C O R R E S P O N D A N C E I N E D I T E
Octave Uzanne à Joseph Uzanne
_____________________
[ref.
1908.1] [carte postale « 1908 » (nouvel an)] [1er janvier
1908] [St-Raphaël ou Le Pins, côte d’azur].
[recto texte manuscrit d’Octave Uzanne dans deux
bulles sous la date « 1908 »]
Toujours bien portant – Joli temps – Heureux – Mes
vœux fraternels pour l’an neuf.
[verso]
Le beau temps revenu hier dimanche, m’a permis d’aller
à pied déjeuner à Agay toujours délicieux, puis avec l’ami Heineman, ce même
jour à Fréjus et retour à pied.
Aujourd’hui je vais déjeuner à St Tropez et environs –
bonnes balades – avant le départ d’Heinemann – Toujours en ivresse de vivre
ici.
Mes tendresses.
Octave
[ref.
1908.2] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le 1er janvier 1908 au soir.
Mon chéri – J’ai eu ta dépêche me portant tes vœux. Merci
– Le 1er janvier est bien paisible ici, il n’y a rien de changé,
sauf les postes closes qui me privent, sans doute, d’un mot de toi
jusqu’au lendemain.
Les montagnes, au-delà de Fréjus, sont couvertes de neige
presque dans la vallée ; je trouve toutefois le temps doux,
agréable à vivre, malgré deux journées grises et pluvieuses.
Je viens de faire un tour solitaire jusqu’à l’Argens
(la rivière du Var qui se jette du côté de St Aigulf). Le vieux Dom, venu déjeuner
avec moi était rentré à l’hôtel des négociants pour essayer de faire un
article, ce qui à son âge, 69 ans, est pénible, comme ce le fut, d’ailleurs,
toujours pour ce rêveur qui eut toujours la vie facile et ne se la foula
jamais.
Heinemann est parti hier, après m’avoir durant quatre
jours obsédé de sa tyrannie inconsciente et de sa peur d’être seul un
seul instant – J’ai eu avec lui un bel exemple de l’égoïsme humain le même
que j’ai d’ailleurs avec Dommartin que je dois sans cesse rejeter à la rue
et à son hôtel et qui ne peut comprendre, tout en affirmant qu’il comprend,
que je veuille me réserver six heures au minimum, de solitude, quotidienne,
en dehors de mes heures de sommeil – ça n’entre pas dans son caillou.
J’ai déclaré à ce vieux compagnon que je ne lui
donnerais que le déjeuner chez moi ou que nous le prendrions en cours
d’excursion, mais qu’à partir de 3 h ½ ou 4 h, le soir, je rentrais
travailler jusqu’au moment de me coucher, me contentant d’une soupe, ce
qui à vrai dire, me suffit souvent. Je dois tous les matins lui répéter ma
ligne de conduite avec énergie et, chaque jour il voudrait venir dîner
et jamais il ne comprendra et toujours reviendra à la charge s’invitant à
dîner, bien vainement d’ailleurs.
Combien restera-t-il ? Avec ces êtres
inconsistants qui peut savoir ! Tant qu’il aura quelques louis en poche –
Dans tout cela je serai obligé de me sauver un matin, pour aller voir
les Bertnay, car il viendrait, me dirait qu’il m’attend à Agay et finirait par
venir jusques à Anthéor sous prétexte de m’accompagner et de ce faire inviter
quand lui dis que je prendrai le train le lendemain pour aller voir Rochard
(prétexte tu penses bien) Il dit, inconsciemment : « parfait j’irai
avec toi » - J’ajoute, je ne puis pour telle ou telle raison, il
reprend : « mais je verrai Cannes et je t’attendrai » -
cela m’horripile.
Avec Heineman, c’était presqu’aussi fatigant et aussi
férocement égoïste, mais c’était à temps limité, avec Dom il me faudra
être cynique, brutal presque grossier pour ménager mon temps, mais ça ne me
gêne pas – ma passion chaque jour plus accentuée du recueillement me fera me
sauvegarder – je veux diner seul, rester seul à partir de 3 ou 4 h et ne
jamais me laisser envahir, plutôt me brouiller avec mes amis que
d’enfreindre cette règle – quant aux matinées, elles sont dures aussi à
sauvegarder sauf quoi, comme avec Heinemann, ce serait à ne pouvoir aller aux
W.C. – ce qui m’amuse, c’est que ces gens là (H et D) me témoignent d’une
passion intense pour la vie solitaire, ils ont l’air de m’approuver, de me
féliciter, et malgré toutes mes manifestations hargneuses ils ne songent qu’à
me montrer par leurs actes qu’ils s’ennuient à mourir, dès qu’ils sont
une heure ou deux loin de chez moi – c’est enrageant – c’est à dégoûter des
relations amicales, car j’avais tout fait pour détourner ces camarades de venir
ici.
