lundi 29 août 2022

Correspondance inédite. Lettres d'Octave Uzanne à son frère Joseph Uzanne. Année 1908. Du 1er janvier au 31 décembre 1908.

C O R R E S P O N D A N C E    I N E D I T E

Octave Uzanne à Joseph Uzanne

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[ref. 1908.1] [carte postale « 1908 » (nouvel an)] [1er janvier 1908] [St-Raphaël ou Le Pins, côte d’azur].

 

[recto texte manuscrit d’Octave Uzanne dans deux bulles sous la date « 1908 »]

 

Toujours bien portant – Joli temps – Heureux – Mes vœux fraternels pour l’an neuf.

 

[verso]

 

Le beau temps revenu hier dimanche, m’a permis d’aller à pied déjeuner à Agay toujours délicieux, puis avec l’ami Heineman, ce même jour à Fréjus et retour à pied.

Aujourd’hui je vais déjeuner à St Tropez et environs – bonnes balades – avant le départ d’Heinemann – Toujours en ivresse de vivre ici.

Mes tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.2] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 1er janvier 1908 au soir.

 

Mon chéri – J’ai eu ta dépêche me portant tes vœux. Merci – Le 1er janvier est bien paisible ici, il n’y a rien de changé, sauf les postes closes qui me privent, sans doute, d’un mot de toi jusqu’au lendemain.

Les montagnes, au-delà de Fréjus, sont couvertes de neige presque dans la vallée ; je trouve toutefois le temps doux, agréable à vivre, malgré deux journées grises et pluvieuses.

Je viens de faire un tour solitaire jusqu’à l’Argens (la rivière du Var qui se jette du côté de St Aigulf). Le vieux Dom, venu déjeuner avec moi était rentré à l’hôtel des négociants pour essayer de faire un article, ce qui à son âge, 69 ans, est pénible, comme ce le fut, d’ailleurs, toujours pour ce rêveur qui eut toujours la vie facile et ne se la foula jamais.

Heinemann est parti hier, après m’avoir durant quatre jours obsédé de sa tyrannie inconsciente et de sa peur d’être seul un seul instant – J’ai eu avec lui un bel exemple de l’égoïsme humain le même que j’ai d’ailleurs avec Dommartin que je dois sans cesse rejeter à la rue et à son hôtel et qui ne peut comprendre, tout en affirmant qu’il comprend, que je veuille me réserver six heures au minimum, de solitude, quotidienne, en dehors de mes heures de sommeil – ça n’entre pas dans son caillou.

J’ai déclaré à ce vieux compagnon que je ne lui donnerais que le déjeuner chez moi ou que nous le prendrions en cours d’excursion, mais qu’à partir de 3 h ½ ou 4 h, le soir, je rentrais travailler jusqu’au moment de me coucher, me contentant d’une soupe, ce qui à vrai dire, me suffit souvent. Je dois tous les matins lui répéter ma ligne de conduite avec énergie et, chaque jour il voudrait venir dîner et jamais il ne comprendra et toujours reviendra à la charge s’invitant à dîner, bien vainement d’ailleurs.

Combien restera-t-il ? Avec ces êtres inconsistants qui peut savoir ! Tant qu’il aura quelques louis en poche – Dans tout cela je serai obligé de me sauver un matin, pour aller voir les Bertnay, car il viendrait, me dirait qu’il m’attend à Agay et finirait par venir jusques à Anthéor sous prétexte de m’accompagner et de ce faire inviter quand lui dis que je prendrai le train le lendemain pour aller voir Rochard (prétexte tu penses bien) Il dit, inconsciemment : « parfait j’irai avec toi » - J’ajoute, je ne puis pour telle ou telle raison, il reprend : « mais je verrai Cannes et je t’attendrai » - cela m’horripile.

Avec Heineman, c’était presqu’aussi fatigant et aussi férocement égoïste, mais c’était à temps limité, avec Dom il me faudra être cynique, brutal presque grossier pour ménager mon temps, mais ça ne me gêne pas – ma passion chaque jour plus accentuée du recueillement me fera me sauvegarder – je veux diner seul, rester seul à partir de 3 ou 4 h et ne jamais me laisser envahir, plutôt me brouiller avec mes amis que d’enfreindre cette règle – quant aux matinées, elles sont dures aussi à sauvegarder sauf quoi, comme avec Heinemann, ce serait à ne pouvoir aller aux W.C. – ce qui m’amuse, c’est que ces gens là (H et D) me témoignent d’une passion intense pour la vie solitaire, ils ont l’air de m’approuver, de me féliciter, et malgré toutes mes manifestations hargneuses ils ne songent qu’à me montrer par leurs actes qu’ils s’ennuient à mourir, dès qu’ils sont une heure ou deux loin de chez moi – c’est enrageant – c’est à dégoûter des relations amicales, car j’avais tout fait pour détourner ces camarades de venir ici.

Les Bertnay m’ont écrit ; je prendrai un matin le train, sans mot dire, la veille, à Dom et en lui laissant un mot à son hôtel et j’irai par ce stratagème motivé par dépêche passer une journée à Anthéor laissant mon belge forcément solitaire pour toute une journée.

Ma santé est parfaite, je deviens chaque jour plus fort, plus pondéré, et mes six mois de chasteté aujourd’hui révolus, me mettent en goût de continuer sans coup de canif dans mon contrat de sagesse. Je ne sais plus vraiment ce que c’est que la fatigue, même après promenade de 20 kilomètres, du travail de plusieurs heures – c’est précisément parce que je goûte toute l’ivresse de ma vie sobre, forte, indépendante, laborieuse et joyeuse, au point que je chante et siffle bruyamment dans les rues de St-Raphaël, que je ne veux pas être troublé par les infinis raseurs qui forment l’immense majorité des vivants – Les gens d’ici suffisent à ma joie, j’ai pris en horreur les neurasthéniques et les citadins vides et diseurs de rien – je me réjouis surtout de n’avoir pas le brave Emile qui probablement me fatiguerait vraiment – Oh ! combien vite !!

Mes tendresses et affectueux baisers.

 

Octave

 

[ref. 1908.3] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le … janvier 1908.

 

Le fait que je sois allé ces derniers jours à La Louve, puis, une autre fois, d’Agay au Trayas à pied (11 kil 500) et, aussitôt arrivé, que j’aie gravi au col des Lentisques et au pic d’Aurelle, sera un témoignage suffisant que je conserve des joyeux jarrets d’acier, trempés par six mois de chasteté et une santé de chèvre broutant la belle humeur à tous les taillis de la route. Cela témoigne aussi du beau temps à peine contrarié par quelques heures de mistral, ce qui n’empêche le « Jules Ferry », « le Gaulois » et une escadrille de torpilleurs de venir mouiller sous mes fenêtres et de me donner le spectacle des tirs de jour et de nuit, de la vie de bord, et des compagnies de débarquement musique en tête, filant vers Fréjus en tirant de petits canons – Le rendez-vous de l’escadre était au cap de la Garroupe, hier – St Raphaël a repris sa physionomie paisible et heureuse.

Je travaille ferme dès le soleil couché et je conçois, de moins en moins, la vie dépensée dans l’enceinte d’une grande ville – je ne crois point que le regret de Paris me vienne jamais, car plus je mets en action mon vieux sang de Bourguignon, plus il me chante des actions de grâce en faveur de l’air, de la lumière, de l’indépendance et de la simplicité.

J’irai lundi déjeuner chez Marni à Cannes – la semaine prochaine j’irai peut-être aussi partager le déjeuner de Polaire qui m’invita l’autre jour alors que je passais en chemineau devant sa villa, venant de Raphaël à pied.

Sans doute demain irai-je au Lavandou – Le temps à Paris est toujours pitoyable, pluie & vents succédant au gel, disent les feuilles – J’espère que tu arriveras d’ici quinzaine à quitter ce mauvais lieu en belle santé.

Affectueusement.

 

Octave

 

[ref. 1908.4] [carte postale – Draguignan – Le Marché – adressée à Joseph Uzanne 172 Bd St Germain] Draguignan - Samedi – ce 4 janvier 07 08 [date corrigée par Joseph Uzanne].

 

Venu ce matin à Draguignan avec un temps délicieux – Je déjeune à l’hôtel Bertin – Tenu par le fils de mon proprio de St Raphaël – Draguignan sympathique – Rentrerai diner solitaire à Raphaël – t’ai posté lettre ce matin. Tendresses. Octave

 

[ref. 1908.5] Le Cannet 5 janvier 08

 

Merci de tes lettes – celle du 3 janvier m’est arrivée hier soir à l’heure réglementaire mais pendant 6 jours, c’était un mastic ; tout arrivait en retard et à la fois, car les rapides avaient des retards d’un jour environ par suite des froids du nord.

Hier, lundi, avec un temps délicieux, adorable, je fus à Grasse – d’abord à pied à Cannes le matin à 8 h, heureux de lâcher les Pins, puis l’agréable chemin de fer – à la gare Maëterlinck m’attendait, avec sa Renaud (sic) 20 chevaux, qu’il manie en chauffeur consommé et aussitôt me conduisait sur la route de Thorens, très haut à 1000 mètres d’altitude ce qui ravissait mes poumons tant l’air et la lumière y étaient purs et mes yeux émerveillés du Panorama.

Déjeuner agréable avec Georgette Leblanc, puis retour en auto au Cannet au pied presque des Pins, et bien avant le coucher du soleil – (de Grasse au Cannet en 28 ou 30 minutes au plus).

Cela m’a fait du bien de me trouver dans mon milieu et d’échanger enfin des idées et des vues, des récits de vie modernes, ce qui est impossible chez le vieux proprio d’opérette, Emile XVIII, où je me trouve.

Demain j’irai déjeuner chez le papa Ducreux P.P.C et visiterai après un établissement thermal modèle du Doct. Berthe très bien installé – puis je ferai visite à un dame du Cannet connue chez le Dr Tissier et qui est très aimable & intelligente.

Tissier m’écrit qu’il viendra bientôt. J’ai aussi une lettre lamentable du père Rouveyre qui m’a l’air de s’affoler plus qu’il ne convient et de se suggestionner le suicide – Il me dit ta bonté et ta compassion à son endroit.

Louise engraisse, me dit-elle, et va mieux, son docteur, parait-il est très content d’elle – il n’est pas moins vrai qu’elle a encore un point au poumon et qu’il lui a fait mettre une mouche ou petite vésication – Peut-être ne sera-ce rien, mais je ne m’emballe pas dans l’optimisme – D’ailleurs j’avoue que ma vie tout à fait indépendante et même hôtelière me charme assez pour ne me sentir aucunement pressé de la quitter et je ne reprendrai Louise que sûrement guérie ou pas … Je me priverais parfaitement de domesticité assujettissante.

J’ai eu un mot de Mariani et lui ai écrit deux lignes. Tâche d’arriver avant le 25 de façon à ce que je fasse dire une messe anniversaire de la mort de notre chère mère, à laquelle tu pourras assister à St Raphaël – c’est le 24 – tu as du y penser.

Je serai de retour le prochain dimanche à St Raphaël – je ne reviendrai guère au Cannet, que pour y prendre mes affaires un peu plus tard, ne voulant plus y séjourner l’ami y étant – je te dirai une foule de menus détails de vive voix, mais, quand, comme moi, on s’est cultivé, affiné, délicaté l’esprit, qu’on aime la causerie, la vie, la belle intelligence, la vraie gaité saine, ce serait trop bête de venir enliser tous ses goûts dans un milieu aussi pitoyable que celui de notre ami et surtout avec une mentalité aussi pauvre, aussi misérablement vaniteuse que la sienne – c’est le type de l’imbécile ignorant et glorieux et du vieux coco tournant au gâtisme femellier – personne d’ailleurs ne pourrait vivre aujourd’hui dans son ambiance.

Jules et Yvonne m’ont écrit – j’ai tâché de détourner Yvonne de St Raphaël où elle me menaçait – Jules a été cravaté du ruban de commandeur – tu as du voir ça – je lui ai écrit le mot nécessaire.

Je me propose, avec Georgette et Maëterlinck, une partie de 2 jours en auto dans les Maures – J’irai voir quelque jour ce bon poëte poivrot Stuart Merril à St Tropez.

Mille tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.6] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 7 janvier 1908.

 

Mon cher Joseph,

 

Je reçois le volume Hetzel : merci – Je t’ai avisé hier que le semainier m’était parvenu. Tu as du recevoir ma postale carte t’en avisant.

Je suis allé ce matin déjeuner ches les Bertnay – Ils ont reçu ton télégramme, comme je partais, vers 1 h ¼ .

Le temps continue à être chaud et soleillé et ma santé est aussi belle que possible – De ma vie je ne me suis senti aussi solide, aussi bien, aussi heureux de vivre. – Cesse donc de t’inquiéter et de me croire encore vacillant – si je redeviens malade ce sera une fâcheuse destinée et la fatalité antique, car je vivrai, désormais, loin des villes, des éreintements, des sottises sociales et des blagues conventionnelles du monde d’où dérivent généralement nos maux.

J’irai à Cannes déjeuner avec Marni lundi et verrai peut-être le père Ducreux si j’en ai le loisir.

J’espère te voir en belle santé ; d’ici quinzaine, - Je vais régler ma vie par des travaux fort nombreux et, quand tu seras ici, je te verrai durant le bon soleil – Dès 4 heures, je reviendrai au turbin et, le soir, toujours dinerai chez moi, d’une simple soupe selon l’excellente habitude prise.

Oblige moi de me dire si tu es sûr d’arriver ici le 24 – car je m’occuperai, de toute façon, d’une messe anniversaire pour le vendredi 24, 3e bout de l’an de notre chère mère – mieux vaut la date précise, à mon avis pour le moins. Ce pauvre Guille était en grande correspondance avec moi – il reçut une lettre de St Tropez le jour de sa mort qui me fit beaucoup de peine.

Bien affectueusement.

 

Octave

 

[ref. 1908.7] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 14 janvier 1908.

 

Mon cher Joseph,

 

Je suis resté longtemps chez Marni, aujourd’hui ; elle avait beaucoup de monde à déjeuner, dont une vieille dame très « Comédie française », très spirituelle, Mme Henri Germain, la veuve de Germain du Crédit Lyonnais qui a une villa palatiale à Cimiez. Je suis rentré à 6 heures.

Il était trop tard pour que je puisse visiter le Père Ducreux. Si je pouvais, je le verrais aujourd’hui, entre le train qui me conduit à Cannes et celui qui m’emmènera déjeuner à Grasse, où je passerai quelques heures.

Ma santé est si bonne que je me sens tout imprégné de bien être, de vie saine, de gaité et que j’ai oublié ces odieuses sensations de fatigue, ces dépressions, ces lassitudes de vivre en faiblesse et en démolition, qui m’étaient si coutumières, hélas ! à Paris –

Je te souhaite la sagesse de ne plus te surmener et la volonté de partir à ton heure fixée en coupant tes occupations, comme on coupe un dessin, comme on arrête l’eau et le gaz. – On doit se dire que puisque la mort le fait si bien ainsi sans nous prévenir, il est sage d’agir de même pour aller vers le repos et la vie reconquise.

Baisers affectueux.

 

Octave Uzanne [une des rares fois dans cette correspondance ou O.U. signe de son nom complet].

 

[ref. 1908.8] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 16 janvier 1908.

 

Mon cher Joseph,

 

Le temps est incomparablement beau, avec l’envers forcé de sa splendeur, qui est le froid à gelées blanches du matin, et la fraîcheur des soirs superbement lunés.

Mais quelles journées, dès le soleil un peu haut sur l’horizon – ça me chavire le sang dans les artères – je suis allé hier à Agay à pied, cela me semble une petite balade – je déjeune parfois à l’hôtel, chez Mathieu, et je reviens par le train de 1 h 44, ce qui me permet une autre petite promenade avant l’heure du travail et du recueillement de 4 à 7. –

Demain j’irai déjeuner, également à pied à la villa Claudine, chez Polaire – qui s’en va le 22 de ce mois, jouer ici et là –

J’ai renoncé à aller, avant le retour d’Emile, au Cannet – Le tête à tête avec la dame de Valrose ne m’attire que médiocrement et puis le meilleur moyen d’écouter des potins, de parler ou de passer pour avoir parlé, est de s’abstenir – je n’ai guère le temps d’aller chez les Bertnay réinstallés à la Paulotte et qui ne veulent venir chez moi parce qu’en cette saison, à jours courts, c’est, pour eux, une aventure trop compliquée et dangereuse et coûteuse, étant donné qu’ils ne font pas 300 mètres à pied – toujours le bon égoïsme. Il est vrai que d’Agay à Anthéor pour moi ce n’est rien, à Nice, à Antibes, à Cannes surtout, à Cavalaire, j’ai des amis avec l’éternel déjeuner en appas, qui me sollicitent, mais les villes me semblent plus affreuses encore ici qu’à Paris, plus pitoyables dans le soleil et la poussière et je remets d’aller à Nice, je remettrai le plus possible, jusqu’à exécution douloureuse et forcée.

Le cuirassé Jules Ferry est revenu mouiller sur rade sous mes fenêtres – c’est un « béguin » qu’il a pour Raphaël, mais ce petit mastodonte, avec ses tirs réduits, ne fait pas plus de bruit qu’une barraque où l’on casse des pipes et les torpilleurs se promènent silencieux comme des cygnes noirs.

Je ferai dire une messe anniversaire à la grande église vendredi 24. Je ne t’attends guère avant la semaine suivante, du 26 au 29 – si tu peux arriver avant, tant mieux pour tous – Bien affectueusement.

 

Octave

 

[ref. 1908.9] Samedi 18 janvier 1908 [lettre datée par Joseph Uzanne au crayon].

 

Mon cher Joseph,

 

Je suis heureux de te savoir bien portant et cela, la semaine avant ton départ. Je suis allé hier en balade à pied à Agay où j’ai déjeuné chez cette petite sauvagesse de Polaire, qui, en intimité, est fort gentille, pas banale du tout, et d’un cabotinage mitigé. Il n’y avait à table que la maman – on s’est quitté bons vieux amis – Je la prie à déjeuner pour lundi chez moi, à moins qu’elle ne préfère que je la promène à St Tropez ou au Lavandou. Elle s’en va, le 23 au matin et je lui donne à choisir le repas chez moi ou la petite course dans les Maures.

Le temps est toujours paradisiaque, trop beau pour la saison. On redoute février, le plus sâle mois du midi affirment les indigènes, celui que choisit Angélo, je me demande pourquoi (?) car mars est réputé superbe. A propos de Mariani qui arrivera ici avant toi : mon intention est de le laisser bien tranquille à la villa Andréa, s’installer avec son monde et de ne le voir qu’à ton arrivée seulement, à moins qu’il ne vienne me voir en promenade un matin – tu me diras si cette façon réservée d’agir, de ma part, peut être appréciée par lui ou si tu penses que je doive me trouver à la gare pour saluer S. M. Coca 1er – Si oui, et s’il arrive à des heures diurnes, je ferai en sorte d’être protocolaire, mais je préfère m’abstenir jusqu’à ce que tu sois vaslescureux. Tu dois me comprendre.

Il t’appartient de régler tout cela, au mieux de tes intérêts.

Je t’embrasse bien affectueusement.

 

Octave

 

[ref. 1908.10] dimanche – (19 janvier 1908) [lettre datée par Joseph Uzanne au crayon].

 

Je suis désolé de te savoir souffrant et j’espère avoir bientôt nouvelles que ton malaise a disparu ou s’est atténué – le changement d’air te sera fort salutaire et j’aime à penser que rien ne t’empêchera de réaliser ton projet de départ le 24 pour être ici le 25 – puisque tu emportes ce qu’il te faut pour achever tes travaux à Valescure, le mieux est de t’arranger pour boucler toutes choses le 24. – les hommes les plus occupés savent qu’on part toujours à la date qu’on se fixe, sauf quoi, il n’y aurait plus d’affaires, de vacances, de rendez vous possibles dans le monde –

Ici le joli temps est affolant de beauté, j’en sui souvent courbatu, car le soleil est très chaud et fatigant à force d’éclat – Je souhaite que cela dure mais l’homme est changeant, un peu de pluie, de vent, ne me déplairait pas, après ce calme enchanteur.

Ecris moi bientôt de tes nouvelles – Je t’embrasse.

 

Octave

 

[ref. 1908.11] vendredi [4 mars 1908 – lettre datée par Joseph Uzanne].

 

Mon bon frérot,

 

Je n’ai pu te lancer hier le mot ci-contre, car j’ai du rester avec Sans jusqu’à 4 h 25 – les visites, ici, où je [me] sens si bien, si heureux seul, me paraissent bien fatigantes et accaparent bien inutilement des heures qu’il me serait plus agréable de dépenser à ma guise – enfin, j’espère que tout cela tire à sa fin, malgré Rochard imminent et je compte sur la seconde partie de mars et sur avril pour être paisible comme je le désire –

Je t’écris sur une lettre de Jacques, demain ou ce soir je téléphonerai à Angélo, mais je n’irai guère à Valescure que dimanche ou lundi – si ce n’était toi, je lâcherais tout net sous prétexte de balade côté d’Hyères ou autre.

J’espère que tu vas te remettre peu à peu à ta vie de Paris – Je pense avoir une lettre de toi après midi. – Je pense avoir une lettre de toi après midi. – Je te plains très sincèrement de ne pas être aussi indépendant que moi, mais dans ta dépendance, tu as bien des garanties que je n’ai pas et n’aurai jamais ; celles d’un fixe « quand même », d’un revenu régulier, même en cas de maladie – moi, je dois toujours et sans cesse produire, travailler, m’ingénier à équilibrer mon budget annuel – Je ne me plains pas, toutefois, car aujourd’hui je ne demande qu’une chose : conserver mon indépendance absolue, jalouse, ma solitude dans le plein air avec un agréable chez moi, même au prix de la médiocrité des moyens. Les villes, la société, les hommes, les plaisirs, j’en ai plus que soupé.

Mille bonnes tendresses.

 

Octave

 

[ci-dessous le verso du feuillet, lettre adressée à Octave Uzanne par Jacques Mariani]. 4 mars 1908.

 

Mon cher Monsieur Uzanne

Merci de votre lettre pleine de sympathie et de philosophie reposante.

Comme je comprends bien le sentiment qui vous a fait couper les centaines de fils parisiens qui font de nous de pauvres pantins, s’étiolant, s’usant physiquement et moralement avec une rapidité navrante.

Vous venez, en quittant Paris, de prolonger votre bail avec les Parques pour une vie plus large, plus noble, plus indépendante et partant plus heureuse.

Je voulais téléphoner à votre frère pour vous donner des nouvelles de son voyage car je sais quelle tendre et touchante affection vous unit, mais je pense que votre frère ne voyage que le jour et qu’il n’est par conséquent pas encore rentré.

Pour l’Antimmeose j’ai fait le nécessaire et soyez bien persuadé que je serai toujours très heureux de vous être agréable car je suis votre très sincère et très dévoué.

 

Jacques Mariani

 

[ref. 1908.12] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 10 mars 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Le chaud soleil étant revenu, depuis dimanche ; j’en ai profité pour me dérouiller les jarrets dans les bois des Maures et, hier, je fus déjeuner à pied à Agay – Les Bertnay m’avaient invité, dimanche, à manger une dinde truffée. Je refusai. – Je n’ai pas encore revu les valescurois depuis samedi ; je crois que le Dr. Marseillais part ce matin, que Santelli demeure et que le Père Lumière immine. J’ai demandé à Angélo de venir déjeuner samedi prochain à Nice chez les Chéret, il a accepté. J’attends la réponse de Chéret à mon invite.

Je crois que Rochard va également s’annoncer – Hélas !

Hier, Lord Anherst  est venu en personne me faire visite. Il m’a laissé une aimable lettre de sa fille Margaret – J’y ai répondu car j’étais absent.

J’aurai sans doute mot de toi après midi, trop tard pour y répondre – J’espère que ta santé est bonne et que tu n’as pas la sottise de te fatiguer – c’est à toi de régler et doser ta vie. Si tu te surmènes, tu en seras la victime, imbécile, je puis le dire, car personne ne reconnaitra tes efforts. La vie est ainsi faite. Quand je vois l’indifférence profonde de ton cher patron, je t’assure que je mesure avec pitié, ce que tu lui apportes et ce que, lui, ne te prodigue pas comme jugement, de ce que tu lui donnes – en dehors de Mme C rien ne vibre en lui – Tu dois donc te ménager, aller ton petit bonhomme de chemin, sans surcharger et songer à ta peau, à ta santé, à ton âge, tout cela avec logique, mesure, volonté, en te disant que rien n’est plus bête que de se tuer et que les morts ont toujours tort aux yeux de ceux pour qui ils sont morts. – amen – n’as-tu pas eu la rosette violette ? Je crois deviner cela dans la métaphore d’une lettre que je reçois et où il est question de ta boutonnière dévirginée – je n’ai rien vu dans les feuilles, tu me diras ça.

Affectueux baisers.

 

Octave

 

Le Père Ducreux, auquel j’écrivis me prie dans une lettre très cordiale de t’envoyer ses amitiés. J’irai déjeuner, dès que possible, chez lui.

 

[ref. 1908.13] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le mercredi 11 mars 1908.

 

Mon chéri,

 

Toujours bien, joli temps un peu mistralé mais soleil éblouissant qui chauffe ce papier et met des diamants dans la fluidité de mon encre.

