C O R R E S P O N D A N C E I N E D I T E
Octave Uzanne à Joseph Uzanne
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[ref.
1907.1] Versailles ce 2 mars 1907 – Hôtel Jasmin.
J’ai eu ta lettre hier vendredi, en rentrant après
midi, la mienne étant partie et aussi ta Dépêche. Je suis navré de savoir
combien tu fus souffrant, isolé, démoralisé à Lyon. Je veux croire que la
seconde partie du trajet te fut moins défavorable et qu’aujourd’hui, à bon port,
reposé, tu vas peu à peu te remettre.
Ce que je désire, surtout, c’est que tu ne reviennes
pas avant le 16 ou 18 mars. Mariani lui-même doit te le proposer puisque ton
Dr. Teissier l’a demandé. Rien n’est plus naturel qu’il en soit ainsi et il
faudrait être inhumain pour ne te l’accorder.
Pour moi, ça va bien. Il fait ici un temps radieux,
admirable, digne du midi. Ce matin encore : soleil et bon air doux. Je me
remets vivement. J’avais parfaitement raisonné mon petit exode en dépit des
médecins. Je me suis bien promené hier, sans trop de fatigue. J’ai encore les
jambes comme des pneus et à certaines heures d’accablantes dépressions, mais
c’est affaire d’un jour encore - Je le crois - tout au plus.
Je pense donc rester dans le calme où je vis jusqu’à jeudi
– 7 mars – puis, je devrai passer deux journées à Paris pour régler mes
affaires – Je ne penserai partir que vers le 9 ou 10 : Rien ne presse. Je
veux avant tout être solide ; le midi ne me donnera pas mieux que
ce que j’ai ici, puisque le temps ici est merveilleux – Il me donnera peut-être
pire – alors je veux bien aller avant tout.
Mes compliments affectueux à Mariani et souvenirs à
Paoli.
Je t’écrirai demain ou lundi matin après nouvelles
reçues.
Cordialités, tendresses, mon cher petit frérot.
Octave
[ref.
1907.2] Le Cannet jeudi après midi (21 mars 1907)
Mon chéri, un bonjour pour ton arrivée – Je pense que
ton voyage s’effectuera bien et je crois que tu as bien fait de partir, car ici
le soleil harasse, enfièvre, influence la peau, tuméfie les amygdales et
déprime, surtout en ce mois de mars.
Je me sens beaucoup mieux, mais des ciels un peu
voilés et même la pluie ne me déplairaient point pour atténuer l’énervement et
l’état un peu anormal que me donne le climat. Je me soigne et soignerai bien et
serai prudent tu le peux croire – Je me suis reposé cette après midi.
Je souhaite que tu retrouves chez toi sommeil et santé
– ne manque pas de te faire vacciner.
Affectueux baisers en attente de tes nouvelles – Emile
et moi avons été attristés de ta place vide.
Octave
[note au verso de la lettre-enveloppe] Octave ferme sa
lettre sans me prévenir !.. et me voilà forcé de t’embrasser dans le
dos ! Ton vieux Huc
[ref.
1907.3] Le Cannet – 23 mars 07 Samedi
Mon cher Frérot
Nous avons eu ton télégramme et ta lettre, heureux de
te savoir en passable santé pour ton retour qui va te trouver hélas ! Aussitôt
dans l’obligation du travail et de l’attache.
Je me sens maintenant acclimaté au Cannet, ou tout au
moins capable de me mouvoir hors des jardins de notre ami le magnifique. Je me
quinine et quininise encore un peu et tout irait bien si le sommeil me
favorisait davantage, mais j’ai les nuits inquiètes, agitées, à moitié
blanches, comme celles que tu connus et cela me fatigue un peu dans le jour. Il
ne faut rien exagérer et je puis me reposer après midi – somme toute, je vais
vers la santé dans un pays sain, vie auquel mon tempérament amoureux d’air
frais légèrement humide a dû s’accoutumer.
Je ne suis encore allé à Cannes et ne me hâte. Nous
devons aller chez les Bertnay mardi prochain par Agay ; j’ai demandé à ces
braves gens un déjeuner frugal, archi frugal – Si le temps n’est pas beau et si
je ne me sens bien, je prendrai une voiture en face de la gare à St Raphael
pour nous faire rouler à la villa Paulotte.
J’envoie hâtivement ce mot à Cannes avant de
déjeuner ; il est 7 ½ du matin. Henri va à Cannes de suite, d’où lettre
écourtée.
Emile t’embrasse tendrement et moi bien
fraternellement, mon chéri
Octave
[ref.
1907.4] Le Cannet ce 25 mars 07 Lundi
(matin)
Mon bon chéri,
J’ai eu ta lettre ce matin, ou plutôt ce midi en
revenant de Cannes. J’étais descendu avec la voiture d’Emile, mais je suis
revenu par le train, car je ne veux encore m’exposer et j’ai senti combien vite
je prendrais froid. Ce climat est merveilleux : je n’ai pas encore eu de
journée voilée, c’est l’azur et l’or solaire, et, cependant, je fais mes
réserves, je ne crois pas que ce soit pour la santé le paradis bienfaisant –
loin de là – Ma santé est aujourd’hui bien meilleure ; toutefois, elle
n’est pas encore parfaite ; la nuit dernière j’ai dormi d’un sommeil
réparateur, mais il y a dans l’air un principe énervant, dont je ressens
quelque peu les effets.
Ce cher Emile est toujours adonné à ses travaux ce
sont ces seuls horizons actuels – Demain nous irons à Anthéor ; je
pense bien passer par St Raphael et prendre voiture ce sera plus commode que
d’Agay à pieds, et surtout si le temps change, car le vent tourne sans cesse
ici. – On ignore le temps du demain. Je pense bien rester ici jusqu’au mercredi
après Pâques et filer jeudi 4 avril au plus tard pour revenir par
Aix-en-Provence où je coucherai, puis : Montpellier, Toulouse, Pau,
Biarritz et Paris – où j’arriverai vers le 15 – il me semble que l’air de
Biarritz me conviendra davantage que celui-ci.
En résumé, je puis bien me soigner ici, prendre la
nourriture qui me convient et même m’isoler un peu, mais cette mégalomanie de
la bâtisse et de la terre finirait par me gagner et m’abrutir – Je dois dire
que le Cannet est bien situé et abrité, de 2 degrés au moins plus chaud qu’à
Cannes (que je trouve glacial ce matin à l’ombre) – mais, vu les distances, les
montées, les prix de la vie, c’est loin d’être le rêve et sauf le cas où
Rochard nous laisserait les Pins (en toute propriété) ce qui est je crois son
rêve s’il vient jamais à tester ? et à s’en aller avant nous, je ne
pense pas giter sur cette terre – ce n’est point le coin où j’aimerais finir
mes heures.
Je suis peiné de te savoir encore au turbin, mon
pauvre frérot et surtout souffrant car tu es presque toujours fiévreux
et il te faudrait une vie calme, en bon air apaisant, loin des tracas et des
villes. A quoi sert de regretter que tu ne la puisses réaliser ?
Je t’envoie mille tendresses et te supplie de te
ménager – Emile parle toujours de toi avec une affection larmoyante et d’une
rare sincérité.
Bon souvenir à Hélène – J’espère que tu as vu Louise,
et bien portante. Ne lui dis rien pour la date de mon retour, j’aime mieux
qu’elle ne soit fixée à ce sujet que par moi et à mon heure.
A bientôt mon frère aimé.
Octave
[ref.
1907.5] (Le Cannet) Lundi soir – 25 mars 07
Je viens de recevoir ton mot de dimanche mon frérot
chéri – Je pense que j’ai omis de t’envoyer l’annonce du livre sur les cures de
soleil. Tu le feras prendre chez Fisbacher Rue de Seine. Tu le liras et me le
donnera seulement à mon retour ou bien le remettra à Louise à l’occasion.
Je t’écrirai mercredi au lendemain de la visite chez
Bertnay ou je verrai les deux propriétaires Canetan et Antheorien se dresser en
vanités sur l’excellence de leurs positions.
Je t’envoie mes tendresses bien cordiales.
Soigne toi bien – Je te retourne la précieuse
ordonnance du Dr Tessier dont j’ai pris notes voulues.
Octave
[ref.
1907.6] Les Pins : 27 mars (1907) – mercredi
Cher frérot,
Journée très agréable chez les Bertnay hier mardi avec
un temps radieux – nous avons Emile et moi gagné en flanant à pied, la Paulotte
après arrivée à Agay à 10 h – Tout s’est arrangé à merveille ; sympathies
réciproques, gentillesses cordiales, Emile ravi – Nous aurons les Bertnay aux
Pins mercredi prochain 3 avril –
Le soir une petite victoria de l’Hotel d’Antheor nous
a conduit à Agay et je suis revenu en train et à pattes, l’air étant après 4h
décidément trop frais et pénétrant dans la charrette de notre ami.
Avec l’exercice le sommeil revenu tout à fait, je vais
tâcher de me promener chaque jour. Je pense que ma verte santé me reviendra
intacte et vigoureuse en plein air et au soleil. Je ferai tout pour la
reconquérir comme le trésor indispensable.
Je remets ce mot à Emile qui le postera ce matin à
Cannes. Nous t’embrassons tous les deux bien tendrement.
Tu as du recevoir mes lettres chaque jour depuis 3
jours.
Lady Mary m’écrit qu’elle a reçu le mimosa, elle a
confondu l’expéditeur et croit que c’est moi – je vais lui écrire pour rétablir
les choses en envoyant des fleurs à Joscie.
Tendresses.
Octave
[en note au verso du dernier feuillet] Mme Bertnay m’a
chargé de t’embrasser et toutes les amitiés de la maisonnée. Rencontré les
Boulomnié en auto conduite par Mlle Geneviève (je crois ?) près de la
maisonnette du père Lumière – amabilités, compliments, etc.
[ref.
1907.7] Les Pins : le 2 avril (mardi) (1907)
Mon bon chéri,
Nous avons passé, Emile et moi, une très heureuse
soirée de dimanche de Pâques à San Remo, que je trouve délicieusement chaud,
agréable, pittoresque et où je ne manquerai de m’arrêter pour couper le trajet,
quand j’irai en Italie.
Le lundi de Pâques nous fut également favorable en
Italie et à Vintimille. Il n’y eut que les foules du lundi Pascal à Monte-Carle
et à Nice qui assiégèrent les trains comme les barbares les jours fériés ;
la cohue fut digne des environs de Paris.
Aujourd’hui nous allons déjeuner à Grasse où nous
attend Maurice Maëterlinck avec son auto – nous rentrerons dîner aux Pins.
Ma santé se rétablit superbement de jour en jour.
Ayant vu les foules je ne quitterai les Pins que samedi matin à 8h
– Je déjeunerai à Marseille et, par le train du soir, irai coucher à
Montpellier pour être dimanche soir à Toulouse – Lundi prochain à Lourdes ou
Pau puis Biarritz.
Le temps est toujours superbe, radieux.
Figure toi que je suis sans lettres depuis samedi –
Les Postes ici sont mal organisées. Je n’aurai lettre de toi que ce mardi vers
midi et je devrai mettre ce mot à la poste avant de recevoir de tes nouvelles
annoncées.
A la dernière heure, Maeterlinck me télégraphie contre
ordre, nous n’irons que jeudi à Grasse – Aujourd’hui nous irons manger la
bouillabaisse à la réserve de Cannes.
T’écrirai demain Tendresses
Octave
J’espère que tu es allé à St Cloud – Tu dois penser à
t’aérer le plus souvent et le plus longtemps possible.
[ref.
1907.8] Les Pins – ce mercredi 3 avril 07
Mon cher frérot aimé,
Toutes tes photos sont bien arrivées hier matin mardi
– elles son très bien venues et ont fait une joie énorme aux Pins et à Valrose
– Jeanne a reçu également son Mariani et ses sels et pour cela a du t’écrire –
cette petite vieille dame n’est pas habituée à de pareilles gentillesses, les
amis de son ami, généralement « purée » et muffles ; elle en est
apparemment charmée et décontenancée.
Emile a poussé des cris de joie enfantins au reçu de sa
gourde de nickel ; il a du t’écrire aussitôt dimanche, alors que nous
partions pour Cannes et San Remo.
Quant au Dr Barier, j’irai lui dire adieu vendredi et
samedi si tout lui est bien parvenu.
Hier nous avons déjeuné à « la Réserve »
avec un temps incomparable, une chaleur de juin. Je n’aime guère ce restaurant,
c’est cher, apprêté, banal, etc. – Bon pour une fois. Je tâcherai de voir M.
Ducreux vendredi. Aujourd’hui nous recevons les Bertnay et pour la première
fois depuis mon arrivée le ciel est profondément gris et il pleut. C’est pas de
veine pour ces braves gens d’Antheor. Emile ira les chercher à la gare à 9 h 35
et je resterai ici pour tout préparer et faire la maîtresse de maison avec
Henri.
J’ai pris aux Pins à peu près mes habitudes et à peu
près imposé ma façon de vivre à notre vieux camarade, mais toutefois je
retrouverai sans tristesse ma complète indépendance d’esprit et d’action. Je
dis « d’esprit » car je souffre de ne pouvoir dire à cet excellent
garçon ce que je pense de ses folies décoratives inutiles et de vivre dans
l’atmosphère de ce propriétaire qui ramène tout à sa propriété, qui compare
tout à elle et qui, par ce fait, n’a plus, même en voyage, la
moindre liberté de jugement.
Puis je vois la tristesse de cette vie sans tendance
aucune au travail, sans intimité confortable, toute [mot illisible] à une vague
action superficielle pour faire élever des murailles sur des terrains argileux
qui dégringolent et pour établir sans connaissance aucune des plantations, du
terrain, etc, des jardins destinés à demeurer arides et ruineux.
Tout cela est navrant ! et quel entourage
pitoyable ! même la vieille dame amie qui est fausse comme 36 jetons. – Je
ne puis m’empêcher d’être ému, gêné, désolé par cet état de choses qui me gâte
un peu mon séjour aux Pins – Je te conterai tout cela plus tard au retour.
C’est pourquoi je filerai volontiers, abandonnant à
son singulier destin ce brave cœur, cet excellent et vieil ami que je voudrais
sauver et qui continue à porter en soi le besoin invincible de se ruiner de la
plus imbécile façon du monde, en construisant par vanité, par besoin de crier,
des choses inutiles, invendables, onéreuses, sans même penser à
s’employer ce qui serait excusable, à des bâtisses de spéculation.
