Deux circulaires et
un « projet d’avenir » adressés par Octave Uzanne aux
Bibliophiles contemporains
(novembre 1893 et
octobre 1894).
Octave Uzanne aux
Bibliophiles contemporains – Paris, ce 5 novembre 1893.[1]
Mon cher Collègue,
L’Assemblée
générale annuelle des Bibliophiles
contemporains aura lieu, au Restaurant Marguery, boulevard Bonne-Nouvelle
(théâtre du Gymnase), le mardi 28 courant, à neuf heures précises,
immédiatement après le dîner à sept heures précises, au prix de 15 francs,
comme précédemment.
Les
adhésions au dîner et à l’Assemblée, ainsi que les votes des non-adhérents,
devront parvenir à notre Secrétaire, M. Alfred Piat, 68, Avenue d’Iéna, à
Paris, avant le 25 de ce mois.
Voici
l’ordre du jour de la prochaine Assemblée :
1° Election du Comité. – Prolongation des pouvoirs du
Président fondateur pour une nouvelle année ;
2° Examen et approbation des comptes de l’Archivite-Trésorier ;
Rapport du Secrétaire ;
3° Admission de nouveaux Sociétaires en remplacement des radiés,
décédés ou démissionnaires ;
4° Vote sur une nouvelle publication proposée pour
l’exercice 1893-1894 ;
5° Mise en adjudication de deux exemplaires uniques sur
grand papier Whatman, l’un de l’Epave, l’autre d’une Partie de campagne, de Guy
de Maupassant. Le premier enrichi de nombreuses aquarelles originales dans de
très grandes marges, par A. Lunois ; le second, illustré en couleur de
dessins originaux et inédits de P. Dillon. – Chacun de ces livres sera mis à
prix à 250 francs.
J’espère,
mon cher Collègue, que vous serez des nôtres à cette prochaine réunion ;
il importe que les « Contemporains » échangent leurs idées, qu’ils se
connaissent et prennent contact avec toute la sympathie qui doit les unir. Ce
sont presque toujours les mêmes bibliophiles qui assistent à nos
réunions ; il serait agréable à tous les habitués que nos collègues encore
inconnus vinssent s’asseoir comme convives parmi nous au plus tôt.
Je n’ai
plus aujourd’hui à vous parler des succès de notre jeune Académie des Beaux Livres. Malgré une administration rigoureuse et
qui n’hésite pas à radier tous ceux des Sociétaires qui poussent l’indolence
jusqu’à ne point répondre aux courtoises sommations statutaires de notre
Trésorier, nous demeurons, grâce à de nombreuses, incessantes et honorables
candidatures, toujours au pair de notre capital de 160 sociétaires. (Déjà 37
Membres Fondateurs ont été remplacés depuis 1890.)
De plus,
les échos des dernières ventes aux enchères vous auront appris, mon cher
Collègue, que nos premières publications atteignent aujourd’hui une valeur
trois et quatre fois supérieure à celle qui leur fut attribuée par nos
votes ; les Contes choisis de
Maupassant sont recherchés à 650 francs, et soyez sûr qu’une heure est
prochaine où ces prix, déjà élevés, seront encore dépassés.
La
publication en voie d’achèvement : Contes
inédits de Edmond Haraucourt, ne pourra, tout nous le fait prévoir, que
relever encore le prestige de notre Association bibliographique. Au lieu de
trois contes par vous votés, il vous en sera remis quatre sous ce titre
général : L’EFFORT. Les titres des quatre contes sont : la Madone, l’Immortalité, l’Ante-Christ et
la Fin du monde.
Deux de
ces contes vous seront livrés au plus tard vers février 1894 ; les deux
derniers en mai probablement. Sans vouloir à l’avance vouloir vous monter outre-mesure
l’imagination, il me sera bien permis de vous dire, mon cher Collègue, que,
tant au point de vue de l’art d’illustration qu’à celui de l’originalité du
rendu, cet ouvrage, illustré par Carloz, Schwabe (sic), Lunois, A. Seon, etc.,
sera le plus parfait des ouvrages qui aient paru avec le filigrane de notre
Société.
