samedi 6 août 2022

Le Roman expérimental, par Emile Zola. Paris, Charpentier, 1880. 1 vol. in-18 jésus. Compte-rendu dans la revue Le Livre (15 décembre 1880), article signé S. B., Octave Uzanne rédacteur-en-chef.


Le Roman expérimental, par Emile Zola. Paris, Charpentier, 1880. 1 vol. in-18 jésus. Prix : 3 fr. 50.


Il est fâcheux que la mode des combles soit passée, car M. Zola y eut infailliblement remporté le grand prix. Il a trouvé le comble de l'outrecuidance. Parler de soi dans tous les articles qu'on égrène au cours d'une besogne de journaliste, y ramener obstinément toutes les questions à soi, s'y montrer de face, de profil, de trois quarts, de dos, en pleine lumière et jusqu'entre les lignes, c'était déjà beau ; mais réunir ces articles en un volume, cela dépasse les bornes de l'amour-propre. Or le dernier livre de M. Zola n'est pas autre chose qu'un recueil d'articles à sa louange. Je sais bien qu'il va se plaindre encore d'être ridiculisé par un homme qui ne l'a pas lu. C'est là sa défense ordinaire. Et, de fait, le volume n'a pas pour titre : Mon apologie, par moi. Mais c'est tout comme. Sous prétexte d'études pompeusement dénommées, le Roman expérimental, Lettre à la jeunesse, le Naturalisme au théâtre, l'Argent dans la littérature, du Roman, de la Critique, la République et la littérature, sous couleur de ne parler qu'au nom de la vérité méconnue, M. Zola en réalité n'étudie que lui-même, et la vérité méconnue qu'il proclame sur tous les tons est celle-ci : Zola est un homme de génie. Devant cette soûlerie de vanité, que voulez-vous qu'on dise ? Faut-il discuter pied à pied ces théories, où Claude Bernard est pris à témoin de la grandeur du naturalisme, où Balzac ne sert qu'à écraser les ennemis de M. Zola, où la gloire de M. Zola s'étale en long, en large, dans tous les sens, où il n'est question que de ses insuccès immérités, de son influence irréfutable, de l'argent qu'il gagne, du peu que ramassent ses confrères, et autres questions absolument sans intérêt pour quiconque n'est pas M. Zola ? Franchement non, on ne peut pas user tant de papier pour noter tous les accès d'orgueil de cet homme, qui a le delirium tremens de sa propre admiration. Il suffit de dire aux gens : Lisez cela, si vous voulez savoir jusqu'où peut aller l'infatuation d'un homme de talent. A ceux qui reculeraient devant cette tâche (et il y a de quoi, car elle est assommante), je recommande simplement le bas de la page 356, dont je transcris textuellement les trois dernières lignes. Il s'agit de la querelle à la suite de laquelle M. Zola s'est séparé du Voltaire et de son directeur :

"je n'ai plus, dit-il, qu'une coquetterie. Je veux que ce directeur extraordinaire vive par moi, et je lègue son nom aux peuples futurs : il se nommait M. Jules Laffitte."

Dit plaisamment, cela pourrait être drôle. Mais l'affirmation est faite ici du ton le plus sérieux du monde. Quand M. Zola plaisante, on ne peut s'y tromper, grâce à la lourdeur qu'il y met. Donc, cette déclaration solennelle est une menace pour de bon. Eh bien ! je le répète, n'est-ce pas là le comble de l'outrecuidance ? Que M. Zola croie à la longévité de l'Assommoir, passe encore ! Il est permis de se mettre le doigt dans l'œil jusque-là. Mais s'imaginer que la postérité lira des articles de journaux religieusement, ce n'est plus seulement se mettre le doigt dans l'œil, c'est se fourrer soi-même tout entier dans son propre œil. M.  Zola passe à l'état de phénomène.

S. B. (*)


(*) article publié dans la revue Le Livre, livraison du 15 décembre 1880. L'article est signé des initiales S. B. Nous ne savons pas à qui ses initiales renvoient. Est-ce Octave Uzanne ? C'est une possibilité quand on sait que presque tous les comptes rendus d'ouvrages parus dans Le Livre pour cette première année 1880 sont sortis de sa plume.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...