Encore sans nouvelles de Rochard que je n’ai vu hier dans le rapide de 1 h – j’ai fait mes adieux hier à 4 h au Dr Villeneuve-sur-Crasse, retournant diner à Marseille. Angélo et Santelli remontaient à pied à Valescure. Toujours très chaleureuses invitations là bas, mais je n’irai guère que vendredi matin P.P.C – Demain ils déjeunent dehors. Santelli part fin de la semaine, dit-il. Chéret m’écrit qu’il ne peut nous recevoir Mariani et moi que lundi prochain à Nice avec Mme Stern, ses enfants, les préfets etc. Angélo à qui je téléphone d’abord ravi d’être libre samedi et qui, je le pensais, allait décliner pour lundi, veille de mon départ, l’invitation des Cheret, me semble hésiter devant le menu des préfets, de Mme Stern etc – Il se décidera sûrement, je le crois. Peut-être retardera-t-il son retour. Par téléphone il m’apprend que Paoli vient d’arriver ce matin à la villa Andréa, venant de Paris, affaire curieuse qu’il ne peut confier au téléphone et qu’il me dira ce soir vers 4 h à la gare ; le dit Paoli allant à cette heure là vers Cannes.

Je te tiendrai au courant de toutes choses, mais demain si tu peux vendredi ou samedi envoyer Filleul chez Durel, il pourra demander les prix d’adjudication de mes livres (par n°) pour les ventes du 5 et du 12 courant. Je ne sais rien encore et j’attends la seconde vente qui a lieu demain après midi.

Affectueusement, bon souvenir à Mme Millon.

 

Octave

 

[ref. 1908.14] [papier filigrané ayant servi pour le Dictionnaire Biblio-Philosophique] ce 13 mars vendredi 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Hier après midi, je suis allé à Anthéor chez les Bertnay, retour à pied à 4 h au soleil, avec froid au passage de la rivière et au nord de la gare d’Agay – ça m’a suffit pour me réveiller cette nuit avec un commencement de grippe qui, ici, ne sera rien. J’espère en être libéré en 2 ou 3 jours – mais combien fragile et combien ces visites à ces Paulotte, qui, eux, ne bougent jamais, sont dures et inutiles – on ne m’y repincera.

Ce matin, je n’ai pu aller à Valescure, Mariani, à qui j’ai fait téléphoner, est venu me serrer la main en conduisant le Père Lumière à la gare (il y passe sa vie) pour le train de 10 h 58. Il y devait retourner à 1 h pour les Santelli qui ne « dépiquassiettent » qu’aujourd’hui.

Rochard est encore à Paris – il m’a télégraphié et il a écrit aux Bertnay.

Ta lettre que je reçois à l’instant me dit que tu n’as pas, comme je l’ai ici, un soleil merveilleux, un air salutaire et un horizon infini et si bleu.

Je n’irai pas chez les Chéret – je leur écris – Tout ce qui est visite déjeuner chez les autres, est une fatigue de commande – Jamais un voyage avec repas à l’hôtel ne m’est une fatigue et ne me fait mal et tout ce qui est chez autrui m’énerve, me lasse, m’endolorit – je suis fait pour la plus absolue indépendance et l’entière anti-sociabilité des tables servies et réceptions. C’est pourquoi je conformerai de plus en plus ma vie à mes goûts réels – Travaux et plaisirs dans la solitude réconfortante.

Merci de la découpure Casanova – Je l’avais détachée en mai dans le Figaro.

Je compte sur toi pour m’envoyer le bordereau de mes ventes du 5 et du 12 mars par Durel.

Affectueux baisers – ne t’inquiète pas de ma grippette – à Paris j’en serais inquiet, ici ce ne sera que peu de chose je l’espère bien.

 

Octave

 

[ref. 1908.15] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le samedi 14 mars 1908.

 

Mon bon chéri,

 

J’ai été fort touché par ce froid d’Agay – à Paris, j’aurais eu ma quinzaine de plumard, ici je crois avoir vaincu la grippe, coupé la fièvre, arrêté le mal – une nuit un peu agitée, mais bon réveil, avec temps incomparable qui m’a donné de la joie, même au lit, où je restai jusqu’à midi – je me sens bien et je re-sortirai demain ou lundi probablement.

Ce qui me charme dans ma nouvelle vie, c’est que [la] maladie même ne prend pas l’importance qu’elle a dans le chez soi parisien où tout fait apprécier la nécessité absolue d’être bien portant et donne l’âpre ennui d’être souffrant.

Ici, cela n’importe guère et je me sentais heureux ce matin de n’avoir aucune de ces attaches qui rendent le mal si lourd dans les villes où l’on doit gagner son pain.

Je n’attends plus Rochard qui peut s’éterniser de jour en jour à Paris, où ses affaires l’enlisent. Mariani parti, je ne veux me préoccuper d’autre chose que de déterminer mon séjour ici en toute indépendance et bonheur – je ne rentrerai pas à Paris pour le 14 avril, j’ai écrit à Huc qui exceptionnellement confiera le compte rendu de la Nationale à Geffroy à la Dépèche. Pour 200 f de copies ça ne valait pas la peine d’aller me glacer au Grand Palais.

Je resterai ici jusqu’au 27 avril – irai diner à Marseille par le petit express de 2 h ½ qui arrive à 5 h à Marseille. Le lendemain le rapide de 9 h 20 me laissera à Dijon à 5 h ½ où je dinerai et coucherai, et le 29 ou 30, j’arriverai chez moi par le train de Pontarlier, possiblement vers 2 h ½ après midi – ainsi aucune fatigue et retour confortable.

Je ne sais si Angélo viendra me voir aujourd’hui ; je tâcherai soit de l’inviter, si il est enfin seul ! pour pardi ou mercredi : sinon j’irai à Valescure P.P.C.

Quant aux Bertnay, je leur en veux d’habiter si loin et je pense les inviter un jour à l’auberge d’Agay avec Rochard et une autre fois les voir aux Pins où Emile les conviera – ce sera tout.

Quant aux balades d’après midi à Anthéor – zut et rezut. C’est dangereux, sans intérêt et difficultueux. Est-ce que tu as dans ta bibliothèque les Sœurs Vatard - A vau l’eau – la Cathédrale et l’Oblat ? de Huysmans. Si oui, pourrais-tu me les envoyer tous les 4 pour peu de jours. Je te les retournerais avec soin – Je prépare mon étude sur J. K. H. pour le Mercure et m’aperçois que je suis peu pourvu de ses livres ici et même pas du tout. Si tu ne les as j’écrirai à mon libraire. Mon ami Huc part cet après-midi pour Naples, de Marseille. Rien ne me pousse donc de ce côté marseillais – Mais bientôt, j’irai faire une petite balade de 3 jours au Lavandou, Hyères, Porquerolles, et peut-être descendrais-je jusqu’à Marseille.

Affectueux baisers.

 

Octave

 

Je t’envoie recommandé les pellicules et photos de Mme de Suzy. 16 épreuves à 20 c = 3 f 20, je crois – J’irai payer.

 

[ref. 1908.16] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le dimanche 15 mars 1908.

 

Tout à fait défiévré ce matin, en bon état, avec un simple reliquat de mal de gorge et de coryza, mais je me sens guéri – ici, ce ne pouvait être bien sérieux dans ma « serre chaude ».

Rochard me télégraphie qu’il a quitté Paris – je le verrai peut-être à la gare à 1 h si je crois sage de sortir, ce qui n’est pas encore prouvé –

J’ai reçu et lu le discours de Ytier – ce banquet aurait été agréable, mais,  je ne crois guère être désormais parisien en mars, pour y assister –

Mariani n’est pas venu hier ; il a rencontré Louise, a pris de mes nouvelles, a regardé sa montre avec ennui et hâte et dit « je n’ai pas le temps d’aller le voir » - Il doit être seul pourtant ; (j’en doute toutefois) – lui seul, ce lui semblerait la mort – Il est probable qu’il Paolise plutôt que de se reposer solitaire. Je sais que demain il déjeune chez les Bouloumnié avec les Bertnay – j’attendrai sa venue. Il doit partir jeudi soir – voir Mistral vendredi, refiler sans doute samedi si bien que je ne pense pas que tu aies à le voir avant lundi, si tu as l’habileté de luis écrire que tu es dans l’obligation d’aller hors Paris près d’un ami de samedi à lundi, là où tu voudras – il serait stupide d’aller à la gare de Lyon à 9 ½ prendre froid puisqu’il affirme n’y tenir et que tu peux te dégager sans avoir à le contrarier.

… Pendant que je t’écris, « Joseph » de Valescure, téléphone pour demander de mes nouvelles – on les lui donne excellentes –

Tu ne me dis pas comment tu as trouvé Mme M … Si toutes traces de son accident ont disparu, ni ce qu’elle devient – j’espère bien pour elle qu’elle ne « chapellera » plus, à moins qu’elle ait plaisir à s’étourdir chez cette chabraque affolée qui court à sa ruine – mes amitiés cordiales à ton amie –

Bien affectueux baisers.

 

Octave

 

[ref. 1908.17] ce lundi 16 mars 1908 [l’année a été ajoutée par Joseph Uzanne].

 

Mon chéri,

 

Je vais tout à fait bien – à vrai dire ce qui aurait été une grave grippe à Paris ne fut ici, pour moi, qu’un fort rhume, car ce qui complique les choses c’est toujours l’air ambiant, les poussières, le peu d’action réconfortante de l’oxygène des villes, l’humidité, etc – je n’ai d’ailleurs pris qu’un cachet Faivre le 1er jour car je redoute l’abus des drogues. Je n’ai guère eu de fièvre, ce fut insignifiant.

J’ai vu Rochard hier, au passage du rapide ; je restai pour n’avoir froid dans la cabane de l’aiguilleur, mon ami, jusqu’au passage du train – Emile, en quelques minutes m’assourdit de ses affaires, de son obligation probable de retourner là bas (à Paris) d’ici 8 jours ; de moi pas un mot, de toi non plus – il m’écrira, mais je ne me gênerai pas dans mes projets, car ce brave garçon abuse de l’égotisme, il n’y a que ses affaires, ses propriétés qui comptent, c’est rasant et c’est être dupe que de laisser ainsi faire la barbe par un ami dont l’amitié consiste à vous prendre comme confident de ses uniques tracas ou comme la boîte poubelle de ses déboires –

Il fait beau – j’irai peut être téléphoner à Mariani qui ne vint pas hier. En voilà encore un qui s’indiffère de tout, sauf de ceux qui le dépouillent et se moquent de lui – un peu comme Rochard – Il n’a pour la dignité de ceux qui se tiennent à leur place et ménagent vraiment ses intérêts qu’une gêne visible – c’est bien le parvenu qui n’apprécie que ceux qui le flattent et le plument, l’homme habitué aux consommations sophistiquées de l’amitié, ne peut plus sentir l’affection saine et honnête et discrète – vive les tapeurs ! eux seuls ont raison vis-à-vis de telles natures – quant à toi profites en au lieu de t’esquinter au-delà de tes forces – un jour jour plus ou moins tardif, tu reconnaitras combien tu fis du zèle pour en être dupe.

As-tu reçu tes photos recommandées – Je t’ai écrit tous les jours –

La note de Durel est d’une vieille canaille – ses frais de vente pour le 12 mars où j’avais 8 n° sont de 139 f 95 soit 17 f 50 par numéro. Je vais engager la  lutte. Si j’ai besoin de toi pour un homme d’affaire je te le ferai savoir – je préfère toujours les transactions aux procès, mais, de là à me laisser tondre comme une poire, ah ! non –

Il me tarde d’être complètement sorti de cette forêt de Bondy parisienne et de vivre indépendant loin des canailleries qui causent de l’indignation et rendent malade – Heureusement ici, je suis calme et solide et philosophe et je réduis les choses d’argent à leur juste mesure. Cordialement.

 

Octave

 

[ref. 1908.18] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (mardi) 17 mars 1908.

 

Je viens de t’envoyer – (expédition d’hier soir lundi) quelques fleurs pour la St Joseph, mon chéri – Elles doivent t’arriver demain sans faute, tu auras de quoi « Emméridionaliser » ton logis.

J’aurais voulu t’envoyer un rasoir Gillett, mais il me fallait aller à Cannes et, comme le temps, tout ensoleillé qu’il soit, est indécis et a des sautes d’équinoxe, je ne puis bouger ayant d’ailleurs à travailler. En tout cas ces fleurs te porteront mes sourires affectueux pour ta fête

Ma santé est bonne ; ma grippe ne fut qu’un rappel des temps sombres – c’est en mars et avril, et même au début de mai, qu’il faut se garder à carreau – ce sont les pires mois de l’année, les plus traitres, les plus perfides – fais en sorte de te garer jusqu’à mi mai – souviens toi de mon aventure à Auxerre fin août l’an dernier – le printemps est pire que l’hiver pour l’influenza –

Mariani hier est venu me donner, le bonjour avant d’aller déjeuner chez Bouloumnié avec les Bertnay – Il m’a dit jouir de sa solitude, mais tout démentait son dire. Il semble comme un corps sans âme, il reçoit les femmes Rivière, les Khune et aujourd’hui est parti à Cannes voir son Roty-bouilli – son Roty brûlé.

Demain, j’irai déjeuner avec lui, en tête à tête – (m’a-t-il assuré) à Valescure – Il n’a pu se résoudre à accepter mon invitation chez moi, prétextant la veille de son départ, ses affaires, etc – il arrivera à Paris le samedi à 9 ½, comme je te le disais.

Evite les salamalecs de la gare à tout prix –

J’ai écrit à Durel de ma bonne plume, nous verrons ce que ce sale normand répondra –

Je suis divinement heureux chez moi, si soleillé et loin des fatigues des villes, des sollicitations, visites des gens tenaces et égoïstes – cette bonne petite vie, huit mois de l’année m’agréerait parfaitement, avec les travaux immédiats de gagne pain et d’autres de plus longue haleine, comme j’en ai actuellement. L’idée de rentrer, si tôt, fin avril m’ennuie un peu, mais cette année il me faut bien songer à régler mes affaires domestiques, logis, etc. et à me préparer si possible une vie future conforme à mes goûts.

J’ai une grande correspondance quotidienne et je te quitte pour la mettre au point –

Merci pour ce que tu as envoyé à la pauvre petite Chevillard, qui continue à faire sa princesse dorlotée et ne se décidera jamais, la malheureuse, à voir la vie telle qu’elle est. – je ne puis ni ne veux plus rien faire pour elle – tout est inutile, conseils, logique, secours matériels, elle échappe à tout par sa nature veule et son énergie à ne pas vouloir ce qui ne lui plait pas.

Le nommé Duranton (Directeur de l’hôtel terminus de St Raphael) m’a prié de demander 1 ou 2 albums Mariani pour son salon d’hôtel – voici qui est fait – agis comme il te conviendra – je juge inutile d’en parler à Angélo.

Affectueusement, mon chéri, et bonne fête.

 

Octave

 

[ref. 1908.19] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (jeudi) 19 mars 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Déjeuné hier à Valescure, avec Mariani et Paoli qui arrivait de Cannes à 1 h 27 – ce vieux Javert ne fut pas gai, il fait montre d’un cerveau de sergent de ville de 3eme classe. Il est fort embêté de végéter à Cannes et de n’être plus près d’Edouard, il se lamente qu’on le laisse comme en disgrâce auprès d’une « grande Duchesse » qu’il n’a pas même vue – il fut grippé et a piètre mine – je ne serais pas étonné qu’on l’ait trouvé rasant et collant à Biarritz et qu’on ait prié Clémenceau de le semer pour un moment. –

En tout cas c’est un acéphale qui ferait paraître Angélo comme un phénomène d’intellectualité et de causerie auprès de lui – Et quel égoïste sans amitié, intérêt, sentiment pour personne !

Angélo ne part que vendredi soir – demain – il couchera à Marseille et rentrera à Paris samedi tout de même à 9 h ½ du soir –

Maintenant je ne le verrai guère qu’à la gare – il semble vouloir rester seul bien que ses gens s’en aillent ce soir – il n’a pas voulu venir déjeuner avec moi préférant sa liberté. Au retour j’ai été rasé par Cazalis qui heureusement va aller se faire soigner au sanatorium de la Croix (Cavalaire) – ah ! la barbe ! J’ai bien eu ton télégramme – tu as du avoir chaque jour une lettre de moi – je n’ai rien encore reçu de Durel – si d’ici 8 jours pas de réponse à ma lettre un peu verte, je verrai à te donner des instructions pour flageller un peu cette fripouille de normand.

Bien affectueusement.

 

Octave Uzanne [signature complète]

 

Je ne reçois que ce matin jeudi ta lettre du mardi 17 6 h du soir – je ne sais où je verrai Angélo aujourd’hui – je monterai peut être à Valescure ou lui téléphonerai pour lui dire qu’il trouvera lettre de toi demain soir à Marseille –

J’ai aussi une lettre de Durel mais qui naturellement ne m’apporte que peu d’éclaircissements et promesses de rabais. Je répondrai sans violence – crois le bien – le temps est merveilleux.

Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.20] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le dimanche 22 mars 1908.

 

Mon chéri – Pas pu t’écrire hier – je suis allé à Cannes le matin à 9.23 par le luxe, avec une pluie férocement continue, un ciel gris, mais un temps doux, bien que très humide, pénétrant tant l’air était saturé d’eau –

Rochard était à la gare – nous sommes allés nous réfugier au café du Splendide Hôtel. Il sortait de son lit, ayant été grippé, avait des frissons et se sentait froid aux côtes, il disait avoir le squelette gelé. J’ai pris son pouls : 90 à 96 – je lui ai fait acheter des cachets Faivre et lui ai conseillé un thé chez Nègre, etc – puis l’ai quitté.

Le pauvre diable est comme un enfant, incapable de se soigner ou de se faire soigner. Grelottant, il a voulu prendre sa sale voiture, munie d’une bâche, qui l’attendait à la gare – je me demande en quel état il a du rentrer aux Pins !! Il prendra un jour une fluxion de poitrine, une violente congestion, et, sanguin comme il est, il sera vite troussé ! –

Il ne sait toujours rien de ses affaires et attend une dépêche – il m’a l’air illusionné et me parait aux mains de forbans qui se jouent de lui – Toute son affaire d’Ambigu n’est pas – je le crains, près de finir, et il est fort possible que tu le voies maintenant avant moi. S’il ne tombe pas malade – je pense qu’il reprendra le train pour Paris lundi ou mardi. C’est un brave garçon, mais affreusement borné ; il n’a ni lectures, ni philosophie, ni observation, ni jugement ; la conversation est donc courte, et pénible – je souhaite, je te l’avoue, qu’il reprenne sa santé, ce qui est probable solide comme il est, et qu’il soit de nouveau obligé de retourner à ses affaires parisiennes, car vrai … de vrai, les journées seraient longues qu’il me faudrait passer avec lui ; la vie a creusé entre nous des abîmes intellectuelles trop profondes.

Je suis arrivé à midi moins ¼ chez le « Bonhomme jadis » Heureusement qu’il y avait de bons feux, car cette balade sous un parapluie, ruisselant en Niagara, m’avait mis des aiguilles de glace dans les bronches et mes ripatons étaient imbibés d’eau. – je me croyais rincé, fichu. Ce bon père Ducreux, s’il n’était devenu encore plus sourd en raison du temps humide, me plairait mille fois mieux à la causerie que le « Seigneur des Pins ». Nous avons fait le bon petit déjeuner que tu connais, même menu, et je me suis époumoné à crier dans sa trompe d’Eustache tous les propos possibles – Des Dames, de la villa Corbelle, sont venues le voir, en voisines et je l’ai quitté, à 2 h ½ pour faire une petite tournée à Cannes et prendre, toujours sous la pluie, le train de 3.25 qui me ramena ici à 4 h sain et sauf.

Tu as du savoir le retour de Mariani, parti à 4 h vendredi, accompagné du dolent Xavier chargé de boîtes de cigares dont il avait cambriolé son vieil ami et des deux commères Rivière qui préparaient déjà les moyens de régler les frais d’une seconde villa en construction.

La terrible Barroil n’a plus donné signe de vie – je lui ai fait vendredi partir une lettre lui disant que je n’avais ni le désir, ni le vouloir de la rencontrer, que j’étais venu à Raphaël pour être seul et caché et que rien ne me serait plus désagréable que d’être dérangé. J’ajoutais que j’avais tous les moyens d’éviter les indiscrets et les ennuyeux, et que si elle brûlait, elle, de l’espoir de se promener avec moi, je me trouvais fort opposé à de pareilles combinaisons. Le mieux donc, pour elle, était de comprendre que son égoïsme ne devait pas chercher à se satisfaire au détriment de ma quiétude, et qu’à la moindre tentative de sa part, je prendrais le train pour me délivrer de sa présence –

Je veux donc espérer que cette raseuse n’opérera plus sur ma peau – Mariani l’a vue avec son gaga, je crois : elle lui a dit qu’ils étaient à Valescure pour 2 jours et qu’ils allaient plus loin en pays plus chauds.

J’ai écrit à Durel pour lui proposer comme transaction de me défalquer les 15% de frais de vente sur les n° rachetés par moi et de prier le commissaire priseur de me retirer 5% sur les frais des dits rachats – cela me ferait une réduction de 153 frs sur les frais des deux ventes – je ne crois pas que ce terrible normand accepte, je suis même presque sûr du contraire – alors je verrai à agir et te prierai de demander conseil à l’effet de savoir ce que je puis faire en la circonstance – attendons.

Les Bertnay m’écrivent – ils recoivent les Bouloumnié mardi … et m’invitent – ils peuvent se fouiller – je le leur fais savoir – quant à la vente de la maison des Pins. Je ne m’en occupe plus, Rochard a l’air de se trouver si peu empressé de profiter de l’aubaine et si peu reconnaissant qu’on ait pensé à lui que, le mieux, est de laisser aller les choses, sans faire aucun zèle –

D’ailleurs, s’il vendait, il ferait de pires bêtises et les Debay-Dupré voyant le ratelier se remplir viendraient le grignoter à dents féroces. Le pauvre bougre est insauvable – c’est toujours à recommencer.

Affectueux baisers.

 

Octave

 

Le père Ducreux prend toutes les nuits des cachets de magnésie et de poudre de souffre anglais bien lavé contre la constipation – il en est ravi depuis 20 ans déjà.

 

[ref. 1908.21] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (jeudi) 26 mars 1908.

 

Mon chéri,

 

Hier passé une bonne journée à Nice, sur la hauteur, sans fatigue – rentré à 6 ½ un peu en retard, remorquant le cercueil du Duc de Devonshire, mort à Cannes.

Au retour, trouvé dépêche de Rochard m’annonçant qu’il arriverait déjeuner ce matin avec moi aujourd’hui – sans indication d’heure de train – encore souffrant, ajoutait la dépêche – et incapable d’excursion.

Tu sais combien ce brave garçon est accaparant – je prépare mon dos, ma résistance, sachant que je ne pourrais t’écrire aujourd’hui l’ayant avec moi, c’est pourquoi je te lance ce mot avant d’aller faire mon marché –

Bonne santé – ciel gris aujourd’hui –

Aucune nouvelle de la Barroil – sauvé merci, mon dieu !

Baisers affectueux, en hâte et tendresses, t’écrirai demain après cette dure journée d’ambigu tenace.

 

Octave

 

Je viens de voir passer sous mes fenêtres l’éternelle jeunesse de Bonvoisin (mars) toujours seule et vieille « côte d’azur » du temps de Marcellin.

 

[ref. 1908.22] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (vendredi) 27 mars 1908.

 

Mon chéri, - La journée Rochard, hier, fut la lourde corvée, plus déprimante encore que je ne le pensais. Emile arriva à 9.50, encore fatigué, fiévreux mais toujours fumant, toussant, agité, gesticulant – ce fut la longue audition de l’affaire-ambigu, au milieu de mots mâchés, de vagues grognements, de mimiques sans paroles, que je ne pus arriver à comprendre – Ce que je débrouillai, c’est qu’on doit se jouer de lui et qu’alors qu’il suppose l’affaire en voie d’arrangement et de versement d’argent à son compte, à Paris, les sous preneurs s’entendent comme larrons en foire et que rien ne sera fait, peut-être comme il l’espère – Pendant le déjeuner, ce fut le long récit de la femme vierge et autres histoires du « monde des poires » ; le temps, au dehors, était gris et brumeux ; je puis lui faire faire une petite promenade qui me fit constater son état d’emphysème et sa lourdeur de vieillard à la marche – Enfin, après la tasse de camomille à la maison, je le mis dans le train à 4 h 20 – j’étais fourbu d’avoir du ouvrir les oreilles à tant de folies, sentimentalités, naïvetés, enfantillages, etc. Ce pauvre garçon, étranger à tout ce qui n’est pas lui et ses affaires personnelles est vraiment terrible à supporter toute une journée et je bénis le ciel qui me priva de sa présence de décembre à mars. Je ne m’en serais relevé, autrement qu’en cherchant des biais pour l’éviter –

Il ne m’a plus invité à monter aux Pins, où il a convié la femme vierge … qui a voulu s’empoisonner pour lui et qui viendra peut-être bientôt. Il parle si peu de son désir de consentir à vendre les Pins que je ne serais pas étonné qu’il ait déjà engagé sa propriété au-delà des hypothèques et qu’elle soit en gage –

La moralité, c’est qu’il est pénible de fréquenter un camarade tel que lui, aussi différent de mentalité, aussi incorrigiblement gogo, aussi vieux physiquement et gosse moralement, aussi désintéressé de tout le monde, avec de très superficielles tendresses si vite oubliées – Il ne m’a même pas dit un mot de toi – c’est un instantané – le dos tourné c’est fini, il oublie tout. Pas méchant pour un sou, mais aussi pas constamment bon avec suite et jugement. Je m’efforcerai d’ici mon départ à renouveler le moins fréquemment possible ces petites entrevues qui me donnent plus de fatigue physique qu’un raid de 20 kilomètres à pied et qui me sont moins salutaires.