Je vous
manifestais l’an dernier, mon cher Collègue, la résolution d’abandonner en
d’autres mains la direction de notre petite Académie moderniste ; mais,
quelque plaisir que je puisse espérer de rentrer dans le rang et de conquérir,
par cela même, une plus grande indépendance, je suis contraint de jouer le Président malgré lui, personne
jusqu’ici n’ayant consenti à me décharger du fardeau assumé il y a cinq ans
déjà et dont aujourd’hui je ressens, à vrai dire, un peu moins lourdement le
poids qu’au début.
Je ne
veux pas croire toutefois qu’un providentiel successeur ne se présentera pas
bientôt ; c’est pourquoi je vous convie, dans un but de liberté
réciproque, de vouloir bien renouveler mes pouvoirs pour une année seulement.
En ce
qui concerne la publication à voter pour le prochain exercice, je vous
demanderai, mon cher Collègue, de vouloir bien vous arrêter à un ouvrage
illustré de dix ou douze gravures en taille-douce en couleurs dont je puis
garantir la nouveauté et dont je pourrai, d’ailleurs, vous présenter des
spécimens le 28 de ce mois, car, « proprio motu », j’ai devancé vos
votes en ébauchant ce livre avec l’aide d’un dessinateur-graveur de grand
talent, M. A. Bertrand, sans prétendre néanmoins engager notre Société par mon
initiative privée. Vous déciderez.
Cette
publication aurait pour titre : Ballades
dans Paris et serait rédigée par dix ou douze écrivains différents que je
ne puis encore désigner, mais dont je me chargerai d’assurer le concours. Le
montant en serait fixé à 150 francs, ainsi que précédemment ; mais comme
il est à présumer que le prix de revient n’atteindrait pas cette quote-part, il
serait agréable à notre Comité de consacrer le surplus à la mise au jour de
quelque édition privée qui vous parviendrait peu après les Ballades dans Paris, c’est-à-dire vers la fin de l’année prochaine
au plus tard.
Dans le
cas, mon cher Collègue, où vous ne pourriez assister à notre prochaine
Assemblée du 28 courant, je vous prie
très instamment de nous envoyer vos votes signés, afin que le quorum nécessaire aux conclusions de nos
délibérations puisse être sûrement atteint ce soir-là.
Veuillez
agréer, je vous prie, mon cher Collègue, l’assurance de mes sentiments dévoués.
Octave Uzanne
(signature en fac-similé)
Paris. – Lib. Imp. réunies.
Octave Uzanne aux
Bibliophiles contemporains – Paris, le 10 octobre 1894.[2]
Monsieur
et cher Collègue,
J’ai le
plaisir de vous faire adresser (en deux paquets séparés), les deux dernières
parties de l’Effort de M. Edmond
Haraucourt, avec titre général et couverture de l’ouvrage ; et Balades dans Paris, broché sous sa
couverture.
Avec
cet envoi, mon cher Collègue – ainsi que je vous en avais précédemment avisé –
je m’acquitte envers vous des charges que j’avais assumées lors de la fondation
de notre Société en 1889.
J’espère,
au cours de ces cinq années (1889-94), par les publications successives
des Débuts
de César Borgia, de l’Abbesse de
Castro, des Contes choisis de Guy de
Maupassant, de l’Effort et de Balades dans Paris, ainsi que nos quatre
volumes des Annales littéraires,
avoir suffisamment démontré qu’il est encore possible de créer des livres avec
une décoration nouvelle d’une variété incontestable de types et de procédés
modernes, en dépit d’esprits traditionnaires et routiniers.
Il ne
me reste plus aujourd’hui, avec le désir d’employer mon activité à des œuvres
plus exclusivement littéraires, qu’à vous exprimer ma résolution absolument
définitive, d’abandonner la Présidence de notre Société ; et de plus, - en
cela d’accord avec le Comité – à réclamer la dissolution de notre Association.
Je vais
vous en exposer les motifs.
En
fondant la Société des Bibliophiles contemporains, il y a cinq ans, je n’ai
point entendu ériger une institution, devant se poursuivre pendant une longue
période d’années, mais plutôt constituer une Assemblée temporaire, - tout au
moins sous ma présidence – destinée à marquer un grand pas dans l’illustration
du livre – et je suis persuadé que ce but a été largement atteint.