Les Bertnay m’ont écrit ; je prendrai un matin le
train, sans mot dire, la veille, à Dom et en lui laissant un mot à son hôtel et
j’irai par ce stratagème motivé par dépêche passer une journée à Anthéor
laissant mon belge forcément solitaire pour toute une journée.
Ma santé est parfaite, je deviens chaque jour plus
fort, plus pondéré, et mes six mois de chasteté aujourd’hui révolus, me mettent
en goût de continuer sans coup de canif dans mon contrat de sagesse. Je ne sais
plus vraiment ce que c’est que la fatigue, même après promenade de 20
kilomètres, du travail de plusieurs heures – c’est précisément parce que je
goûte toute l’ivresse de ma vie sobre, forte, indépendante, laborieuse et
joyeuse, au point que je chante et siffle bruyamment dans les rues de
St-Raphaël, que je ne veux pas être troublé par les infinis raseurs qui forment
l’immense majorité des vivants – Les gens d’ici suffisent à ma joie, j’ai pris
en horreur les neurasthéniques et les citadins vides et diseurs de
rien – je me réjouis surtout de n’avoir pas le brave Emile qui probablement
me fatiguerait vraiment – Oh ! combien vite !!
Mes tendresses et affectueux baisers.
Octave
[ref.
1908.3] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le … janvier 1908.
Le fait que je sois allé ces derniers jours à La
Louve, puis, une autre fois, d’Agay au Trayas à pied (11 kil 500) et, aussitôt
arrivé, que j’aie gravi au col des Lentisques et au pic d’Aurelle, sera un
témoignage suffisant que je conserve des joyeux jarrets d’acier, trempés par
six mois de chasteté et une santé de chèvre broutant la belle humeur à tous les
taillis de la route. Cela témoigne aussi du beau temps à peine contrarié par
quelques heures de mistral, ce qui n’empêche le « Jules Ferry »,
« le Gaulois » et une escadrille de torpilleurs de venir mouiller
sous mes fenêtres et de me donner le spectacle des tirs de jour et de nuit, de
la vie de bord, et des compagnies de débarquement musique en tête, filant vers
Fréjus en tirant de petits canons – Le rendez-vous de l’escadre était au cap de
la Garroupe, hier – St Raphaël a repris sa physionomie paisible et heureuse.
Je travaille ferme dès le soleil couché et je conçois,
de moins en moins, la vie dépensée dans l’enceinte d’une grande ville – je ne
crois point que le regret de Paris me vienne jamais, car plus je mets en action
mon vieux sang de Bourguignon, plus il me chante des actions de grâce en faveur
de l’air, de la lumière, de l’indépendance et de la simplicité.
J’irai lundi déjeuner chez Marni à Cannes – la semaine
prochaine j’irai peut-être aussi partager le déjeuner de Polaire qui m’invita
l’autre jour alors que je passais en chemineau devant sa villa, venant de
Raphaël à pied.
Sans doute demain irai-je au Lavandou – Le temps à
Paris est toujours pitoyable, pluie & vents succédant au gel, disent les
feuilles – J’espère que tu arriveras d’ici quinzaine à quitter ce mauvais lieu
en belle santé.
Affectueusement.
Octave
[ref.
1908.4] [carte postale – Draguignan – Le Marché – adressée à Joseph Uzanne 172
Bd St Germain] Draguignan - Samedi – ce 4 janvier 07 08 [date corrigée
par Joseph Uzanne].
Venu ce matin à Draguignan avec un temps délicieux
– Je déjeune à l’hôtel Bertin – Tenu par le fils de mon proprio de St
Raphaël – Draguignan sympathique – Rentrerai diner solitaire à Raphaël – t’ai
posté lettre ce matin. Tendresses. Octave
[ref.
1908.5] Le Cannet 5 janvier 08
Merci de tes lettes – celle du 3 janvier m’est arrivée
hier soir à l’heure réglementaire mais pendant 6 jours, c’était un
mastic ; tout arrivait en retard et à la fois, car les rapides avaient des
retards d’un jour environ par suite des froids du nord.
Hier, lundi, avec un temps délicieux, adorable, je fus
à Grasse – d’abord à pied à Cannes le matin à 8 h, heureux de lâcher les Pins,
puis l’agréable chemin de fer – à la gare Maëterlinck m’attendait, avec sa
Renaud (sic) 20 chevaux, qu’il manie en chauffeur consommé et aussitôt me
conduisait sur la route de Thorens, très haut à 1000 mètres d’altitude ce qui
ravissait mes poumons tant l’air et la lumière y étaient purs et mes yeux
émerveillés du Panorama.
Déjeuner agréable avec Georgette Leblanc, puis retour
en auto au Cannet au pied presque des Pins, et bien avant le coucher du soleil
– (de Grasse au Cannet en 28 ou 30 minutes au plus).
Cela m’a fait du bien de me trouver dans mon milieu et
d’échanger enfin des idées et des vues, des récits de vie modernes, ce qui est
impossible chez le vieux proprio d’opérette, Emile XVIII, où je me trouve.
Demain j’irai déjeuner chez le papa Ducreux P.P.C et
visiterai après un établissement thermal modèle du Doct. Berthe très bien
installé – puis je ferai visite à un dame du Cannet connue chez le Dr Tissier
et qui est très aimable & intelligente.
Tissier m’écrit qu’il viendra bientôt. J’ai aussi une
lettre lamentable du père Rouveyre qui m’a l’air de s’affoler plus qu’il ne
convient et de se suggestionner le suicide – Il me dit ta bonté et ta
compassion à son endroit.
Louise engraisse, me dit-elle, et va mieux, son
docteur, parait-il est très content d’elle – il n’est pas moins vrai qu’elle a
encore un point au poumon et qu’il lui a fait mettre une mouche ou petite
vésication – Peut-être ne sera-ce rien, mais je ne m’emballe pas dans
l’optimisme – D’ailleurs j’avoue que ma vie tout à fait indépendante et même
hôtelière me charme assez pour ne me sentir aucunement pressé de la quitter et
je ne reprendrai Louise que sûrement guérie ou pas … Je me priverais parfaitement
de domesticité assujettissante.
J’ai eu un mot de Mariani et lui ai écrit deux lignes.
Tâche d’arriver avant le 25 de façon à ce que je fasse dire une messe
anniversaire de la mort de notre chère mère, à laquelle tu pourras assister à
St Raphaël – c’est le 24 – tu as du y penser.
Je serai de retour le prochain dimanche à St Raphaël –
je ne reviendrai guère au Cannet, que pour y prendre mes affaires un peu plus
tard, ne voulant plus y séjourner l’ami y étant – je te dirai une foule de
menus détails de vive voix, mais, quand, comme moi, on s’est cultivé, affiné,
délicaté l’esprit, qu’on aime la causerie, la vie, la belle intelligence, la
vraie gaité saine, ce serait trop bête de venir enliser tous ses goûts dans un
milieu aussi pitoyable que celui de notre ami et surtout avec une mentalité
aussi pauvre, aussi misérablement vaniteuse que la sienne – c’est le type de
l’imbécile ignorant et glorieux et du vieux coco tournant au gâtisme femellier
– personne d’ailleurs ne pourrait vivre aujourd’hui dans son ambiance.
Jules et Yvonne m’ont écrit – j’ai tâché de détourner
Yvonne de St Raphaël où elle me menaçait – Jules a été cravaté du ruban de
commandeur – tu as du voir ça – je lui ai écrit le mot nécessaire.
Je me propose, avec Georgette et Maëterlinck, une partie
de 2 jours en auto dans les Maures – J’irai voir quelque jour ce bon poëte
poivrot Stuart Merril à St Tropez.
Mille tendresses.
Octave
[ref.
1908.6] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le 7 janvier 1908.
Mon cher Joseph,
Je reçois le volume Hetzel : merci – Je t’ai
avisé hier que le semainier m’était parvenu. Tu as du recevoir ma postale carte
t’en avisant.
Je suis allé ce matin déjeuner ches les Bertnay – Ils
ont reçu ton télégramme, comme je partais, vers 1 h ¼ .