Sa villa sans chambres est aménagée comme un casino et
aussi comme un casino les avenues folles qui y conduisent …
Et il n’y a rien à faire. C’est fâcheux car, si sa vie
était mieux réglée, si le travail absorbait quelque peu son esprit et
équilibrait la distribution de son temps, ce serait l’ami idéal et de toute
bonté.
Louise m’a envoyé le Mercure du 31. J’ai lu la
dernière publication de Mme Sacher Masoch.
Je me retrouverai à plaisir, non à Paris où vraiment,
seul mon chéri, tu m’attires, mais dans le nord, dans le mouvement où je suis
vraiment sevré de courriers hâtifs, de journaux récents, de vie télégraphique
et téléphonique et puis de causeries sur des sujets contemporains – notre vieil
ami est comme une montre arrêtée en 1875 environ. Il ignore tout de son temps –
Il ne savait même pas qui était Maeterlinck – une ignorance noire des questions
et des hommes du jour.
Je verrai les Bertnay avec plaisir et si ils n’ont pas
de photos faites par toi je leur remettrai celles que tu m’as envoyées.
Ma santé se remet bien, je me suis bien soigné et me
trouve solide et en assez belle mine, mais je sais, je sens, que pour redevenir
ce que je veux être, j’aurai besoin d’une vie saine à la campagne et à la mer,
d’aucune excitation sexuelle, de beaucoup d’exercice physique et au grand air –
je pense bien cette année pouvoir m’accorder tout cela.
Je t’embrasse tendrement – Merci pour ta proposition à
propos du salon, mais si il ouvre le 15, je reviendrai car je puis seul voir et
juger avec mon œil personnel et renseigné – Ton frérot.
Octave
[ref.
1907.9] Marseille le 6 avril 1907 Samedi [papier à en-tête du Grand Hôtel de
Russie et d’Angleterre, Boulevard d’Athènes, 31 & 33, Marseille].
Mon bon chéri,
J’ai quitté « Les Pins » ce matin à 7 ½ , laissant
l’ami désolé, ému – je n’étais pas par trop fâché de lâcher la demeure de
ce cher Emile, dont la folie de la pierre est intense et désolante, opprimante,
et qui est, inconsciemment tyrannique avec ses projets de maison théâtrale qui
le ruineront.
Il est déjà obéré, gêné, malheureux ; il est
digne de tendresse et d’indulgence, mais vraiment peu moderne, ignorant de la
vie et incapable de pensée intense, de travail régulier, de recueillement. Or
la nature demande, réclame des amis recueillis.
La foule était intense à Cannes, à Toulon d’où partait
Edouard, ici je n’ai pu trouver qu’une « chambre de toilette » pour
la journée. Tout est comble (les fêtes pascales se sentent partout) J’y ai
parfaitement déjeuné, j’y dinerai ce soir et irai coucher à Nîmes ou à
Montpellier pour être demain soir à Toulouse. J’y dinerai seul, y
travaillerai lundi, dinerai mardi chez les Huc et je filerai pour Lourdes
mardi, coucherai mercredi à Bordeaux, arriverai à Paris jeudi soir pour
diner et te téléphoner.
Le vendredi matin, j’irai visiter le salon – Je
prendrai l’air de Paris 8 à 10 jours, puis espère bien aller en forêt pour
achever ma cure, car je ne serai resté qu’un mois dehors ; parti le 11
mars de Paris, j’y rentrerai exactement le 11 avril.
Je t’embrasse tendrement – Je t’écrirai un mot lundi
seulement car demain je voyagerai toute la journée.
Affectueusement
Octave
[ref.
1907.10] Toulouse ce lundi 8 avril 07 [papier à en-tête du Grand Hôtel
Tivollier à Toulouse].
Mon bon chéri,
J’ai roulé hier en wagon tout le jour, de Nîmes à
Cette et de Cette à Toulouse. Je me repose ici aujourd’hui en une belle
chambre, près d’un bon feu afin de travailler à des préfaces pour des
catalogues d’artistes à expositions particulières, et aussi pour un article
Dépêche.
Je n’irai que ce soir diner chez Huc ; demain, à
midi, je filerai directement sur Bordeaux où je coucherai et, mercredi soir, je
reviendrai chez moi afin d’être jeudi matin au Grand Palais. J’irai voir
directement Raguet avant d’entrer afin de lui demander livret, entrée, etc.
Je suis heureux de me retrouver seul et d’avoir lâcher
les Pins où l’obsession de Rochard, avec sa muraille, son terrain
glissant, ses projets de bâtisse, les potins ambiants, la domesticité plus
clairvoyante et plus maîtresse que le maître, le peu d’étendue du champ de
conversation avec un ami devenu borné à son bien, fermé à toutes
questions modernes, crédule jusques à la niaiserie, Poire
invraisemblable et impossible à dépoirer, finissait par m’atteindre et
empêchait le cours normal de mes pensées et de ma propre vie morale.
Je vais rentrer assez bien portant, mais sans être
assuré d’être tout à fait purgé de grippe. Une certaine frilosité, de vagues
fatigues dans les jarrets m’indiquent que je dois poursuivre ma cure et me
surveiller.
Je ne t’écrirai plus, mon cher frérot – mercredi soir,
je te téléphonerai vers 7 ½ à 8 h – je t’embrasse bien tendrement.
Octave
Je viens de recevoir ta lettre de samedi soir – celle
du Bureau de St Anne –
[ref.
1907.11] St Raphael 26 avril 07 – 10 h du matin –
Mon bon chéri,
Je t’écris un mot hâtif, avant d’aller voir la famille
Amherst à Lou Castey où je resterai à luncher. Hier, la journée fut
superbe ; elle s’annonce de même aujourd’hui, avec les jours grandissants
qui sont délicieux – Je commence à préparer mon départ, à faire des petites
caisses que je laisserai ici – et qu’on m’expédiera si je n’y reviens et
d’autres pour la petite vitesse que je ferai filer la proche semaine,
à ceci joins les nombreuses lettres pour changement d’adresses journaux,
revues cataloguées. C’est de la besogne – et mes rendez-vous à Paris pour mon
retour.
Mariani m’a demandé si je serai au nombre de ses
convives Ledoyen le 30.
Comme je pense rentrer chez moi le 29 après midi,
venant de Dijon, j’estime que ce sera une occase de t’aller embrasser le
lendemain de mon arrivée et si j’étais trop fatigué, je m’en dispenserais au
dernier moment ; mais si alors il fait beau, je puis fort bien y aller et
j’ai accepté.
Ma santé est bonne ; j’ai du arrêter un jour mon
huile de ricin, car je me sentais l’intestin tout à fait délabré – un peu de
repos est nécessaire – je verrai le Dr Bontemps avant de m’en aller ;
peut-être vendredi – J’ai fait préparer le mélange Ducreux, magnésie
souffre ; j’en userai quelque nuit où je me réveillerais à l’heure congrue
– on peut délayer dans l’eau froide, ce que je ferai. J’ai écris à Jules
Charles Roux, à propos d’une croisière initiale de son paquebot le
« Charles Roux » qui doit partir de St Nazaire le 4 juin pour Porto, Lisbonne,
Madère, Casabianca, Tanger, Gibraltar, Alicante, les Baléares – ça m’intéresse
– Les voyageurs doivent payer 500 f. Je demande à Jules Charles de me traiter
comme l’individu favorisé, susceptible de faire la publicité de cette
croisière, et d’user de son influence sur les organisateurs pour m’admettre à
titre privilégié ou à moitié prix – En juin, quinze à vingt jours de mer me
seraient très salutaire. Si tu vois la Flandreysy, lance là à ce sujet sur son
amant. Je tire toujours des plans pour mes arrangements futurs. Si j’avais
trouvé un logis vraiment supérieur ici pour 800 à 1000 non meublé je crois que
je l’aurais pris pour l’occuper 7 à 8 mois au maximum, de décembre à juin et je
n’aurais cherché à Paris que 2 chambres et cuisine pour les jours de passage et
pour les ½ mois de juin, de septembre octobre nécessaires pour y traiter les
affaires littéraires. Je ne puis désormais me voir à Paris plus plus de ces 2
mois ½ alors, où l’utilité d’un logis coûteux pour si peu de temps ? Avec
6 à 700 à Paris 8 à 900, ici, ou ailleurs, il me semble que ce serait bien dans
mes convenances. 1500 frs en tout et juste ce qu’il faut comme mobilier. Voilà
mon rêve pour demain.
Je ne sais encore si les Bertnay accepteront de venir
lundi ici déjeuner pour la fête, bataille de fleurs, après sur mon balcon –
(sinon, grand soulagement, politesse faite) ni si ils viendront mardi aux Pins
chez le commandant Rochard, Ramollot, S’crongnieu et le plus poire des hommes
d’affaires ; le pauvre !! ce sont mes dernières corvées en
perspective avant mon départ – affectueux baisers, mon chéri.
Octave
[ref.
1907.12] Auxerre le 27 avril 1907 samedi soir [papier à en-tête du Grand Hôtel
de la Fontaine, M. Frèrejean, 12 place Charles-Lepère, Auxerre (Yonne)].
Cher Joseph,
Je n’ai pas reçu ta lettre à Barbizon avant midi. Les
postes barbizonniennes comme, tout, d’ailleurs, en ce pays reste à demi sauvage
(ce qui en fait le charme) fonctionnant plutôt déplorablement.
Je pense que la mère Mallet ne la retournera pas à
Paris. Elle doit avoir mon adresse. Je suis arrivé à 3h ½ à Auxerre, d’où à
l’hôtel par un petit omnibus nouveau, genre tramway à la gare. J’ai trouvé
Auxerre glacial après l’orage d’hier. On se sent bien dans l’Est. Quelle
différence de température avec ce bon Barbizon si bien protégé qu’en hiver même
il y fait doux et sec. Et quel air à Barbizon – on ne peut trouver mieux – Rien
ne le souille, tout le parfume.
J’ai vu Paul Petit à sa liquorerie – accueil le vieux
franc camarade.
Je vais diner chez lui ce soir, mais je me garderai de
ses vieux vins et de ses boissons borgiaques.
Je suis allé au cimetière à 4 ½ avec un joli soleil
pâle ; notre chère tombe bien entretenue, fleurie de pensées ; tout
frais, après les averses d’hier ; je n’ai vu que la gardienne et son gars
déjà grand et solide – Au retour j’aurais eu le temps de m’arrêter chez
Duchemin encore ouvert, mais je ne l’ai fait, préférant attendre quelqu’autre
voyage. Tout le monde s’est informé de toi. Demain matin je travaillerai à un
article et partirai à 1 h. – J’ai fait faire du feu dans ma chambre – la n°4,
où nous étions réunis le soir du triste voyage et qui est la meilleure de la
maison.
Voilà, mon chéri, grosso modo – Je te téléphonerai
demain soir après mon retour, après diner. Ma santé est tout à fait
meilleure aujourd’hui – Hier matin, vendredi, j’étais à plat, désespéré,
brisé. Je crois que les drogues du Dr Rénou, ce Lupulin extrait des pistils de
fleurs de houblon, me fut sensible. J’ai cessé le traitement. D’ailleurs je
sens que l’air m’est indispensable que ce sera, pour moi, le meilleur viatique.
Paris m’ennuie et me fatigue, sans utilité – J’arriverai bien un jour à
régler ma vie selon mes idées et la pratique de ma sagesse.
En attendant j’ai trouvé l’idéal à Barbizon. Pour 5
f. par jour – 2 chambres dont une très belle avec baie d’atelier une salle
à manger très claire et confortable, une cuisine. J’irai m’y installer avec
Louise qui me soignera à ma guise pour quelques francs par jour – Je compte y
arriver le 9 au soir pour y rester la fin du mois et peut-être au-delà –
Si tu veux y venir le samedi 11 tu verras mon installation je t’y
réserverai une chambre, car il y en aura d’autres de libres et tu pourras, si
ça te plait, revenir pour la Pentecôte qui est le 29 – (pour la Pentecôte
tout est loué à Barbizon et partout, aux alentours de Paris)
Mes tendresses et à demain soir téléphoniquement,
Octave
[ref.
1907.13] Barbizon (S & M) – Les Pleïades – chez Delhomme – Mardi matin 4
juin (07).
Mon bon chéri – Mon dépotement a parfaitement réussi
comme a du te l’annoncer une postale de hier soir – sauf un sale courant d’air
dans la provisoire salle des guichets de banlieue la gare de Lyon, rien n’a pu me troubler et
sitôt hors fortifs, le soleil a brillé et chauffé.
J’ai trouvé ici l’installation selon mes idées, tout à
fait le rêve rustique de propriété idéale, de salubrité complète et de
simplicité absolue – au sortir de mes fouillis et encombrements de l’Alma,
c’est la détente.
Une bonne chambre au midi d’environ 20 mètres superficiels,
ouvrant sur la campagne, bien baignée de lumière et de silence, une pour Louise
semblable en face, une petite salle à manger simple et propre et deux
propriétaires, le mari et la femme, gentils, complaisants, n’ayant rien des
paysans rapiats et profiteurs du pays – le temps est doux, assez soleillé,
agréable – dans la maison un américain de 35 ans et sa sœur, blonde très jolie
– une ferme où on recueille des œufs encore tièdes à 25 sous la douzaine et un
lait parfait à six sous le litre.
J’ai bien dormi et je sens ce matin que je vais peu à
peu ressusciter.
Louise, qui est une campagnarde invétérée, est très
débrouillarde et vaque à ses affaires, ravie d’être loin des escaliers de
service et des pots bouilles des immeubles de Paris.
Ma vie s’annonce doucement solitaire, recueillie,
infusée de bon air pur, de lumière et de verdure.
Je suis vraiment ravi d’être loin de Paris qui,
aujourd’hui, est si inutile à mes goûts, si contraire à mes besoins, si
omisible à mes fonctions physiques – aussitôt que je me retrouve dans la grande
masse d’air de la vraie nature, tout mon organisme se réveille et me redonne
ces jouissances de bien être qui sont en définitive, les plus exquises que l’on
puisse goûter, celles de la force, de la salubrité, de la gaité, comportant
l’action, l’appétit, le sommeil. Je ne tousse pour ainsi dire plus. Si tu viens
me voir samedi soir prochain tu me trouveras, je pense tout à fait gaillard.