D’autre
part, j’ai dû me convaincre, à la suite de démarches réitérées auprès de ceux
de nos collègues qui semblaient désignés pour me succéder et continuer, en
l’élargissant, la voie que j’avais tracée, que je devais renoncer à rencontrer
la bonne volonté et les énergies nécessaires pour remplir les fonctions que
j’abandonne et poursuivre la tâche absorbante et de tous les instants que
j’avais entreprise.
Je ne
chercherai donc point à vous dissimuler, mon cher Collègue, qu’en présence de
cette situation, j’ai le tenace désir de voir disparaître, à la fin de mes
fonctions, « l’Académie des Beaux-Livres » que j’avais inféodée peut-être
avec excès à la personnalité absolue de son Président. Je viens donc vous
demander de voter la dissolution de notre Société dans une Assemblée générale
extraordinaire que, d’accord avec notre Comité, nous fixons au Samedi, 10 novembre prochain, à 9 heures du
soir, à l’issue de notre dîner d’automne qui aura lieu, comme les années
précédentes, au Restaurant Marguery,
Boulevard Bonne-Nouvelle, à 7 heures précises.
Voici l’ordre du jour de cette Assemblée :
1° Lecture et approbation du compte de
l’Archiviste-Trésorier ;
2° Dissolution de la Société ;
3° Proposition sur l’emploi, tant du reliquat net en caisse
que des fonds à provenir du recouvrement des quote-parts de quelques
Sociétaires en retard ; et de la vente aux meilleures conditions possibles
par les soins de la commission dont
il va être parlé, soit à des Membres de la Société, soit à des tiers : 1°
des dessins originaux ayant servi à l’illustration de l’Effort, et de Balades dans
Paris ; 2° des collections complètes des publications de la Société
qui seront disponibles, soit 10 volumes (cinq ouvrages illustrés et cinq Annales), aux meilleures
conditions ; 3° de quelques exemplaires isolés de l’Abbesse de Castro et de César
Borgia, etc., restant en plus des collections complètes. (Les collections
et ouvrages isolés non placés avant le 1er novembre 1895, seront
lacérés).
Lequel
emploi est proposé comme suit :
1°
Frais des Annales de la présente année, qui, par exception, seront purement
administratives.
2°
Frais d’établissement d’un ou deux ouvrages illustrés, dont les titres et
l’illustration seront postérieurement annoncés. – L’exécution est dès
aujourd’hui confiée au Président qui a offert de s’en charger à titre gracieux.
Cet ouvrage sera adressé gratuitement
à chaque Sociétaire dans le courant de l’année prochaine. Il sera tiré
rigoureusement à 170 exemplaires numérotés, dont 160 pour les Membres de la
Société et le surplus pour le Président, les Membres d’honneur, le dépôt légal,
les auteurs et artistes, ainsi qu’un exemplaire pour les Archives.
Les
planches qui auront servi à l’illustration seront détruites.
Les
dépenses de ces deux ou trois publications, ainsi que les frais de bureau, ne
pourront, en aucun cas, dépasser la somme disponible.
Si,
toutes dépenses payées et la situation entièrement liquidée, il restait encore
un boni, il serait versé par les soins de la Commission, selon les vœux de
notre Assemblée, au comité du monument à élever à la mémoire de Guy de
Maupassant.
4°
Nomination, conformément à l’article 18 des statuts, d’une Commission de sept
membres ; laquelle sera chargée d’exécuter les décisions de l’Assemblée
générale, de donner toutes décharges à l’Archiviste-Trésorier, et de statuer
sur toutes questions accessoires qui seraient la conséquence de la dissolution.
Nous
proposons les noms suivants :
MM.
1.
Henri Beraldi, Président.
2. Henri
Vever, Vice-Président.
3. Jules
Brivois, Archiviste-Trésorier.
4. Alfred
Piat, Secrétaire.
5. Emile
Collet, Avoué.
6. Albert
Quantin, ancien Editeur.
7. Eugène
Rodrigues, Avocat.
Et comme
Membres supplémentaires, en cas de vacance ou de non acceptation :
MM.
1.
Angelo Mariani.
2.
B.-H. Gausseron.
3.
Paul
Eudel.
La
Commission rendra compte de ses agissements dans une circulaire qui sera
adressée à chaque membre en même temps que l’ouvrage illustré.
Par le
seul fait de cet envoi, elle sera déchargée de toute responsabilité.
