HOMMES ET CHOSES
Nudistes germains
La mise en lumière solaire de
l'homme et de la femme, à l'état de
nudité presque absolue, sévit quelque
peu en France, depuis un certain nombre d'années, aux heures des libertés de
vacances, aussi bien sur les plages du
littoral que dans la campagne, au bord
des rivières. Il en fut quelquefois, ici
même, question dans des chroniques littéraires ; mais la mode, le snobisme,
l'exil de toute pudeur y étaient seuls
envisagés et nos compatriotes s'y trouvaient uniquement en cause.
Il y avait surprise, mais non pas
scandale, même aux regards des puritains rigoristes qui ont aujourd'hui
appris à tout voir, surtout à se taire.
Ces mœurs dénudées n'ont pu se développer chez nous que dans une
atmosphère de frivolité, de prétentions
hygiéniques et par mode de répudiation des vieux préjugés relatifs à la
décence et à une discrétion jusqu'ici
observée. Le temps semblait avoir consacré ce que par tradition, durant des
siècles, il avait su faire respecter. Rien
n'est éternel ici-bas. La girouette
tourne.
Mais ce qui chez nous demeure encore un amusement sous le regard en
rôtissoir du roi Soleil, a pris à l'étranger, en Allemagne principalement, un
caractère infiniment plus important et
une valeur doctrinaire qui s'affirme
avec une passion révolutionnaire qu'il
faut bien signaler.
Beaucoup d'écrits ont été publiés sur cette révolution extraordinaire de la
morale germanique, très fière de son
affranchissement total du passé légendaire et de la conquête de cette liberté
d'esprit portée à sa plus haute puissance de détachement des vieux principes périmés, dont il ne subsiste rien,
et moins que rien, si l'on peut dire, à
cette heure.
Les théories freudiennes, qui n'eurent en pays latins qu'un simple succès
de curiosité passagère, exercèrent, par
contre, en contrées anglo-saxonnes une
influence prodigieuse, dont nous ne
pouvons que fort difficilement concevoir l'importance et les successifs
résultats en devenir. Sur ces êtres de
culture soignée, mais essentiellement
protestante de formation, d'éducation
et de morale étroite, inquiète, sévère,
dissimulée, les doctrines du célèbre
professeur en médecine et psychologue Sigmund Freud, de Vienne, produisirent ce bouleversement étrange de
tout un passé fait de traditions, de
retenue, de vertueuses conventions sociales honorées jusqu'alors.
Il est vrai que c'était trois ou quatre
ans après l'armistice et que rien ne
tenait plus guère debout, alors de tout
ce qu'on avait cru intangible et inaliénable dans la vie des peuples. Ce fut
une révolution si rapidement acceptée
avec enthousiasme par la jeunesse germanique, puis en pays britanniques et
scandinaves qu'il n'y eut, pour ainsi
dire, pas de transition marquée. Le
puritanisme fut aboli si brusquement
qu'on se demande comment se fit la
propagande et par quel mode de rayonnement des idées les théories de
refoulement des désirs et des aspirations, tendances et appétits sexuels
purent se faire jour dans tous les cerveaux et y acquérir cette force de réaction et de réversibilité susceptible
d'obtenir un tel et si profond changement.
En dix années environ, l'animal
humain, si longtemps comprimé par les
hypocrisies despotiques d'une société
rigide, appliquée à contrarier la nature, à ne pas tenir compte des désirs
normaux, besoins et appétences charnelles, se vit rendu intégralement à ses
instincts primordiaux et, sous le couvert du vocabulaire scientifique et ingénieux de la psychanalyse (qui exprime le contenu psychique de tout
individu), il put enfin en parler et discuter de propos délibéré, comme de
manger, de boire, de pratiquer les
sports et même ceux qui avoisinent
l'amour.
L'activité psychique, d'après Sigmund Freud, comporte les tendances
propres du moi et aussi les tendances
génésiques. L'élément le plus généralement refoulé par le moi constitue l'essentiel de l'inconscient. C'est par
l'étude de la lutte du conscient et de
l'inconscient que s'expliquent les névroses de toutes sortes, y compris l'hystérie, les rêves et tous les actes manqués dont le psychanalyste a si bien
parlé.