Je n’ai aucune nouvelle de Paoli, et n’irai guère à Cannes que plus tard, pour aller dire adieu au papa Ducreux, que je prie de me faire signe quand son petit neveu Camille viendra le voir.

De la môme torpille, aucune nouvelle – Je respire et je crois que la bande Cazalis a quitté Valescure avec ces agitées que j’espère ne plus jamais rencontrer –

Demain, il y a bataille de fleurs ici – mon boulevard est couvert de barricades et de tribunes, c’est ignoble – Je serai aux premières loges, mais je n’en serai pas plus fier pour ça –

Je vais rester cette fin de mois au travail avec joie et, quand je sentirai une période de beaux jours bien assise, j’irai faire une petite promenade vers Hyères, Porquerolles, 2 ou 3 jours, pour voir ce qu’on trouve de ce côté-là pour hiverner, l’an prochain, sans rien déterminer, mais seulement pour fixer mon jugement.

Le temps est très beau aujourd’hui –

Je suis déjà anxieux, l’heure approchant du retour, de mon futur chambardement locatif. Je serai vraiment heureux quand je ne trainerai plus de lourdes charges trimestrielles, et que je ne serai plus attaché à tant de superfluités ruineuses à transporter et combien fatigantes à ranger – Je verrai à faire pour le mieux pour sortir avant l’hiver d’une situation encore indécise mais que je désire simplifier au gré de la sagesse de la nouvelle vie inaugurée, et qui, seule, peut me conduire au bout de ma dernière étape sans soucis, fatigues, dépressions, surmenages et sottises sociales. Je verrai où loger et comment régler mes saisons, voyages, etc.

Affectueuses tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.23] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le dimanche 29 mars 1908.

 

Mon cher frérot,

 

Hier, fête des fleurs, sous mes fenêtres, c'est-à-dire grand gala Raphaëlois avec un temps soleilleux mais à fond d’air frais –

J’avais Mme Rouveyre sur mon balcon, son mari était revenu de Paris un peu grippé – la fête fut intime et familiale – 25 à 30 voitures et autos, très bien décorées, sans prétention mais vraiment jolies – de l’animation et de la gaité – la fanfare du 7e alpin venue d’Antibes et la « municipale » - naturellement la Princesse Clémentine – Tout cela beaucoup mieux que je ne l’aurais cru possible, très très supérieur aux horreurs que nous avons vues à Cannes. De 2 ½ à 4 ½ cela dura, mais j’aurais pris froid à rester sur mon balcon et je rentrai tôt pour ne me glacer – J’avais naturellement ma provision de fleurs et j’ai offert le thé à Mme Rouveyre –

Je me suis mal remis de la journée Rochard. Il m’avait tellement rasé que j’ai eu tout le jour hier un embarras gastrique, dont je ne suis encore que partiellement remis.

Je suis bien décidé, d’ici mon retour, à vivre en quiétude et à voir le moins de monde possible car ça m’embête ferme d’avaler les soliloques égoïstes mâchonnés par des êtres tels que Rochard, qui ne s’occupent que d’eux, rattachent tout à eux, n’ont aucune indépendance morale et vous laminent impitoyablement le cerveau, des heures durant, avec une inconscience de leur moi dominant, vraiment excessive –

D’ailleurs Emile n’a pas de conversation en dehors de ses propriétés et théâtre, ce sont ses horizons bornés - … alors, zut !

Oui, il faut se garer de la grippe ce mois ci et avril – je sens qu’il me faut aussi de grandes précautions et que je serai pincé vivement si j’étais plus social, car je me refroidis en un rien de temps et quand je suis chez les autres, qui, tous, sont imprudents, je dois subir courants d’air, mauvaises installations, cafés servis dehors au jardin, promenades à l’ombre et autres folies –

Physiologiquement je suis fait pour vivre seul, sauf quoi ça ne serait pas long, la bonne rechute grippale – c’est peut-être déplorable ; sans doute ma dégénérescence sénile apparaît à autrui, mais tout ça m’est égal, je ne m’embête jamais seul et la fréquentation des autres c’est la porte sûrement ouverte sur le mal possible : « la voiture perfide, le logis mal chauffé, la nourriture équivoque, le courant d’air imprévu » etc,  etc. – Le jeu n’en vaut vraiment pas le sacrifice –

J’ai su par le cocher de l’omnibus de Rickel que Cazalis était parti lundi pour La Croix (Cavalaire) et que les Barroil s’en étaient allés vers Monte-Carlo, dimanche dernier. Alors, tout va bien – plus de craintes.

J’ai terminé avec Durel – ce fut dur et long – mais il vient de m’envoyer un chèque de 98 francs qui constitue le rabais obtenu sur mes rachats – Donc aussi de ce côté plus de soucis – Il me règlera au retour à Paris –

Je t’embrasse bien tendrement mon chéri.

 

Octave

 

[ref. 1908.24] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (mardi) 31 mars 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Il a fait également délicieusement beau ici dimanche, hier également, mais il y avait un peu de fraîcheur dans l’air. – Je suis allé me promener du côté de Fréjus-Valescure ; c’était une vraie journée de printemps chaud. La campagne était superbe.

Je me suis mis au lait dimanche pour me débarrasser l’estomac fort encombré, soit par la journée niçoise, soit par celle de Rochard. Maintenant je vais un peu vivre loin des amis. Je ne fais plus signe aux Bertnay, ni à Emile. Si je puis aller bientôt à Hyères & à Porquerolles je le ferai – je guette le temps pour cela. Il me semble un peu « Lune Rousse » c'est-à-dire imbu de froideur sous le soleil qui arde. Déjà avril – j’en suis chagrin et grognon – J’aurais tant aimé rester ici mai tout entier – Enfin il faut savoir se borner quand même – l’année prochaine, j’espère bien pouvoir m’accorder plus de loisirs au soleil –

Je n’ai eu hier ta lettre du dimanche que le soir à 6 h – l’express de midi ayant eu 3 h de retard.

Je t’approuve de lâcher les dîners du soir -  Dans les très grands jours, en mai et juin, ça peut aller encore, sans fatigue, mais s’exposer en hiver, sans raison valable, c’est inepte –

Je me couche ici toujours vers 8 ½ à 9 et lis tant que je ne sens pas la fatigue – ces deux derniers jours ayant été fatigué d’estomac je me suis mis au lit à 6 ½ et à 7 ½ sans le moindre ennui, heureux de le pouvoir faire et de sentir mon indépendance à ces détails ; ainsi quel repos et quelle sérénité de pensée, de philosophie ! quel détachement de ces plaisirs si vides et si nuisibles ! de toutes ces sottises collectives qui sont la vie de tant de citadins.

Je t’envoie un petit mot sur la fête des fleurs – ce fut vraiment charmant et familial – je t’enverrai des photos que Bandréri carte-postalise.

Cette pauvre Mme M. n’a pas de chance ; je te prie de lui dire combien je prends part à cette suite de mistoufles. J’espère bien qu’elle se remettra vite – des frictions à l’huile d’Eucalyptus font beaucoup de bien dans ce cas.

Je t’embrasse bien tendrement.

 

Octave

 

[ref. 1908.25] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (jeudi) 2 avril 1908.

 

Mon bon chéri, - J’avais comme un pressentiment de ta grippe, te sachant si sensible et délicat et redoutant ce néfaste début de printemps toujours si ironiquement glacial, humide et sâle à Paris.

J’espère bien que ce mot te trouvera tout à fait mieux et que ce sera ta dernière attaque, car vraiment tu n’as pas de chance tu trinques à toutes saisons.

Ici, il a fait, depuis deux jours, un violent mistral, très lumineux ciel et, chose étrange, avec ce vent, une température de Sirocco, donnant de 22 à 25 degrés à l’ombre – je suis allé me garer hier dans les bois de St Aygulf où j’ai passé une délicieuse après midi – ce grand parc solitaire est très à mon goût –

Ma santé est bonne, mais je continue un régime demi lacté pour me remettre l’estomac qui depuis six jours fut nerveux, fécond en bâillements, en gaz, en éructations, en intolérance alimentaires. – je bois du quassia amara et comme j’ai du lait délicieux, et désormais plus aucun repas à accepter chez autrui, j’en profiterai pour me recaler tout cela – ça va déjà mieux.

Je ne saurais te dire mon angoisse de songer à retourner à Paris d’ici 25 jours – Hélas ! tout arrive ; mais, je sens bien à quel point je me sens hostile à cette ville de cannibalisme, de lassitudes, d’égoïsmes collectifs, de laideurs morales, de ciels sâles, de vanités et de sottises aveugles – Enfin, j’agirai pour régler mon exode et consolider mon indépendance.

Affectueusement à toi.

 

Octave

 

[ref. 1908.26] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (samedi) 4 avril 1908.

 

Je veux espérer que tu es sorti de cette fâcheuse grippe qui sévit ferme à Paris, si j’en crois certains échos de lettres – Mme Dommartin et son fils sont rentrés de Paris à Bruxelles affreusement malades. Cela va sévir jusqu’au 15 mai au moins – c’est l’époque terrible.

Tâche de te remonter et de ne sortir que tout à fait recalé – quant à Hélène, je pense bien qu’elle n’aura été que frôlée et que ce ne sera pas grave. Elle est vite déprimée, mais courageuse et bientôt remontée. – son énergie me rassure –

Ici, le temps est printanier, chaud, délicieux. Je suis allé, ces derniers jours, sur la côte des Maures faire quelques promenades – J’étais las d’admirer cette mer pure et bleue, ces bois de pins verts, ces bruyères géantes blanches de fleurs et cette griserie de l’air et de la lumière – Et il va falloir quitter tout cela pour ce nord humide, triste, si rarement soleillé et aussitôt étouffant, j’en suis fort désolé –

Ma santé est bonne et je fais tout pour la conserver et l’améliorer, car je la sentirai vite fragile, si j’en mésusais – nous ne pouvons nous mettre à l’unisson, ni toi ni moi, de nos contemporains qui vont aux fêtes, banquets, dîners en ville, qui fument, voient des femmes et continuent à croire à l’illusoire jeunesse. La façade dure quelque temps et puis ils s’effondrent.

Je ne me compare pas d’ailleurs, j’y ai renoncé, je les trouve résistants, incompréhensiblement résistants mais je ne les envie pas et ne demande qu’à continuer ma petite vie solitaire, méditative, hygiénique et ménagère de mes forces.

Je n’ai aucune nouvelle de Rochard qui très probablement barbotte dans la purée qu’on lui fait à Paris – Rien non plus des Bertnay, mais peu importe ! Je ne veux donner signe de vie et prolonger le silence autant que possible – je ne redoute qu’une chose : les distractions imposées, les réceptions, les longues journées gâchées contre son gré avec les amis, loin de ses habitudes et de ses soins.

Je t’envoie une postale de voiture fleurie représentant la carriole du marquis du Refuge avec sa femme – je te porterai les autres au retour. Il y en a beaucoup –

Mes souvenirs à Mariani. – que devient Javert ? Je vais aller ce matin au Trayas déjeuner et promener – c’est un coin merveilleux incomparable –

J’attends nouvelles de ta lente mais sûre désintoxication et je t’embrasse affectueusement, mon chéri.

 

Octave

 

[ref. 1908.27] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (samedi) 4 avril 1908. Soir.

 

Mon chéri,

 

Je vais toujours bien, avec un temps agréable bien qu’insuffisamment beau pour le midi, mais du soleil, du bleu, pas de pluie : il ne faut pas être exigeant –

Je prépare ma petite vitesse, ma chambre sent déjà le déménagement, le départ qui immine.

Je quitterai sans doute Raphaël le lendemain ou mercredi après Pâques pour ne filer un 13. D’ici là beaucoup à travailler et à courir à Cannes, à Anthéor, etc.

Tu me demandes où parut mon article sur la fête des fleurs ici ? Dans le petit marseillais mais je ne le signai – c’est sans importance.

Je suis toujours sans réponse du Figaro illustré ; il y a déjà cinq jours que je leur répondis – avise en de Malherbe – une fois en Italie les lettres ne me suivront plus tout de go –

Je t’envoie un chèque de 250 frs sur ma société de Paris que tu mettras en compte à ton crédit rue de Rennes, en échange de cette somme envoie moi 250 frs en billets de banque par lettre recommandée tout simplement vers lundi ou mercredi, peu importe c’est pour n’être point trop ric à rac en Italie – Ici j’ai toujours reçu de ce que je gagnais à la Dépêche.

Je ne vois rien de spécial à te conter.

Je t’embrasse bien affectueusement, mon bon chéri – ne te fatigue pas, crois moi, tu en feras toujours trop pour ton inconscient patron – Pense à toi d’abord et ne te dépense pas plus que tu ne le dois pour le peu relatif que tu en retires.

Bien à toi encore.

 

Octave

 

[Post Scriptum] Tu as du voir dans le Mercure la tête de vieux youpin que Rouveyre y publia sous mon nom - ça m’est égal, je t’assure (Mercure de France du 1er avril)

 

[ref. 1908.28] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Lundi matin. Le 6 avril 1908.

 

J’espère avoir aujourd’hui des nouvelles tout à fait satisfaisantes de ton état de santé, et apprendre que tu te sens tout à fait hors de grippe –

Samedi, je fus déjeuner chez Sabe, après belle promenade au Trayas, par un temps superbe.

Cette nuit, après une journée assez belle, hier dimanche un long et terrible orage, qui commença à 4 h du matin pour ne se terminer qu’à 8 ½ - une grêle terrible tomba deux heures durant qui à l’heure actuelle 10 h n’est pas encore fondue et blanchit le sol et les toits – cela a du tout faucher dans les jardins fruitiers et autres – le soleil est revenu aussitôt – il ne boude vraiment pas longtemps dans ce pays privilégié –

Je devais aller au Lavandou – Je remettrai ma promenade à jeudi, car mercredi je dois donner à déjeuner à Brokhaus, de Leipzig, qui est à Monte-Carlo et désire m’entretenir de Casanova.

Ma santé est bonne, mais mon estomac fatigué malgré ma sobriété extrême – cela m’ennuie, car si peu que je dîne le soir j’ai souvent des digestions qui m’éveillent avec palpitations, sensations nerveuses généralisées et angoissantes – J’irai sans doute voir le Dr Bontemps cet après midi pour lui parler un peu de mon état général, très bon mais avec excès de facilité à me refroidir et à ne pas tolérer mes alimentations cependant délicates.

Hier, pour une heure passée chez les Rouveyre le soir, cependant près du feu, je rentrai les mains glacées comme un mort et tout réfrigéré. Toutes les visites un peu prolongées me font cet effet – aussi j’en fais peu … mais toujours même résultat.

Rochard m’écrit qu’il ne sort pas de ses « dépêches » et que ses affaires sont toujours à la veille d’être traitées, mais que l’argent n’est jamais versé – comme je le lui écris, les choses de théâtre sont pleines de dessous pourris et il est et sera aux mains de gens peu scrupuleux qui connaissant son désir impatient de se libérer de l’Ambigu lui joueront tous les vilains tours possibles – c’est mon opinion, et je ne vois pas pourquoi je la dissimulerais à ce doyen des jobards. Je lui dis de m’inviter du 13 au 18 aux Pins avec le Bertnay, ce qui me ferait d’une pierre deux coups car je ne puis guère songer à recevoir ici les Bertnay et je ne veux plus aller à Anthéor –

Je pense aller de jeudi à samedi au Lavandou, Hyères, Porquerolles et rester 3 jours absent – puis, j’irai sans doute lundi chez Ducreux, je ferai ma visite P.P.C. à Marny – et je m’arrangerai de façon à ce que tout soit réglé pour Pâques, voulant l’absolue quiétude du 20 au 26 pour préparer mon retour et m’aérer à ma guise.

Je partirai le 27 pour ne rentrer chez moi que le 29 ou le 30, voulant coucher à Marseille et Dijon ou bien ailleurs.

Il me semble que tout cela soit demain, tellement c’est proche et je sens déjà l’angoisse de tout ce que j’aurai à faire. Ah ! la folie d’avoir accumulé, de m’être plu aux bibelots, aux appartements onéreux, je l’expie, car je sens si bien que moins l’on a, mieux on est.

Comme je serais à mon aise, si j’avais été moins bête de toute manière avec logis excessifs, femmes arrosées plutôt largement de pensions, frais de toutes sortes, tout cela pour avoir été, pour m’être, condamné à la vie recluse, aux travaux forcés, à la neurasthénie qui me tient encore un peu – Regrets superflus, yeux trop tard ouverts à la vérité – enfin, espérons que je saurai vivre plus sainement les derniers jours qui me sont encore dévolus – je ferai tout pour cela.

Je t’embrasse affectueusement, mon chéri.

 

Octave

 

[ref. 1908.29] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] (mardi) Le 7 avril 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Je viens d’écrire un mot affectueux à Javert qui doit s’embêter comme un vieux perroquet royal, loin des cours familières – je lui dis, ce qui est vrai, que je vais aller quelques jours vers Hyères et la côte de Toulon et que j’essaierai de lui aller donner le bonjour lundi 13 à Cannes dans la matinée (en allant chez M. Ducreux).

Le temps est redevenu merveilleux.

Je fus hier voir le Dr Bontemps – j’ai causé à un peu avec sa femme plutôt très sympathique et après quelques mots sur mon état général, il m’a fixé de me voir chez moi, le soir, à 4 h sur mon pieu.

Cet homme a une toquade fixe qui lui fait voir de l’intoxication intestinale partout et quand même et des « tonnes de matières fécales accumulées dans l’intestin », après m’avoir brassé le ventre fortement il me déclara que j’avais des « matières considérables qui m’encombraient – Oh ! Molière ! ) – cependant mon ventre était souple comme un gant et nullement douloureux – Il m’ausculta cœur et poumons – résultat – vous êtes un ralenti – pouls 60 pulsations, insuffisance, donc insuffisance de flux sanguin dans les poumons, mauvaises fonctions générales … conséquences d’intoxications de l’intestin – d’où régime omnibus que tu connais : manger, boire de tout copieusement, exercice de promenade, pas plus, tous les jours le matin la cuillerée à café d’huile de ricin, puis lavage du rectum avec 100 gr. d’eau tiède – avec ça, tout doit disparaître – voilà pourquoi votre fille est muette – Je sais bien, moi, que je fais surtout de la stase pylorique, que tous mes gaz et ferments viennent de l’estomac qui les fabrique, etc etc, que j’ai de la dyspepsie nerveuse, etc etc, je vais toutefois essayer, en bon mouton, le fameux traitement que tu suis et a suivi ; mais je crains de devoir y renoncer d’ici peu de jours. Je serai toutefois consciencieux et te dirai ce qui en est – ce brave garçon est aimable, mais léger comme un feu follet … il était convaincu que tu avais eu le ventre ouvert et que, seul, il t’a mieux guéri que les chirurgiens – O ! Suggestion ! – je l’ai détrompé sur l’opération, mais peu importe, a-t-il dit … et j’ai compris qu’il préférait sa version et pour lui tu as été opéré, ça lui va mieux comme ça. Ah ! puis Vittel, Vittel pour moi ! Il n’y a que ça – Je le reverrai avant mon départ – à ce sujet, je dois partir de chez Simon fin avril et je crois que le fils arrivera pour me remplacer à  l’expiration de mon contrat – de toute façon, je filerai le 27 ou 28 quitte à m’arrêter en route plus ou moins.

Quant à mon appartement à Paris, je suis bien décidé à ne pas me fatiguer – j’ai en tête une combinaison qui me porterait à en céder la moitié en meublé, petit salon, salon et salle à manger transformés en 2 chambres à coucher et salon, loués à l’année et je garderais ma chambre à coucher – la pièce du fond mon boudoir & la cuisine –

En louant la chambre de bonne à part, je pourrais facilement retirer mon loyer et avoir une installation presqu’à l’œil, sans autre fatigue que celles d’un déplacement mobilier et d’une réinstallation facile à combiner –

Je verrai ça sur place au retour –

Je ne t’écrirai pas demain car j’aurai ici Brockhaus de Leipzig à déjeuner –

Tendresses bien affectueuses.

 

Octave

 

Je te dirai le résultat de l’huile de ricin, du massage abdominal au lit fait par moi-même, et le petit clystère d’eau tiède de 100 gr. comme lavage du rectum.

Le premier jour, ce matin, cela a assez bien marché, attendons.

Je partirai sans doute jeudi pour Hyères, Porquerolles, etc.

 

Octave

 

Ci-contre un billet que tu utiliseras ou déchirera, à ta guise. [le billet manque].

[ref. 1908.30] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] (mardi) Le 7 avril 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Hier, à Cannes, promenade avec Rochard, deux heures durant, sur la croisette. Toujours même situation ; ce brave garçon inconscient d’être roulé, n’y comprend plus rien – c’est le jobard phénoménal que rien ne rendra clairvoyant et l’être le moins ouvert qui soit sur la vie réelle et les nombreux intérêts qu’il y a à vivre, moins bêtement qu’il ne le fait. – la conversation est affreusement bornée avec lui, aussi bornée que son esprit qu’il meuble si mal et de façon si pitoyable. Il pense à me recevoir avec Bertnay le mardi de Pâques, mais avec ses affaires louches, il se peut qu’il parte et je n’en serais pas fâché – je n’ai, somme toute, pas encore mis les pieds aux Pins – J’ai prié les Bertnay pour le lundi de Pâques, où il y aura ici une seconde bataille de fleurs. J’ignore s’ils viendront – Politesse en tout cas sera faite – jeudi, j’irai déjeuner chez les Amherst, peut-être irai-je mercredi ou vendredi saint à Marseille. En revenant de Cannes, j’ai vu guignoler à portière du rapide qui me ramenait « La Flandreyssy » qui rentrait à Paris, très documentée sur les faits et gestes de Mariani et même sur les miens par le dit Angélo.

Ma santé est infiniment meilleure – je continuerai ma cure de ricin encore 8 à 10 jours, puis j’alternerai avec la médecine de Ducreux – le souffre est un désinfectant et je suis convaincu que la longévité de notre vieil ami est due à cette excellente préparation qui lui fut donnée par un remarquable docteur lyonnais. J’ai fait un bon petit déjeuner avec ce brave homme, fort aimable malgré sa surdité, athanase était à Monte-Carlo mais trois voisines très gentilles sont venues prendre le café, dont une anglaise charmante – J’ai fait mes adieux et suis rentré par le rapide de 3 h 22, lâchant Marni vraiment trop poseuse, à mon gré, avec son jour et son « tout Cannes ». Oblige moi d’envoyer au Père Ducreux mes 5 ou 6 derniers articles de la Dépêche, si tu le peux –

Très chargé de lettres à écrire. Mes affectueux baisers.

 

Octave Uzanne [signature entière]

 

[ref. 1908.31] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] (vendredi) Le 17 avril 1908.

 

Mon bon chéri,

 

J’ai reçu la visite du père Sauteron et de son gars St Cyrien – il fait un temps gris de vendredi saint, ma santé est bonne et j’éprouve grand bien de mes prises d’huile chaque nuit, me donnant des selles faciles et souvent fort odorantes, indiquant que l’intestin demande à être purifié –

Je crois que les pilules du Dr Nepper sont à la longue intoxiquantes et nuisibles – il en faut trop prendre, tout cela doit faire un sâle mastic dans les boyaux.

Les Bertnay viennent, tous les 3 déjeuner, lundi – la fête des fleurs leur plairont ; il y a déjà 25 voitures engagées, fanfare d’alpins, etc – Sur mon balcon, ces anthéoriens exulteront. J’ai passé hier quatre heures fort agréables « en Angleterre », ches les Amherst, qui me plaisent infiniment – déjeuner, promenade, etc avec le vieux lord et sa fille aînée – la vieille petite miss Sybil a failli mourir de l’influenza – comme il faisait un terrible vent d’est, le landau de Paul Séquier m’a conduit à Lou Casteu et est revenu m’y prendre à 3 h ½.

Je continue mes préparatifs de départ ; je laisserai ici mes livres et beaucoup d’effets, car je suis à la veille de louer à St Raphaël un appartement que je n’espérais jamais pouvoir obtenir sur le cours Jean Bart – c’est tout une histoire. La destinée m’aura bien servi – je l’espère du moins. Je signerai sans doute demain un bail de 6 et 9 ans – Le logis est tellement vaste, haut de plafond et relativement bas de prix que c’est une occasion unique ici – si je n’avais pas laissé flairer en moi – avec roublardise – un acquéreur de tout l’immeuble, je n’aurais pu faire donner congé au parisien qui s’y plait depuis déjà neuf ans et qui a failli me dévorer de rage lorsque je lui ai fait déclarer qu’il ne faudrait céder. Il récalcitre toutefois et ce sera dur. – Tout cela est encore compliqué : il ne veut point partir avant avril 1909, il invoque la tacite reconduction, etc, en tout cas je m’arrangerai à l’étage au dessus en attendant et je me considère déjà comme citoyen raphaelois …

Je te conterai tout cela par le menu – cette location ici est nécessaire à mes projets, sois de cession de mon logis parisien, soit de location du dit en meublé – je dois savoir où mettre le surplus de ce que je garderai et, si je veux faire également ici, hiver ou été, de la sous location en meublé, rien ne me sera plus aisé – je gagnerai peut être sur l’ensemble.

Je pense à tout régler dès mon retour chez moi et tout est bien fixé en ma tête, bien précis. Je désire regarder l’ensemble de mon logis à Paris (meubles et installation de détail) comme un capital à faire fructifier au mieux de mes intérêts, après avoir vendu la superfluité bibelotière et œuvres d’art. Je commence à bien voir clair dans le processus à suivre – à ce propos – je te prie d’entrer un jour, avenue de l’Opéra, chez Bernheim et de lui demander ce qu’il a comme Carriès – après avoir vu ce qu’il te montrera, et lui avoir demandé les prix ; tu lui diras que ce que tu recherches surtout ayant beaucoup du reste, c’est le Guerrier et tu lui diras : « Pensez-vous pouvoir vous procurer une belle épreuve bien patinée, quel prix faudrait-il envisager – etc – Bref tu joueras l’amateur – ça me servirait à amorcer une nouvelle et dernière affaire au début de mai – penses-y – tu m’obligeras – à la rigueur tu peux y aller comme chaperonnant une autre personne de belle apparence – fais pour le mieux – ce truc peut me servir puissamment –

Merci pour l’envoi au papa Ducreux – je te tiendrai au courant de toutes mes petites affaires.

Ici le soleil chante dans les nuages.

Affectueux baisers.

 

Octave

 

[ref. 1908.32] Pâques – Dimanche 19 avril (1908).

 

Mon chéri,

 

Je vais bien – la fête-bataille des fleurs s’organise sous mes fenêtres, les Bertnay arrivent demain à midi, tous les trois, je les recevrai très somptueusement, au point de vue culinaire et boisson - … et fleurs.

Le mardi j’irai déjeuner aux Pins avec les dits Bertnay et P.P.C. à Emile, dont je ne sais rien que par un télé brutal. Je le crois toujours dans sa marmelade de poire sérieusement tapée. Je te conterai la suite de mon projet de bail locatif. J’ai le logis en perspective, sans avoir rien à signer – les circonstances m’ont servi. Je ne déciderai rien avant l’automne. Je puis toujours revenir ou je suis – Je connais la merveilleuse situation, l’agrément du dit logis où je fus si paisible et si heureux – Il me faudra surtout un coin pour les livres que je garderai et quelques objets mobiliers – car je me déciderai plutôt à sous louer en meublé tout mon appartement. Ce sera plus facile, plus productif, avec facilité de ne l’avoir plus occupé aux seules heures qui seront à ma convenance à Paris, du 15 septembre au 15 novembre qui sont les mauvais moments pour étrangers et les seuls bons pour moi à Paris – En juin, je ne resterai que peu à Paris et j’irai fort bien à l’hôtel meublé, ou même en pension à Versailles où l’on est très bien.

J’espère que ta santé est parfaite, mon intestin se vide, s’amollit, s’améliore, je crois, avec l’huile – J’irai voir le Dr Bontemps mercredi et le remercierai – je prends le ricin de 2 à 3 heures dans la nuit –

Je t’embrasse affectueusement – je ne pourrai t’écrire que demain, car mes journées de lundi et mardi seront très remplies. – A bientôt.

 

Octave

 

[ref. 1908.33] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le (mardi) 21 avril 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Je t’écris pendant la bataille de fleurs un peu mistralisée mais soleillée à fond – beaucoup plus populaire et moins réussie que la première – Les Bertnay sont arrivés à 9 h 53 ce matin ; nous avons du déjeuner à 11 h, car ils devaient rentrer à 2 h à Anthéor pour rencontrer Coquelin aîné qui va pêcher, diner et coucher chez eux –

Ils ont été ravis de mon déjeuner et y ont fait honneur. Je puis dire qu’il était complet, varié, parfait – Je n’ai pas été fâché de leur départ un peu hâtif, d’autant que demain je les retrouverai aux Pins, où je partirai à 9 ½. Toutes mes correspondances s’achèvent, aussi mes caisses et paquets. Je m’en vais sans enthousiasme ce prochain lundi, mais il faut toujours en arriver au départ – j’ai tout préparé pour mener hâtivement mes affaires à Paris. Si je veux me libérer pour octobre, il ne faut pas que je m’endorme, j’espère bien arriver à tout faire –

J’ai une autre affaire de location en train que je ne pourrai terminer qu’à Paris – la maison contiguë à la mienne – quelque chose d’extraordinaire – je suis allé hier chez le Dr des carrières de porphyre du Dramont pour arranger cela – tout cela est à te conter par le menu –

Selon le résultat, j’agirai dès le 5 mai dans le sens du meublé ou de la cession de bail à Paris.

Affectueux baisers. J’ai écrit à J. Ducreux P.P.C. lui disant que j’irais peut-être à Tourville.

 

Octave

 

[ref. 1908.34] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 22 avril 1908. Mercredi.

 

Un bon jour, mon cher Joseph, je sais chaque jour les nouvelles de la veille, comme température de Paris, par l’Eclaireur de Nice et je vois que la lune rousse sévit dans la capitale … et même ici un peu – mais que sera-ce, si comme on le prétend, la vraie lune rousse ne commence qu’au début de mai pour se terminer fin juin … alors, alors ce serait à fuir en Egypte ou au Soudan.

J’ai passé une bonne journée aux Pins, hier, après avoir été voir le matin un magasin d’ameublement d’art à Cannes, où j’avais donné rendez-vous aux Bertnay –

Nous n’avons trouvé Rochard qu’à midi ½, une heure après nous, aux Pins – avec de mauvais indicateurs il avait trouvé le moyen d’attendre en vain tous les trains qui n’étaient pas ceux susceptibles de nous amener.

Ce brave garçon est toujours dans le même état, sans solution, toujours se croyant à la veille de traiter, d’un optimisme indémontable – Nous avons tous bien mangé, bu, été très gais, porté ta santé, et avec les Bertnay sommes revenus par le train omnibus de 4.46 qui les laissa à Agay tandis que je revenais à Raphaël – Emile viendra peut-être déjeuner ici, mais, moi, je ne quitterai plus mon patelin, avant mon départ lundi matin 27 –

Maëterlinck me supplie d’aller déjeuner à Grasse et de faire une belle balade en auto, mais si je veux arriver à tout faire en bon ordre, je ne dois plus m’absenter et je décline tout –

Quant à mon local du quai, le locataire évincé était si consterné de s’en aller après 9 ans, qu’il a signé un bail au dessus de 800 f et que je n’ai plus à y compter, ce dont je me félicite parce que la Garonne était voisine, porteuse de pestilences estivales, de moustiques, etc – et que les pêcheurs étaient bruyants dès 4 h. du matin et le soir après cabaret – enfin parce que le quartier n’était pas coté.

Je verrai, dès que rentré, comment m’arranger c’est un problème difficile à résoudre et qui demande beaucoup de réflexion, de combinaisons, de jugement, pour tout régler au mieux et sans fatigues – quand je serai sur place que j’aurai vu les agents, mis des annonces, attendu une solution, je déciderai.

J’écris à Quantin, mais pour lui parler et non pour me lier ; tout dépendra de ce qui s’offrira et de ce que je saurai pour le logis du Bd Félix Martin, maison contigüe à la mienne. Je serai fixé le 5 mai –

Tout cela approche et m’intéresse assez pour donner un peu de fièvre nécessaire à mon retour à Paris – sauf quoi mon désir de revoir l’Alma est bien morne –

Merci pour la visite à Bernheim – Tu me diras ce que tu auras entendu de ce youpin.

Le temps ici fut beau hier et aujourd’hui mais les montagnes couvertes de neige au loin ont rafraîchi la température – l’eau n’a guère que 11 ou 12 degrés.

Louise a pris pendant que j’étais à Cannes son 25e bain – Elle est jeune et a du sang chaud – Je ne m’y aventurerais pas encore. Tandis que depuis mars elle n’en manque pas un jour. Je t’écrirai vers vendredi, samedi –

Je t’embrasse mon chéri – Bien affectueusement.

 

Octave

 

Dès que j’aurai le papier Chavance que tu m’annonces, je le signerai et expédierai à son destintaire à Auxerre –

J’irai voir P.P.C le Dr Bontemps après déjeuner –

Ci-contre une lettre de cet excellent Père Ducreux reçue ce matin –

La température actuelle dans le nord me rappelle celle que je dus subir à Auxerre il y a un an et qui me grippa si fort.

 

[ref. 1908.35] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le jeudi soir 8 h ¾ nuit – (23 avril 1908).

 

Mon cher Joseph,

 

J’arrive de me promener à Ste Maxime – ma petite vitesse est partie, mes malles seront expédiées directement pour Paris dimanche avant midi et je partirai avec presque rien à la main, pour Marseille lundi à 8 h ½ du matin –

Je ne m’inquiète pas du chauffage de mon appartement de Paris, où j’arriverai vers 3 h ½ - je ferai allumer le calorifère par la concierge, et Alphonsine qui m’approprie tout depuis plusieurs jours, déjà tiendra le feu prêt – je connais mon local très tiède, facile à tenir en bonne température et chauffé par les voisins – je n’y ai eu jamais froid et ai toujours pris mes grippes dehors. Je n’ai plus comme toi de pièces glaciales, telle ta chambre à coucher – J’espère bien, d’ailleurs que la température se relèvera – l’anormal ne peut s’éterniser –

Ici j’ai toujours fait du feu dans mon cabinet, j’en fais encore avec joie, ça ne me changera pas de tisonner en mai à Paris où il ne fait jamais beau avant la mi juin.

Je t’écrirai pour mon arrivée en t’envoyant mon bulletin de bagages de façon que tout puisse être chargé sur une auto ou un omnibus de 4 à 6 places – je n’aurai que deux malles de dimensions moyenne et 3 autres petits colis peu lourds.

 

[ref. 1908.35bis] Vendredi 24 avril 1908 [date ajoutée par Joseph Uzanne].

 

 

Rochard vient déjeuner ce matin, ici pour me faire ses adieux, je serai donc avec lui jusques à son départ à 4.26 et avec ses façons d’être, je ne trouverai guère le temps de t’écrire après déjeuner.

Il faudra que je le promène et surtout que j’écoute toutes ses histoires du Boulevard du crime. – Je suis prêt à cette dure fatigue –

J’ai fait mes adieux avant-hier au Dr Bontemps qui te guette et nous guette à Vittel – Je crois que je me déroberai surtout, si la croisière réussit à mon gré sur le Charles Roux.

Ce Dr B. est un bonhomme, mais d’une légèreté fabuleuse, il voit tout à la grosse, choses et gens et se montre optimiste sur tout – Sa toquade intestinale, heureusement, n’est pas mauvaise – il a pris une bonne formule sans avoir eu à l’inventer et c’est le pionnier des matières fécales, le terrassier des agglomérations intestinales –

Je t’écrirai une dernière fois dimanche mon chéri – Je te ferai toutes mes recommandations pour le retour et peu à peu après ma réinstallation je te dirai mes projets et ce que j’ai fait ici.

Je rentre sans illusionner sur le rôle de liquidateur de mes propres encombrements que je vais avoir à jouer – je veux me rendre libre, tout à fait, couper mes attaches, mais je sais toutes les difficultés et obstacles qui m’attendent – ventes aux enchères médiocres, sous locataires réfractaires au beau, mauvaise ordonnance pour le meublé – je sais que de quelque façon que je me retourne il y aura des épines très dures et des problèmes pénibles à résoudre. C’est par une volonté tenace d’en sortir et par des sacrifices que je parviendrai à tout régler avant l’hiver prochain. –

A bientôt, mon chéri, bien tendrement.

 

Octave

 

[ref. 1908.36] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël (Var)] Le 26 avril 1908 – Dimanche.

 

Mon chéri,

 

Je viens d’expédier mes colis ce matin directement pour Paris, car demain lundi, fin des vacances de Pâques, il y aura poussée de voyageurs et tous les trains seront dédoublés :

Je t’envoie mon bulletin de bagages.

Il y a cinq colis, presque tous étiquetés à mon nom :

1° 2 malles – moyennes.

1 – dite de cabine –

2° - 1 revêtue de parchemin –

3° - un panier plat – (panier à poules rempli de couvertures et effets)

4° - une grande caisse de bois légère pour chapellerie

5° - un sac de toile cirée ficelé de cordes –

Ces 5 colis seront en gare de Lyon demain soir lundi au plus tard –

Voici ce que je te prie de faire =

Si Filleol n’a pas de services urgents à te rendre mardi, donne lui quelqu’argent et envoie le à la gare vers 9 à 10 h le matin.

Il frétera un grand coupé de la compagnie ou bien un petit omnibus 4 places et trottinera avec tout mon baluchon 5 place de l’Alma, où il fera décharger les 5 colis -,

Ces colis pourront être montés au 5e soit successivement en 3 fois par l’ascenseur et là haut, Alphonsine, qui sera dans l’appartement aidera à les rentrer ou à laisser les grosses malles à la porte.

Soit, ce qui serait plus pratique par le grand escalier, avec l’aide du commissionnaire pied bot qui se tient près du débit de tabac sinon l’un des marlous à tout faire qui se tiennent toujours sur mon trottoir.

Les 2 malles et le panier seuls seraient à monter à dos d’homme – environ 2.50 à 3 f pour l’Hercule qui les montera. – Le sac noir et la grande chapellerie trouveraient place dans l’ascenseur. Je préviendrai Alphonsine et tout pourrait être porté chambre du fond.

Ceci est une 1ère hypothèse dans le cas où ce service fait par Filleol ne te dérangerait en aucune façon, au cas contraire : seconde hypothèse.

J’arriverai mercredi en gare de Lyon venant de Dijon, à 2 h 40, dans ce cas, tu me garderais et ferait retenir un omnibus sur lequel avant mon arrivée seraient chargés mes 5 colis et je n’aurais qu’à partir pour l’Alma –

Je préférerais la 1ère hypothèse – et en cas de la première hypothèse exécutée, un bon fiacre fermé ou un petit coupé de la Compagnie me suffirait à mon arrivée pour regagner mon domicile – je n’aurai, ainsi que Louise qui arrivera avec moi, qu’un petit colis à main, un simple sac, sans importance – En tout cas, fais pour le mieux, sans te déranger – voici mon bulletin.

Quant à toi, mon chéri, ne viens à la gare mercredi que si ça ne te gêne en rien, si tu as à faire, s’il fait mauvais temps ne te dérange pas – à la rigueur je pourrais rentrer en tramways. Tu pourras m’écrire ou télégraphier mardi matin hôtel de la Cloche à Dijon ce que tu auras fait. –

Toutes mes affaires achevées, tout parti, même un 6e article du mois pour la Dépêche. Je vais pouvoir aller me promener aujourd’hui n’ayant plus rien à faire qu’à partir demain matin à 8 ½ pour Marseille.

Tendresses affectueuses.

 

Octave

 

[ref. 1908.37] [carte postale – Avignon – Les remparts] 28 avril 1908. [adressée à Joseph Uzanne au 172 Boulevard St Germain, Paris VIe].

 

Cours de route. 28 avril 08.

 

Execellente journée hier à Marseille. En cours de route sur Dijon où je dinerai et m’arrêterai avec plaisir – Il fait un chaud temps orageux, même à Lyon.

Je serai donc comme convenu à Paris demain à 2 h 20 gare de Lyon – Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.38] [papier libre] ce dimanche (3 mai 1908 ?)

 

Mon chéri,

 

Je vais bien, mais je souffre pitoyablement de Paris, de ses atmosphères ignobles, de son bruit, de son insécurité dans la promenade et de tout ce qui vous y guette de malsain, d’inconfortable, de laid, etc – Comment peut-on voir cette ville en beau !!! –

Je continue à préparer mes ventes, à écrire à des commissaires priseurs et experts, à tout préparer chez moi pour faire du meublé ou de la cession totale de logis avec mobilier complet, sauf menus bibelots réservés aux enchères prochaines.

Tout cela est long – J’expie ma maladie décorative à outrance … je l’expie de façon dûre, car toute ma folie m’apparait avec les esclavages qu’elle me causa et me cause encore pour liquider aux mieux de mes intérêts –

Heureusement je me crois encore débrouillard, actif, énergique, capable des efforts nécessaires, d’ici cinq ou six ans, tout cela aurait été plus pénible et je frémis à l’idée, qu’en cas de décès, je t’aurais laissé tout cela à liquider – quel travail ! que de tracas tu aurais eu pour en sortir convenablement avec ton caractère moins impétueux que le mien pour brusquer les choses dans la passion d’en finir rapidement, décisivement –

Hier, avec ce sale temps d’orage, je fus à Auteuil voir ce que locativement il y avait. J’ai visité 20 à 25 logis à prix moyens – Quels horreurs ! faut-il que ces pauvres ilotes de Paris soient peu difficiles pour accepter le logement de pareilles turnes à des prix effrayants ! Quelles misères parisiennes !

Je te verrai donc mardi chez la Flandr … ça ne me dit guère d’aller chez cette oie de Provence, mais j’irai t’y voir, car je ne veux diner dehors le soir, même chez toi – je désire concentrer mes efforts vers une issue favorable de ma situation, activer les choses, de façon à ne pas vivre ici de juin à août – oh ! non ! –

Je verrai Quantin aujourd’hui ou d’ici peu, mais je ne veux pas m’engager avec lui – Je crois que mes avantages sont ailleurs et je le lui dirai.

Affectueusement.

 

Octave

 

[ref. 1908.39] [papier à en-tête imprimé au 5, Place de l’Alma à Paris VIIIe] Ce 15 mai 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Je pars demain matin à midi 05 pour Melun – Barbizon – Je resterai chez Mme Hervy à me reposer et à prendre des forces pour le coup de collier de mes nouveaux envois à l’hôtel et travaux divers du 21 au 30 courant – J’ai beaucoup à travailler de ma plume, une préface pour un livre de d’Aurevilly, des articles, des corrections de catalogues. Je ferai tout cela dans le calme rustique – Je resterai jusqu’à mercredi soir « aux Jasmins ». Je n’ai pas besoin de te dire que si ça te chantait de venir dimanche, je te recevrais avec plaisir, mais tu as immobilisé ton temps avec cette petite serine de Cladel ce qui t’est moins salutaire qu’une promenade en plein air – Je le regrette pour toi, Barbizon eut mieux valu –

Moi, je ne me laisse plus aller à ces choses, je crois avoir raison ; je tâche de diriger ma vie dans les voies essentielles de la santé, les plus jolies et les plus intelligentes des femmes ne m’en détourneraient pas … et pour cause, c’est que je n’en veux et que je m’en fous, ne voulant les foutre –

Je suis retourné hier à St Cloud, mais je n’ai rien signé ni terminé avec l’architecte. Je veux voir l’appartement libre, imposer mes réparations et ne me lier qu’à bon escient – mais, en principe c’est entendu.

J’irai à Fontainebleau voir ce qu’on y trouve. Quantin est revenu hier avec ses 2 filles ; il est resté près d’une heure ½ - Il consent à me reprendre 1600 frs d’objets et me donnera solution nette jeudi à mon retour – je ne compte pas sur lui car il lui faudrait s’entendre avec mon proprio qui veut augmenter à dater de 1910 –

L’écriteau est mis sur mon balcon ; je fais marcher les agences – j’attendrai les résultats, car je laisserai mes clefs pour la visite pendant mon absence –

J’ai parfois des heures de mélancolie dans le chambardement de ma vie ; vieil atavisme de français conservateur, mais je me reprends vite. Je songe à la folie de ce que j’avais réuni et entassé, à la suprême sagesse de l’homme comme d’Aurevilly vivant et oeuvrant dans un tourne bride … Sans en arriver là, la simplification de mon mobilier, de mon loyer me sera très salutaire. Il était temps de me libérer, plus vieux c’eut été moins aisé à tous points de vue – Il ne fait pas beau, mais peu importe, il fait toujours beau hors Paris –

Donne moi de tes nouvelles à Barbizon.

Bien cordialement.

 

Octave

 

[ref. 1908.40] Barbizon = Les Jasmin : Samedi 16 mai 08.

 

Mon chéri,

 

Bien arrivé ici à 2 h, parti à 11.55 et déjeuné à Melun – J’avais besoin de repos. Je sens en pleine campagne la fatigue qui me remonte à la peau – Ah ! comme je vais bien me reposer 4 jours durant. Mais je suis bien parti, mon appartement sous loué, dans des conditions incroyables, tout réglé, deux secondes avant mon départ, avec la femme d’un ingénieur-administrateur de Suez, qui raffolait de mon installation, l’ayant vue hier, aussitôt l’écriteau posé, et qui, ayant mon tempérament emballé, était chez moi avec son frère, son père et mon propriétaire ce matin dès 8 h ¾ après être revenue 3 fois hier dans la journée – à 11 h ¼, tout était réglé, au mieux de mes intérêts, et je pouvais partir sans laisser mes clefs pour visiter filer à toute vitesse d’auto vers la gare P.L.M. en 12 minutes de trajet. Mes deux catalogues sont également corrigés, relus, retouchés – Je ne laisse rien d’argent à Paris – J’ai sous loué à ½ terme pour le 1er septembre, ce qui me donnera toute latitude pour déménager. Ma sous locataire, me prendra pour 2.500 à 3.500 d’objets installés au minimum – Je pense donc que toutes mes affaires iront à mon gré – d’après mes catalogues mes ventes produiront au pis aller de 11 à 15000 – Je retrouve ici, avec le calme, ma petite maisonnette, mon toutou affolé d’affection, une propriété qui me fait plaisir et mes braves Hervy très accueillants. Je rentrerai mercredi après déjeuner ayant à voir mes sous locataires de 5 à 7.

Il fait un bon soleil et un temps fort doux et agréable – Ah que je me retrouve loin de Paris et des intérieurs chargés d’inutilités – Tendresses et bons baisers.

 

Octave

 

J’écris à cet indécis de Quantin qui va pleurer de n’avoir su se décider – (heureusement pour moi) – et aussi à ces tortues d’agences si peu serviables pour un appartement comme le mien – j’en avais vu 6 qui se préparaient à marcher ; mais, par devination j’avais refusé toute insertion de publicité payante dans leurs journaux. J’ai loué sans agence et sans bourse délier – Je te conterai ça.

 

[ref. 1908.41] Barbizon – Ce 17. Dimanche (mai 08)

 

Mon bon chéri

 

Temps superbe – Je crois depuis que je suis ici, et, bien que parti en hâte de Paris, au milieu des manœuvres locatives de la dernière heure, avec l’oubli de la moitié de ce qui m’est nécessaire, je me sens heureux et dans cette douceur de vivre à l’air et dans la verdure et le calme qui me sont désormais indispensables –

J’ai retrouvé en promenade, ce matin, tout mon monde, me sentant vraiment chez moi partout, ce qui a son charme – Je ne rentrerai à Paris que mercredi, après déjeuner, ayant rendez-vous de 5 à 7 avec mes nouveaux sous locataires –

C’est aujourd’hui la fête de Barbizon à l’orée de la forêt – le temps est délicieux – J’ai repris mes balades avec mon petit Fox, fou de joie de me retrouver – Et quelle nuit reposante, quelle quiétude, quels bon draps fleurant bon … décidément je suis mûr pour la seule vie loin des villes ! C’est la seule qui m’apporte les ivresses que je recherche aujourd’hui.

Occupe toi de regarder dans tes adresses, les noms de nos amis ou relations à qui je dois envoyer le catalogue de mes 2 ventes du 30 – Il s’agit d’assurer le succès de ces 2 ventes – Je vais m’y employer la semaine prochaine par la publicité et par tous moyens.

Songes-y à ces moyens et vois où par ta situation tu pourras m’aider dans les journaux – moi je ne vois guère que l’Echo et la Libre Parole.

J’espère bien retirer de toutes ces ventes et d’autres (cessions de mobilier, d’installation, d’autographes, de tableaux qui me restent encore en grand nombre) de quoi faire un capital m’apportant une rente égale, sinon supérieure, au prix annuel de mon nouveau logis – de la sorte que je réaliserai au moins 4 à 5000 frs d’économies annuelles, et serai hors de tout souci pour l’avenir.

Mon effort actuel était donc sage et en valait la peine – plus tard j’aurais été peut-être moins ardent et moins vaillant, avec l’âge –

 

Octave Uzanne [signature complète]

 

[ref. 1908.42] Barbizon ce 19 mai 08 – Lundi soir [papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe].

 

Mon bon chéri,

Aujourd’hui lundi, journée miraculeusement belle ici, je me sens déjà reposé et prêt à reprendre mes affaires d’attaque. Je rentrerai mercredi, ayant écrit mes articles, fait une préface sur un livre de d’Aurevilly et écrit une cinquantaine de lettres. Tout cela avec promenades et bons repos.

Ce n’est pas une chance inespérée que la location de mon appartement, c’est la première personne qui le vit qui le prit, mais toutes celles qui sont venues à la suite se le disputaient déjà. Il y aurait eu luttes et surenchères, car il est unique à Paris et exceptionnel comme prix. Je te l’ai toujours affirmé. Ce qui est une chance c’est que le père de la dame en question, Mr Delahaye, soit au 3 place de l’Alma le locataire de la maison contigüe à la mienne, depuis 19 ans, laquelle maison appartient au même propriétaire, ce qui seulement favorisa la transmission pure et simple de mon bail. Quantin m’écrit une lettre désolée – tant pis pour les indécis et les tergiverseurs – En dehors de la dame, j’aurais pu sous louer à 1000 frs sans tarder, mais je préfère ne conserver aucune responsabilités et passer la main sans frais de remise en état – Je m’en tirerai avec une cinquantaine de francs de peinture tout au plus. Je m’étonne que tu puisses croire que j’aie loué sur une route d’automobiles à St Cloud – on m’aurait donné un logis sur route que je l’aurais refusé – Je suis sur les jardins, la seine, le bois – Verhaeren n’habitait pas là, quant à Mourey il s’était fait bâtir une villa « Le verger » très éloignée qu’il sous loue meublée et qui était fort incommode –

J’ai rendez-vous à Cloud avec l’architecte samedi prochain, si le locataire auquel je succède a déménagé, dans le cas contraire, j’attendrais son départ, car c’est un supplice que de visiter un logis occupé où l’on ne peut tirer aucun plan sérieux, mètre en main.