Dis moi si tu veux ou compte venir – si oui, il y
aurait – peut-être une chambre ici, à moins que tu ne préfères en choisir une
aux Charmettes – y prendre ton petit déjeuner, à ton heure & à ta guise, en
venant déjeuner et diner avec moi. – Si tu ne pouvais venir dimanche,
j’inviterais peut-être Laffont qui ne peut venir que le dimanche et m’a promis un
dimanche, mais rien ne presse et je préfèrerais te voir samedi. Comment
vas-tu ? Bien tendrement.
Octave
[ref.
1907.14] [carte postale de Barbizon – Une rue] Lundi 10 juin (1907).
J’espère que tu es bien portant, hier je fus accablé
par ce temps au dessous de tout comme chaleur. Aujourd’hui air vif, agréable,
je retrouve goût à la vie et à la nature.
Je vais travailler, ma santé me semble de meilleur en
meilleur, mais je me vêtis moins. La peau demande à être tonifiée par l’air.
Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.15] Barbizon – Pleiades – 12 juin 07
Mon bon chéri,
Je vais toujours plutôt mieux, malgré un temps parfois
énervant qui perturbe mes sommeils, orages, lourdeurs atmosphériques,
électricité, tout ce vilain début d’été qui se font sentir partout à l’heure
actuelle.
Cependant je me promène à souhait, ignore l’ennui de
ma petite vie paisible et monotone, dont je ressens les bienfaits physiques.
Quand je songe à l’état de fatigue et d’aplatissement que je ressentirais à
Paris, je bénis ma destinée d’être à même de goûter mes douceurs rustiques.
J’espère que tu vas bien et que tu échappes à l’étuvée
des vêtements trop lourds. – Je t’embrasse bien affectueusement et espère
bientôt un mot de toi.
Octave
[ref.
1907.16] [Carte à en-tête du 5 Place de l’Alma à Paris VIIIe] Barbizon 14 juin
(1907).
Mon bon chéri,
Le temps a bien fraîchi ; je m’en applaudis pour
la promenade, la digestion, le sommeil, le bien être général, car je hais la
chaleur orageuse qui m’annihile et me rend mou, sombre, effondré.
Je vais toujours fort bien. J’attends dépêche du Dr L.
qui, très pris, ne saura qu’au dernier moment, s’il peut venir. S’il ne
pouvait, j’en serais ravi et, politesse faite, ne l’attendrais plus lui disant
partir en Bourgogne la semaine proche.
Je pense que tu n’es point trop fatigué et détraqué
par tes successifs diners. Te voici à la veille d’une huitaine de liberté. Je
souhaite que tu dépenses largement ton temps à l’air, et tout au profit
de ta santé.
Tu décideras si tu vas tout d’abord au Havre, puisque
tu as dans l’idée d’y aller ; ça vaudrait peut-être mieux. Tu viendras
après en forêt, où je te laisserais libre d’aller aux Charmettes ou de
venir à la maison. En arrivant de bonne heure, tu déciderais de tes
préférences. Selon tes goûts d’indépendance absolue.
Tu m’écriras tes déterminations. Je t’engage à ne pas
différer ton départ, quoique tu fasses et où que tu ailles en premier.
Bien affectueux baisers.
Octave
[ref.
1907.17] Barbizon ce 15 juin 07
Mon bon chéri,
J’aurais grand plaisir à revoir les Bertnay qui me
sont très sympathiques, mais je préférerais leur donner moi-même à déjeuner aux
Charmettes ou à la forêt ou chez moi que d’aller à Paris.
Je me sens bien, je vis, je respire, je ne tousse plus, j’ignore la fatigue, je
suis heureux de me reposer, de sentir enfin le calme, de vivre comme je veux,
me couchant à 8 ½, comme je rêvais depuis longtemps de le faire. Donc, je ne
veux pas aller à Paris. La seule pensée de refouler le pavé de bois et de
supporter les ciels enfumés, couvercles de cette chaudière humaine m’épouvante.
Je m’arrangerai pour n’y aller qu’en y retournant changer de valise – Donc,
invite les Bertnay sans moi, en m’excusant auprès d’eux et leur dévoilant mon
état d’âme présent.
Je suis allé hier à Bois le Roi et Brolles – J’ai revu
les boîtes théâtrales de Rochard, c’est bien toc, bien laid, bien carton – Déjà
la Jeannette est à revendre 65.000. Bois le Roi – Brolles ne me plairait point
à habiter. C’est très Vésinet-Chatou. J’ignore encore si Laffont viendra demain
– Tu me diras ce que tu feras de ta semaine de liberté quand tu le sauras – Mes
tendresses.
Octave
[ref.
1907.18] Barbizon ce 17 juin 07
Mon bon chéri,
Je regrette que tu ne dépenses point plus amplement
tes vacances hors Paris, avec le merveilleux temps qu’il fait.
Tu me diras donc quel jour de la semaine
prochaine tu viendras. Tu pourras peut-être chercher à te loger à l’annexe des Charmettes,
car l’américaine avec qui je suis maintenant bon ami, me dit qu’il y a beaucoup
de bruit le matin sur le devant de ma maison et comme je ne peux te proposer la
chambre de Louise, pour si peu, si peu que tu resteras, autant vaudra choisir à
l’hôtel. Sauf dimanche prochain où Lafont, que tu ne désires voir, sera là surement,
me dit-il, viens quand tu voudras en me prévenant la veille. Toujours bien
portant, reposé, heureux d’être à l’air. Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.19] [carte postale de Barbizon – Grande rue] Barbizon, mardi (cachet
postal en date du 25 juin 1907).
Je vais bien, sors et promène à mon ordinaire. Le
temps ici n’est pas hargneux – un peu de forte brise qu’on ne sent pas en
forêt, un soleil très intermittent, mais pas de froid. Dans la nature tout
apparait naturel. Je trouve ça du bon temps normal. Baisers.
Octave
[ref.
1907.20] Barbizon Lundi 1er juillet 07
Mon bon chéri,
Il m’est agréable de savoir que ta sortie de samedi ne
te fut pernicieuse et que tu te sentes vraiment bien rétabli.
Avec ce temps grenouillard, humide et frais, tu ferais
bien de prendre précautions.
Hier le dimanche barbizonien fut marécageux et la
forêt fut tout le jour inhospitalière, car le ciel s’arrêta peu de sanglotter
et, sauf les promenades au village, je ne m’aventurai point sous les futaies
toujours si accueillantes et protectrices. Aujourd’hui je pourrai marcher.
Ma santé regrimpe toujours et abandonne le « variable »
au baromètre vital pour filer vers le beau fixe. Je me sens le sang plus
généreux, plus chaud, moins accessible au froid, la circulation meilleure et
plus active. D’autre part des digestions qui m’étonnent, étant donné mon
appétit vigoureux, des « rendements » relativement aisés. A
cela naturellement s’ajoute une belle humeur qui s’était quelque peu altérée
dans ce néfaste passage de mai, une grande gaité épanouie, un retour aux idées
d’entreprises intellectuelles, tout ce qui constitue le retour aux plénitudes
de vie et à l’action.
Aucun désir de Paris, par exemple, ni même de mon
logis, une hostilité plus grande au contraire, à mesure que j’éprouve davantage
les bienfaits de la vie simple, facile, économique, solitaire et silencieuse,
loin de tous ces microbes humains de la fourmilière urbaine qui dévorent des
heures précieuses qu’il est si doux de leur soustraire.
Je t’espère donc samedi soir – je ne prévois aucune
visite – J’attends un jour Mme Dommartin et ces « Dames de Roddaz »
ou l’une d’elles, mais j’espère bien qu’elles éviteront le jour du seigneur
dont je leur ai peint les désagréments – surtout ceux du retour, cohue
poussées, difficultés de voitures, etc.
A bientôt – mes tendresses.
Octave
[ref.
1907.21] Barbizon ce mardi 2 juillet 1907
Merci, mon cher frérot, pour lettres Rops. Elles me
seront peu utilisables, mais je les mettrai dans mon dossier et te les rendrai
après – avec soin.
Le mauvais temps, je le répète existe peu à la campagne ;
je n’en suis aucunement affecté et hier j’ai pu allègrement me promener en
forêt, entre deux séances de travail. La forêt est tiède agréable, d’un sol
merveilleux après la pluie, sec et solide.
Je n’irai pas à Paris cette semaine, je craindrais de
prendre froid en route ou dans mon logis et rien n’urge – de toute façon, pour
les Bertnay, ne compte sur moi. Je me sens si bien de ma diète de
causerie que je désire la poursuivre, et, si un jour je vais, contraint et
forcé, chez moi, chercher des lettres et documents nécessaires à mes
travaux je n’irai que pour cela et traverserai de l’Alma à la
gare et vice versa, rien autre de Paris. A quoi bon descendre des
escaliers, en descendre, prendre des fiacres et tramways quand on peut s’éviter
ces choses pour moi inutiles et nuisibles.
Je ne pense pas à quitter Barbizon avant août –
j’y suis bien, heureux et paisible et bien portant et je hais la vie des
eaux – Je n’irai à Cauteret ou Mont Doré que si il m’est prouvé que ce
m’est nécessaire .. très nécessaire. Sinon à quoi bon quitter le certain
pour l’incertain ? la paix et le bonheur dans la santé quand on les a
rencontrés quelque part ne demandent pas à voyager – au contraire – Rien ne
vaudra ma vie simple d’ici, l’air, l’exercice, la nourriture de premier ordre
et simple. Ah ! la vie d’hôtel des villes d’eaux ce que cela
m’épouvante !!!
Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.22] Barbizon ce 3 juillet – matin (1907)
Toujours bien, mon cher frérot – Hier, mardi, pas une
goutte de pluie ici. Je fus à Morêt ou à Melun, où je découvris qu’il
gelait en comparaison de Barbizon, abrité et agréable, d’une situation
unique et jamais froide.
Ne regrette donc pas pour moi ces températures qui ne
m’atteignent ni ne me désobligent ici – Paris est particulièrement une ville
hostile avec la variation de température, courants d’air, vents coulés – mais
quand on est dans un bon coin champêtre, avec les fréquentes éclaircies du
ciel, tous les temps ont leur charme.
Donc je serai heureux de te voir dimanche prochain
pour déjeuner et de pouvoir bavarder un peu avant que tu n’ailles à Vittel.
Tendresses.
Octave
[ref.
1907.23] ce lundi – 8 juillet 07 (Barbizon ?)
J’espère, mon bon chéri, que tu es bien rentré hier.
Je te supplie de ne pas [mot illisible] mauvaise
habitude, retarder ton départ pour Vittel et de profiter de toute tes vacances
de juillet – Je t’ai trouvé hier le visage un peu fatigué et l’état général
las ; je pense que tu as le plus grand besoin d’air et de repos et que tu
ne dois pas t’attacher à Paris. La santé avant tout.
Ci contre l’avis du nouveau soporifique « le
Bromural » dont je t’avais parlé hier.
Mes tendresses.
Octave
Il fait chaud, même orageux aujourd’hui.
[ref.
1907.24] Barbizon – Dimanche 28 juillet 07
Mon cher frérot,
Toujours assez bien portant, avec quelques vagues
dépressions de chaleur, mais en somme, plutôt tout à fait bien. Je m’entraine à
des soins délicats pour m’éviter d’absorber des drogues laxatives qui
m’insomniaient et me donnaient des inquiétudes et palpitations cardiaques. La
cuillère d’huile d’olive à jeun le matin semble devoir, peu à peu, me réussir.
Espérons que ce ne sera pas provisoire.
Toujours heureux dans mon petit nid. Barbizon est comble
et je ne m’en aperçois guère. Il y a les Ernest-Charles, femmes et filles aux Charmettes,
mais je ne les vois que modérément, ainsi que les autres personnages que j’ai
pu connaître et qui se sont présentés à moi. Je deviens de plus en plus
solitaire et ceux que je vois et écoutent, me semblent le plus souvent si vides,
si vaniteux, si dépourvus d’intérêt que je ne suis guère sollicité de fuir ma
propre compagnie.
Il fait chaud, orageux, mais la forêt est fraîche et
ma demeure aussi, loin de la grande rue, des parisiens, des hôtels, etc. Pas de
poussière ni d’autos. Te voilà déjà dans la semaine du retour – Dimanche
prochain tu seras dans ton carrefour St Germain des Prés, poussiéreux, bruyant
et chaud – Je sais que tu rentreras avec plaisir et c’est fort heureux puisque
tu y dois vivre.
Moi, je suis moins favorisé ; je sens que Paris
m’est contraire, hostile et j’ai pris mon nid en défaveur. L’idée d’y revenir,
d’y vivre claustré, sans nécessité absolue, sans intérêt bien vifs pour
Paris même, cette idée m’oppresse plutôt. C’est que je me sens mûr pour la demi-retraite,
que je perçois que ma santé ne peut prospérer et se maintenir que dans les
conditions de grand air, la quiétude absolue et l’éloignement de nervosités,
surmenages et efforts persistants. On se sent. Je cherche à savoir
comment je sortirai du dilemme de mon logis de l’Alma, (désormais condamné en
mon esprit) – où j’établirai mes pénates modestes, mon pied à terre nécessaire
et sans charges accablantes. Peu à peu, je déciderai après avoir vu étudié
localités et milieux.
Je t’envoie mes tendresses – J’aurai mot de toi cet
après midi sans doute. Peut-être ne t’écrirai-je plus que mercredi ou jeudi,
devant fortement travailler – ne t’inquiète pas de mon provisoire silence.
Cordialement.
Octave
[ref.
1907.25] Barbizon – ce jeudi 1er août 07
Mon bon chéri – je t’envoie un dernier bonjour à
Vittel d’où, tu dois partir dimanche pour réintégrer tes pénates. J’espère que
tu es tout à fait bien portant et j’aurai plaisir à t’embrasser et à juger de
ta belle mine quand tu pourras venir à Barbizon.
Le temps a déjà bien changé ici, le ciel est beau,
mais frais et je n’ai plus à lutter contre la chaleur mais plutôt contre les
variations atmosphériques.
Ma santé est bonne, mais j’ai souvent une foule de
symptômes du côté du centre nerveux qui m’inquiètent. Hier une simple purgation
de limonade Royer devenue nécessaire développa des fatigues nerveuses diverses
et des lassitudes étranges. Toute tentative contre la constipation en arrive à
me donner des palpitations, insomnies, états nerveux. Tu juges que ce n’est pas
drôle.
Ma mine est bonne, je supporte la marche que je sens
très salutaire ; ma vie sexuelle est ralentie, mise de côté comme il faut,
je suis donc parfois mélancolique de me sentir encore mal équilibré, apte à me
refroidir, à retomber malade pour un rien – Ah ! que ma santé de naguère
me semble enviable !
Aujourd’hui je n’oserais voyager seul à l’étranger, je
ne vais plus du côté de la jeunesse et le retour à Paris, l’hiver prochain
m’inquiètent.
Je t’embrasse affectueusement, ne prends pas au
tragique ces nouvelles écrites en un instant déprimé ; au grand air le
baromètre de ma santé varie vite et aussitôt en route, sous les arbres je me
sens bien.
Tendresses.
Octave
[ref.
1907.26] Barbizon 4 août 07
Mon cher frérot,
Je tiens à te donner la bienvenue de retour chez toi –
tu as du avoir chaud dans le train de Vittel-Paris et chaud chez toi, car le
soleil s’est mis à arder depuis quelques jours.
Ici, je suis toujours bien et j’ai la chance d’une
maison très aérée et fraîche. J’espère te montrer mon tout petit nid bientôt.
Je ne pense pas le quitter avant le 20 septembre date à laquelle
j’assisterai peut-être au congrès de la presse, où je me suis fait
déléguer et qui aura lieu à Bordeaux, du 21 au 25, après quoi je reviendrai
peut-être encore en forêt, s’il fait beau.
Ma santé m’a inquiété ces derniers jours, en raison
d’états nerveux très angoissants, de fébrilités du soir entre 10 et minuit,
poussées de sang, palpitations, tout cela évoquant l’état de notre chère maman,
lors de son retour d’âge avec variations dues à mon sexe et à la vie toujours
laborieuse et très allante « vis-à-vis des dames » - tout cela
s’atténue, s’atténuera ici. Il serait vain de consulter des médecins aveugles
et sourds à ces sortes de maux et si incompréhensifs – D’ailleurs Ottinger
viendra peut-être me voir. Quant à quitter Barbizon pour des eaux quelconques …
Horreur ! En ce mois d’août !! Je n’estime pas ma vie monotone, loin
de là ; je savoure sa quiétude et ne m’en lasse ni m’en ennuie. D’autre
part, je la juge très saine, en air parfait, loin des bruits et des poussières
et des humidités. La vue seule des Charmettes en fête, jouant au genre
balnéaire, suffirait à me détourner l’imagination de vagabondage. L’exercice
pondère mes états neurasthéniques ; j’espère vaincre la constipation sans drogues,
le moindre laxatif me causant des crises incroyables, des fatigues sans nom. Je
dois renoncer à tout sauf aux lavages. Je ne pourrais être mieux soigné qu’ici
au point de vue des alimentations sobres, des menus soins de toutes nature, et,
si tu ajoutes à cela que j’ai à travailler, que je dois économiser, après mes
minima de productions depuis janvier, tu conviendras que j’ai raison de
demeurer en mon coin sans chercher ailleurs.
Je pense que tu vas voir Rochard mercredi – Tu ne peux
faire mieux que de l’avoir à déjeuner ou à diner puisqu’il doit repartir sans
doute le vendredi suivant – Je te prie de lui dire en ce qui me concerne
que je suis toujours au Coq sur mer, près Ostende, chez des amis, que je
n’ai pu lui écrire aux Sables d’Olonne par la raison qu’il ne me donnait pas
son adresse, que je reviens à Barbizon le 12 ou 14 courant et qu’il peut
m’y écrire à moins qu’il ne m’adresse un mot au Coq sur mer à Ostende
chez M. Léon Dommartin, chalet La Lanterne (Dom me retournerait le mot.)
Rochard m’a parlé de me joindre ici – cela me
consternerait. Détourne moi cette visite fâcheuse – Il me raserait tout un jour
et ne comprendrait rien à ma vie paisible et retirée dans ma petite boîte, que
je préfère pourtant à ses villas de théâtre.
Amitiés et souvenirs à Angélo – bien affectueux
baisers – Ecris moi quand tu viendras.
Octave
[ref.
1907.27] Barbizon 7 août 07
Mon chéri,
J’ai eu ta lettre à 2 h – Il fait aujourd’hui un temps
délicieusement frais et agréable, depuis hier, d’ailleurs, la forte chaleur a
disparu et ici elle fut supportable.
Ma santé s’améliore, bonnes nuits, nervosisme évanoui
et constipation vaincue par lavements d’huile le soir. Je me promets bien
d’éviter le plus longtemps possible les déconstipants près à l’intérieur. Même
la bonne huile de ricin me mettait l’estomac à vif et me détraquait tout
entier.
Je t’espère dimanche. En tout cas, viens quand tu le
pourras et voudras.
Je travaille bien en paix, je crois que je me
reconstituerai une bonne santé, telle que je puis espérer encore en avoir une à
mon âge, mais je devrai y consacrer du temps hors Paris et en plein air. J’ai
toute une circulation sanguine à me refaire et je sens qu’aujourd’hui la
stagnation me serait fatale.
As-tu vu Rochard ? Ce brave garçon oublie bien des
choses pratiques, entre autres de fournir ses adresses de déplacements – Je
n’ai aussi pu lui écrire.
Tendresses et à bientôt.
Octave
[ref.
1907.28] Barbizon ce 9 août 07
Mon cher Joseph,
Merci de tes mots quotidiens. Le temps est délicieux –
très frais le soir, au point qu’il se faut couvrir, et le matin jusqu’à midi
matinées fraîches et agréables. Je continue à me mieux porter, à n’avoir plus
mes inquiétudes nerveuses et à oublier mes petits maux.
Je travaille dans un calme délicieux ; tout m’est
repos, même l’exercice et je ne sens plus que cette saine fatigue qui est le
bon appât du sommeil.
Je t’attends dimanche à 11 h pour déjeuner, plus tôt
si tu peux et le veux. Affectueux baisers.
Octave
Bons souvenirs aux Mariani, Jaros et Cie.
[ref.
1907.29] Barbizon ce 13 août 07
Mon bon chéri,
Je me sens de mieux en mieux – Le bromure a
merveilleusement calmé mon état nerveux devenu sédatif et les compotes et
fruits cuits ont régularisé les fonctions intestinales, sans autre aide. Je
pense, j’espère que je me trouve en bonne voie de santé intégrale. C’est si bon
de se sentir bien.
Tes passages ici sont trop rapides pour que tu puisses
comprendre la douceur de ma vie : très supérieure comme repos, nourriture,
hygiène et exercice à celle que je mènerais en communauté dans quelque
ville d’eau ou sur quelque plage à l’hôtel. Tu vois cela rapidement avec ton
habitude de Paris et de mouvement des stations thermales et tu trouves ce genre
de vie, à ton point de vue, triste sans doute, monotone et replié sur soi
même – mais c’est une erreur – il faut, même pour juger l’existence des autres,
la partager quelque peu et ainsi la comprendre.
J’ai reçu, du Dr Laffont, une lettre de 5 pages. lettre
conseil sur mon état – c’est beau de sa part, lui qui jamais n’écrit – il y
a de très bonnes choses et d’autres à dédaigner peut-être – c’est tout un
régime quotidien – intelligent en somme et précieux en plus d’un point.
Laffont me dit avec justesse que je n’ai aucune tare
cardiaque et par conséquent que je n’en ai jamais eu – il me le jure –
il ajoute qu’à notre âge ça ne bouge plus le cœur, et que si on a été indemne
jusque là on est sur de ne plus se donner de lésion avec une vie d’hygiène
telle que la mienne – Il me confirme également l’excellence de mon estomac et
me reproche seulement de l’avoir compromis par mon excessive complaisance à
user d’une droguerie persistante – ce qui au fond est vrai.
Je pense que tu es rentré sans trop de fatigue
dimanche – (je t’écris avant la venue du facteur) toutefois ces petits voyages
sont encore fatigants en une journée. Il est regrettable que tu ne puisse faire
autrement – D’autre part, comme tu redoutes un peu la marche et que tu la crois
contraire, que tu n’es pas installé, les distractions à t’offrir me
semblent maigres et cela me parait regrettable de penser te donner des journées
peu réjouissantes et qui ne sont agréables que pour moi.
Le temps s’est voilé – il est doux – les soirées sont
fraîches, je ne sors plus après diner, éprouvant des sensations de pénétration
frigide qui m’indiquent la prudence.
Affectueux baisers.
Octave
Quand tu auras l’analyse de mon urine – envoie la moi
– c’est 10 frs – je suppose – si oui je te les enverrai ou remettrai pour que tu
règles aussitôt.
[le même jour Octave Uzanne écrit à un confrère la
lettre ci-dessous]
Barbizon
– Les Jasmins. 13 août 07
Hélas ! mon cher confrère, je ne puis vous venir
en aide – je n’ai, depuis la fin du Livre, en 1891, rien conservé – Des
déménagements m’ont contraint à l’impitoyable lacération des stocks accumulés –
après s’être encombré dans la jeunesse, l’homme se simplifie de plus en plus,
se dépouille presque en approchant des heures crépusculaires.
Excusez moi de ne pouvoir mieux vous servir et trouvez
ici l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Octave Uzanne
En librairie d’occasion vous trouverez surement –
cherchez, demandez aux bouquinistes.
[ref.
1907.30] [carte postale de Bois le Roi – Brolles – La Ruelle. Montrant la
maison d’Emile Rochard (indiqué sur la carte à la plume par Octave Uzanne). Le
cachet de la poste est daté du 15 août 1907.
Samedi soir
Barbizon
Télégramme m’annonce que le Dr ne vient pas demain.
Tout va donc bien. Je t’en avise pour le cas où il te conviendrait de piquer
une reconnaissance ici.
Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.31] Barbizon mardi 15 août 07
Mon bon chéri,
Je vais bien et j’aime ce temps si sain à la campagne.
J’espère que tu es bien rentré à Paris et j’attends de tes bonnes nouvelles ce
matin.
Il y a une erreur dans mes cartes d’état major.
J’avais demandé le Havre, je n’ai eu qu’un fragment sur 4 et on m’a fourni 3
Montdidier que je ne désirais pas. On réparera ça par la suite.
J’irai peut-être demain à Paris, très en hâte pour
faire quelques achats, prendre des livres et notes chez moi et rentrer – ça
m’est très pénible d’y aller et sans intérêt, je m’y contrains un peu. Je
reprendrai le train de 4 h après être arrivé à midi – Impossible de songer à te
voir. Je t’espère dimanche avec Mme Million. Cordialement.
Octave
Je reçois ta lettre, tous mes compliments et
tendresses – Je vois que tu es bien revenu en 3e – Je m’y trouve
toujours bien.
[ref.
1907.32] ce jeudi (29 août 1907) [la lettre a été datée au crayon par
Joseph].
Hier, mon cher Joseph, j’étais à Melun ou je pris un
bain nécessaire.
Le matin le Dr Tissier était venu me voir à bécane et
je l’avais gardé à déjeuner. J’ai également regretté de ne pouvoir te
causer par le fil.
Ce matin je fus dire adieu à Mme Ernest Charles ;
je rencontrai Schaller ravi d’avoir reçu de toi vin et album.
Le Dr L doit arriver dimanche matin et passer la
semaine aux Charmettes. Dès le début je mettrai les choses au point et
je conserverai ma totale indépendance. C’est te dire que je serai tout à toi
quand tu voudras venir ici sans avoir à les voir. Le 4 septembre j’irai à la
chapelle à ton intention et le 14 je ferai dire une messe ici ou à Chailly.
Ma santé bonne en fait avec de temps à autre des
faiblesses, côté cardiaque et dans toute l’économie. Je sens également le
besoin de longs, longs ménagements au bout desquels je trouverai peut-être,
malgré l’âge, un nouveau bail de vigueur et quelques lueurs de jeunesse
couchante.
Affectueux baisers.
Octave
J’espère que tu as reçu ma carte.
[ref.
1907.33] Barbizon ce 31 août 07
Mon cher Joseph,
Alors, c’est dit – je t’attendrai jeudi pour
déjeuner et j’arrangerai les choses de façon à ce que tu ne vois les L …
que si tu le veux – En tous cas, nous restons pour déjeuner en tête à tête et
je serai seul à t’attendre au tramways terminus
puisque les L. seront aux Charmettes.
Ma santé incline au mieux, mes défaillances cardiaques
et mes sensations nerveuses sont moins fréquentes ; je me sens solide et
je vais, sans drogues aucune, à la garde robe, ce qui est d’une
importance primordiale, car la moindre pilule laxative me mettait l’estomac, le
cœur, tout le système en état déplorable. Depuis 18 jours la nature seule, les
fruits cuits, la boisson de houblon, etc, me font fonctionner très
convenablement.
Les Ernest-Charles partis, les Dufour fuient lundi …
ce m’est une joie. Les hommes vraiment s’ennuient trop seuls ou en
famille, c’est une calamité de les rencontrer, ils sont crampons et
rasants. J’aime de plus en plus la solitude et la liberté d’allure.
Ici, le temps bien nettoyé est adorable, frais et
confortable à la promenade. Je suis allé hier rendre mes hommages au « Jupiter »
près de Tranchard – 12 kilo : aller et retour, aucune fatigue.
Le nommé Paul Rops, à une lettre que je lui écrivis,
ne me répond pas par une autorisation en règle, mais, comme je suis
poussé par le désir d’envoyer promener Floury, comme il me semble sûr que cet
homme sournois ne m’a demandé d’écrire le volume qu’après l’avoir
déjà proposé à d’autres et avoir été lâché,
je lui dis mon opinion et je refuse net le bouquin de façon rigoureuse.
Je suis arrivé à une heure de ma vie où pouvant vivre
sans grands besoins, je ne veux agréer désormais que des travaux qui me
laissent indépendant et qui soient en harmonie avec ma mentalité actuelle. Si
j’écris un jour sur Rops, je puis le faire dans les dimensions qui me plairont
à mon heure, et les illustrations ne me sont pas nécessaires ; il sera
même plus original de n’en pas avoir. Floury pouvant me parler de ce livre avant
de l’entreprendre. Il m’a demandé un texte, ayant déjà 15000 frs de
frais en route, c’est louche, j’avais
été naïf d’accepter. Je suis heureux de refuser sur un bon prétexte et de lui
dire ses vérités.
J’ai déjà mes permis pour le congrès de Bordeaux – si
ma santé s’affermit, je partirai le 17, coucherai à Paris et, après séjour à
Tours, j’arriverai le 19 au soir à Bordeaux.
Tu me diras tes sensations sur la vallée du Moria – si
c’est vraiment très beau et très sain, à ton avis j’irai voir. –
tache de connaitre les occasions exceptionnelles de maisons à louer. – à
vendre. Je t’embrasse affectueusement.
Octave
J’irai voir le curé de Chailly demain après la messe à
la chapelle pour le 14 et serai mercredi à ton intention à la dite chappelle.
[ref.
1907.34] ce lundi soir (2 septembre 1907) [la lettre est datée au crayon par
Joseph Uzanne].
Mon chéri,
Je reçois ta lettre – pensais bien que tu aurais pris
l’air hier dimanche et je regrette de te voir ainsi te fatiguer en cet
asphyxiant Paris ou la fatigue est double.
Les L. sont arrivés hier – Ils sont aux Charmettes
pour la semaine jusqu’au lundi matin 9 courant – c’est beaucoup, aussi je ne
perdrai aucune occasion de les semer et si tu veux jeudi nous resterons
ensemble sans utilité de les voir.
J’irai mercredi matin à la chapelle de Barbizon pour
ton anniversaire vers 8 ½ après quoi je tâcherai d’entraîner les L. vers
Bourron Nemours pour ne pas les sentir trop sur mon dos. C’est effrayant ce que
les gens s’embêtent même ceux qui disent s’adorer et se plaire entre eux. Nous
causerons jeudi. Je t’attendrai à 11 h le matin au terminus du tram.
Mille tendresses d’ici là.
Octave
[ref.
1907.35] ce 6 septembre 07 (Barbizon ?)
Mon cher Joseph,
Merci de ton mot – j’ai été heureux également des
bonnes heures passées avec toi. A notre âge et avec notre clairvoyance, nous
n’avons réellement l’un et l’autre que nous même pour nous aimer sincèrement,
naturellement en dehors de toutes affections autres, toujours plus ou moins
intéressées. C’est pourquoi nous nous rapprochons davantage avec une certaine
mélancolie, celle de sentir que le dernier qui survivra, se sentira bien seul,
bien désemparé, bien malheureux.
Je suis rentré et ne suis ressorti. Pendant mon
absence étaient venus en superbe voiture de gala André Rouveyre et Antonio de
la Gandara qui me laissèrent un mot me menaçant d’une visite matinale – J’écris
un mot pour détourner de moi cet ennui. Retté aussi est venu, désolé de s’en
retourner sans t’avoir vu ; je lui écris que tu es venu à 11 h et reparti
à 2 h ayant un rendez vous à Bois le Roi et que j’ai du t’accompagner pour te
voir un peu.
Je ne verrai les Laffont qu’après midi et je voudrais
bien être déjà redevenu solitaire. J’ai tant besoin de mon temps que tous ceux
qui me le bouffent m’exaspèrent.
Aucune réponse de Floury ce matin. J’écris à Paul Rops
qu’il me conserve mes lettres qui feront foi des propositions de ce libraire et
j’arrangerai avec Laffont des lettres établissant un état morbide m’imposant
cessation de travail après quoi, je ferai le mort.
Mes amitiés bien tendres.
Octave
[ref.
1907.36] Dimanche 8 septembre 07 (Barbizon ?).
Mon chéri,
Les L… s’en vont demain matin lundi à 9 ½ - malgré
leur bonne et franche camaraderie, leur bon compagnonnage de longues marches,
je serai heureux de retrouver ma vie pleinement indépendante et de la
conserver, j’espère bien, jusqu’à la fin octobre – même début novembre ici.
Il fait un temps délicieux, un rêve de soleil et
d’azur – Le Floury a répondu par une dépêche disant qu’il viendrait, j’ai
riposté en déclarant l’inutilité de la démarche et mon absence aujourd’hui
dimanche. J’exige des réponses écrites. J’ai donné tous ordres pour le cas où,
malgré moi, il s’amènerait aujourd’hui. Je lui refuserais d’ailleurs, si il
parvenait à me joindre, toute entrevue, toute causerie.
Ma santé s’améliore chaque jour. Le Dr doit
m’ausculter tout à l’heure très sérieusement. Mais comme il me voit marcher,
courir comme un lapin, il déclare de tout impossibilité, d’ores et déjà, que
j’ai quoique ce soit côté poumon.
Viens quand tu pourras et voudras. Je vais redevenir
libre … enfin !
Tendresses.
Octave
[ref.
1907.37] Lundi 9 septembre (Barbizon ?).
Mon chéri,
Les L… viennent de partir – Ils étaient agréables mais
collants – Je ne puis, moi, pratiquer l’amitié avec suite, c'est-à-dire supporter
des amis à l’heure et à la journée. Aussi bien, même avec des maîtresses, j’ai
besoin de distancer les entrevues et de reprendre mes habitudes solitaires.
L. m’a examiné hier, cœur et poumons, me déclarant que
je n’avais aucun essentiel organe en mauvais état, tout étant rigoureusement
normal. Quant aux crises nerveuses ce sont mouvements réflexes vaso-moteurs.
Les médecins d’ailleurs, même les réputés les plus calés ne voient que du feu
dans tous ces désordres nerveux. Je sens, moi, j’observe, je conclus par du
calme, aucune excitation et avec le temps je triompherai.
L’affaire Floury devient incohérente, mais moins
processive. Je te dirai ça. Très désolé de te savoir un peu souffrant mais, ça
ne sera rien, j’en suis assuré, tu es hypersensible comme moi dans ce Paris où
la chaleur et le froid trop canalisés dans les rues sont funestes tour à tour.
J’espère te voir demain ou mercredi tout à fait guéri.
Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1907.38] Vendredi 13 septembre 07 (Barbizon ?)
Mon bon chéri,
Merci de ta lettre. Je vais tout à fait bien
aujourd’hui. Il n’y a eu ici aucun orage depuis longtemps, mais le temps
couvert aujourd’hui et un peu octobral est délicieux. J’adore ces temps voilés
d’automne très reposants et sédatifs. Si octobre est semblable, comme on me le
dit en forêt, ce me sera une joie de le passer ici.
J’ai eu Retté à déjeuner et j’ai fait avec lui un tour
en forêt de 1 h ½, mais ce me fut suffisant – ce n’est pas un mauvais garçon
mais sa sincérité religieuse ne m’est pas démontrée, j’ai la sensation de
choses un peu louches dans sa vie.
Je vais ressortir pour porter un chapeau au Père
Duchêne qui part lundi pour les vendanges et qui a reçu tout un beau trousseau
d’âmes charitables.
Demain à 9 h ma messe sera dite et consacrée à la vierge.
Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1907.39] Barbizon. 14 septembre 07 [date anniversaire d’Octave Uzanne – 56
ans].
Mon bon chéri,
Mon anniversaire très touchant ici – messe intime à la
chapelle de Barbizon par le curé de Chailly, charmant homme, Retté y assistait
et aussi la vieille damoiselle de 83 ans dont je t’ai parlé et dont on
plaisantait la virginité. Mlle de Santeuil qui fut l’amie de notre chère
mère et qui avait tenu à s’associer à sa pensée. Je l’ai remerciée et irai
la voir pour lui parler de notre maman.
Il y eut 6 ou 7 communiants, dont Mlle de Santeuil –
au retour ma petite propriétaire m’attendait avec un joli bouquet – Embrassade
de toutes part.
Le curé de Chailly viendra me voir. Il y a, à Chailly,
un Dr littéraire et le curé qui est de La Ferté sous Jouarre et qui fut
professeur à Meaux est distingué et érudit – ce sont de petites ressources, en
cas. Mais j’aime tant être seul et voilà que je commence ma 56e année dans
la paix des champs, avec recueillement. Je me sens vraiment fait pour la
douceur de ce repos rustique et l’hygiène de cette vie simple – les premiers
ciels mélancoliques de septembre me charment et je prévois déjà la douceur des
veillées et des grands feux.
J’ai fait provision de bois et tisonnerai sans doute
avant octobre – pour goûter les plaisirs de l’âtre. Repose toi bien à La Baule
– Tu me diras ton impression – Embrasse bien pour moi Mme Million et Lisette en
leur disant ma sympathique affection depuis tant de chagrins qui les
atteignirent. J’aurai plaisir à te revoir ici, si tu peux venir avant d’aller à
Ouchy.
Mes tendresses cordiales.
Octave
[ref.
1907.40] Barbizon ce 17 septembre 07
Mon bon chéri,
J’ai eu ta carte et ton mot comme tu as du recevoir ma
lettre à l’hôtel Royal à la Baule.
Ma santé est bonne. L’automne fait déjà sentir ses
fraîcheurs matinales et vespérales. Je préfère cela aux grandes chaleurs et je
compte un peu sur ces temps précurseurs d’hiver pour m’entrainer vers la
froidure et le bon équilibre de température si difficile à établir sous ma
peau.
J’espère que tu as fait bon retour et que ta santé est
bonne. Viens quand tu voudras me voir. Je n’irai à Paris qu’après ta venue faire
quelques provisions indispensables. Peut-être verrai-je Dommartin aujourd’hui
ou demain, je n’ai encore rien reçu de lui à ce sujet. Il doit par Paris se
rendre au congrès. Toutes négociations sont rompues avec Floury. J’attends ses
premières attaques judiciaires et me prépare à y répondre. Je préfère ça à
cette correspondance énervante et surtout aux conditions humiliantes que ce
faux bonhomme prétendait m’imposer dans un but évidemment louche et dont
j’aurais aperçu tout le machiavélisme canaille tôt ou tard. J’aime mieux la
guerre ouverte. J’irai voir un avocat aussitôt attaque ouverte.
A bientôt et baisers affectueux.
J’attends avis de ta visite.
Octave
[ref.
1907.41] [carte-lettre envoyée à Joseph Uzanne à l’adresse de l’Hôtel Beau
Rivage à Ouchy (Lausanne, Suisse)]. Barbizon – Dimanche 22 septembre (1907)
[cachet de poste].
Mon cher frérot,
J’espère bonne nouvelles de ta route, cet après midi
- tu dois te bien reposer vis-à-vis du
Leman, et faire provision de santé, puisque le destin t’oblige à t’encager dans
Paris dix mois sur douze et à y peiner, ce qui est pire.
Ma santé s’améliore chaque jour, je le sens. Peu à peu
disparaissent les vestiges de mes maux – le temps est beau, j’harmonise ma vie
entre le travail et la promenade et j’augure bien de mes longs repos, du calme
où je vis loin de toutes émotions et de l’agréable octobre qui s’annonce. – Je
n’ai jamais vécu plus heureux et plus calme. Mes affectueux baisers – si tu y
penses, envoie moi une livre ou 1 livre ½ de biscottes de Lausanne qui,
ici peuvent m’être agréables et utiles. Tendresses fraternelles.
Octave
[ref.
1907.42] Barbizon ce 24 septembre 07
Mon bon chéri,
J’ai eu ton mot un peu dépité d’arrivée, mais tu es un
homme d’habitudes, facile à décevoir en voyage et dès l’arrivée de ce mot
l’accoutumance te fera déjà trouver ton coin agréable ; tu verras tout
sous un autre angle.
Il fait ici une température exquise, un ciel adorable,
le temps rêvé de septembre, sans brume. J’ai eu la visite de
Bordellet, arrivé hier au soir et qui a couché aux Charmettes ; il a
déjeuné avec moi et je viens de l’accompagner au tramway très heureux de me
trouver seul, après une longue promenade ce matin.
Mon affaire Floury est arrêtée au constat
d’impuissance du dit éditeur-canaille. Cependant j’attends rendez-vous avec
un avocat pour faire étudier mon dossier et mettre les choses au point, car je
veux faire constater ma bonne cause et démontrer à cet imbécile que je suis
libre d’agir contre lui et de le combattre sur tous terrains.
Je suis bien heureux de n’avoir pas à quitter mon
petit logis et d’y vivre en saine hygiène, solitaire et paisible. Je ne t’envie
même pas à Ouchy, où j’ai vécu sans plaisir. Somme toute, je préférerais encore
Montreux, si cette vie des rives du Leman pouvait m’intéresser, mais quand on
aime violemment la mer comme moi, les lacs semblent toujours bêtes et
insipides. Celui de Genève m’horripile, cela te semble peut-être étrange, mais
c’est ainsi – On ne discute pas ses sensations. L’an dernier je le parcouru
deux jours sans joie. Rien à te mander. J’irai peut-être une heure chez moi
jeudi, à Paris ; juste le temps de prendre ce qu’il me faut pour hiverner
un peu ici en octobre et davantage si le froid ne m’est pas trop rigoureux.
Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1907.43] Barbizon ce 27 septembre 1907 – Vendredi
Mon chéri,
Je suis allé hier à Paris et n’ai pu t’écrire.
Ma santé est à peu près bonne ; j’ai assez
toutefois de ce temps archisec et soleillé et j’attends la pluie, les ciels
gris, toutes les harmonies de l’automne qui vaudront mieux pour moi que ces
sécheresses qui font ressembler les routes à des matelas de poussière et les
plus jolis sentiers de la forêt à des coins de fortifs.
Et puis, pour la santé, un peu d’humidité est
nécessaire et la pluie n’a pas abondé depuis que je suis ici – ce fut sec tout
le temps.
J’ai reçu les Longuets et les Schwibachs hier soir et
je te remercie. Ce matin, j’ai ta lettre de mercredi. Je pense que tu vas,
d’ici huit jours, reprendre le chemin de St Germain des Prés. Comme cela aura
été court pour toi ces vacances ! alors que tu aurais tant et tant besoin d’un
vrai bon séjour à l’air, j’entends d’un stage de plusieurs mois. Enfin, c’est
toujours ça mais c’est trop peu.
Je suis allé l’an dernier, en juin, à St Guingolf et
ai déjeuné à la petite pension Suisse aux volets verts – puis, je suis allé en
France ou c’est si sale, si laid, si miséreux.