Mais il n'est point nécessaire, aujourd'hui, d'expliquer ici la méthode
du savant viennois. Ce qui déborde
quelque peu ma conception, c'est son
influence extraordinaire et l'action de ses écrits, assez difficiles à bien interpréter avec tous les partis pris qu'ils
contiennent. Il n'en est pas moins
admis, reconnu sans contestation, que
les conférences du professeur Freud
et la publication de l'exposé de sa psychanalyse ont créé, en Allemagne,
en Mittel-Europa même, et en pays
anglais ce retour tout impulsif au
naturisme, dont l'une des manifestations les plus démonstratives est le
Nudisme.
La jeunesse nudiste exprime un
dédain profond de tous les préjuges
ancestraux dont la Germanie reste
intégralement purgée à cette heure, et
pour un long temps sinon pour toujours. Il faut, d'ailleurs, l'en féliciter
d'autant plus que la vieille citadelle
de la morale bornée et tatillonne ne
s'est pas, chez nous, encore effondrée
sans conditions et que subsistent des
résistances renouvelées dont notre
vieux sentiment de conservatisme fait
redouter la perdurance peut-être prolongée.
Les Allemands ont organisé l'exploitation de leurs nouveaux plaisirs en
commun avec une admirable méthode,
un large sentiment de .la liberté individuelle et collective et un esprit de
fraternité qui ne peut assurément que
se développer de mieux en mieux pour le bien de tous.
Les sociétés de nudistes, hommes et
femmes, de 17 à 55 ans et même au-delà, se recrutent dans tous les milieux
d'action intelligente et chez des êtres
déjà évolués, comme dirait un théosophe. Les grands groupements de tourisme, de sportsmen, de gymnastes, de lutteurs, de pédestrians, les associations d'entraînement de toute espèce, les Universités, les arts et les étudiants
plein-airistes, tous possèdent de vastes
terrains à eux, qui leur offrent de superbes lieux de réunion. Ils n'y dépendent que d'eux-mêmes pourvu qu'ils n'en sortent pas autrement que correctement vêtus.
On peut estimer que ces vastes espace, gazons, prairies et bois, coquettement aménagés, fleuris et entretenus,
sont peuplés, non seulement les dimanches, d'une foule considérable d'êtres
jeunes, sains, solides, gais, qui viennent y donner exercice à leur musculature déjà développée et y pratiquer,
jeux et sports de toute nature dans le
plus simple appareil, sans le moindre
voile ni cache-sexe, surtout, car 1a nature ne peut rien cacher sans suggérer une indécence. Rien n'est plus absolument chaste que le nu intégral. Les adeptes le prouvent.
Les nudistes allemands forment un
tel nombre de groupements qu'en peut
supposer qu'ils comptent aujourd'hui
plusieurs millions d'affranchis de toutes ces menues hontes : gaucheries,
timidités, effrois de réaction, qui caractérisaient les bienséantes convenances
de naguère. Tout ce que j'ai entendu
rapporter et lu sur ces organisations
nouvelles me fut vraiment sympathique
dans sa netteté, sa franchise et son caractère dépourvu de toute perversités
J'y découvre même une certaine candeur fraîche, presque puérile, qui appartient à la gent germanique et se
différencie du tempérament français
considérablement.
La question nudité et sexualité resterait d'ailleurs entière à traiter du point de vue germain et gaulois. Il
faudrait aussi, ce qui est délicat, frôler ce goût éperdu de la beauté masculine que le mâle allemand affirme supérieure à l'esthétique physique de la
femme. Ce serait déjà parler de l'homosexualité, que les hommes d'outre-Rhin croient normale et veulent légitimer, si ce n'est déjà fait.
Il est des sujets périlleux. Celui-ci
en est un sans aucun doute. Toutefois,
cette énorme organisation des nudistes
germains, qui multiplie les types,
d'athlétisme et maintient de nouvelles
générations d'êtres vigoureux et décisifs toujours au même niveau. Sa
force mérite d'être signalée et connue.
Ce pourquoi j'en parle ici, parce qu'on
l'ignore un peu trop chez nous. Ce qui
se passe chez nos ennemis d'hier ne
peut pas nous laisser indifférents.
Octave UZANNE. (*)
(*) article publié dans La Dépêche du vendredi 8 mai 1931.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire