a pas agi
selon ses intérêts dans cette circonstance. – Il ne devait et ne pouvait
protester, n’étant point attaqué.
Il a préféré se compromettre en
s’associant aux misérables et impuissantes rancunes d’un de ses débitants
d’exemplaires de luxe, dont la très médiocre importance dans le monde des
livres ne valait assurément pas de sa part le sacrifice d’un sage silence.
Pour cette fois-ci nous serons charitable, le fait étant
peu intéressant, et nous avons plaisir à clore un incident sur lequel nous ne
reviendrons plus.
hum... le site internet des Bibliophiles a été piraté, et la liste des membres, avec leur e-mail, a été volée ; des spams ont donc suivi... logiquement le webmestre n'est pas content et met en place un filtre anti-spam.
RépondreSupprimer"misérables et impuissantes rancunes d’un de ses débitants d’exemplaires de luxe, dont la très médiocre importance dans le monde des livres"
RépondreSupprimerQuel mépris de la part d'Uzanne pour André Ferroud qui n'a jamais démérité dans le monde de l'édition ! (voir "L'Editeur artiste André Ferroud (1849-1921)", article à paraître dans Le Magazine du bibliophile).
Le "bon" Octave ne semble pas avoir été du genre facile à vivre, et plus j'en découvre sur lui, plus je pense qu'on peut le classer dans les bibliophiles à l'égo surdimensionné, dont on connaît quelques exemples, certes intéressants à étudier au plan psychologique, mais trop souvent désagréables.
Uzanne se faisait une telle idée de son indépendance, qu'il n'y sacrifiait rien, et qu'il en oubliait les autres ...
RépondreSupprimerEncore tant de choses sont à découvrir sur cet homme passionnant !!
B.