St Guingolf est glacé ; même du côté Suisse, ça
n’est pas agréable à vivre, au bout de quelques heures on s’y sent en
tristesse, peu d’excursions. J’ai biffé ça de mes rêves, c’est bon en passant
très rapidement – ce serait crevant d’y séjourner et d’y errer sur la grande
route.
Je remarque que inconsciemment, dans tes lettres
depuis un mois, tu omets assez fréquemment les n dans certains mots et les
u ; ça m’a frappé et je te le fais remarquer pour que tu y veilles et en
chercher l’origine – on se doit, à nos âges, de s’appeler l’attention sur des
négligences qui ne doivent point grandir.
Rien de nouveau, du côté de Floury. Je n’ai pas encore
de rendez-vous d’avocat, mais l’affaire est naturellement réglée, puisque l’imbécile
et prétentieux libraire n’a point répondu à mes dernières épîtres où je lui
mettais le nez ironiquement dans ses impuissances et son mauvais cas.
Je vais travailler sans bouger de quelque temps.
J’ai des articles et préfaces pour l’Angleterre et beaucoup
de choses à préparer. Je fais tout cela sans fatigue ici, parce que sans hâte
et sans dérangement.
J’espère maintenant la tranquillité et le
recueillement de l’automne. Je verrai comment je passerai octobre. J’espère que
ce sera bien et que, dès que Barbizon et la forêt seront rendus ce qu’ils sont
sans étrangers, je jouirai doublement de mon séjour ici. Je compte, à vrai
dire, sur l’automne et ses beautés forestières, ses temps gris, plus agréables
que ces ciels encore ardents de septembre.
Affectueux baisers, mon chéri.
Octave
[ref.
1907.44] [carte postale de Barbizon – Route du Bas-Bréau] Barbizon 29 septembre
07 dimanche. [expédiée à Joseph Uzanne – Hôtel Beau Rivage à Ouchy (Lausanne,
Suisse)].
Cher frérot – J’ai eu hier ton mot de Vendredi – le
temps s’automnise, une légère pluie a rendu le sol moins pulvérulent et lavé
l’atmosphère. Je me réjouis de ces premiers jours octobreux et me prépare aux
belles flambées – Eh ! oui ! encore huit jours et tu vas
revenir ! Comme tout passe !! Baisers bien affectueux.
Octave
[ref.
1907.45] Barbizon – ce 1er octobre 07 [carte-lettre à en-tête du 5
Place de l’Alma à Paris VIIIe].
Mon bon chéri,
Les temps gris sont venus et les pluies fines et
douces.
J’éprouve à ces premiers ciels d’automne, un plaisir
véritable ! – J’ai fait, dans le pays, ma provision de bois, de
charbonnettes et de souches, me suis muni de galoches et chaussons, qui me
rappellent ma jeunesse, et il me semble que les journées courtes, que les
mélancolies automnales, me plairont infiniment mieux ici qu’à Paris où je ne
suis pas plus attiré actuellement qu’en été.
Je travaille, sans trop me fatiguer la vue qui, très
vite, se lasse et s’endolorit – le soir je n’abuse pas de la lecture à la
lumière artificielle et mes longues nuits sont heureusement excellentes et
reposantes. Te voici presqu’à la veille de te préparer au retour. Je pense que
tu iras coucher samedi soir à Genève. Tu peux aller Hôtel de Russie en face le
débarcadère, à moins que tu ne préfères
quelqu’ « Hôtel national » ruineux. Tu prendras sans doute le train
dimanche matin pour Paris, c’est long et dur – à ta place j’aurai combiné
plutôt le trajet Genève – Lyon coucher au terminus de Lyon et Lyon – Paris.
C’est infiniment moins pénible – ou bien Lausanne – Dijon. Rien de nouveau à te
mander. Retté est de retour ici mais j’espère éviter ses visites et le
compagnonnage qu’il attend de moi, qui n’en n’attend pas de lui.
Affectueux baisers, à bientôt.
Octave
[ref.
1907.46] [carte postale de Barbizon – La Grande Rue] Barbizon ce 3 octobre 07
[adressée à Joseph Uzanne Hôtel Beau Rivage à Ouchy, Lausanne (Suisse)].
Un dernier bonjour sur les rives du Leman, mon bon
chéri, avant que tu ne te mobilises pour le retour. Le début de l’automne est
pluvieux et venteux – ici, depuis deux jours, ça se brouille un peu – mais
j’aime assez ces premières intempéries qui me font apprécier mon petit nid, les
bons feux et le bon air sain. J’attends un mot de nouvelles cet après midi.
J’espère que tu vas rentrer en excellent état. Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.47] Barbizon 5 octobre 1907
Mon bon chéri,
J’ai eu ta lettre de jeudi, hier soir, vendredi
– j’étais un peu inquiet de ton silence de 3 jours et c’est pourquoi je t’avais
télégraphié hier.
Te voici, hélas ! de retour, via Dijon, ce
qui était le plus sage, car la course Genève – Paris, était plutôt
crevante. J’espère que tu rentres, non seulement en bon état, mais surtout
décidé à ne pas te surmener et à n’en prendre qu’à ta charge, avec les affaires
Mariani – Moi, qui vois les choses avec la philosophie d’un déjà vieux rural,
j’estime que tu dois ne pas précipiter le mouvement et te ménager. Agir
autrement n’avancerait à rien autre qu’à te démolir la santé, sans profit pour
personne.
Moi, je vais assez bien, tout à fait de mieux en mieux
et j’apprécie chaque jour davantage les progrès que je dois à mon régime
alimentaire, à mes longs et paisibles sommeils, à mes promenades au grand air.
Ce début d’automne est surtout vivifiant.
J’espère te voir bientôt ; si je vais à Paris,
j’irai te demander le déjeuner frugal ; sinon, si tu viens ici, tâche de
prendre deux jours.
Tu me diras le nouveau remède du Dr Combes pour
déconstiper, mais, depuis deux mois – J’ai pu par le simple régime et
quelques lavages (de plus en plus rares) me priver de toute drogue – J’espère
continuer – c’est là la vraie science. Tendresses & bon retour.
Octave
[ref.
1907.48] Barbizon ce 9 octobre 07 – mardi matin
Mon chéri,
J’espère que le facteur qui emportera tout à l’heure
cette lettre, m’apportera de tes bonnes nouvelles de retour. – Je t’écris avant
pour être libre de mon travail. Ce temps pluvieux, qui doit être odieux à
Paris, me plait beaucoup ici ; il fait délicieusement doux et
pendant les longues éclaircies, les promenades en sabots sont adorables – la
forêt est toujours verte, agréable – J’attends l’heure magique des ors.
Ma santé est aujourd’hui tout à fait bonne, la
circulation est parfaite et je me sens plus aguerri contre le froid – mon
régime sain, sobre, chaste presque monacal, aide à mon bonheur et à ma
santé ! Je t’assure que je ne désire rien autre – mais, là, rien.
Je t’envoie mes tendresses – Retté est revenu, je ne
l’ai pas vu et lui ai écrit que, durant quinzaine, je serai invisible pour
cause de travail. Je ne veux voir ni lui ni d’autres : ma solitude fait
partie de mon hygiène. Je travaille beaucoup, je lis et les gens m’ennuient et
me fatiguent aussitôt. Je ne leur trouve trop souvent aucun autre intérêt que
celui qu’ils montrent et qui est abusif, - sauf pour eux. Cordialités.
Octave
[ref.
1907.49] [carte postale de la forêt de Fontainebleau – Les Belleydier (Gorges
d’Apremont) – expédiée à Joseph Uzanne à son adresse du 172 Boulevard St
Germain à Paris].
Ce samedi matin [la date sur le cachet de la Poste
n’est pas lisible quant au jour – peut-être 18 ou 19 octobre 1907 ? – le
samedi 19 octobre 1907].
Mon cher frérot,
Je t’attends donc demain – La matinée est délicieuse
ce samedi – la soirée sera-t-elle de même. En tout cas, il fait toujours doux,
agréable et tu pourras boire 4 à 5 heures de bon air entre deux trains. Je
t’attendrai à 11 h 1ère station comme d’habitude. Tendresses.
Octave
[ref.
1907.50] ce lundi 21 octobre 07 (Barbizon ?)
Mon bon chéri,
Je vais assez bien, avec un rhume de cerveau que le
bon air empêche de se déclarer mais qui me taquine. Je n’irai sans doute pas à
Paris demain si je ne sens pas cela tout à fait guéri.
J’ai été très heureux de te voir hier en compagnie de
Mme Million qui m’est toujours très sympathique.
Fais moi le plaisir ou de me donner nom et adresse de
ton monsieur de la Ferté sous Jouarre ou de lui écrire sans délai pour lui
demander photo de son pavillon, contenance exacte, plan, dimension
des pièces, etc. – Si ça me plaisait j’irai voir car c’est près de Paris et
en pays agréable.
Si tu n’as pas le temps, donne moi adresse.
Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1907.51] Barbizon 25 octobre 07 Vendredi
Mon bon chéri,
J’ai trouvé hier soir en rentrant, sans encombre et
sans avoir subi la pluie, tes gâteries fraternelles qui me seront profitables
et je t’en remercie bien affectueusement. J’ai déjà la cigarette au bec en
t’écrivant.
Paris ne m’a pas séduit davantage hier, non plus que
l’inanité des parlottes Mariani dont j’ai senti profondément le vide et l’ennui
– Je n’y allais que pour te voir et retrouver mais je comprends que cette
partie du « travail » que tu fournis 3 fois par semaine à ton
négrier, soit la plus pénible et la moins intéressante – Je suis parti comme
m’évadant d’un enfer de nuages et de fumées.
Je vais poursuivre mes investigations sur le littoral.
Je reviendrai à Paris du 10 au 12 novembre et je pense bien filer vers
la côte vers la fin de novembre au plus tard.
Affectueux baisers – Je t’espère dimanche ou vendredi
Toussaint – Je redoute toutefois d’être troublé à la Toussaint par des Dom, des
Laffont ou autres – Cordialement encore et merci.
Octave
[ref.
1907.52] Barbizon ce 28 octobre 07
Mon bon chéri, je vais assez bien.
Demain j’irai un instant à Paris. Partant à 9 h 18
pour rentrer à 5 ½.
Si tu envoies quelque chose à Mme Menard écris bien
Mme Veuve Louis Ménard, grande rue Barbizon.
Aujourd’hui il fait assez joli temps et je vais en
profiter.
J’espère que tu es rentré sans fatigue hier.
Mes tendresses.
Octave
[ref.
1907.53] Barbizon Jeudi – 31 octobre 07
Mon cher frérot,
Très bien portant – ma journée à Paris ne me fut pas
fatigante, non plus que celle de la veille. Je me sens infiniment plus fort que
jadis et vraiment reconstitué – c’est pourquoi, je complèterai la cure dans le
midi, et, après, par un permanent plein air ; un intelligent potard
de la rue Richelieu m’a donné une solution chloroformique dont l’absorption de
deux cuillerées m’a fait délicieusement disparaitre ma terrible douleur
pylorique dont je suis enfin délivré. Ce pharmacien me conseillait avec
justesse d’absorber l’huile de foie de m(orue) en plein repas de midi,
afin de bien l’assimiler avec la nourriture – il déclare idiot le conseil des
médecins d’absorber cette huile lourde le matin à jeun avec le 1er
déjeuner – à midi et le soir au milieu du repas, aussi
bien que les autres huiles – je trouve ça en effet pratique. Je me reposerai
l’estomac et essaierai la semaine proche.
C’est toujours jeudi prochain 7 XI que je pense
coucher à l’Alma – ne viens donc ici que si il fait beau et si tu es tout à
fait libre – mes affaires de Boulouris semblent prendre bonne tournure – J’ai
foule de propositions dont une très réalisable, je crois – aussi pour Bormes
& le Lavandou, mais je crois que Boulouris est ce qui me convient – Je
verrai Mme Ménard aujourd’hui – Tendrement.
Octave
[ref.
1907.54] Barbizon ce 5 novembre 07 (mardi)
Mon bon chéri,
Je vais assez bien et espère revenir à Paris indemne
de ces douleurs de gaz qui fusent comme du vitriol dans le corps.
Le Dommartin m’a fait droguer et m’énerver en vain
hier lundi ; j’attends encore la raison de cette non venue. Je crois que
ce vieil ami se gâtise et n’a plus la notion de ce qu’il doit faire. Je lui ai
interdit de choisir un autre jour, par télégramme. Je veux être tranquille
jusqu’au départ, c’est assez d’un jour raté.
Je rentrerai chez moi jeudi soir par le train que tu
as pris dimanche. Je ferai réserver un petit omnibus à la gare pour mes colis
et je me réinstallerai décidé à ne pas me fatiguer, à ne pas sortir le soir et
à mener même vie qu’ici.
J’espère que tu es bien portant et que j’aurai de tes
nouvelles ce matin par le facteur à qui je remettrai ce mot.
J’ai eu hier Mme Ménard ravie de toi ; elle m’a
donné d’énormes balles de fleurs – c’est une excellente femme mais très agitée.
Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.55] Barbizon – le 6 novembre 07
Mon bon chéri,
Je te confirme mon retour pour demain soir jeudi
6 h 20 – j’ai demandé à la gare de Lyon de me réserver un petit omnibus de 4
places, je pourrai me passer de Filleul et rentrer chez moi sans encombre.
Si tu peux demain confirmer par téléphone à la
gare de Lyon l’ordre du petit omnibus 4 places pour l’arrière du train du
Boubonnais n°836, devant me conduire 5 place de l’Alma, c’est tout
ce que je te demanderai de faire pour garantir mon retour avec tous mes colis.
Le temps devient frais et l’humidité des matinées et
des soirées se faire sentir, mais avec mes bons feux, à la maison, je me sens
fort bien.
Mes brûlures décroissent et sont moins centralisées,
j’espère bien que ça va finir.
Alors, mon chéri, à bientôt – Je n’aurai plus le
téléphone chez moi, mais je pourrai te parler en cours de route quand je sortirai
et saurai chez toi.
Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1907.56] [carte postale de Ste Maxime sur Mer – Corniche d’Or – expédiée de St
Raphael – 27 novembre (1907) soir – à Joseph Uzanne à son adresse du 172
Boulevard St Germain à Paris VIe].