Vendredi je suis pris par les rendez-vous divers. Je désire ne faire provisoirement aucune relation à Saint Cloud et pouvoir au début pour le moins, vivre sans y être visité et embêté.

Les relations on en a toujours trop pour son malheur, ce sont elles qui nous empêchent de vivre heureux ; je les écarte donc plutôt que je ne les recherche – après mon installation je compte travailler ferme et vivre en pleine hygiène physique et morale, ce n’est donc pas compatible avec des relations St Clodoviennes. Donc, ne me mets en rapport avec personne.

J’ai trouvé ici cette pauvre Mme Menard en très pitoyable état – Elle fut à la veille de trépasser, l’air seul la relève et lui rendra la santé –

Je ne pense pas revenir vivre ici cette année. C’est encore trop banlieue à mon gré et puis l’air y est insuffisamment vif. Mon tempérament ne s’accommode que d’air largement brassé, même de mistral. La mer seule me donne ma suffisance de brise et d’oxygène pur et véhément – à St Cloud, je crois que l’air à la hauteur de 68 mètres au dessus de la Seine sera aussi à ma convenance. Nous verrons.

Je rentre mercredi – pour voir ma sous locataire, son frère et retrouver mon courrier, car je n’ai rien fait suivre, et aussi préparer mes ventes.

J’espère te voir bientôt – Je serai en tout cas, chez moi mercredi de 4 à 6 si tu sors – je te fixerai, si je ne te vois, rendez-vous quelqu’autre jour, sitôt que je serai renseigné sur mon courrier, car Huc, Dommartin, nombre d’autres amis attendent mon retour – Je tâcherai d’évincer déjeuners et diners – Je considère ces corvées comme des traquenards dont je veux de plus en plus me garer.

Bien cordialement, mon chéri, à bientôt.

 

Octave Uzanne [signature complète]

 

[ref. 1908.43] Ce 22 mai 08 [papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe].

 

Mon bon chéri,

 

Ouf ! ça y est – après bien des entrevues hier soir, ce matin, au milieu des travaux matériels et autres, tout est réglé à ma convenance – 2.500 f de reprise mobilière … auxquelles, en dernier lieu, s’ajouteront d’autres choses – Tout convenu, écrit, engagé, signé par le frère et la sœur.

Me voici donc délivré de ce souci – Je puis me donner entièrement aux préparatifs de vente. C’est long et dur –

Je vais aussi pouvoir brusquer les choses avec St Cloud – J’ai déjà fait toutes conditions avec Bedel – pour le déménagement.

Tâche de te chercher quelque chose, si tu as le courage et le déterminisme de quitter vraiment ton grenier si dur à gagner, pour octobre prochain – J’ai bien peur que tu diffères encore et longtemps.

Bien affectueusement.

 

Octave

 

Je ne te donne aucun rendez-vous. D’ici le 30 je ne serai pas abordable ni engageable – après ça, on se verra – Je vais à la Cie Transatlantique – Chez Ollendorff, etc. –

 

[ref. 1908.44] [papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe] ce dimanche soir [24 mai 1908].

 

Mon chéri,

 

Donc à mercredi soir, au Pineau – c’est dit et rentrée de bonne heure – à 9 h –

Moi, je continue à vivre électriquement et avec la volonté tenace de métamorphoser ma vie à bref délai et sans languir –

Le 29 exposition et le 30 mai autre vente faite de mes bibelots, tapis, statuettes, etc par Couturier, salle n°I – Je pense faire 9 à 10 000 dans les deux ventes – environ – sinon ça m’est égal.

Alors, chez moi, tout est de nouveau par terre, décroché, prêt à l’inventaire et aussitôt les murs sont retapés, remastiqués, remis en état – c’est effroyable ce que j’avais amassé, c’est fou !

Entre temps je travaille, articles, lettres, notes pour mes ventes, préfaces pour lesdites ventes. De plus chaque après midi, je visite des logis – J’ai déjà fait Auteuil, Passy, le Boulevard autour du Bois, le quartier Henry Martin à Neuilly … tu vois la besogne accomplie – ajoute à cela Versailles, le quartier St Louis, de la Paroisse, les Bds de Sceaux, de Paris, l’avenue St Cloud … Partout des horreurs.

J’arrive des hauteurs de St Cloud et je crois, à 3 minutes de la gare, avoir déniché le Rêve … ce que je rêvais dans l’air et la verdure, sans quitter la proximité de Paris –

Je te dirai ça – Demain après inventaire, la vente faite avec Lambquin, le matin ; je refilerai à St Cloud ; alors, si, ça marche, si mètre en main, tout s’arrange, je tâcherai de colloquer mon logis de l’Alma à A. Quantin pour juillet.

Je pourrai m’installer en juin dans mon nid neuf – Tu conviendras alors que j’aurai conduit à bonne fin un travail qui de loin semblait devoir me prendre près d’un an – Et il y a treize jours à peine que je suis ici – Mais, je suis fait pour l’action rapide qui me fatigue moins que l’attente et l’indécision.

Quant à St Cloud … si je ne m’emballe pas ; prix du loyer 1300 frs – ce sera supérieur à l’Alma et comme vue, verdure, air, exposition, confort – je ne te dis que cela – Tu verras. Enfin tout cela est encore en l’air – mercredi je te dirai ce qui sera fait –

J’ai hâte de quitter cette ville homicide, ignoble, laide où tout est souffrance et fatigue – C’est une évasion que je prépare, avec toute l’angoisse, la fougue, l’ardeur des évasions vers la verdure, l’air, l’indépendance et l’éloignement des esclavages et des charges. –

A mercredi soir 7 h Bd Poissonnière.

Bien tendrement à toi.

 

Octave

 

[ref. 1908.45] Ce mardi 26 mai 08 [papier libre].

 

Mon bon chéri,

 

Rien de nouveau ce matin ; j’ai heureusement très bien reposé, je suis solide au poste pour cette journée fatigante – j’ai à coller 200 n°, à faire l’inventaire de tout ce qui est à emporter, à réparer mes bibelots, à faire des paquets, tout ordonner, repatiner les Carriès, les Meunier, etc.

L’expert m’a retourné hier soir la lettre indignée que je lui écrivis dimanche avec un mot digne disant qu’il n’en acceptait pas les termes et qu’il me retournait la lettre peu habitué à en recevoir de semblables. Tout cela est excellent pour mon dossier – Je t’envoie deux échos pour le Journal et le Figaro. Je ferai passer les autres où je pourrai – Je compte bien sur toi.

Amitiés aux Jaros et à Mariani ce soir – Je me porte à ravir, je déteste diner en ville, et pour le moment, j’ai tous prétextes de refus. Quand je serai à « Cloud » autres excellents prétextes – on nous invite à nous intoxiquer chez les autres – je récalcitre – c’est fini, ça m’embête et m’empêche de me coucher tôt et de vivre ma vie – Affectueusement.

 

Octave

 

Pour Mme Million je mettrai de côté tout ce que je pourrai comme décor(ations). Tu pourras faire prendre tout cela d’ici huitaine.

 

[ref. 1908.46] Ce mercredi 4 h ½ - 27 mai (08) [papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe].

 

Ouf ! ça se tire … Depuis ce matin 8 ½, les déménageurs de l’hôtel – quelle besogne ! quel fouillis !! mais quelle joie de voir filer tout cet « aria », les vieilleries, ces décorations, ces meubles ! Hier, je n’eus un quart de seconde pour tout ordonner, préparer, numéroter, coller plus de 600 étiquettes, seul, tout classer – Ah ! Je me suis démené de 7 h du matin à 9 h du soir. Mais, comme j’étais au lit à 9 h, que je dormis bien, que je n’eus pas, ce qui me fatigue le plus, les « distractions du dehors », ce matin j’étais d’attaque – ce soir, ce sera la fin du plus gros souci – les trois quarts de mon évasion de Paris sera opérée …

Le déménagement, la réinstallation, tout cela ne sera rien, de la façon dont je prépare l’opération avec méthode et division des labeurs –

Je te verrai peut-être vendredi salle 1 jour d’exposition –

Tu me diras SVP ce que tu as pu faire de sérieux au Figaro et au Journal. Je vais tâcher vers 5 h, ce soir, de courir à l’Echo de Paris et à la libre Parole pour deux notes à faire passer –

Dis moi aussi comment, pour samedi, les choses sont arrangées avec Filleol pour l’annotation des enchères sur tes catalogues et si je dois m’occuper de trouver quelqu’un pour l’une ou l’autre des ventes : sinon je donnerai 10 f à F et 10 à son ami –

C’est déjà clair et plus gai chez moi, sans tout ce qu’on emporte – Les déménageurs me disent qu’il n’y paraît pas. Si, il y paraît et en mieux –

La semaine prochaine je pourrai faire remettre à qui tu m’enverrais un petit chargement de voiture à bras, ou bien un panier de plâtres et bibelots pour Mme Million – à toi d’y songer et d’organiser ce petit déménagement. Je serai prêt à l’heure que tu me fixeras et le plus tôt, sera le mieux.

Tendresses.

 

Octave

 

Hier retapé mon Guerrier et les Constantin Meunier – tout est très brillant et de bel aspect.

 

[ref. 1908.47] [papier libre] ce samedi (30 mai 1908 ?)

 

J’espère que tu es mieux, mon chéri –

 

Tu aurais du aller ces 2 jours à la mer, ça t’aurait remis. Il te faut de l’air, du repos, tu n’as et tu n’auras jamais vraiment ça à Paris, surtout là où tu es et d’où il te faudrait quitter pour vivre confortablement avec ascenseur et dans un coin paisible et moins poussiéreux et plus vaste. Si tu n’as l’énergie de te décider à bref délai, plus tard, plus fatigué, plus abattu parce que plus vieux, ça te sera difficile de déménager.

C’est qu’un déménagement est un des actes les plus importants de la vie et des plus fatigants. Je le sais : je travaille 14 heures par jour chez moi et ailleurs à St Cloud, etc, et je sens le poids et l’embarras de tout ce que j’ai accumulé et dont il m’est si difficile de me défaire –

J’ai souri quand tu m’as parlé de Londres ; comment pourrais-je quitter Paris en ce moment ? J’y ai un travail fou et je vais déménager le 20 – une première fournée – puis le 27, seconde tournée – 4 voitures à 2 chevaux de chez Maple, forfait convenu –

M’absenter, après oui, mais pas pour aller dans une ville – ce ne serait me reposer.

En juillet j’espère bien me rendre en Normandie … mais encore, le pourrais-je ? Je veux tout terminer au plus tôt et enfin !! enfin !! vivre ma vie en toute indépendance et sans charges imbéciles.

Tu me diras si tu vas à Fontainebleau – on y étouffe – Il n’y a que la mer en cette saison – ou les altitudes – à Barbizon c’était affreux il y a quinzaine comme chaleur. Ma santé est bonne – je suis bien ici à l’Alma – pas trop chaud –

J’ai furieusement à faire, car j’ordonne tout pour le présent et l’avenir – Je distribue les besognes pour n’avoir que peu à déménager – mais encore 4 voitures à 2 chevaux !!

Entendu pour mardi soir chez Ledoyen, nous causerons – soigne toi.

Tendresses.

 

Octave

 

Je file à St Cloud voir mes peintres -

 

[ref. 1908.48] [papier décoré à marges décorées fleuries – papier de La Nouvelle Bibliopolis] ce mercredi 3 juin (1908).

 

Mon chéri,

 

J’espère que tous mes bibelots sont arrivés sans trop de dégâts chez Mme Million –

Je suis allée à St Cloud, surveiller mes travaux, hier après midi, puis commander mes papiers au retour à Paris, chez Barbedienne – J’ai signé ma location à St Cloud I an 3.6.9 – et donné le denier à dieu à la concierge – ça y est je pourrai m’installer du 15 au 18 courant, je collectionne les devis de déménageurs divers avant de me décider.

J’ai vendu hier matin à Bernheim, le Guerrier et ma sale épreuve du Bébé endormi, que j’avais envie de jetter aux ordures, le tout pour 1200 frs – quel soulagement ! je puis enfin déménager sans le souci de ce Guerrier déjà fort endommagé et médiocre entre nous.

Bernheim n’a vendu aucun de mes Carriès.

J’irai demain régler avec Couturier ; je m’attends à des canailleries et peut-être à un règlement judiciaire – Je verrai ça – Je vais faire peut-être une vente de tableaux pour Bernheim – Peut-être pourrais-tu y contribuer – ça serait en juin – Tu sais que je marche vite – penses-y – Affectueusement.

 

Octave

 

[ref. 1908.49] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées), avec 2 reproductions photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et rue] Eaux-Bonnes, le 29 juin 1908.

 

Mon chéri,

 

Dure journée en Wagon-Hamman samedi dans le Paris-Bordeaux – Je suis arrivé en loque mouillée et fripée.

Hier matin à 7 h de Bordeaux à Pau, le temps rafraîchi par un orage était supportable mais je sentais tout ma fatigue de ces derniers temps et j’étais courbattu, vanné, éreinté – De Pau à Laruns le paysage merveilleux me fouetta la curiosité ; de Laruns aux Eaux-Bonnes je frétai en superbe landau attelé de 4 chevaux fringants en flèche, en compagnie d’un charmant Dr anglais de Pau : F. Léonard Brown, et j’arrivai à l’hôtel de France, où je m’installai avec peine où tout était retenu pour juillet.

Enfin, j’ai pris un petit logis, grande chambre, cabinet de toilette, entrée, placards, dégagement, 2 fenêtres sur le Parc, pension à 13 frs prix exceptionnel. La nourriture hier m’a semblé exquise et ce matin le café de même – Il y a électricité et le bon vieux confort d’autrefois.

Le vieux Dr Marcellin Cazeaux, auquel je fis visite avant de m’installer, m’a ausculté, trouvé un point râleux dans le poumon droit et prescrit un traitement de boisson, bain de pied à 42 et douche en palette – J’ai pris aussitôt un bain délassant, ¼ de verre, etc –

J’en ai pour mes 21 jours.

Il fait frais, le pays est calme, beau, reposant.

J’ai dormi comme une marmotte dans le calme absolu, le silence rigoureux, l’obscurité absolue.

Ce matin je me sens mieux, mais la fatigue me suivra quelques jours en réaction de la vie de surmenage physique du mois dernier.

Je t’embrasse, j’ai beaucoup de lettres à écrire, un article à faire et mon traitement – la 1ère poste part à 9 h du matin, c’est celle là que je choisis ce matin pour que tu aies mon mot demain avant d’aller chez Angélo.

Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.50] [carte postale – Eaux-Bonnes – Grand Hôtel de France – Octave Uzanne indique par une croix à l’encre ses fenêtres en façade de l’hôtel] Eaux-Bonnes 30 juin 08 – 8 h du matin.

 

Bien eu ton mot, hier vers 3 h ; je me sens déjà très reposé après des nuits délicieusement calmes et des sommeils d’enfants tels que je n’en eus depuis longtemps. Je crois à l’efficacité de ces eaux qui te seraient à cette heure plus salutaires que Vittel pour t’assurer contre les grippes qui te sont si fréquentes et pénibles –

Je vis jusqu’ici très solitaire et très heureux de ne connaître personne. Je ne parle qu’aux braves béarnais qui me servent – Je reverrai demain mon docteur – Tendresses.

 

Octave

[ref. 1908.51] [papier libre] Ce mercredi 1er juillet (1908).

 

Mon chéri,

 

Ça va parfaitement – je prends ma petite vie régulière et douce avec plaisir, traitement le matin et vers 5 heures, promenades, travail, repos, tout cela s’organise à souhait.

Le temps est agréable et sans chaleur. Hier même il y eut succession de 8 orages dans l’après midi, mais ça se passait la haut sur la montagne et en bas il n’y avait qu’un peu de pluie, aucune chaleur ni dépression physique –

Les eaux sont bonnes ; j’en verrai le résultat par la suite et pourrai en user à domicile.

Le pays est admirable, peu à peu je le pénétrerai ; le vieux Dr ne m’a pas conseillé la marche mais la promenade modérée.

L’hôtel se peuple, déjà 35 personnes, à mon arrivée il y en avait dix –

Je t’écrirai demain – aujourd’hui un bécot, j’ai un article et nombre de lettres.

 

Octave

 

[ref. 1908.52] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées), avec 2 reproductions photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et rue] Eaux-Bonnes, le 2 juillet 1908 – Jeudi.

 

Mon bon chéri,

 

Les journées passent vite, calmes, sereines, aucunement accablantes de chaleur et cependant pas fraîches. Il me semble que je suis déjà un vieil eau-bonnais – je suis mon traitement avec ponctualité ; je ne fréquente personne à l’hôtel, mais je connais quelques braves gens du pays – le pharmacien Cazaux, frère du Docteur, un certain Dr Batbedat qui a connu le monde et eu des aventures étranges, et de bons bourgeois sans conséquence – ajoute à cela une petite modiste gracieuse que je vais amuser dans son échoppe, près des bains, un cordonnier le père Broca dont les fils sont directeur du théâtre du Capitole à Toulouse et un autre principal du lycée de Calais ; moyennant une paire de bottines vernies – (on le dit remarquable chausseur) – nous sommes une paire d’amis – Il y a aussi les petits sculpteurs montagnards de la promenade horizontale, les conducteurs guides, la pâtissière, ces dames de la poste, les mendiants et le paralytique de la promenade de l’Impératrice avec qui je fais de bonnes causeries. Tout ce petit monde m’intéresse davantage que les snobs à autos de l’hôtel, les millionnaires d’Oloron ou de Pau qui posent, dieu sait comme ! – En vieillissant les humbles sont mes préférés ; je les trouve plein de sens, d’esprit même, en tout cas ils disent moins de sottises que les gens du monde.

Je verrai le Dr papa Cazaux après midi – Je suis merveilleusement reposé, mes nuits dans un silence de désert son favorisées d’un vrai sommeil profond de bébé.

Ce climat est sédatif – c’est remarquable comme repos – à l’hôtel la nourriture est délicieuse, saine, vraiment digne des délicats estomacs et gourmets –

Je me couche le soir à 8 ½, et, le matin, la brave Marie, une vieille béarnaise de 48 ans m’apporte à 7 ½ mon café, très bien fait, et fait la causette – excellente femme conne toutes celles de ce pays de Béarn où se trouvent les derniers bons domestiques courageux, dévoués et gais.

Je regrette de te savoir ainsi souffrant de l’estomac – Paris est une ville où il est si difficile de vivre en paix avec ses organes. Eté, comme hiver, on y souffre pitoyablement, car tout nous y blesse, nous y accable, le mauvais air, l’humidité, les senteurs, les poussières, les chaleurs anormales étouffantes, c’est miracle qu’on y résiste encore.

Si j’étais resté à Paris, me dit ma grosse bonne Paliotte (de Pau), j’y s’rais claqué ! Monsieur, ça c’est sûr ! Certes elle a raison ! –

Je m’applaudis d’aller vivre à St Cloud où je baignerai dans le silence, l’air vif, la quiétude, près ou loin de Paris, à ma convenance.

Je voudrais que tu puisses partir sans délai ce mois ci – Tu manges tes vacances au lieu de précipiter tes départs en concordance avec ceux d’Angélo – Tu dois songer à ta Pau (sic) avant de te sacrifier à des affaires dont, en somme, tu peux et dois très relativement, te contre fichtre (sic) – Si tu venais à disparaître, ça continuerait quand même, à peu près – il faut penser à soi, surtout à nos âges et ne pas se domestiquer trop étroitement à ceux dont dépend notre vie – Pars le plus tôt possible et reviens le plus tard que pourras.

Un séjour ici te ferait grand bien, mais tu as tes habitudes à Vittel où le climat est inférieur et la vie moins quiète –

Je t’embrasse tendrement – J’ai eu ta lettre ce matin à 10 h –

 

Octave

 

 

 

[ref. 1908.53] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées), avec 2 reproductions photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et rue] Eaux-Bonnes, le 4 juillet 1908.

 

Il fait un temps radieux, j’arrive des eaux chaudes tout seul en une petite carriole ; cette route le long de la gorge et du gave d’Ossau m’a rappelé, avec une vague précision, mes souvenirs de jeunesse – Le Pont du Diable surtout et aussi l’établissement des eaux chaudes et le petit village – Rien ne semble avoir changé –

Ici le vieux Lanusse est mort chargé d’années il y a 2 ans ; plus de vestes rouges ni de guides romantiques. La vie balnéraire commence du reste à peine – plus tard j’irai à Gabas et excursionner au loin, pour le moment la cascade du gros hêtre, la promenade horizontale suffisant à mon bonheur.

En te disant de venir ici, je n’avais pas la pensée égoïste de te faire venir pour moi et afin d’y rester quelques journées. Je pensais que les eaux te seraient plus salutaires que celles de Vittel, qu’elles te fortifieraient gorge, poumons et tout le corps et j’estimais que si tu étais venu vers le 14, j’aurais eu le temps de te mettre au courant, pas plus et de te laisser dans un milieu réparateur et moins torride que Vittel.

Les journées passent vite et je n’ai que le temps de me soigner, de travailler un peu et de me promener.

J’ai appris la mort de Glassier, notre camarade de Rollin, décédé à 56 ans aux frères St Jean de Dieu.

Je t’embrasse tendrement, mes bon souvenirs à Mariani.

 

Octave

 

[ref. 1908.54] [papier libre] Eaux Bonnes, Dimanche 5 juillet 08

 

Mon cher frérot,

 

Depuis hier matin dans le brouillard et la pluie, après un orage, là haut, dans la région des pics, cela donne un jour gris, une lumière de fond de cuvette et une humidité qui seraient affligeants à la longue. Il parait que c’est général – Tous ces étés fatigants, inconsistants, accablants de lourde chaleur et de froids subits me font regretter les hivers du littoral, si clairs, si soleillés, si glorieux de constante lumière –

Mon traitement consiste le matin à 10 h - ¼ de verre à boire, un gargarisme d’un verre, à 10 ½ autre ¼ verre, puis douche en palette, pulvérisée de 20 minutes, ce qui me mène à 11 ou 11 ¼ - libéré pour la matinée – à 5 et 5 ½ - 2 ¼ de verre, gargarisme et bain de pied à 42 deg. – 1 ou 2 grands bains par semaine, jusqu’ici c’est tout.

Je vais toujours bien – il est possible que je reste ici jusqu’au 21 et peut-être 22 courant, pour ne rentrer à Paris que le 24 ou 25 – Je ferai mon 1er transport mobilier à St Cloud le 29 et le 2e et dernier le 3 ou 4 août, mes bibliothèques y étant déjà installées –

Une quarantaine de personnages à l’hôtel, où je ne fréquente personne, tous ces riches bourgeois d’Oloron, de Pau, de Suisse ne me disent rien. Il y a un vieux richard le père Renouard, administrateur de toutes les banques de France, qui vient, à 70 ou 75 ans, y roucouler de vieilles amours avec la baronne Séguier, la femme d’un vieux préfet de l’Empire – Je me trouve très heureux et très bien de mon isolement – Parler, dire des politesses et des banalités est chose que je ne puis faire – c’est inutile et fatigant – or les relations d’hôtel 90 fois sur cent, ce n’est que ça –

Affectueuses tendresses,

 

Octave

 

[ref. 1908.55] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées), avec 2 reproductins photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et rue] Eaux-Bonnes, le mercredi 8 juillet 1908.

 

Le temps s’est amélioré, avec les nuages sont partis mes rancœurs contre la montagne ; mon docteur, qui est un bien brave homme, très rond, très érudit, très supérieur aux « sommités » et aux pontifs de la Faculté ; un vieux médicastre d’autrefois – minutieux, éveillé, chercheur, a modéré, tout simplement mon breuvage ; d’un verre par jour qui me faisait sursauter, je suis revenu à ¾ et le sommeil d’enfant fut de nouveau bienfaisant pour moi –

Ce pays est vraiment beau, grandiose et incomparable par ces fortes chaleurs – Jamais plus de 22 à 23. – mais les nuages sur les pics ont l’air de fumées sur des volcans, le ciel attique, pur, sans menaces est rare –

J’aurai somme toute, passé heureusement ces journées de lourdes chaleurs qui accablent les gens des plaines et je n’aurais trouvé nulle part, sauf en Norvège, près du Cap Nord, température plus agréable –

Mon temps passe paisible, je vis toujours solitaire à l’hôtel où je me loue de ne connaître personne – c’est l’art de faire ce que l’on veut – Je dine et déjeune seul à une petite table et vis en plein silence. J’apprécie beaucoup cela, dont tant de gens seraient malheureux jusqu’à en être malades d’ennui –

J’ai de longues correspondances et des travaux pour les heures de chambre – Dès que le beau temps sera établi solidement j’irai visiter les cols, les vallons et les petites cimes et découvrir les sites célèbres.

Je serai ici environ 24 jours, partirai le 21 ou 22 pour être à Paris le samedi 25 – Je m’arrange avec Maples Déménageur pour être à mon 2e convoi, installé le 5 août à St Cloud – Je ne pourrai ainsi aller à Auxerre – J’ai mieux à faire tu le comprends. Affectueusement.

 

Octave

 

Mes bons souvenirs à Mme Million –

 

[ref. 1908.56] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées), avec 2 reproductins photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et rue] Eaux-Bonnes, le 11 juillet 1908 – Samedi.

 

Mon chéri,

 

Il fait un temps merveilleux, ciel sans nuage, soleil éclatant et forte brise exquise, aucune sensation de chaleur opprimante.