Veuillez
donc, mon cher Collègue, me faire savoir avant
le 30 de ce mois, 17, quai Voltaire, - notre secrétaire, M. Piat, étant
momentanément absent, - si vous assisterez au dîner et à l’Assemblée générale
qui suivra ce dîner. Dans le cas où vous seriez empêché de le faire, je vous
prie de me retourner le bulletin de vote ci-inclus après l’avoir signé, afin
que je puisse réunir la majorité absolue exigée par les Statuts et que je ne
sois point tenu de convoquer une seconde Assemblée.
Croyez,
mon cher Collègue, à l’expression de mes sentiments les meilleurs et les plus
dévouées.
Octave Uzanne,
Président-Fondateur.
Cette dernière circulaire, imprimée sur 3 pages, se poursuit
avec une quatrième page intitulée « PROJET
D’AVENIR ». C’est un texte très intéressant par lequel Octave Uzanne
se projette dans le futur et exprime ses aspirations « libertaires » pour
l’après Biblio-Contempo. Le
voici :
PROJET D’AVENIR[3]
----------------------
Etant
admis, mon cher Collègue, que la dissolution réclamée soit votée, ainsi que
j’en ai le ferme espoir, je tiens à vous aviser, en mon nom personnel, que
notre Société pourrait peut-être renaître sous une forme toute nouvelle,
laissant à chacun des anciens membres une indépendance complète et supprimant
cotisations, entrées, Statuts, Règlement, comité et autres formalités onéreuses
et inutiles, etc., etc.
Il est
possible, en effet, qu’après la publication des ouvrages qui, d’ici un an
environ, vous seront gratuitement délivrés, c'est-à-dire après 1895, je publie,
- sous ma responsabilité absolue, comme naguère d’ailleurs, mais sans avoir à
supporter d’oiseuses et vaines discussions, - les livres qu’il me conviendra de
choisir et de proposer aux cent soixante sociétaires actuels.
Ces
ouvrages, tirés à 170 exemplaires environ, mis en souscription chez un libraire
parisien[4],
avec spécimens explicatifs, seraient édités sous la raison sociale des
Bibliophiles contemporains, mais aucun des ex-sociétaires invités à y souscrire
ne serait tenu de le faire, si pour raison de prix ou de convenance ils ne se
ralliaient pas à l’ouvrage en cours ; ils auraient, pour ainsi dire,
titre de Souscripteurs privilégiés.
La
proposition faite, les exemplaires de ceux d’entre eux qui n’auraient point
répondu à l’appel seraient livrés aux candidats inscrits par ordre, pour
remplacer les abstentionnistes.
Ce
projet, qui ne doit du reste prendre forme définitive qu’en 1896, serait plus
explicitement exposé en temps opportun. Je ne m’en ouvre ici que pour exprimer
aux amis connus et inconnus une espérance de rencontre future, et atténuer ce
que la nécessité de la dissolution imminente peut avoir pour eux de fâcheux.
Un
dîner annuel de Dilettantes du Livre
pourra être aussi proposé, avec faculté pour chaque ex-sociétaire d’y conduire
un ou deux amis. Il en sera, en 1895, plus amplement parlé. La dissolution ne
serait donc en quelque sorte qu’une transformation favorable aux intérêts de
tous.
O.U.
Lib.-Imp. réunies, 7, rue Saint-Benoit, Paris.
[1] Papier
vergé crème à en-tête de la Société des Bibliophiles contemporains (vignette
circulaire dessinée par Adolphe Giraldon avec la devise « Toujours de
l’avant ».
[2] Papier
vergé crème à en-tête de la Société des Bibliophiles contemporains (vignette
circulaire dessinée par Adolphe Giraldon avec la devise « Toujours de
l’avant ».
[3] Uzanne
jette ici sur le papier les prémices des fondations des Bibliophiles
indépendants.
[4] Le
libraire en question sera H. Floury.
160 membres, mais en pratique un seul : son président... la plupart des autres ne sont là que pour profiter de la plus-value rapide, évoquée dans les textes. Attention à la bulle spéculative !
RépondreSupprimer« Nous nous vendons au monde à si bas prix, que son service nous coûte à la fin fort cher ; nous lui sacrifions corps et âme, et il ne nous récompense que de fumée et de vaines espérances. »
RépondreSupprimerDites, il ne faudrait pas que ma P.A. (Personal Assistant) tombe sur votre site subversif !