Mon bon chéri,
Première journée un peu dure à la recherche du logis à
Raphaël et Boulouris. Je commence à y voir un peu clair, mais je ne me
déterminerai qu’après de judicieuses reflexions – Je te dirai ça demain
par lettre avec détails – mes affectueux baisers.
Octave
[au recto de la carte dans le blanc de la
photographie] Je crois bien que j’opterai pour St Raphael, sur le quai, à côté
de l’hôtel des bains, face à la mer. La ville, l’appartement ménagent toute mon
indépendance et mes moyens de vagabondage. Puis Raphael est assez confortable,
bien approvisionné et si commode pour les voyages aux alentours. A demain.
Octave
[ref.
1907.57] [carte postale du Grand Café des Bains à St Raphael expédiée à Joseph
Uzanne au 172 Boulevard St Germain à Paris Vie – Octave Uzane n’a pas la place
pour écrire mais indique malgré tout l’emplacement de sa maison sur la
photographie avec ces mots : « Ma maison est à droite (indiquée par
une flèche) – ma maison – ici. Bien reçu ta lettre de vendredi. Octave ».
[cachet de la poste du 30 novembre 1907].
[ref.
1907.58] St Raphael ce 4 décembre 07 (mercredi)
Mon bon chéri ; je vais m’installer demain
jeudi chez moi 25 Bd Felix Martin, où tu pourras désormais tout
m’adresser. Je ne suis pas fâché de quitter l’hôtel, non seulement parce qu’en
ma chambre, je ne connaissais que le provisoire mais surtout parce que la
nourriture excellente au début me semblait monotone et ruineuse pour l’estomac.
Ces fritures, ces viandes mal rôties, toute cette cuisine de restaurateur ne
saurait convenir longtemps à quelqu’un de délicat habitué comme moi à peu mais excellent.
J’attends la reprise de mon régime de Barbizon avec impatience
et je me défierai même de la table des Bertnay. St Raphael est pourvu de tout
et le petit marché abonde en légumes, fruits, volailles, etc. J’ai déjà tout
organisé : laitages, bois, pommes
de pin, etc.
Je n’ai eu aucun mot de Rochard en réponse à 2 lettres
affectueuses – pas même les souhaits de bienvenue dans son atmosphère – j’en
sui ravi car cela dictera ma conduite, vis-à-vis de lui, et règlera mon
attitude indépendante pour l’avenir. D’abord je n’ai plus à lui écrire ni à
l’aller voir – je le laisserai avec sa pourriture d’Elzéar dont il ne peut se
dépêtrer et avec qui moi, je ne veux me trouver – mais le pauvre Rochard ne
peut ni le quitter pour venir ici, ni m’inviter, ce qui me laisse bien libre –
d’ailleurs cela le blesse que j’aime St Raphael et non Le Cannet et tous
nos sujets de conversation seraient empoisonnés par nos goûts et convenances
contraires, car tu sais combien il est tyrannique avec ses idées étroites de
propriétaire qui ne voit que son patelin et entre en fureur contre tout ce qui
peut être ou ce qu’on peut comparer avec lui !
J’aime chaque jour davantage cette petite ville
simplette sans étrangers, sans bruit, bien approvisionnée et dépourvue de
plaisirs – je sens que j’y passerai de bonnes et agréables journées – j’ai déjà
mes amis sur le port pour balades en mer et parties d’oursinader – le beau
temps continue, avec des coups de théâtre étranges et subit d’atmosphère – hier
matin à 8 h le ciel joli, avec vent d’est, s’est mué à 9 ½ en ciel d’encre avec
vent d’ouest et un orage de près de deux heures a sévi apportant 50 cent de grosse
grêle blanche qui faisait un tapis russe sur la nature entière –
naturellement les vieillards de 60 ans juraient que, de leur vie, ils n’avaient
vu le phénomène de pareille averse. Aussitôt le dernier coup de tonnerre, un
temps radieux et chaud, puis autre petite tentative orageuse après midi et le
soir, le vent passant de l’ouest au nord, ce fut le mistral hurleur, siffleur,
chanteur, le mistral à voix de Polyphème qui se fit entendre toute la nuit
amenant la fraîcheur, mais un ciel, ce matin, limpide, impollué, merveilleux de
soleil et de clarté.
Quand je songe au falot de catacombes qu’on nomme le
soleil, à Paris, je me réjouis de pouvoir désormais vivre la dernière partie de
ma vie loin de cette grande ville accablante et si inutile pour les forts, si
contraire aux indépendants et aux amoureux d’exercice et de nature.
J’ai revu l’autre jour la maison des Roty à Valescure
que toutes les agences ont ici charge de louer, cela m’aurait semblé lugubre à
la longue. Je préfère d’ailleurs tout le côté de Valescure comme but de
promenade que comme séjour. Ici, j’ai tout sous la main et puis même sortir
dans la soirée sans lanterne – il y a un petit établissement de bains ultra
moderne d’installation à côté de la poste. J’y vais, tous les 4 ou 5 jours
avant diner.
Je ne t’écrirai qu’après installation – je me suis
réservé les 3 pièces du devant au midi – une grande chambre à coucher à 2
fenêtres, la salle à manger et une chambre à coucher à 2 fenêtres que j’ai fait
transformer en cabinet de travail – le tout ayant accès au balcon au midi le
plus ardent qui soit.
Louise occupera la chambre au nord, près de la
cuisine ; le logis est ainsi disposé [suit un plan tracé à la plume des
différentes pièces et leur disposition].
L’escalier aboutit au palier d’en haut sans porte
d’appartement ainsi qu’en un hôtel particulier – Tout est d’une intense clarté.
Plus de place, je t’embrasse tendrement.
Octave
[ref.
1907.59] [carte postale de St Raphael – Le Lion de Mer – adressée à Joseph
Uzanne au 172 Boulevard St Germain à Paris Vie] St Raphael 5 décembre 07
Merci, pour le flacon anti-mucose, reçu hier – cordial
merci. J’emménage aujourd’hui avec un grand plaisir tant mon nid sera chaud de
soleil de 9 h à 3 h. Soigne toi bien, et tâche d’éluder les rhumes. Il fait un
petit mistral ici fort agréable, c'est-à-dire un temps merveilleux – ce que
j’apprécie ma pèlerine, c’est le vêtement rêvé, le pardessus ici est un non
sens, il est éreintant à porter, trop lourd à la marche et je comprends qu’on
ne puisse excursionner avec un tel poids. La pèlerine est idéale ici.
Je t’embrasse et t’écrirai dès que bien chez moi.
Je connais déjà de délicieux sentiers douaniers –
Tendresses.
Octave
[ref.
1907.60] St Raphael – ce 7 décembre 07
Mon cher frérot,
Ce fut, c’est encore une véritable installation que la
mienne, avec mes colis petite et grande vitesse, les meubles mis à ma
convenance, les calfeutrages, les cloutages. Depuis deux jours et demi je
déploie une activité fébrile pour tout arranger et surtout classer mes
montagnes de papiers apportés ici en vue de les classer pour les travaux
d’hiver.
Au milieu de ce fouillis, j’écris dans mon lit le
matin lettres et articles, face à la mer, en furie depuis hier, mais avec ciel
bleu et clair soleil dès 7 ½ chez moi jusqu’à 3 h après midi.
Les 3 dames russes, qui étaient ici depuis un an, car
elles sont restées un an à St Raphael, pour fuir la révolution russe, étaient sales
comme des Russes. Elles ne sont parties que jeudi matin et auraient
voulu encore rester, mais j’ai été impitoyable avec ces pestes, sales,
désagréables, vaniteuses quoique parées ne songeant qu’à paraître.
J’ai donc eu, deux jours durant, et plus, 3 femmes de ménage et la petite bonne
de ma propriétaire qui sous la direction et à la charge de celle-ci, ont tout
lessivé, lavé à grande eau, encaustiqué, etc. – Tout était déjà prêt pour
quelques pièces, literie rebattue, linge rideaux blanchis, etc ; mais tout
était en l’air au milieu de ces ménagères méridionales amusantes de jacasseries
et j’étais un instant si embêté que je serais parti à Agay pour 2 ou 3 jours si
le temps avait été moins venteux. Enfin les tapis ont été posés dans mon
cabinet hier, le soir, j’ai pu faire du feu, signer des papiers avec le gaz,
installer lampes, bec Visseaux incandescent dans ma salle à manger et j’ai diné
chez moi hier soir pour la 1ère fois. J’avais entre temps fait
provision de bois, charbons, pommes de pin ouvertes et fermées, d’épiceries à « la
coopérative » et ma maison est aujourd’hui archi-montée. Je n’ai plus
qu’à vivre, ranger, classer, coller des papiers, bourrelets, perfectionner mon
installation. Tout cela ne me fatigue pas, car, avec le bon air, il me semble
avoir 20 ans et être infatigable – la brise marine m’a fait oublier les
dépressions et les fatigues, je me sans allègre et tout à fait bien.
J’espère, tout ceci fait, être très heureux dans mon
petit nid et n’avoir plus qu’à éviter les raseurs et les ennuyés
qui se collent toujours aux forts et aux heureux avec une insistance
effroyable.
J’étais menacé par Mme Ménard, de Barbizon, par une
autre dame jolie, coquette, flirteuse, Mme Dulong, la femme de l’architecte du Pavillon
bleu, qui se proposait de venir en « bonne camarade » passer aux
alentours de ma vie quelques semaines, toute seule, avec les intentions que tu
devines. J’ai écrit à tous ces gens (car il y en a d’autres) que, invité à
inaugurer le nouveau Steamer Héliopolis, je partais pour l’Egypte où je
resterais un temps indéterminé – je te dis ça afin que si on te disait, à toi
ou à Angélo, que je suis en Egypte vous soyez de connivence. Détourne plutôt de
moi les « amis » qui viendraient vers le midi – Je me charge tout
seul d’occuper mes 4 à 5 mois.
Je veux, de plus en plus, vivre pour moi, mon travail,
et ne rien accorder à tant de gens qui ne sont crées que pour vous faire perdre
un temps dont ils ignorent et ignoreront toujours la valeur – L’inanité et la
malfaisance de la plupart des relations sociales m’apparaissent aujourd’hui
avec une limpidité extrême, comme je ne connais pas l’ennui, que mon
cerveau fonctionne assez bien pour me distiller des joies infinies, je n’ai
besoin d’aucun bavard autour de moi – mon brave propriétaire, ex-patissier devenu
courtier maritime, et sa femme, de Draguignan, me font plaisir à voir et à
entendre par la simplicité de leur intellect et la netteté de leur honnêteté –
Ah ! la conception de la vie des êtres simples, comme elle est supérieure
à celle des citadins ! – les petites gens du peuple ici me donnent un
plaisir infini. Je leur cause longuement. Ils sont assez fins, très drôles de
langage chantant, d’idées ; ils sont serviables à l’excès,
« braves » comme on dit dans le midi, et comme les latins ils sont
familiers simplement ignorants de ce que l’on nomme ridiculement les classes.
De fait, il n’y en a pas. Il y a de bien gentilles filles à Raphaël, et
coquettes et pépiantes comme des oiseaux, avec elles, aussi, je m’en donne,
aimant à voir leur œil vif, leur sourire clair montrant de jolies dents.
J’adore cette population ; je donnerais les 5/6e des parisiens
que je connais pour ces individualités frustes, dignes et qui ont un caractère
qui me plait.
Adieu, je vais returbiner à mon installation – j’ai
reçu une carte de Mariani ; remercie-le. Il me dit que tu mets les
bouchées doubles pour partir avec lui le 20 – Si tu le veux, tu le peux :
il faut s’habituer à imposer ses volontés au temps. Tous les anglo-saxons
l’ont domestiqué à leurs heures fixes ; je ne vois pas que les français
soient plus hommes d’affaires ni plus surchargés – partir à date fixe est une
science, avec de la volonté, on y arrive toujours, si surchargé soit on.
Tendrement.
Octave
[ref.
1907.61] Lundi 9 décembre 07 (Barbizon ?) [au verso de cette lettre se
trouve la lettre d’Emile Rochard évoquée – que nous ne reproduisons pas ici –
Octave Uzanne en dévoilant tout le contenu].
Mon cher frangin,
Je vais bien – j’achève mon installation sans
fatigue ; le temps est clair, soleillé, doux, mais traversé de sautes de
vents continuelles – ça change de direction et d’intensité, de jour et de nuit,
d’une minute à une autre. Néanmoins c’est de la féérie de vivre dans le bleu,
dans la paix profonde et dans la chaude lumière et de travailler sans nerfs,
sans tracas après trente ans de bagne parisien – Trente ans de turbin ou de
voyages – autres turbins – Ce Paris assume toutes mes rancoeurs, tous mes
regrets de ne m’en être évadé plus tôt – il est vrai que, du temps de notre
chère mère, ce n’était aisé.
Le mot, ci-contre, de Rochard t’annoncera sa
présence à l’Ambigu – Je ne suis pas fâché de le savoir hors Cannet, car j’ai à
travailler et sa turbulence de l’an dernier m’eut gêné – je crains bien que le
pauvre garçon ne rentre dans l’engrenage et n’y laisse de sa santé et de son
argent pour revenir mal en point au Cannet – C’est vraiment, pour lui, un fichu
destin – qui était d’ailleurs à prévoir avec ce grèsier qui le roula – Il est
bien difficile de jouir en paix et durablement de son bonheur ici bas !
Je t’envoie mille tendresses – A bientôt
Octave
Je t’ai dit pour le téléphone – sauf en cas
d’urgence, épargnons nous des paroles grésillantes en fritures – quand tu
seras à Valescure, il en sera autrement.
Octave
Je vais demain mardi déjeuner à Anteore
(orthographe des cartes maritimes) Il me faudra partir à 8 . 38 d’ici,
marcher et rentrer à 2 h, sinon à 5 . 27 – Sale affaire ! Sale
corvée ! C’est trop loin !
[ref.