Hier, je fus tout seul à Oloron, ville curieuse que je désirais connaître et visiter à fond – J’ai trouvé, à ces altitudes, plus basses de 3 à 350 mètres, une chaleur qui me fit regretter ma montagne où je suis rentré à 6 ½ pour boire et baigner. Il n’est rien de tel que les contrastes pour faire apprécier les favorables conditions de son existence – Ici c’est vraiment l’oasis –

Ma santé est parfaite – J’ai déjà quatorze jours de tirés – Je suis à peu près acclimaté.

Je ne me presserais certes pas de rentrer, n’était qu’il faut bien en finir, avec mes deux logis et donner le coup de collier final – le plus fort est fait – Il n’y a plus que la manœuvre à ordonner maintenant et peut-être des jours de pesante lourdeur d’atmosphère à supporter. Je n’ai plus beaucoup à payer de ma personne – Je ne t’écrirai plus qu’à ton Vittel Palace – la semaine prochaine – quand tu reviendras je terminerai à peine mon déménagement. Le dernier convoi partira de l’Alma le 5 août – J’aurai donc difficulté à te revoir à Paris, car je serai pris 8 à 10 jours d’affilée à mon installation, mais tu pourras toujours venir déjeuner ou diner dans mon fouillis – Je t’envoie mes affectueuses tendresses.

 

Octave

 

Tu me diras ce que tu auras fait pour ma carte de changement d’adresse ; si tu es trop pressé, envoie la moi, j’arrangerai cette litho et tirage aussitôt de retour.

 

[ref. 1908.57] [carte-lettre à l’adresse imprimée du 62 Bd de Versailles à St Cloud-Montretout (S & O)] Ce (vendredi) 31 juillet soir (1908).

 

Mon chéri – ce furent deux terribles journées que celles de mercredi (emballage) et hier jeudi 1er déménagement à St Cloud –

J’en suis affalé ce matin et las à fonds de nerfs. Ce que j’ai accumulé est fou – Malgré mes 4 voitures à l’hôtel, j’ai eu deux fourgons à 2 forts chevaux, hier – tout n’a été terminé qu’à 8 h ½ du soir à St Cloud – J’ai diné avec Louise au Terminus St Lazare à 9 ½ - Dans quel état de tenue et de lassitude ! –

Demain samedi je vais faire procéder au déballage des 50 caisses que j’ai fait mettre dans un appartement en face, inoccupé du Bd de Versailles – ce sera encore une dure journée, puis, mardi, 50 nouvelles caisses livres, bibelots, seront faites ici et mercredi dernier déménagement, si c’est possible – j’en doute, tant j’ai encore de choses malgré le salon vide, la salle à manger démeublée, le petit salon id(em) –

Mais la cuisine, la cave, les chambres, les bibelots, ça fera plus de 2 grands wagons, j’en ai peur – Enfin, je prépare tout pour subir l’assaut de ces pirates. Je ne crois guère te pouvoir embrasser à ton passage ici. – Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.58] [papier libre] St Cloud (jeudi) 6 août 08

 

 

Mon chéri,

 

Tout est terminé – Déménagement hier, 60 caisses déballées aujourd’hui – Je n’en suis pas mort et même pas trop démoli ; ma satisfaction d’avoir réalisé ce que je m’étais promis de faire et d’être en ce bon air réparateur me compense la fatigue – Il est 9 h du soir – Je suis levé depuis 5 h du matin – Je vais dormir avec ivresse dans ce calme avec le bruit lointain des trains et quelque ballon dirigeable au réveil dans mon immense horizon –

Je viens de faire une œuvre formidable pour mon âge – seul – je sais ce que j’ai remué de choses et travaillé de toute manière depuis fin avril.

Affectueusement – je ne sortirai guère avant lundi ou mardi – Dimanche je serai là et tout au turbin.

Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.59][papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe – utilisé à l’envers] St Cloud (jeudi) 13 août (1908).

 

Mon bon chéri,

 

Je pensais pouvoir te téléphoner de chez mon quincailler, en bas de chez moi, hier mercredi, mais la besogne ne me permit de sortir.

Comme je dors merveilleusement, je me repose assez confortablement pour poursuivre au bon air mon installation – D’ici quinzaine tout sera à peu près en ordre – ça avance déjà et ça prend belle figure – Je serai mieux qu’à l’Alma, plus à mon goût.

Je me sens à ravir dans ce nid haut perché avec une vue que les éclairages solaires métamorphoses à toute heure – La nuit c’est féérique – et j’apprécie ce silence, ces bruits si lointains, cette paix bienfaisante.

Je te souhaite bon voyage et bon temps. Tu me diras ce que tu fais – J’ai écrit à Jaros – J’irai déjeuner rue Scribe vers le 20 ou 22 courant –

Affectueusement. Bien portant malgré les fatigues, mais je reste dix et onze heures au lit – à bientôt.

 

Octave Uz. [signature incomplète]

[ref. 1908.60][carte-lettre à l’adresse de St Cloud] 15 août (1908).

 

Mon chéri,

 

Je continue à me porter à merveille, malgré un labeur continu de 7 à 7 chaque jour, mais, je m’alimente bien, l’air est vivifiant, il me semble que je suis sorti de l’enfer en quittant ce Paris où j’étais si mal à l’aise depuis des ans – Ici, je serai idéalement heureux et bien plus confortablement que je ne fus jusqu’ici parce que plus intime – Je m’y sens déjà on ne peut mieux – D’ici huitaine tout sera tout à fait en place et sauf détails, je serai installé – et très bien – ce logis est très meublable – quand tu viendras déjeuner tu verras ça en ordre. Certes, nous serons un peu plus éloignés qu’à l’Alma, mais encore, ce n’est pas un voyage – Dans mon désir de quitter la ville crevante et de mettre au point mon budget, je pouvais aller à Fontainebleau, à Rambouillet – St Cloud c’est encore Paris –

Tâche de prendre bon vent, bon air, au Crotoy, mes affectueux souvenirs à Mme Million que j’espère voir ici un jour avec toi dans mon ermitage installé – à bientôt – Ecris moi. Bons baisers.

 

Octave Uz. [signature incomplète]

 

[ref. 1908.61][papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe – utilisé à l’envers] St Cloud – mardi 18 août 08.

 

Très heureux de tes bonnes nouvelles du Crotoy, mon chéri, j’espère que tu en reviens tout à fait bien.

Moi, je suis allé faire des courses à l’Alma, au Louvre, etc, hier et jamais Paris ne me sembla plus sale, plus lamentable comme ciel, lumière, air, ambiance – etc – j’en revins accablé et, seul, l’air de mon aéroplane me rafistola – mon logis de l’Alma ne me parut point regrettable, ah ! non ! – quel escalier de cave, noir, quel air défectueux et le logis même, les pièces sur cour ! – J’aimerais mieux payer 4000 où je suis aujourd’hui que 1500 place de l’Alma – Alors à jeudi matin – prends à St Lazare le train de 11 h 10 direct ou celui de 11 h 22 également direct, mais 11 h 10 vaut mieux pour être à table à midi précis ou 11.40 –

Je ne sais si nous ne serons dérangés par quelqu’apport de bibliothèque ou autre, mais, je ne me gênerai avec toi – je suis toujours en plein coup de feu – je ne commençai guère à être tout à fait hors du fouillis que fin courant –

Mes tendresses.

 

Octave Uzanne

 

[ref. 1908.62][papier libre] ce 25 août 08.

 

Mon chéri,

 

Je reçois cette note du plombier de la rue Dauphine avec des prix de rachats que je ne veux pas envoyer tant ils sont inacceptables. Mon compteur est excellent, parfait ; il est inutile de le faire remettre à zéro ce qui est onéreux et inutile ; tu peux en user tel quel en faisant accepter par la Compagnie sa marque de consommation avant pose –

Je serais heureux qu’il soit chez toi, ce qui est encore chez moi – fais le prendre en faisant régler cette note faite au prix de demande et qui peut être réglée avec 20%, j’en suis sûr.

Le compteur ne te coûtera que cette dépense. Il me sera agréable que tu t’en serves et économise une location mensuelle excessive. Donc fais le prendre de ma part.

Mes tendresses.

 

Octave Uzanne

 

Je vais bien ce matin, après bain hier, coucher à 6 ½, diner de laitage au lit.

 

[ref. 1908.63][carte-lettre à l’adresse imprimée du 62 Bd de Versailles à St Cloud-Montretrout (S & O)]. Ce 2 septembre 08.

 

Mon bon chéri,

 

Je vais beaucoup mieux ; tout s’arrange et s’installe. Mes efforts touchent à leur terme et je commence à me sentir bien chez moi, dans un bain de vrai bonheur, jouissant de mon patelin, de la solitude, du calme ambiant, de ma vue exquise, du grand air et de l’indifférence que je puis avoir ici, en matière de mauvais temps.

Envoie moi le moins de monde possible, je t’en prie, les visites me rasent, n’étant encore installé, et en dehors des très intimes, je n’éprouve que fatigue à causer avec ceux qui se dérangent pour venir échanger des niaiseries, c’est la majorité.

Samedi, le Dr Laffont et son amie doivent venir me voir à l’heure du déjeuner, cela me force à te dire que je ne pourrai te recevoir ce matin là ! Mais, si tu veux venir le soir vers 5 ½ ou bien dimanche, nous pourrons causer de ton voyage.

Quant à Jaros qu’il m’avise à l’avance du jour où il viendra, car j’aurai des sorties fréquentes j’espère, dès la semaine prochaine dans la campagne, à Paris, etc – et je désire être fixé.

Affectueusement – A bientôt – je serai à l’église vers 8 ½ vendredi à St Cloud.

 

Octave

 

[ref. 1908.64][papier libre] Ce 5 septembre 08.

 

Alors, mon chéri, c’est entendu – Je t’attendrai demain, et si le temps est moins pisseux, nous pourrons aller faire un petit tour de Parc – après que je t’aurai documenté sur ton voyage –

Je suis reposé, débarrassé de mes crises nerveuses & stomacales, j’ai été tout à fait à bas il y a quelques jours – maintenant tout est fini – Sauf détails, je suis installé et je vais pouvoir travailler –

Toutefois je pars le 18 pour Liège – Cologne – Hanovre – Berlin, ce sera tôt venu – à demain et tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.65][Papier à en-tête du Carlton Frankfurt Hôtel – Allemagne] Frankfurt A. M., Ce mardi 29 septembre 1908.

 

Mon cher Joseph,

 

Je t’écris à Paris où tu dois revenir, je crois bien, cette semaine tout au début d’octobre – Je suis à Francfort depuis deux jours, au Carlton Hôtel, dans un Palais, dont je connais le manager qui était au Carlton de Londres –

Le Congrès est disloqué, parti à Wiesbaden où je ne vais ; j’ai eu toutes les peines du monde à éviter des compagnonnages, tous les français amis, voulant se coller à moi pour visiter Darmstadt, Heidelberg, etc – Heureusement me voici seul –

Ma santé est admirable, résistante, tout à fait bonne – Je vais aujourd’hui à Darmstadt visiter l’exposition – Demain j’irai coucher à Heidelberg, puis je verrai Wurzbourg, Karlsrhue, etc, pour revenir par Strasbourg samedi soir à St Cloud.

J’aurais bien pu prolonger, mais je préfère revenir ici au printemps, bien que le temps n’ait cessé d’être merveilleux, idéal et soleillé – L’Allemagne est devenue un pays ravissant, formidable, inouï, comparable à la seule Amérique – Les villes y sont toutes d’incroyables capitables faciles à vivre, propres à l’extrême et qui se développent chaque jour comme des cités des Etats Unis – C’est stupéfiant et grandiose.

Je te conterai tout cela bientôt – Tu me diras si tu peux venir à St Cloud dimanche –

Je ne sais rien de ton itinéraire de retour si bien que je n’ai pu t’envoyer lettres ni cartes postales – Je t’en ai toutefois lancé une de Weimar à Venise avant d’aller visiter le tombeau et les maisons de Goethe –

Je serai à Strasbourg vendredi mais il est probable que j’irai coucher à Nancy pour prendre le train du matin et être à Paris vers midi ½ à 1 h samedi.

Bien affectueuse accolade, mon chéri.

 

Octave

 

[ref. 1908.66][papier libre] St Cloud ce 5 octobre 1908.

 

Mon chéri,

 

Je suis rentré samedi à 2 h à St Cloud, selon mon programme, m’étant arrêté un jour à Heidelberg et une journée à Karlsruhe, je n’ai traversé Strasbourg que vendredi, de 10 h du matin à 3 h après midi, et y ai cueilli ta lettre à la grande poste, trop tard pour t’écrire à Milano – J’ai couché vendredi soir à Nancy – combien sale et relâchée et laide cette première ville de France au retour. Arrivé bien portant, je me sens un peu grippé, même assez fort pour n’aller aussitôt à Paris ; j’ai aussi beaucoup à faire chez moi – J’ai été si heureux de ne pas rester à Paris qui me parut si ignoble et si sale à mon passage, comme Nancy d’ailleurs – ce temps sans vent est nuisible, prends garde à la grippe – affectueux baisers.

 

Octave

 

[le verso de carte est imprimé à la marque du Savoy-Hotel à Berlin et contient le post scriptum suivant :]

 

PS. Je viens de recevoir ta lettre de « Milan » alors à bientôt – mais ma grippe semble tenace et fiévreuse, je ne sais quand j’en serai délivré.

C’est de la déveine, juste à mon retour, moi qui ai tant à faire, à sortir et qui me sentais si vaillant en Allemagne -

Ce temps est archi malsain – J’ai dû prendre cela en traversant Paris.

 

[ref. 1908.67][papier libre] Ce mercredi 7 octobre 08.

 

Mon chéri,

 

Je vais bien mieux et puis travailler et ranger mes affaires. Hier encore j’étais à vau l’eau – flasque, fiévreux, incapable.

Je te verrai avec joie quand tu pourras et voudras – tu peux venir déjeuner ou diner à la fortune du pot –

Louise est toujours bronchitée et à piètre mine – Je l’envoie chez le remplaçant de mon médecin, un jeune interne marié, à la veille de s’établir et qui a pris la place du Dr Aguinet pendant les vacances de celui-ci. A bientôt, soigne toi, ce sale temps est perfide surtout à Paris noyé dans un brouillard profond et qui est biffé de ma perspective – y compris la tour Eiffel … et cela en plein midi – Bien affectueusement.

 

Octave

 

Mon pauvre pays, au retour d’Allemagne, m’a semblé en ruines, dès la gare d’Avricourt, je sentais sa pourriture, son je m’en foutisme, sa saleté, sa débandade – Il n’y a rien à faire – ce que j’ai vu outre Rhin m’a retiré toute illusion sur la possibilité de nous relever jamais au niveau des allemands – L’Allemagne a fait des prodiges, c’est devenu un pays merveilleux, agréable, policé, confortable, propre à l’extrême où je me sentais tout à fait bien.

Hélas ! quel retour ! Dès Nancy je fus assommé par la comparaison !

 

[ref. 1908.68][Carte-lettre à l’adresse de St Cloud] St Cloud 25 octobre (1908) Jeudi.

 

Mon bon chéri,

 

La grippe me travaille encore, mais toutefois je vais mieux et j’espère que j’en aurai, quand ce sera terminé, pour tout mon hiver – ça me sera bien du.

J’espère te voir lorsqu’il te conviendra ici, car je ne sortirai guère avant la semaine prochaine.

Paris avec ses foules de faux chic, ses bousculades, ses poussières me répugne vraiment et je suis heureux de m’en être évadé – Je me trouve plus riche ici de ce que j’aime, salubrité, indépendance, quiétude que je ne le fus aux heures les plus prospères de ma vie. Donc à bientôt – Dimanche si tu veux et peux – Louise est encore très bronchitée et patraque mais toutefois un peu mieux.

Je vais sortir un peu avec ces derniers sourires solaires de l’année en ce septentrion avare de lumière. Affectueux baisers.

 

Octave

 

Ton supplément du Figaro est tout à fait bien très sincèrement.

 

[ref. 1908.69][papier libre] Mardi 27 octobre 08. (St Cloud).

 

Mon chéri,

 

J’ai eu ton envoi ce matin – Je dois faire mon article Dépèche, ce qui m’est bien difficile, car je n’ai pas un quart d’heure de vraie tranquillité, puis, demain, je reverrai ton article, ce sera tôt fait et je te l’enverrai.

La malade a un peu dormi, même assez bien, elle a relativement peu toussé, elle rend des crachats plutôt noirs, ce qui est bon signe et elle avait hier soir 38,4 de fièvre, ce matin 37 ½ seulement –

Je veux ne pas désespérer, sans trop espérer, car une nouvelle crise est encore possible, mais je ne prends plus rien au tragique même le dramatique, j’attends les évènements et suis prêt à m’y plier et soumettre avec tout le calme dont je pourrai disposer, ayant la conscience d’avoir agi comme je le devais et mieux que quiconque à ma place.

Quant à moi, naturellement, la réaction m’a conduit à l’insomnie – la nuit dernière ni Valérianate, ni Mélisse n’ont pu réduire mon impuissance à m’assoupir, j’ai donc pris du Bromédia pour obtenir 5 heures de sommeil. C’est toujours ça – mais la tête n’était pas excitée – une suite d’ébranlements nerveux seulement paralysaient le sommeil – Alors, si Faisans te fixe un jour une heure, tu me la diras pour que je sois sous les armes et que je prévienne le Dr Aguinet – Je tâcherai de sortir si le beau temps persiste aujourd’hui.

Mes tendresses.

 

Octave

 

Et ne t’inquiètes, je me suis bien repris et j’ai conscience de ce que je dois à ma santé et à ma perdurance –

 

[ref. 1908.70] Dimanche – Toussaint. [1er novembre 1908 – date écrite par Joseph Uzanne].

 

Mon cher Joseph,

 

Hélène te dira que Louise va beaucoup mieux – Je suis bien rentré hier, ma santé est bonne, mais je sens que je la dois soumettre à la seule vie qui me convienne moralement et physiquement, c'est-à-dire une vie de recueillement, de solitude, sans aucun des aléas que comportent les sorties, les fatigues mondaines, les plaisirs en commun et toutes les autres blagues sociales –

C’est pourquoi, cet hiver, je me déterminerai à vivre à St Raphaël et à répudier les hôtels, quoiqu’il puisse advenir de Louise en bien ou en mal –

Je voulais t’envoyer ce mot pour Hélène, mais, de Gourmont est venu avec Dumur et je n’ai pu t’écrire – cette visite m’a plutôt rasé, ayant fait tous les frais de la conversation – ces gens ne comprennent pas que j’ai quitté Paris, mais quand je vois, moi, ceux qui viennent de Paris et, que je subis l’ennui de ces échanges de mots sans utilité ou sincérité, combien je me félicite d’avoir lâché la ville où j’étais à leur portée constante et ou je gaspillais tant de temps à des entrevues sans portée.

Je n’ai pu, ces jours de fête, travailler pour toi – ton article, somme toute, est à refaire entièrement – tel qu’il est, il manque d’intérêt totalement pour le public et son but apparait trop ou trop mal, on ne sait à quoi il vise, s’il est une réclame du vin Mariani ou aux Albums, tout cela est vague, indéterminé – mal emmanché et présenté.

Je te demande de m’en déterminer l’intention réelle –

Sur quel point veux tu attirer l’attention du lecteur et faire appel direct ou déguisé à sa bourse – voilà ce qu’il faut préciser puisque c’est de la publicité – Pourquoi cet article, en un mot et quand doit il paraître – Est-ce à l’occasion du tome XII – dis moi tout cela – Demain je ferai mon article pour la Dépèche, et, quand je serai sur ce que ton article doit viser – je le ferai en entier car je ne puis remanier celui qui est trop mal venu –

Mes tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.71] [Papier libre] Mercredi 4 novembre 08.

 

Mon chéri,

 

Je n’aurais toujours pas pu déjeuner avec toi ; je suis resté chez Trepka jusqu’à midi ½, il m’a arraché 2 énormes molaires et des chicots avec douleur malgré les anesthésies locales – J’ai saigné comme un bœuf et je n’ai pas déjeuné car ma mâchoire était une loque rouge endolorie – J’ai fait quelques courses et suis rentré par le train de 2.25 me soigner. Je souffre encore vivement de mes 3 trous dans le bec.

Je retournerai demain jeudi chez Trepka 2 h ½ à 4 h ¼ environ – Toujours mieux chez moi.

Je t’embrasse bien tendrement.

 

Octave

 

[ref. 1908.72] [papier libre] ce lundi (9 novembre 08 – date ajoutée par Joseph Uzanne).

 

Mon cher Joseph,

 

Je ne t’ai pu parler hier de ton article laissé en plan durant mes rages dentaires. Je te le ferai dare dare aussitôt liquidées correspondances, articles, etc.

J’essaie de me dégager de mon engagement vis-à-vis de Marcelin Simon à St Raphaël – Je lui envoie une lettre recommandée ; la vie d’hôtel avec chambre au midi avec chauffage central – (Hôtel de la plage) me semble plus reposante et plus agréable dans ma solitude, sans obligations aucunes – Je ne prendrai le logis des Simon que si j’y suis contraint et pour éviter des discussions – J’ai réfléchi à tout, même au cas où Louise remise au mieux, me rejoindrait dans le midi, elle serait mieux assurément dans un hôtel modeste en février ou mars que chez moi où tout l’inciterait au travail –

Je te prie de n’oublier de me faire acheter pour 10 ou 12 frs de poudre de viande Favrot par la maison Mariani – Prière aussi de prendre date pour aller chez Faisans du 16 au 18 courant – car à dater du 18 ou 20 je serai en préparatifs de départ – le jour choisi et accepté par Faisans – (à 1 h après midi a-t-il dit, nous déjeunerons chez toi avant d’y aller –

Je suis pris cette semaine, un jour pour déjeuner avec Alphonsine et lui dire adieu, un autre P.P.C. à la môme Chevillard, puis samedi je déjeunerai chez Paul Margueritte.

Je t’embrasse tendrement.

 

Octave

 

[ref. 1908.73] [papier à en-tête de la Compagnie des Chemins de Fer P.L.M. – Hôtel Terminus et Buffet de la Gare de Lyon Perrache]. Ce jeudi – Lyon, Gare de Perrache, le 26 novembre 1908.

 

Mon bon chéri,

 

Mon calvaire est achevé de gravir – ce matin j’ai été reconnaître le beau frère de Louise à la gare – un parfait brave homme, franc, plutôt distingué et intelligent – J’ai pu me convaincre qu’il comprenait sa charge et que Louise serait, chez lui, au mieux, soignée par ses sœurs et très bien surveillée pour les menus soins de son état. J’ai emmené ce brave homme déjeuner dans une grande brasserie de la place Bellecour et suis revenu vite prendre Louise pour la rouler au train de Chambéry, l’installer avec son beau frère et lui faire des adieux précipités.

Ce fut bien un peu âpre et émotionnant pour moi car on s’attache encore plus par les soins que l’on donne que par ceux que l’on reçoit - mais il y avait un tiers heureusement et tout fut étouffé, mais non moins pénible et angoissant. Me voici enfin seul – Je t’écris du salon de lecture du Terminus ou j’attends une servante lyonnaise, veuve et, remarquable, m’a dit Sallès et qui ne viendra peut être pas au rendez-vous, mais je m’en fiche –

En tout cas, je me sens heureux d’être à bout de ma tâche et délivré du gros souci de cette malade, de sa toux, de tous les menus soins qui m’incombaient – J’ai fait plus qu’il n’était de mon devoir de maître et d’ami et je suis épuisé de forces morales, d’émotions et de dépenses matérielles un peu excessives pour le cas – enfin l’argent c’est secondaire. Je veux donc me reprendre tout entier et me refaire santé, morale, existence totale – crois bien que d’ici 48 heures, je serai déjà redevenu moi même.

Ce soir, je coucherai à Marseille et demain à St Raphaël où je ne ferai que passer pour y régler mes affaires, quitte à y revenir peu après – J’irai sans doute chez Emile, samedi au Cannet pour n’être point tout de suite isolé, pui, je chercherai dans les entours de Cannes. J’irai ensuite voir comment je pourrais m’arranger au Trayas, puis à Agay aux Roches Rouges, et je ne me déciderai qu’après mûres comparaisons et sans hâte –

Ma santé est bonne – Elle se sera davantage, sorti de cet enfer et surtout de ce lugubre cauchemar de St Cloud qui me hante encore – femme de ménage, sœur, médecin, toute cette affreuse période –

Enfin, tout est bien qui bien s’achève et, maintenant je me considère comme tout à fait irresponsable de Louise et de son avenir – Je lui écris encore pour lui donner conseils, mais, peu à peu les choses reprendront leur place et tout sera pour le mieux –

Je ne sais qu’augurer de Louise, mais je ne veux m’inquiéter de ce qui peut advenir.

Merci de ta lettre de ce matin – Affectueux baisers et à bientôt.

Mille tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.74] [Papier à en-tête du Terminus Hôtel et des Négociants Duranton à St Raphaël] Vendredi 27 novembre 08.

 

Mon chéri,

 

J’ai eu ta dépêche au Terminus Marseille à minuit ½ c’est te dire qu’elle m’éveilla dans mon premier sommeil – Je suis parti ce matin à 7 h 05 et j’étais à St Raphaël à 10 h ½ environ – Je suis descendu au Terminus indécis si je prendrais ce soir ou demain le train pour Cannes – Puis St Raphaël, son soleil, son indolence m’ont séduit de nouveau – J’ai visité des maisons, des logis, revu Simon et reconcilié avec lui sans relouer mon logis toujours à louer, j’ai été voir Titine paradère (sic), tous les hôtels de St Raphaël, en un mot, je suis fixé sur ce que je pourrai faire ici et je crois que, le mieux, ce sera le Beau Rivage où je serai à merveille pour 12 f avec une chambre et 15 avec deux.

