mercredi 3 août 2022

Hommes et Choses. Nudistes germains. Article publié dans La Dépêche du vendredi 8 mai 1931. Octave Uzanne favorable à la pratique du nudisme tel que le pratiquent les allemands.



HOMMES ET CHOSES
Nudistes germains



La mise en lumière solaire de l'homme et de la femme, à l'état de nudité presque absolue, sévit quelque peu en France, depuis un certain nombre d'années, aux heures des libertés de vacances, aussi bien sur les plages du littoral que dans la campagne, au bord des rivières. Il en fut quelquefois, ici même, question dans des chroniques littéraires ; mais la mode, le snobisme, l'exil de toute pudeur y étaient seuls envisagés et nos compatriotes s'y trouvaient uniquement en cause.

Il y avait surprise, mais non pas scandale, même aux regards des puritains rigoristes qui ont aujourd'hui appris à tout voir, surtout à se taire. Ces mœurs dénudées n'ont pu se développer chez nous que dans une atmosphère de frivolité, de prétentions hygiéniques et par mode de répudiation des vieux préjugés relatifs à la décence et à une discrétion jusqu'ici observée. Le temps semblait avoir consacré ce que par tradition, durant des siècles, il avait su faire respecter. Rien n'est éternel ici-bas. La girouette tourne.

Mais ce qui chez nous demeure encore un amusement sous le regard en rôtissoir du roi Soleil, a pris à l'étranger, en Allemagne principalement, un caractère infiniment plus important et une valeur doctrinaire qui s'affirme avec une passion révolutionnaire qu'il faut bien signaler.

Beaucoup d'écrits ont été publiés sur cette révolution extraordinaire de la morale germanique, très fière de son affranchissement total du passé légendaire et de la conquête de cette liberté d'esprit portée à sa plus haute puissance de détachement des vieux principes périmés, dont il ne subsiste rien, et moins que rien, si l'on peut dire, à cette heure.

Les théories freudiennes, qui n'eurent en pays latins qu'un simple succès de curiosité passagère, exercèrent, par contre, en contrées anglo-saxonnes une influence prodigieuse, dont nous ne pouvons que fort difficilement concevoir l'importance et les successifs résultats en devenir. Sur ces êtres de culture soignée, mais essentiellement protestante de formation, d'éducation et de morale étroite, inquiète, sévère, dissimulée, les doctrines du célèbre professeur en médecine et psychologue Sigmund Freud, de Vienne, produisirent ce bouleversement étrange de tout un passé fait de traditions, de retenue, de vertueuses conventions sociales honorées jusqu'alors.

Il est vrai que c'était trois ou quatre ans après l'armistice et que rien ne tenait plus guère debout, alors de tout ce qu'on avait cru intangible et inaliénable dans la vie des peuples. Ce fut une révolution si rapidement acceptée avec enthousiasme par la jeunesse germanique, puis en pays britanniques et scandinaves qu'il n'y eut, pour ainsi dire, pas de transition marquée. Le puritanisme fut aboli si brusquement qu'on se demande comment se fit la propagande et par quel mode de rayonnement des idées les théories de refoulement des désirs et des aspirations, tendances et appétits sexuels purent se faire jour dans tous les cerveaux et y acquérir cette force de réaction et de réversibilité susceptible d'obtenir un tel et si profond changement.

En dix années environ, l'animal humain, si longtemps comprimé par les hypocrisies despotiques d'une société rigide, appliquée à contrarier la nature, à ne pas tenir compte des désirs normaux, besoins et appétences charnelles, se vit rendu intégralement à ses instincts primordiaux et, sous le couvert du vocabulaire scientifique et ingénieux de la psychanalyse (qui exprime le contenu psychique de tout individu), il put enfin en parler et discuter de propos délibéré, comme de manger, de boire, de pratiquer les sports et même ceux qui avoisinent l'amour.

L'activité  psychique, d'après Sigmund Freud, comporte les tendances propres du moi et aussi les tendances génésiques. L'élément le plus généralement refoulé par le moi constitue l'essentiel de l'inconscient. C'est par l'étude de la lutte du conscient et de l'inconscient que s'expliquent les névroses de toutes sortes, y compris l'hystérie, les rêves et tous les actes manqués dont le psychanalyste a si bien parlé.