1907.62] [carte postale non illustrée adressée à Joseph Uzanne au 172 Boulevard
St-Germain à Paris VIe] St Raphael – 10 décembre 07
Je file ce matin sur Agay – Ca m’embête ferme de
m’être invité, de devoir quitté mon nid à 8 h ¼, pour partir à 8 . 30, être
vers 9 h à Agay, faire mes 4 kilomètres ½ vers Anthéor ; la fatigue d’un
déjeuner copieux et bruyant, et impossibilité de revenir avant 5 h 27, ou bien 1
h 44 ; ce qui est trop tôt – quant à la voiture 17 à 19 francs, pour moi
seul, et pour pareille corvée – certes non ! Enfin, je me
libérerai pour un long temps et recevrai les B, après ça, chez moi il y
en aura jusqu’à la venue d’Angélo. Je te conseille, le 28 janvier de prendre le train de 2 h 40, de coucher à
Lyon, comme je le fis, à 10 ½ et de repartir vers 11 h le lendemain,
par le rapide allemand des Broteaux, qui te mènerait ici à 6 h – avec la
Bande M. Ce serait crevant. Fumées, bavardages, dining car !
Ah ! non !! – C’est pas à faire. Mme Gaston est receveuse dans les
Hautes Alpes – Mme Hugher t’envoie ses sympathies – Affectueusement.
Octave
[ref.
1907.63] Ce 11 décembre 07 (Barbizon)
Mon bon chéri,
Ma journée, hier mardi, s’est bien passée à Anthéor,
par un temps superbe et chaud ; je fus à pied chez les amis de la Paulotte
et je suis rentré, le soir, vers 3 h, par la voiture de l’hôtel d’Agay, qui me
conduisit à Raphaël pour 10 fr. Le coin d’Anthéor est vraiment joli, c’est un coin
grâce idéale et de rêve ; les Bertnay y ont fait une maison qui,
achevée, sera délicieuse, commode et confortable ; combien supérieure à
tous points de vue au casino Rochard ! Les Bertnay m’ont parlé de toi avec
affection, me disant que de tout l’entourage de Mariani, tu leur étais apparu
jadis comme la seule figure sympathique ; ce qui prouve qu’ils ne sont pas
bêtes ni dupes des mises en scène – je crois que le couple te garde une petite
dent de n’avoir publié en album la tête d’un Dr Planet, (je crois bien
que c’est le nom) – je leur ai affirmé que ce ne devait être de ta faute et que
tu leur fourniras explication – Ils avaient m’ont-ils dit, ta parole, et celle
d’Angélo – ceci pour mémoire – ne t’en émeut point.
Aujourd’hui temps superbe. L’escadre était [mot
illisible] sous mes fenêtres, en manœuvre, elle vient de filer du côté du golfe
Juan.
Mon installation s’achève – Hier, pendant mon absence,
on a tendu 2 pièces de papiers neufs, ma maison est propre comme un sou. J’y ai
travaillé, ripoliné, tendu, tout sans surcharge aucune – c’est net, propre,
frais, agréable à vivre – Je m’en contenterais bien pour toute l’année. Je
comprends qu’on vive ici, à demeure. Somme toute, il y a huit mois
d’admirables – (sauf janvier et février généralement mauvais) la vie est
douce, berceuse ; c’est bien un coin de retraite et de bonheur – avec 4
mois de nord, six semaines de Paris en juin et septembre et 6
semaines en Normandie et Bretagne, ce serait le rêve – Rien ne dit que ce ne
sera pas mon « plateau » de vie future.
Connais-tu, aimes tu le miel vierge de l’Estérel ?
Pour moi c’est le miel de l’Hymète, le miel divin – J’en mange avec
caresse, c’est toute la flore de l’Estérel mise en pot et ça fait un bien
énorme à la gorge et aux entrailles – En veux-tu ? Y en a-t-il dépôt à
Paris ? Si tu en veux je t’en envoie. Mes tendresses.
Octave
[ref.
1907.64] Dimanche 15 décembre 07 [papier avec étiquette d’en-tête provisoire
collée en haut à droite du premier feuillet : M. Octave Uzanne, 35,
boulevard Félix Martin, St Raphael, Var].
J’ai eu enfin hier de tes nouvelles – j’espère que tu
me les continueras aussi bonnes jusques à ta venue ici – Puisque Mariani
s’arrête en route, tu ferais sagement, toi, de filer le lundi 20 au
soir, ou même le dimanche matin 19 janvier et de venir t’installer un
peu à l’avance afin de te trouver déjà bien reposé pour l’arrivée de tout ce
monde toujours bruissant – plus tu te donneras du temps et boiras d’air, mieux
ça vaudra – puis, si tu venais avant la bande marianique, nous pourrions nous
voir en paix – enfin tu décideras.
Je suis allé vendredi, après-midi, me procurer
à la villa Andréa, pour y cueillir quelques fleurs avec Louise ; j’ai vu
la femme Ramello, maris, avec son fils idiot, et l’autre, le second, abîmé par
la coqueluche, le 3e était au loin – Ramello est venu peu après,
mais il n’y avait plus de fleurs, à peine, tout ayant été expédié à la
mère Chapuzot, le matin en colis de 5 kilos. Ce que cette idole en
consomme ! J’ai trouvé ces italiens, homme et femme, comme tous les
italiens, obséquieux et faux – Je ne retournerai pas d’ailleurs à la ville
avant qu’Angélo y soit – Ces italiens ont l’air gênés ; ils doivent vendre
toutes les fleurs qu’ils n’envoient pas à l’oie grasse de la rue de
Castiglione. – Ils sont là plus chez eux que le maître lui-même – je ne puis
voir ces italiens sur la côte, jardinant partout, et Ramello ne me revient pas
plus que le Cotta de Rochard ou le Henrico des Bertnay – Tous fourbes – Quelle
différence avec les braves gens de notre pays !
Me voici maintenant installé et je me sens bien chez
moi dans mon cabinet de travail où j’achève le classement de mes papiers – Je
crois que je travaillerai bien cet hiver, tout à fait paisiblement et que
j’aurai ma vie heureuse, bien réglée, avec un minimum de balades à Nice – Je
t’attendrai pour y aller, très probablement – je ferai plutôt Draguignan – Grasse,
la côte du sud et même une pointe à Marseille – Si tu partais avant Mariani, et
que, ça s’arrange, nous pourrions peut-être passer une journée ensemble à
Marseille – D’ici là, nous avons plus d’un mois, pour combiner.
Je t’enverrai demain lundi 1 pot de miel de
l’Estérel d’une livre environ – prends en le matin à la cuillère et le soir
en te couchant. C’est un rêve et ça parfume la gorge délicieusement en
l’adoucissant.
Le temps est changeant ici, mais pas de journée sans
soleil et toujours une lumière éclatante, du vent d’ouest, du mistral, tout
cela se succédant sans persister, mais, jusqu’ici, de la tiédeur et deux belles
journées sur trois – pas de pluie.
Chez moi, j’ai 20 degrés dans le jour dans mes
chambres sans feu, 15 à 16 degrés le soir et, dans mon cabinet, où seulement je
fais un petit feu, 19 à 20 degrés continus.
Je crois que je ne pourrai plus vivre à Paris
désormais et j’ai agi sagement, à ce tournant d’âge où je vacillais et me
sentais marqué pour le repos un long temps, de quitter ma place de l’Alma où je
n’étais retenu par aucun lien d’affaire valable.
Je travaille infiniment mieux ici, avec sérénité sans
fatigue, et je me suis arrangé pour faire un bon hiver, comme envois d’articles
à des revues françaises et anglaises et à des préparations de livres dont j’ai
apporté tous les éléments.
Je dépense fort peu et n’ai aucune occasion de
dépenser, ni aucun désir de ce qu’on nomme les plaisirs et les fêtes – Je ne
vois rien de supérieur à la vie rigoureusement indépendante qui est la
mienne et ne demande qu’à la poursuivre le plus tard possible, me couchant à
neuf, me levant à ma guise, écrivant au lit, au besoin, enveloppé toujours
d’air pur, de propreté, avec une eau excellente et des aliments simples et
sains.
St Raphaël est aussi calme que Barbizon ; je
souhaite qu’il ne change pas en janvier ; j’y ai fait mes petits nids
d’habitude et m’y sens tout à fait heureux, satisfait même de n’avoir à visiter
Rochard ou à le recevoir. Ca c’est la veine.
Je t’embrasse bien affectueusement.
Soigne toi bien et tâche de t’évader le plus tôt
possible – le dimanche 19 si tu peux.
Octave
[ref.
1907.65] St Raphael 16 décembre 07 Lundi [carte postale de St Raphael –
Monument de Napoléon Ier – adressée à Joseph Uzanne au 172 Boulevard St Germain
à Paris VIe].
Tout s’explique. Je reçois seulement ce matin
ta lettre de mardi, adressée Bd Félix Martin … à Paris, d’où elle fut à
l’Alma et ici – Juge du temps passé sans nouvelles.
Soleil exquis, ciel bleu, fenêtres ouvertes dans la
tiédeur du gai matin. J’ai fait hier longue promenade entre la rivière d’Agay
et Valescure et suis revenu chargé de roses. Tendresses.
Octave
[ref.
1907.66] [carte-lettre imprimée à l’en-tête « Saint-Raphaël (Var) // 35,
Boulevard Félix-Martin, Le ….] 18 décembre 1907 [la date préimprimée est 1908
corrigée ici en 1907 à l’encre].
Mon bon chéri,
J’ai eu ton mot hier mardi soir en revenant de Fréjus,
où j’étais allé chez le céramiste, voisin des arènes, pour acheter divers
petits pots ratés et autres, dont j’aime décorer mon logis, toujours
fleuri de roses, cueillies en maraude – Il y en a tant ! Elles sont si
belles que c’est un plaisir de les chipper.
Le temps, en ce moment, est imperturbablement beau, un
ciel miraculeux, un soleil tiède, agréable qui m’emparadise l’âme, par tous les
sens – Il y a des matinées, où, flânant seul, je me pâme de félicité infinie et
crois rêver.
A Cannes, où je fus et d’où rentrai brisé, je
vis la ville infâme, poussiéreuse, genreuse, avec des rues glacées qui recèlent
toutes les pneumonies, une foire digne de celle de Neuilly, tout le bruit, la
saleté des cités, même toutes les laideurs n’était la mer.
Je vais écrire à Jeanne Debay que je n’irai pas
déjeuner avec elle, avant le retour de Rochard – Je veux éviter ces corvées
– Ce matin je fus accosté, au cours de mes provisions, par cette vieille
romancière folle (du nom de Gillette, je crois) qui minauda et me donna son
adresse – Je lui déclarai brutalement que j’entendais ne voir personne,
que ma solitude seule m’agréait et que le soleil et le travail suffisaient à
mon bonheur – Elle est partie furieuse, presqu’insolente. Mais je m’en
contre-fous.
J’ai reçu un mot de Nepper – Il a du te dire ma
correspondance et la découverte de j’ai faite des vertus fondantes de
ses pilules. Tu recevras 1 kilo de miel – non seulement c’est la flore
de l’Estérel qu’il contient, mais il possède aussi pris gros comme une ou 2
noix, le matin, des effets laxatifs très précieux – J’en mange bien 50 à 70
grammes par jour.
Je travaille dans la paix – J’ai fait 6 articles dans la
Dépêche de novembre et déjà 4 sont partis pour décembre, cela en dehors de
beaucoup d’autres choses pour Londres et Paris. Soigne toi bien – Je t’embrasse
tendrement.
Octave
[ref.
1907.67] [carte-lettre imprimée à l’en-tête « Saint-Raphaël (Var) // 35,
Boulevard Félix-Martin, Le ….] 31 décembre 1907 Mardi [la date préimprimée est
1908 corrigée ici en 1907 à l’encre].
Mon bon chéri – Non, le temps affreux ne dura pas ici,
sauf vendredi ; samedi, une éclaircie me permit une marche de 9 ½
kilomètres avec Heinemann, Dimanche ce fut la journée glorieuse ; Hier
également, je pus, à Pied, aller déjeuner avec mon ami au Grand Hôtel de
Valescure et de là faire le grand tour de la Louve, environ 15
kilomètres – le ciel était radieux. Tandis que nous revenions H et moi, je
rencontrai dans les bois de Valescure, Dommartin débarqué le matin de
l’Héliopolis et qui était arrivé à midi, avait laissé ses bagages chez moi et
s’amenait à la Belge. Ce fut une vive contrariété. Ce bon vieux
chemineau pense peut-être rester 15 jours ou 3 semaines, prendre tous ses repos
avec moi, etc – je préférerais fuir au loin plutôt que de subir qui que ce
soit de cette façon. Je vais donc m’arranger, me réserver tous mes dîners,
chez moi, et mon indépendance à partir du coucher de soleil – je verrai le Dom
à déjeuner, le plus souvent en excursions, je lui dirai que je travaille le
soir, que je ne bois que du lait et me réserverai des heures de solitude de
repos et de travail sans lesquelles je ne saurais vivre. J’ai logé cet intrus à
l’hôtel des négociants, où je le plaquerai souvent ; j’irai mercredi, 1er
de l’an, chez les Bertnay par le train ou la voiture du Dramont – sans Dom – et
si le Belge persiste, s’il s’attarde ici, je ferai un voyage à
Marseille.
Ah ! qu’on a donc du mal à éviter les emm … deurs
– tous les forts, les heureux, les solitaires sont assaillis par les faibles,
les ennuyés, les gêneurs – Si je ne me défendais pas j’aurais vingt personnes
femmes et hommes qui s’amèneraient ici – Ah ! non non et non, zut et zut –
Je t’embrasse.
Octave
(*) Source Fonds Y. Christ (1 J 780), Archives de L'Yonne, Auxerre. L'ensemble des lettres de la Correspondance entre Octave Uzanne et son frère Joseph (lettres d'Octave à Joseph uniquement) a été entièrement relevé par nos soins. Nous avons retranscrit l'ensemble que nous livrerons ici lettre par lettre. L'ensemble formera un corpus de 67 lettres pour l'année 1907, 95 lettres pour l'année 1908, 50 lettres pour l'année 1909, 22 lettres pour l'année 1910, 38 lettres de diverses années et 36 fragments ou lettres entières non datées, soit un ensemble de 308 lettres ou fragments de lettres. Notre projet arrêté dès fin 2012, début 2013, est de publier l'intégralité de cette correspondance avec notes explicatives. Espérons que nous pourrons mener à bien ce projet prochainement. La mise en ligne pour tous ici sera un premier pas permettant de juger au mieux de la relation fraternelle entre Octave et Joseph pendant les années 1907-1910, connaître l'intimité des deux frères ainsi que les pensées les plus intimes d'Octave Uzanne dans sa vie privée et publique. Mise en ligne Bertrand Hugonnard-Roche | www.octaveuzanne.com
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