J’avais, à la poste, un chargement de portefaix. Lettres, livres et journaux, je dépouille tout cela – naturellement ton mot m’est arrivé à 3 h après midi –

Emile m’écrit la lettre ci-jointe – J’irai demain à Cannes et je monterai avec lui au Cannet et une seule malle, en voiture donc, je resterai 2 ou 3 jours avec lui afin de voir les alentours et ce que j’y pourrais faire, mais je crois bien que je reviendrai ici au Beau Rivage – Je ne ferai suivre mes lettres et journaux que jusqu’à mardi –

Toute ma mésaventure s’évanouit, peu à peu – ici, naturellement, on me demande nouvelles de La Pauvre Louise, dont je n’ai encore aucune nouvelles. – J’espère toutefois qu’elle est bien dans sa famille – ici le soleil merveilleux chaud, l’air sec, l’ivresse ambiante l’auraient peut-être guérie assez vite, mais aussi peut être anémiée, qui peut savoir !

En tous cas, je vois la nécessité de ma reprise et de m’occuper de moi et de ma santé – J’ai déjà vu tout St Raphaël et j’y ai été accueilli à merveille – ce midi est bien prenant.

Je t’écrirai du Cannet – Je t’embrasse bien tendrement.

 

Octave

 

[ref. 1908.75][papier à en-tête de Les Pins, Le Cannet (A-M)] Ce dimanche 29 novembre 08.

 

Mon chéri,

Je suis arrivé hier chez notre cher Emile pour l’heure du déjeuner et me suis installé déjà dans le but d’établir aux Pins mon quartier général et d’aller et venir, au cours de l’hiver, dans les petits hôtels du littoral estérélien et d’y résider avec diverses valises, pourvues de ce qui me sera strictement nécessaire comme vêtements et papiers et livres pour le travail, durant ces diverses périodes.

J’irai sans doute passer une ou deux semaines à Beau Rivage (St Raphaël) après le départ d’Emile, puis je reviendrai, j’irai gîter à Anthéor, au Trayas, à Agay, etc – toujours avec retour aux Pins pour m’y pourvoir du nécessaire et y séjourner plus ou moins – Lors de ton séjour à Valescure j’irai m’installer près de toi – J’ai eu d’excellentes nouvelles de ma pauvre Louise qui est arrivée dans sa famille en bon état, et me déclare se sentir tout à fait mieux, heureuse d’être entourée de l’affection des siens – peut-être va-t-elle vivement regrimper ver la pleine santé, en grande chèvre maigre et solide qu’elle est – Je le souhaite – mais, en tout cas, je me sens sorti d’une effroyable impasse et suis heureux d’être seul, de me retrouver et de sentir tout mon indépendance reconquise.

Je t’écrirai mieux ces jours prochains, quand je serai installé et que j’aurai ici tous mes colis Raphaëlois et ma petite vitesse dont tu m’envoyes le bulletin – merci.

Le temps soleillé est toujours exquis ici. Hier, le ciel s’était voilé, mais ce matin il est clair et lumineux.

Emile ne sait encore le jour de son départ, il sera fixé mercredi, après la nouvelle pièce de l’Ambigu qui doit passer mardi. Je t’envoie toutes mes tendresses et encore mes merci de tes fraternels secours et gentillesses dans mon récent passage à tabac par le destin –

 

Ton Octave

 

Mariani peut m’envoyer ici son pot [mots illisibles].

 

Voici la lettre d’Emile Rochard citée plus haut : [à transcrire]

 

[ref. 1908.76] [papier libre] Les Pins – 1er décembre 08.

 

Mon chéri,

 

Je commence à m’installer ici – La maison est tout à fait inconfortable au point de vue lumière du soir, calorique, intimité, bien être délicat, mais je tâcherai d’y remédier de mon mieux, peu à peu, surtout lorsque l’ami ne sera plus là et que je pourrai diriger toutes choses à ma guise et vivre en silence et repos.

Pour le moment, il m’était nécessaire d’avoir une demeure pour caser l’excédant de mes bagages, livres, papiers, vêtements, etc, un endroit où je puisse venir m’approvisionner puis repartir – Ici, à la rigueur, Emile n’y étant plus, je pourrais être paisible et indépendant – lui présent, c’est dur et très barbant souvent, mais si, à la fin de cette semaine, il ne partait point à Paris, je ferais une valise et je filerais loger à Beau Rivage à St Raphaël pour un long temps. J’irai de toute façon passer 15 jours ou 3 semaines ce mois ci et aussi aux Rochers Rouges à Agay, à l’Estérel au Trayas, etc. – J’ai écrit aux Bertnay –

Je crois que, malgré les inconvénients que je pourrai peut-être aplanir en exigeant ma quiétude chez moi, dans ma chambre et ne me laissant pas raser par ce brave ami, ma combinaison est excellente car elle me permettra d’être partout heureux à l’hôtel et d’en quitter à ma fantaisie, sachant où retrouver semblant de home. Je préfère – Oh ! de Combien ! – St Raphaël au Cannet. Moi qui n’aime pas revenir je suis revenu avec joie à St Raphaël et y ai retrouvé mes habitudes avec agrément. C’est bien le coin pour moi – et si commode – Je pense que Louise va toujours mieux.

Je ne puis demander de ses nouvelles trop fréquentes ni la fatiguer à écrire. J’ai bon espoir pour elle, s’il n’y a pas d’imprudences. Sa lettre de ce matin dissipe toute inquiétude. Quant à moi, ma santé est bonne, mon moral excellent et je pense bien me maintenir ainsi tout l’hiver – Quant à mes ennuis, je les au oubliés, effacés, je ne pense plus à ces jours sombres, le bon soleil a tout égayé, éclairé en moi. C’est si doux ce midi !

Je t’envoie mes affectueuses tendresses – Je t’écrirai bientôt – aujourd’hui c’est jour d’article et j’ai déjà dépensé un temps précieux en correspondance - à bientôt – soigne toi et ne fait pas plus que tes forces. Il ne faut te surmener.

 

Octave

 

[ref. 1908.77] [papier libre] Les Pins – Ce 3 décembre 08.

 

Mon bon chéri – le grand soleil m’a pris à la gorge et je suis un peu grippé. Hier, je suis resté à la chambre, descendant pour les repas et me refusant aux inconscientes invites à sortir, d’Emile, qui ignore ce que c’est que d’être malade, de se recueillir, de se soigner. – Rien n’est difficile comme de demeurer seul avec ce vieux brave garçon, affreusement personnel, aucunement altruiste et compréhensif, qui vient fumer chez moi sans se douter qu’il me gêne et m’irrite les bronches, et qui bavarde toujours de lui, qui m’assomme de ses œuvres, de ses projets de modifier son logis, de ses lectures poétiques … et quelles poésies !!! et de ses naïvetés phénoménales, de ses crédulités de gosse – Il ignore tout de la vie, des livres, des gens et des choses – Je ne regrette toutefois point de m’être logé ici, avec toutes mes réserves de chez Simon – Je mettrai Emile peu à peu au pas, inéxorablement et je l’habituerai à respecter mes heures de solitude, de travail, de retraite – Il doit partir d’ailleurs la semaine prochaine pour un mois – Il restera bien semaines à Paris, sinon davantage, car ses affaires sont comme la bouteille à l’encre, peu transparentes ; il est aux mains des pires canailles, à mon avis –

Je quitterai les Pins le lendemain de son départ, ou même avant lui s’il ne part pas lundi ou mardi prochain et j’irai pour dix ou quinze jours vivre à l’hôtel Beau Rivage à St Raphaël où je crois, je serai fort bien, mieux même qu’ici au point de vue de la température intérieure, de la luminosité électrique, etc.

Je reviendrai m’installer aux Pins avant la Noël et alors, seul, j’y serai tout à fait bien, car je manierai aisément Henri et Thérèse qui sont tout à ma dévotion – Ce pauvre Emile plus que tout me gâte ici la vie – lui parti, je remédierai à l’inconfortable prodigieux de sa maison théâtrale si peu habitable –

J’espère que tu vas bien, que tu te soignes et te ménages – Prends bien garde aux grippes et aux travaux prolongés – Les nouvelles de Louise me semblent fort bonnes –

 

Bien affectueux baisers, mon chéri, de ton Octave

 

[ref. 1908.78] [papier libre] Les Pins – Ce 4 décembre 08.

 

J’ai eu ton mot ce matin – J’espère que ta coupure au pouce n’aura été qu’une alerte et que tu vas déjà mieux.

Ici, le temps est toujours soleillé, ardent, mais j’en jouis infiniment moins voluptueusement qu’à St Raphaël, où le voisinage de la mer, l’horizon, l’air même, tout me convenait meixu et me charmait davantage –

Je n’aime décidément pas le Cannet, où le paysage des oliviers, ni la vue de Cannes, ni le Trianon de notre ami que sa présence commence à me rendre insupportable. Je pense pense qu’il filera lundi sur Paris, en tout cas, moi je ne manquerai pas d’aller dès mardi prochain m’installer à l’hôtel Beau Rivage à St Raphaël, où je retrouverai mes 2 colis de petite vitesse et ma douce vie solitaire.

Ce soleil du Cannet qui n’a pas de brise de mer, m’a grippé à fond, et, depuis deux jours, je me soigne, ça va déjà mieux, mais la présence de ce pauvre demi-gâteux dont je ne partage ni les idées, ni l’égoïsme absolu et vaniteux, ni l’incompréhension de tout ce qui est d’être aimé, et qui toujours chantant à faux, gueulant plutôt son ennui, faisant craquer ses doigts, etc, vient me raser dans ma chambre et ne peut vivre seul, cette présence, ses causeries déjà données, ses projets fous de nouvelles transformations chez lui, ses lectures poétiques, son éternelle préoccupation exclusive de lui, de ses œuvres, de sa maison, son jobardisme, etc, tout cela m’horripile à crier, et je crois que je ne me trouverai à mon aise ici que lorsqu’il en sera parti et bien parti. Je plains jusqu’à ses domestiques.

Lorsqu’il sera séans, je ne restérai jamais plus de 3 ou 4 jours, ce sera un maximum, je viendrai prendre ce qui m’est nécessaire pour fuir vivement ailleurs. Je te l’assure.

Note bien que je ne regrette pas ma décision – J’avais besoin d’un coin où me débarrasser de ce qui m’aurait encombré à l’hôtel, je l’ai fourré ici pour gagner mon indépendance. C’est fort bien. Si ce malheureux Emile se laisse rouler, comme il est probable, durant des mois ou des semaines à Paris, comme un niais qu’il est, par la Direction de l’Ambigu, par Elzéar, par les femmes, etc, il ne reviendra guère qu’en février et ce sera autant de gagné pour ma quiétude quand je viendrai prendre pied à terre ici – Entre 2 hôtels. Dans le cas contraire je le distancerai et le plaquerai – c’est toujours le même pauvre garçon tout orgueil, aveugle sur tout ce qui n’est pas lui, incapable de s’intéresser à autrui, d’aimer ses amis pour eux-mêmes sinon pour les raser seulement avec ses imbéciles folies et ses élucubrations dépourvues de toute valeur littéraire – alors zut ! je me rebiffe – je me soulage. J’ai à travailler, à penser, à écrire – avec ce rasoir ébréché, impossible – donc, je filerai, qu’il parte ou non, mardi matin sans doute pour St Raphaël – où toutes mes correspondances continuent à être centralisées et où je retrouverai la vie que j’aime, solitaire, libre.

Si je te demande des petites fioles Mariani, ce sera lorsque je serai à St Raphaël installé, je t’écrirai ça – merci, en tout cas, de la proposition et de tes gentillesses.

Je ne crois pas que le Cannet soit sain pour moi et je déteste le Trianon qui est plutôt un Casino, une mairie, qu’une maison privée confortable – Si je ne m’y soignais dans ma chambre, j’y gèlerais, encore, ne puis-je obtenir que le calorifère le soir – le feu dans la cheminée semble consterner patron et larbin et il n’y a pas de bois – Je me chauffe avec mes journaux – c’est la barraque la plus bête, la plus invraisemblable qui soit – Enfin, j’y dors bien, j’y mange à peu près à mon goût – c’est déjà ça et toute ma pacotille de chez Simon y est casée – Dès que j’aurai repris mon vol vers les hôtels, je ne reviendrai guère que pour m’approvisionner et refiler – à moins que ce maboule d’Emile ne reste en panne à Paris – ce que j’espère – Le pauvre diable est bien emphysémateux, congestionné, épaissi, alourdi – Je ne crois pas qu’il atteigne une vieillesse persistante – Je le trouve très menacé – Et dire que ce crétin laissera tout son bien aux hôtes de Valrose qui guettent son trépas et le dépouillent déjà vivant – voir cela est déjà enrageant – mais qu’y faire ?

Affectueux baisers de ton

 

Octave

 

[ref. 1908.79] [papier à en-tête Les Pins, Le Cannet] Ce dimanche 6 décembre 08.

 

Mon chéri,

 

Merci de ta lettre reçue hier soir aux heures tardives où parviennent les courriers au Cannet.

Ma grippe évolue lentement – Tout la maison est pincée, plus ou moins, y compris Emile – ça se conçoit, avec ces pièces monumentales, ces ouvertures démesurées, cet escalier en tirant d’air, le logis de notre ami est particulièrement glacial ; il n’y a que deux cheminées qui marchent dans sa chambre et la mienne. Rien ailleurs, et impossible de faire allumer la mienne – Il n’y a pas de bois à la maison et on fait sourde oreille quand je prie d’en faire venir – cheminées décoratives. Alors la ressource, l’unique ressource est dans cet ignoble calorifère qui congestionne et ne dégage qu’une chaleur malsaine – Donc ma chambre seule est chauffée, la salle de billard, les galeries d’en bas sont froides, les transitions dangereuses. Et ce gros volcan congestif qu’est notre ami ne peut tolérer qu’une température archi fraîche pour moi – autrement il râle –

Enfin, je me rattraperai à l’hôtel, sur le confortable, j’en fais espoir et je serai n’importe où mieux qu’ici, avec un chauffage central – Si je ne trouve pas à Beau Rivage j’irai aux Roches Rouges, etc, je découvrirai mon nid sois en sûr –

Je ne reviendrai guère aux Pins que passagèrement surtout lorsque l’ami n’y sera plus et pour y chercher ce dont j’aurai besoin –

Emile part lundi pour Paris ; je ne pense pas qu’il aille te voir avant 8 à 10 jours au plus tôt et il te sera facile de le voir chez Mariani en lui écrivant à l’Hôtel Moderne où il sera lundi soir, demain.

Le mardi matin, je filerai sur St Raphaël Beau Rivage et je tâcherai de bien m’y installer afin d’y demeurer le plus de temps possible, si je m’y trouve tout à fait à ma guise et bien protégé –

Je serai enfin le roi chez moi, le matin, au lieu d’être obligé à 7 ½, comme ici, d’aller dans la salle de bain d’Emile chercher le petit déjeuner – Il est impossible de l’avoir chez soi, et, d’ailleurs pas de table de nuit commode, des consoles imbéciles – impossible de se dorlotter au lit – tout est décor –

Donc, mon chéri, ne t’inquiète – ma grippe n’est pas féroce, mais le Cannet n’est pas sain et je retrournerai avec joie à St Raphaël d’où je t’écrirai mardi ou mercredi, heureux d’y avoir tout sous la main, postes, fournisseurs, gare, voitures, etc, au lieu d’être isolé comme on l’est ici de toutes transactions directes –

J’ai écrit aux Bertnay – J’irai les voir quand je serai bien installé, mais sans hâte et avec prudence –

Soigne toi bien avec le brouillard et le froid – Tu as encore près de six semaines avant de venir dans le midi, tâche de ne pas t’enrhumer ni d’être malade auparavant. Ce serait pitoyable.

Affectueuses caresses et à bientôt.

Je pense que Louise va toujours mieux. J’attends lettre d’elle et de son beau frère qui m’a promis de me renseigner avec sincérité et exactitude sur son état. Comme me l’écrit Aguinet il faut attendre plusieurs mois avant de se prononcer –

Adresse désormais tes lettres

à St Raphaël (Var)

sans autre mention

je m’arrangerai à la poste

J’y serai après demain mardi – à midi.

 

 

[ref. 1908.80] [carte-lettre à l’adresse de Saint Raphaël (Var) – 35, Bd Félix Martin (rayé)] Lundi 7 décembre 08 – après midi.

 

Mon chéri,

 

Emile parti ce matin par le côte d’azur rapide. Je suis aux anges et presque reconcilié avec les Pins depuis que son encombrant, bruyant, excessive personnalité n’est plus bourdonnant dans la maison et ne me tracasse plus –

Je serai demain Hôtel Beau Rivage à Raphaël, et te dirai comment je m’y trouve et si j’y demeure –

Ma grippe se dissipe – Elle fut assez profonde et conséquente à mes tracas de Paris – St Cloud – Je te remercie de me donner des nouvelles de Louise, je n’en ai pas eu depuis huitaine.

J’ai reçu une lettre du rédacteur en chef de Comoedia me demandant sans conditions, des articles passagèrement – cela sans explication. J’ai répondu que je ne travaillais qu’avec un nombre d’articles à périodicité déterminée – Je proposais des programmes séduisants – Depuis lors, aucun mot, la seule question : combien payez-vous ? fait fuir ces gens là –

Je t’écrirai dès qu’installé à St Raphaël pour Henry Simond – Quant à Durel j’attends son mot.

Je prends toutes précautions, rassure-toi et je ne commets aucune imprudence sois en sûr.

Un affectueux baiser ; bien heureux de me sentir délivré de notre rasoir d’ami qui, lorsqu’il ne parle pas de lui, de ses femmes, de ses prétentions à être aimé, de sa propriété, de ses œuvres ( !!) est incapable de soutenir une conversation ou de s’intéresser à quoi que ce soit qui ne se rapporte à lui – L’affaire Steinheil ne l’intéresse que parce qu’il dit gâteusement : je donnerai bien 25 louis pour me payer cette femme là ! – Pauvre vieux !!!

A bientôt – de St Raphaël – Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.81] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] St Raphaël 8 décembre 08 – mardi soir.

 

Mon chéri,

 

Rentré ce matin à St Raphaël que j’ai retrouvé avec plaisir – admirablement installé à Beau Rivage, au 3e, en plein midi, avec vaste fênêtre à balcon.

J’ai fait arranger la chambre à ma guise. J’ai demandé table, bureau, bibliothèque et je serai mieux certes que dans ce Cannet où je me sens mal et trop aisément grippé –

La nourriture, ici, me semble supérieure – Je paie 13 f par jour. Je crois que je serai très bien – Le simple changement d’air achèvera de me dégripper – Maintenant je suis vacciné pour tout l’hiver je l’espère – Mais le Cannet m’est hostile et la maison de ce pauvre Emile est mortelle et imbécilement distribuée – Lorsque j’irai seul, ça ira encore, mais avec lui, zut ! – Ce demi-gâteux inconscient, et congestionné par l’égoïsme et la vanité, n’est pas fait pour recevoir – aussi, en dehors de nous, n’a-t-il aucun ami –

Je viens d’écrire à Durel qui ne m’écrivit pas. Je tâche de rattraper cette affaire – Je t’enverrai une lettre jeudi pour Henry Simond. Affectueusement à toi et baiser. – Cet alcoolique de Paul Sequier m’affirmait tout à l’heure que Mariani arrivait ce soir pour 3 jours.

 

[ref. 1908.82] [carte postale – St Raphaël, le Port et la nouvelle Eglise] Jeudi 10 décembre 08.

 

Mon chéri – Je reçois ton mot de mercredi – Je t’écrirai demain. Je vais bien – Je suis heureux et reposé par mon heureuse solitude et ma vie paisible loin de l’ami rasoir –

Après dix jours de soleil glorieux, je subis une petite éclipse, mais si faible ! le temps est doux, le ciel à peine gris –

Mille affectueux baisers

 

Octave

 

[ref. 1908.83] [papier à en-tête du 35 Bd Félix Martin (rayé) Saint Raphaël (Var)] Vendredi le 11 décembre 1908.

 

Mon chéri,

 

Depuis que ma vie est archi-solitaire, que je vis seul dans ma chambre, au restaurant, et en promenade, la sérénité m’est revenue, et je songe aux journées des Pins et aux allocutions satisfaites, aux coups de gueule vaniteux, aux rires et gestes excessifs de ce pauvre imbécile qui est notre ami, comme à un cauchemar réel –

Je me trouve à l’hôtel, paisible avec un confort suffisant, une nourriture vraiment excellente et le peu de monde que j’aime, nous sommes 13, à cette heure qui dinons par petites tables, sans bruit, face à la mer et je suis seul à mon étage au 3e, avec ascenseur, c'est-à-dire tout à fait tranquille.

Je n’ai vu que peu de monde à St Raphaël, mais juste assez pour causer. J’ai rencontré la jeune dame Rouveyre, (son mari encore à Paris -) je pense l’aller voir – Jean Aicard qui doit rester ici 3 semaines, dans une bicoque où il vit avec sa sœur, et qui me rasa ferme avec son élection possible (?) à l’Académie … et puis les fournisseurs, tout le petit monde que j’aime à faire causer au passage – ça me suffit – Giraud le quincailler, qui fait le chauffage central chez Mariani avait affirmé qu’Angélo allait venir mardi dernier pour visiter ses installations nouvelles. Cela avait ému ce poivrot de voiturier Paul Sequier qui m’avait arrêté consterné pour s’informer de ce qui en était et qui croyait plutôt Giraud que moi –

La Creusette m’a dit, ce matin, que les Amherst ne viendraient qu’en janvier – le pauvre vieux Lord vient encore de perdre 25 à 30 millions – Sa bibliothèque mise en vente à Londres cette semaine a produit environ 1,750 000 francs. Mais ce malheureux bonhomme est très atteint dans sa fortune ; il a vendu son château en Angleterre, sa maison de Londres et tous ses biens, sauf ceux de Valescure, sont hypothéqués –

La Creusette m’a dit aussi que ton confrère et rival sergent, ton ami, avait et remercié par Lord Rendel – Il aurait eu toutes sortes d’histoires désagréables cet hiver ici – St Raphaël –

Tous ces potins à seule fin que tu les répètes à Mariani, à l’occasion pour l’amuser.

J’apprends que Louise est infiniment mieux ; son beau frère m’écrit qu’elle n’est plus reconnaissable depuis qu’il l’a prise à Lyon, et, dans ses lettres, elle me parait tout à fait remontée – J’ai écrit à son médecin de Chambéry, dont j’attends la réponse – c’est un Dr Schalle, jeune et savant, je lui demande son diagnostic et son pronostic.

Tout ce cauchemar de St Cloud me parait si loin maintenant, si loin – et je n’y puis penser sans angoisses. Il était temps que ça finisse. J’oublie toujours de te prier de présenter à Mme Million mes affectueux souvenirs et amitiés sincères – Comment va-t-elle ? Sa fille est-elle entrée en pension ? J’aurai plaisir à recevoir de ses bonnes nouvelles, car je plains ceux qui sont attachés au sol parisien en cette saison âpre et redoute leurs bobos.

En vieillissant, le décor vert et bleu, le soleil, la tiédeur, la sécheresse me sont indispensables. Je me réfrigère si vite que je claquerais sûrement en un climat frais & humide. Je trouve que ce soleil, ici, est supérieur à ceux de l’été dans le nord ; on s’engrise, il n’est point lourd & orageux, il baigne, il dore, il exalte sans blesser – c’est divin. Je m’y sens en paresse de vivre – J’ai beaucoup à travailler : des articles, des préfaces, tout un livre sur d’Aurevilly pour le Mercure de France que je voudrais écrire et faire paraître en mai – Mais j’aime ces besognes et je ne m’en plains pas.

Dupré, le voisin de Rochard, a vendu sa maison à ce qu’il m’écrit – c’est le commencement de l’abandon du Cannet par ceux qui y firent venir le malheureux crétin des Pins – L’hiver prochain il sera seul ; Jeanne sous louera Valrose pour aller à Cannes et Emile se laissera encore davantage conduire comme un vieux gaga par ses domestiques qui le traitent déjà comme un ramolli qui serait privé de toutes conscience de ses actes –

Ceci est à la lettre – ce sont eux les maîtres – lui c’est le mioche abruti qui rit et qu’on tarabuste –

J’ai écrit aux Bertnay que j’irai déjeuner dimanche ou lundi, à leur choix, à Anthéor, j’irai par le chemin de fer et visiterai les Roches Rouges où je pense aller gîter quelque jour.

J’ai aussi écrit au pauvre père Ducreux à Cannes, pour savoir s’il est là – Peut être n’était il plus transportable – s’il y est, j’irai déjeuner d’ici quinzaine environ.

Je t’envoie la lettre ci-jointe pour Henry Simond qui verbalement te donnera réponse – ne pas insister – si ça colle, ça va bien, sinon zut ! Je m’en moque j’ai suffisamment de travail – Tu iras le voir à ta guise la semaine prochaine – de 3 h à 4 est la bonne heure.

Affectueuses tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.84] [papier à en-tête de l’hôtel Beau Rivage à St Raphaël] Lundi 14 décembre 08.

 

Mon chéri ; je t’ai écrit presque tous les jours ; je crains que nos postes déplorables n’aient égaré quelques missives – c’est possible.