Mais il n'est point nécessaire, aujourd'hui, d'expliquer ici la méthode du savant viennois. Ce qui déborde quelque peu ma conception, c'est son influence extraordinaire et l'action de ses écrits, assez difficiles à bien interpréter avec tous les partis pris qu'ils contiennent. Il n'en est pas moins admis, reconnu sans contestation, que les conférences du professeur Freud et la publication de l'exposé de sa psychanalyse ont créé, en Allemagne, en Mittel-Europa même, et en pays anglais ce retour tout impulsif au naturisme, dont l'une des manifestations les plus démonstratives est le Nudisme.

La jeunesse nudiste exprime un dédain profond de tous les préjuges ancestraux dont la Germanie reste intégralement purgée à cette heure, et pour un long temps sinon pour toujours. Il faut, d'ailleurs, l'en féliciter d'autant plus que la vieille citadelle de la morale bornée et tatillonne ne s'est pas, chez nous, encore effondrée sans conditions et que subsistent des résistances renouvelées dont notre vieux sentiment de conservatisme fait redouter la perdurance peut-être prolongée.

Les Allemands ont organisé l'exploitation de leurs nouveaux plaisirs en commun avec une admirable méthode, un large sentiment de .la liberté individuelle et collective et un esprit de fraternité qui ne peut assurément que se développer de mieux en mieux pour le bien de tous.

Les sociétés de nudistes, hommes et femmes, de 17 à 55 ans et même au-delà, se recrutent dans tous les milieux d'action intelligente et chez des êtres déjà évolués, comme dirait un théosophe. Les grands groupements de tourisme, de sportsmen, de gymnastes, de lutteurs, de pédestrians, les associations d'entraînement de toute espèce, les Universités, les arts et les étudiants plein-airistes, tous possèdent de vastes terrains à eux, qui leur offrent de superbes lieux de réunion. Ils n'y dépendent que d'eux-mêmes pourvu qu'ils n'en sortent pas autrement que correctement vêtus.

On peut estimer que ces vastes espace, gazons, prairies et bois, coquettement aménagés, fleuris et entretenus, sont peuplés, non seulement les dimanches, d'une foule considérable d'êtres jeunes, sains, solides, gais, qui viennent y donner exercice à leur musculature déjà développée et y pratiquer, jeux et sports de toute nature dans le plus simple appareil, sans le moindre voile ni cache-sexe, surtout, car 1a nature ne peut rien cacher sans suggérer une indécence. Rien n'est plus absolument chaste que le nu intégral. Les adeptes le prouvent.

Les nudistes allemands forment un tel nombre de groupements qu'en peut supposer qu'ils comptent aujourd'hui plusieurs millions d'affranchis de toutes ces menues hontes : gaucheries, timidités, effrois de réaction, qui caractérisaient les bienséantes convenances de naguère. Tout ce que j'ai entendu rapporter et lu sur ces organisations nouvelles me fut vraiment sympathique dans sa netteté, sa franchise et son caractère dépourvu de toute perversités J'y découvre même une certaine candeur fraîche, presque puérile, qui appartient à la gent germanique et se différencie du tempérament français considérablement.

La question nudité et sexualité resterait d'ailleurs entière à traiter du point de vue germain et gaulois. Il faudrait aussi, ce qui est délicat, frôler ce goût éperdu de la beauté masculine que le mâle allemand affirme supérieure à l'esthétique physique de la femme. Ce serait déjà parler de l'homosexualité, que les hommes d'outre-Rhin croient normale et veulent légitimer, si ce n'est déjà fait.

Il est des sujets périlleux. Celui-ci en est un sans aucun doute. Toutefois, cette énorme organisation des nudistes germains, qui multiplie les types, d'athlétisme et maintient de nouvelles générations d'êtres vigoureux et décisifs toujours au même niveau. Sa force mérite d'être signalée et connue. Ce pourquoi j'en parle ici, parce qu'on l'ignore un peu trop chez nous. Ce qui se passe chez nos ennemis d'hier ne peut pas nous laisser indifférents.

Octave UZANNE. (*)

(*) article publié dans La Dépêche du vendredi 8 mai 1931. 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...