La journée hier fut superbe. Je visitai les Roches Rouges, à la veille de faillite, puis à pied d’Agay à Anthéor où je m’attardai à l’hôtel – (ignoble et sale) – Beau Rivage à Raphaël est bien à ma convenance. Le déjeuner chez les Bertnay agréable, avec Maurice Donnay, sa femme et Claude Terrasse et le père Lumière toujours personnel, mais bien fatigué et démoli ; il voulait me louer sa bicoque n’importe à quel prix – mais, j’aime plus que jamais les centres, les facilités de communication et Anthéor, c’est l’exil de tout et de tous.

Revenu à pied à Agay, avec Donnay et Terrasse, rencontré l’éternel Marsi sur la route – (il est à Cannes) séjourné à l’hotel d’Agay et reparti par le train de 5 h 25 – ce sont journées fatigantes et je me sens toujours affreusement fragile des bronches et enrhumable pour un rien – Donc vie paisible et solitaire me conviennent au moral et physique – Dimanche prochain je dinerai chez les Donnay à Agay avec Lucien Descaves.

Tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.85] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] Mardi 15 décembre 08.

 

Mon chéri, merci de ta lettre – aujourd’hui ciel gris, mais temps doux, aucune sensation hivernale et je me sens, comme toujours, idéalement heureux à l’hôtel, délivré de tout souci, bien servi, pas dérangé, chauffé sans tracas de feu à faire – Bref si bien, si ravi dans ma solitude, que je me demande pourquoi je n’y vivrais pas, comme ce fut toujours mon rêve huit mois par an pour le moins –

Tu as du voir Henry Simond, pauvre petit être superficiel, sans consistance ou décision, il t’a donné quelques paroles aimables, mais rien de ferme, de net, de précis – je déteste cet esprit des directeurs de journaux parisiens, qui sont ou des fripouilles, ou des gens qui ne savent pas ce qu’ils veulent si ce n’est de ne pas s’engager.

Rochard, oui, tu le crois bon, généreux, affectueux, c’est de la surface. Sa personnalité l’aveugle sur tout ce qui n’est pas lui ; sa propriété, ses œuvres. Il m’horripile, son cerveau s’est arrêté à 1876 et, depuis cette date il ignore tout de la vie, des gens, des hommes qui se sont produit … tout absolument tout. Il appartient aux flatteurs, à eux seuls et ne s’intéresse aucunement aux autres. Ses yeux et ses oreilles sont fermées à tout ce qui ne se rapporte pas à lui – Jamais il ne s’informe ni de ta situation matérielle ni de mes ressources, ni de ce que je pensais faire ou écrire – son intelligence est noyée, submergée dans un océan d’égoïsme – en définitive c’est un pauvre être qui marche au gâtisme. Mes projets consistent à aller aux Pins, de la Noël au début de janvier, puis à revenir m’installer ici pour janvier et partie de février afin d’y écrire mon livre sur d’Aurevilly, des articles pour le Mercure, etc. Vers la fin de février, si je suis satisfait de mon travail, j’irai en Italie à petites journées et séjournerai à Rome 2 ou 3 semaines – Je rentrerais alors vers le 12 ou 15 avril, pour faire le salon et me réinstaller à St Cloud ou à l’hôtel à Paris provisoirement. Je ne me hâterai pas de faire revenir Louise – Son médecin ne m’a pas encore écrit – J’ai demandé à Durel 200 f pour la préface de son catalogue, si son client n’accepte, je ne ferai rien – aujourd’hui, grâce à mon activité pour mettre ma vie au point matériel voulu, en réduisant mes dépenses locatives, etc, je puis vivre aisément, même en voyageant, avec 8 à 9000 francs par an. Je ne veux donc travailler qu’en raison d’un bon gain, ne pas forcer ma production et dédaigner tout ce qui m’apporterait fatigue, heures passées à la chambre, pour un maigre profit – à Comoedia on ne m’a plus écrit – Ils paient 20 à 25 f l’article et ne veulent pas écrire de pareilles conditions – ça se conçoit –

En janvier, viendront peut être ici Paul Margueritte et sa fille et sa femme, Lady Mary, sa fille et son gendre – je suis sûr qu’après un nouveau séjour au Cannet, dans la glacière de Rochard, où il est presqu’impossible de ne pas s’enrhumer dans ces halles imbéciles, je reviedrai vivre à Beau Rivage avec joie – la nourriture ici est incomparablement bonne – princière – et j’y fais honneur. Et puis il me faut la mer – c’est mon horizon préféré, mon air privilégié –

Je t’embrasse tendrement et espère te lire très prochainement.

Je t’ai parlé hier de ma course à Anthéor, tu as du recevoir mon billet bleu te disant mon déjeuner Bertnay.

 

Octave

 

J’envoie à la Dépèche un article – le 4e du mois, que je crois bien : Vers l’Académie. Il passera de samedi à lundi prochain.

 

[ref. 1908.86] [carte-lettre à l’adresse du 35 Boulevard Félix Martin à St-Raphaël (Var)] Le 16 décembre 1908.

 

Je reçois, en addition à une lettre de Mme Pauline Lorrain Duval, cette requête que je te transmets. La dite requête me rappelle que je me proposais de te demander 12 fioles marianiques pour mon logis hivernal. Le bon Canal pourra me les expédier, avec quelques petites fioles échantillons agréables à distribuer – Le soleil rutile et éclabousse ma table – Je vais sortir.

Je t’ai fait expédier ce matin 1 pot – on dit ici un toupin – de 1 livre de miel – si ça te goûte je t’en enverrai d’autres – matin et soir, c’est exquis.

Baisers affectueux.

 

Octave

 

Je t’ai lancé une carte postale ce matin qui doit t’arriver avec ce mot, t’avisant de ta méprise qui me fit avoir ce matin 16 décembre ta lettre du mardi 10 –

 

[ref. 1908.87] [papier libre] Ce vendredi 18 décembre 08.

 

Mon chéri ; je viens de rentrer d’une promenade à Ste Maxime où j’ai visité par curiosité, villas, appartements, hôtels et auberges. Rien ne m’a séduit de façon à m’arrêter un instant à bâtir des projets. Je suis revenu à Raphaël avec l’habitude déjà prise qui constitue une préférence.

Il faisait aujourd’hui un temps à crier de joie de vivre – un temps radieux indicible, si pur que les montagnes roses étaient irréelles dans l’horizon – Je me suis payé une bonne promenade le matin également, me réservant au travail avant et après midi, de 4 à 7, et de 8 ½ à 9 ½ … et encore, le soir, ça dépend.

J’irai donc à Agay, chez Donnay, dimanche et vendredi jour de Nöel je me suis engagé pour Anthéor, fêter avec les amis dont les Donnay la sainte fête de la nativité – Je quitterai St Raphaël, samedi matin 26, laissant sans doute ma chambre en état actuel pour la retrouver, du 10 au 12 janvier, et je m’en irai à Cannes où Henri, le larbin d’Emile, transportera mes petits colis aux Pins dans sa carriole inhospitalière.

Moi, j’irai, ce samedi, déjeuner chez le brave papa Ducreux dont je t’envoie la lettre et, vers 3 h je grimperai au Cannet pour m’y installer et y diner – Je pense bien y rester 5 ou 6 jours avant que « le Commandant Ramollot » ne revienne de son Paris ambigu, et en ce peu de jours, je styllerai ses gens, couchant seul, dans cette villa reliée aux communs par de simples sonneries, mais j’ai pris le revolver de Rochard et l’ai armé pour faire du potin en cas d’alerte.

Puis, si ça ne va pas, si je m’embête aux Pins, je n’y ferai pas feu qui dure, tu peux le croire – Je suis si bien ici, que vraiment vivre au Cannet ne me chante qu’à moitié – ce qui m’y attire ce sont les choses que j’y laissai et aussi les livres dont j’ai quelques uns à consulter – mais il est possible qu’après 5 ou 6 jours je ne m’en aille vivre au Trayas avant de revenir ici –

Prends de grandes précautions, mon chéri, pour ne tomber souffrant avant de venir ici – ça serait si bête de te trouver au lit au moment où tu pourras venir – Donc prudence le soir et lâchage de tous diners et banquets d’ailleurs si inutiles et si contraires à la santé –

Je pense demain avoir ta lettre, après visite à Simond – J’en vois la réponse  - aucun engagement ferme, des amabilités, des grâces et un premier article que je ferai et qui ne passera peut-être jamais. Enfin on verra – Tendresses bien cordiales de ton Octave

 

Les Lady Mary Lewal and Co = au château de Hucligny, près Vendôme, Indre et Loire.

 

[ref. 1908.88] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] Samedi soir 19 décembre 08.

 

Merci, mon chéri de ta visite à Henry Simond – Jamais, il ne m’écrira, et jamais je ne te prierai de passer chez lui de nouveau – je te l’ai dit ; il ne veut s’engager et il aime l’anarchie actuelle de son journal, fait à la diable, avec des passants – ayant d’ailleurs de la besogne, je n’insisterai pas, c’était un coup de sondage – c’est fait et je suis satisfait du résultat –

Il fait toujours un temps admirable – ce matin je suis allé à Valescure voir l’hôtel des anglais, avec Bickel – Les chambres sont médiocres, très petites, sans lumière électrique ni chauffage central – le prix est cher. Toutefois, au rez de chaussée, j’ai vu une grande chambre qui pourrait faire mon affaire, si, fin janvier je voulais me rapprocher de toi pour ton séjour et m’éloigner de la mer qui m’énerve un peu – je m’en aperçois parfois à mes premiers sommeils qui sont tardifs. J’ai vu aussi cet après midi le Grand Hôtel de la Boulerie [Boulouris] – Il est perdu au loin, triste … ah ! non ! malgré des bas prix, jamais de la vie –

J’irai demain à pied en partie chez Donnay et partie en voiture et reviendrai par chemin de fer car il n’y a plus de voitures fermées ici – sauf des autos et des landaux – Sequier a bazardé son petit coupé – c’est idiot mais c’est ainsi –

La mère d’Alphonsine se plait à la Salpêtrière elle est ravie – La fille se lamente mais je n’y peux rien. Elle a trouvé moyen de s’aliéner tout le monde et se plaint maintenant de la solitude, mais il faut bien qu’elle s’y fasse, car je ne penserai jamais à vieillir avec des vieux ou des vieilles – c’est trop attristant et embêtant – chacun sa vie.

Je t’embrasse bien affectueusement – Soigne toi et gare toit des Rhumes afin que je te voie bien portant d’ici cinq semaines –

Ton Octave

 

[ref. 1908.89] [papier libre] Ce lundi matin 21 décembre 08.

 

Mon bon chéri,

 

La journée hier se passa fort bien à Agay chez les Donnay. Paul Séquier me conduisit au Drammont, de là je fus à pied, et, après déjeuner, avec le ménage Donnay, Claude Terrasse et Lucien Descaves, nous fîmes une belle promenade à pied, je pris le thé en enfin le train de 5 h ¼ où ce brave Terrasse m’accompagna – le temps fut superbe – J’aime beaucoup les Donnay, ça marche très bien ensemble – Aujourd’hui, je vais travailler à la préface Durel, tout en me promenant quelque peu. Je retournerai peut être à Agay mercredi en promenade et vendredi chez les Bertnay –

Ça m’embête bien un peu de remonter à Cannes, ou plutôt au Cannet, samedi, je remettrai peut être ça au lundi suivant – J’irai en tout cas, déjeuner chez le papa Ducreux samedi – mais les Pins, même de loin, ça ne me chante guère, affectueuses tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1908.90] [papier-enveloppe à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St-Raphaël] Ce lundi (en réalité mardi) 22 décembre 08.

 

Mon cher frérot,

 

Je viens de terminer la longue préface du catalogue que j’avais à faire – ça y est, me voici libéré de mes besognes urgentes.

Le temps est indiciblement beau. Demain j’irai au Trayas voir l’Hôtel de l’Estérel. Je reviendrai déjeuner à Agay, verrai peut-être les Donnay au passage et rentrerai à pied ou en chemin de fer.

Santé bonne malgré nuits un peu insomnieuses, mais ça ne me gêne je repose tout de même. T’écrirai bientôt. Affectueux baisers.

 

Octave

 

[ref. 1908.91] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] 25 décembre Noël 08. Soir.

 

J’arrive de chez les Bertnay avec un temps de Tempête-Est – pluie vent, raffales, etc. Ce matin, j’ai eu une voiture découverte, j’ai pensé m’en tirer, mais en pleine carrières du Drammont, le vent et la pluie faisant rage, j’ai du descendre, marcher à pied dans la tourmente, gelé dans la guimbarde qui n’était pas même de chez Sequier – Il y avait eu confusion inexplicable par téléphone – Je me suis arrêté transi chez les Donnay pour prendre un grog chaud au punch et je suis reparti dans ma voiture chez les amis d’Anthéor, avec le brave Claude Terrasse, pour y arriver enfin sans encombre vers 11 heures –

Repas monstre de Noël avec les Bertnay, les deux Donnay, Descaves, Terrasse, un nommé Schneider et son amie, cantatrice youpine, le dit Schneider journaliste que je connais de longue date et qui arrivait de Paris avec Pedro Gaillard filant sur Monaco – J’ai retenu le coupé qui l’amenait à Anthéor, un coupé du frère de Séquier et je viens de rentrer sans encombre et en bon état – J’ai lâché la compagnie à Anthéor, à l’heure du café, et suis revenu chez moi en plein jour, avec un temps toujours déchainé. Pas drôles ces ballades à Anthéor – ah ! non ! –

Je quitterai St Raphaël demain pour le Cannet chez Mr Ducreux avant de remonter aux Pins, d’où je t’écrirai dimanche ou lundi au plus tard.

Hier, je n’ai pu t’écrire ayant mon article, le 6e du mois pour la Dépèche, et puis j’avais été rasé par le jeune Rouveyre qui était venu me montrer son nouvel album ignoble, obscène, inconscient, dégoûtant, qu’il intitule Le Gynécée – une pure ordure sans aucun talent –

Je serais bien resté ici, mais devant remonter au Cannet, je préfère le faire avant le retour d’Emile dont je n’ai d’ailleurs aucune nouvelles. Je verrai si je m’y puis installer, lui n’y étant pas et je ne tarderai guère à revenir ici, du moins, je le crois – je suis si bien ici – Rien de nouveau à te faire connaître – J’ai de bonnes nouvelles de Louise – Je t’embrasse bien tendrement.

 

Octave Uz. [signature incomplète]

 

[ref. 1908.92] [papier libre] Les Pins. 28 décembre 08.

 

Mon chéri – Mon dimanche, hier, se passa bien au Cannet, parce que heureusement seul – j’ai mis Henri et Thérèse au pas ; je suis parvenu à obtenir de 18 à 20 degrés dans ma chambre (de 10 ½ à 11 à mon arrivée) et a entretenir le feu en cheminée tout le jour. Je crains que le bouillant Emile ne vienne gâter ma quiétude, ce qui me ferait fuir dare dare, si je ne puis parvenir à lui faire respecter mes longues retraites dans ma chambre pour travailler et mes promenades solitaires à Cannes et au Cannet.

Mon voisin de St Cloud, Monsieur Pagès, le marchand de dentelle, est ici villa « La Retraite » et nous avons fait une bonne promenade. C’est un homme de 58 ans, veuf, soignant son entérite, intelligent, réfléchi, instruit. Il connaissait toutes les histoires de Rochard célèbre dans le pays par son jobardisme. Il était abruti de cette caricature théâtrale qu’est sa propriété, qui lui semblait celle d’un monsieur aimant recevoir des vingt et 30 personnes et jouissant d’environ 100 000 francs de rente – Dans le pays on dit que c’est une propriété faite surtout pour ses domestiques. Ce pauvre Emile va commencer à voir clair et à juger de sa solitude – Dupré a vendu ; Jeanne cherche à vendre au plus tôt – Rochard sera seul dans l’hostilité générale, malmené par ses larbins, sans personne à fréquenter ; alors il vendra lui aussi, à n’importe quel prix, incapable de vivre seul ou bien amènera ici quelque drôlesse qui le grugera, le gâtisera plus qu’il ne l’est déjà – Pitoyable destinée ! – Et ça va marcher vite ! Je vais aller souvent à Cannes et être indépendant – même si l’ami revient – mais je doute qu’il parte aujourd’hui de Paris, il doit se délier de ses amis, en annonçant ses faux départs pour se donner à quelque femme, car son érotisme imbécile est une véritable maladie d’inconscient vaniteux –

J’attends de tes nouvelles à midi ou ce soir – les heures des courriers en ce lointain Cannes ne facilitent pas la correspondance – ah ! non ! – Mille tendresses de ton

 

Octave

 

[ref. 1908.93] [papier libre] Les Pins. Mardi matin 29 décembre 08.

 

Mon chéri, j’ai bien eu ton mot, à midi hier lundi (l’autre à 5 heures), j’ai eu aussi une lettre très affectueuse de cette excellente Marie Million qui m’a fait un très vif plaisir et que tu embrasseras, je te prie, très affectueusement pour moi.

Hier, le temps fut frais et il y eut un orage avec tonnerre et pluie lente l’après midi. Je gardai la chambre avec un bon feu. Ainsi seul, les Pins sans être gais, sont supportables. Les domestiques sont souples, braves gens et si peu habitués, les pauvres diables, à être guidés par un être sain, conscient, sachant ce qu’il veut, qu’ils semblent ravis de s’employer et de n’avoir plus un demi gaga à supporter et à traiter en vieux bébé qui bave –

Les folies de ce pauvre Emile, égoïste monstrueux et dont la bâtisse, ici, comme à la Ruelle, est la révélation d’un homme qui ne pense exclusivement qu’à soi -  qui ne chauffe que la pièce où il habite, qui se contrefiche de tout ce qui n’est pas lui, cette folie apparaît toute aussi bien à Jeanne, qui m’en a parlé avec plus de clairvoyance que je ne lui en supposais, qu’à ses domestiques très honnêtes gens au fond, mais qui ne peuvent pas se faire à ses sottises, à son inconscience, à toutes les mêmes histoires qu’il leur raconte aussi bien à eux qu’à nous, même les plus intimes, celles de femmes, d’intérêt, etc – Ils n’ignorent rien.

De plus, partout, ce pauvre garçon, qui marche vraiment au gâtisme érotique, laisse traîner des images immondes, des cartes transparentes, photographies obscènes, qu’il regarde le soir sur sa table de nuit – c’est pitoyable – c’est bien la monomanie de l’impuissant qui cherche l’éréthisme.

Un mot de lui où il ne me parle que de lui, m’annonce son retour pour le 30 ou 21 … heureusement c’est 2 ou 3 jours de gagnés et de quiétude – Fasquelle l’a envoyé baller, lui et ses vers ; j’en étais sûr – Il est allé chez Lemerre où avec un billet de mille, on pourra sans doute imprimer ses parodies de Musset, de Daudet, de Banville, si dépourvues d’esprit et d’originalité. Je suis malade d’avoir à préfacer ces panarités mais je suis décidé de l’aviser de ce que je compte dire – Je tournerai la difficulté pour ne me rendre ridicule. C’est pas commode.

Je ne pense guère demeurer ici plus de six ou 8 jours après sa venue. Ce sera un maximum. J’irai peut être quelques jours au Trayas, hôtel de l’Estérel – En tout cas, pas d’Italie avec Rochard en ce moment – Ah ! non ! moi, j’ai à travailler et préfère attendre mars et, sans ce raseur apoplectique, aller sur la côte, en Ombrie et à Rome –

Tu me dis qu’il fait aussi mauvais ici qu’à Paris – quelle erreur !! mais il fait clair, gai, malgré la pluie ; le temps est doux, le ciel joli – Peut-on comparer cette cave parisienne sale, sombre, avec ces jours sulfureux, le pays merveilleux qu’est celui-ci !

Mes amitiés à Angélo – Santelli, lui aussi m’a dit qu’il était attendu le 6 décembre dernier – étrange – enfin, peu importe – Tu me diras quand tu comptes venir, j’espère que tu ne t’attarderas pas et que tu arriveras avant le 25 janvier.

Je t’embrasse bien tendrement – Je vais aller à Cannes – Je retournerai bientôt déjeuner chez Monsieur Ducreux.

 

Octave

 

[ref. 1908.94] [papier à en-tête Les Pins Le Cannet (A.-M)] Jeudi soir (31 décembre 1908 – date ajoutée par Joseph Uzanne).

 

Ce jeudi – 31 décembre – Emile devait arriver par le rapide à 1 h 29 – je fus donc, en train, faire mes affaires à Cannes, je m’y fis tondre, déjeunai fort bien au Splendid Hôtel, fis visite à l’excellent M. Ducreux qui m’avait invité pour samedi à déjeuner et à qui j’allais dire que j’irais, si Maëterlinck ne me demandait pas d’aller à Grasse ce jour là – ce brave vieillard très touché m’accueillit très gentiment, me montra ta carte japonaise et me pria de te remercier.

A la gare, j’appris que le rapide avait par suite des neiges 2 h de retard, je fis une petite promenade au soleil et je remontai au Cannet travailler – mais dépèche du dit Emile annonçait

6 heures de retard « de Valence ». Henri et la voiture sont rentrés. Je n’attends guère « le Patron » que ce soir à 9 ou 10 h environ –

Il aura mis 24 heures à réintégrer les Pins.

Tous les trains du nord ont de semblables retards, l’azur rapide hier avait 2 heures et est arrivé couvert de glaçons et de stalactites de glaces. Ici le temps est splendide – délicieux.

La terrible catastrophe de Messine, je l’avais devinée ; la Sicile me causait depuis plusieurs mois des appréhensions, j’attendais cet effroyable bouleversement qui pourrait bien atteindre le littoral méditerranéen et renverser tant de maison en pacotille –

J’ai vu, hier, au Cannet, Brillet, l’ex huissier, notre ami du Pingau, qui est installé à la villa Luciole avec sa femme et ses filles, juste au dessous de Valrose – J’ai fait une petite promenade avec lui, mais je ne le verrai qu’occasionnellement, tout comme mon voisin de St Cloud. J’ai également rencontré un attaché d’ambassade Monsieur Castellino qui vient de faire construire au Cannet et m’invite à l’aller voir ainsi que sa femme avec laquelle j’avais diné chez le Dr Tissier – mais j’aime mieux ma solitude que tout ce monde là. Il m’est odieux de rencontrer des relations.

Rochard va revenir avec sa personnalité envahissante et son absolue inconscience du travail et de l’indépendance des autres car tout ce qui n’est pas lui n’existe pas – je suis bien décidé à lui dire ses vérités, de tâcher de protéger, mon travail, mon indépendance et de le remettre à sa place vertement s’il me rase. Dans le cas où je n’y arriverais pas je ne tarderais pas à quitter le Cannet. Emile n’a aucun ami – sauf nous, car il est impossible à vivre, ne s’occupant jamais du bien être des autres, raseur terrible – Personne ne veut ni ne peut rester chez lui, ça se conçoit. Jeanne elle-même s’est éloignée – sa vanité, son incapacité à prendre intérêt à ce qui ne le touche pas, lui ont aliéné tout le monde – Sa mentalité est déplorable et sa conversation inexistante lorsqu’elle ne roule pas sur ses affaires de cœur (?) de propriété ou d’intérêt. Je le crois plus faible que bon. Je ne veux donc pas me laisser raser et je m’imposerai à lui sans le laisser s’imposer à moi, comme il le fit trop souvent. J’agirai comme jusqu’ici, depuis que je suis seul pour le chauffage, la distribution de mon temps, le petit déjeuner chez moi – s’il ne comprend pas, est de mauvaise humeur ou crampon, je fais mes malles et file - . Tu vois si je m’apprête à le recevoir avec des idées conciliantes – c’est que toute sa pauvre nature se dévoila à moi cette première partie de décembre ici – Jamais il ne m’a dit un mot de mes travaux, n’a essayé de lire quoi que ce soit de ce que je faisais, n’a même pris la peine de répondre à mes préoccupations du jour ou du lendemain, alors qu’il me barbait sans cesse avec ses affaires grotesques, ses histoires de gâtisme en amour (?) – ses folies de propriétaire, ses poésies pitoyables, sa sous littérature populaire, ses projets imbéciles – etc. Vraiment ce serait payer durement une hospitalité – Déjà payée 10 f par jour que de laisser raser encore et toujours sans protester. Tu comprendras cela – Tu me diras quand tu comptes partir en janvier – Je t’embrasse tendrement. J’espère bien que tu n’as pas pris froid avec ces sales temps parisiens – si tu savais combien je te plains – ce Paris quelle horreur et quels gens !!

 

Octave


(*) Source Fonds Y. Christ (1 J 780), Archives de L'Yonne, Auxerre. L'ensemble des lettres de la Correspondance entre Octave Uzanne et son frère Joseph (lettres d'Octave à Joseph uniquement) a été entièrement relevé par nos soins. Nous avons retranscrit l'ensemble que nous livrerons ici lettre par lettre. L'ensemble formera un corpus de 67 lettres pour l'année 1907, 95 lettres pour l'année 1908, 50 lettres pour l'année 1909, 22 lettres pour l'année 1910, 38 lettres de diverses années et 36 fragments ou lettres entières non datées, soit un ensemble de 308 lettres ou fragments de lettres. Notre projet arrêté dès fin 2012, début 2013, est de publier l'intégralité de cette correspondance avec notes explicatives. Espérons que nous pourrons mener à bien ce projet prochainement. La mise en ligne pour tous ici sera un premier pas permettant de juger au mieux de la relation fraternelle entre Octave et Joseph pendant les années 1907-1910, connaître l'intimité des deux frères ainsi que les pensées les plus intimes d'Octave Uzanne dans sa vie privée et publique. Mise en ligne Bertrand Hugonnard-Roche | www.octaveuzanne.com

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