Le temps continue à être chaud et soleillé et ma santé
est aussi belle que possible – De ma vie je ne me suis senti aussi solide,
aussi bien, aussi heureux de vivre. – Cesse donc de t’inquiéter et de me croire
encore vacillant – si je redeviens malade ce sera une fâcheuse destinée et la
fatalité antique, car je vivrai, désormais, loin des villes, des éreintements,
des sottises sociales et des blagues conventionnelles du monde d’où dérivent
généralement nos maux.
J’irai à Cannes déjeuner avec Marni lundi et verrai
peut-être le père Ducreux si j’en ai le loisir.
J’espère te voir en belle santé ; d’ici
quinzaine, - Je vais régler ma vie par des travaux fort nombreux et, quand tu
seras ici, je te verrai durant le bon soleil – Dès 4 heures, je reviendrai au
turbin et, le soir, toujours dinerai chez moi, d’une simple soupe selon
l’excellente habitude prise.
Oblige moi de me dire si tu es sûr d’arriver ici le 24
– car je m’occuperai, de toute façon, d’une messe anniversaire pour le vendredi
24, 3e bout de l’an de notre chère mère – mieux vaut la date
précise, à mon avis pour le moins. Ce pauvre Guille était en grande
correspondance avec moi – il reçut une lettre de St Tropez le jour de sa mort
qui me fit beaucoup de peine.
Bien affectueusement.
Octave
[ref.
1908.7] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le 14 janvier 1908.
Mon cher Joseph,
Je suis resté longtemps chez Marni, aujourd’hui ;
elle avait beaucoup de monde à déjeuner, dont une vieille dame très
« Comédie française », très spirituelle, Mme Henri Germain, la veuve
de Germain du Crédit Lyonnais qui a une villa palatiale à Cimiez. Je suis rentré
à 6 heures.
Il était trop tard pour que je puisse visiter le Père
Ducreux. Si je pouvais, je le verrais aujourd’hui, entre le train qui me
conduit à Cannes et celui qui m’emmènera déjeuner à Grasse, où je passerai
quelques heures.
Ma santé est si bonne que je me sens tout imprégné de
bien être, de vie saine, de gaité et que j’ai oublié ces odieuses sensations de
fatigue, ces dépressions, ces lassitudes de vivre en faiblesse et en
démolition, qui m’étaient si coutumières, hélas ! à Paris –
Je te souhaite la sagesse de ne plus te surmener et la
volonté de partir à ton heure fixée en coupant tes occupations, comme on coupe
un dessin, comme on arrête l’eau et le gaz. – On doit se dire que puisque la
mort le fait si bien ainsi sans nous prévenir, il est sage d’agir de même pour
aller vers le repos et la vie reconquise.
Baisers affectueux.
Octave Uzanne [une des rares fois dans cette
correspondance ou O.U. signe de son nom complet].
[ref.
1908.8] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le 16 janvier 1908.
Mon cher Joseph,
Le temps est incomparablement beau, avec l’envers
forcé de sa splendeur, qui est le froid à gelées blanches du matin, et la
fraîcheur des soirs superbement lunés.
Mais quelles journées, dès le soleil un peu haut sur l’horizon
– ça me chavire le sang dans les artères – je suis allé hier à Agay à pied,
cela me semble une petite balade – je déjeune parfois à l’hôtel, chez Mathieu,
et je reviens par le train de 1 h 44, ce qui me permet une autre petite
promenade avant l’heure du travail et du recueillement de 4 à 7. –
Demain j’irai déjeuner, également à pied à la villa
Claudine, chez Polaire – qui s’en va le 22 de ce mois, jouer ici et là –
J’ai renoncé à aller, avant le retour d’Emile, au
Cannet – Le tête à tête avec la dame de Valrose ne m’attire que médiocrement et
puis le meilleur moyen d’écouter des potins, de parler ou de passer pour avoir
parlé, est de s’abstenir – je n’ai guère le temps d’aller chez les Bertnay
réinstallés à la Paulotte et qui ne veulent venir chez moi parce qu’en cette
saison, à jours courts, c’est, pour eux, une aventure trop compliquée et
dangereuse et coûteuse, étant donné qu’ils ne font pas 300 mètres à pied –
toujours le bon égoïsme. Il est vrai que d’Agay à Anthéor pour moi ce n’est
rien, à Nice, à Antibes, à Cannes surtout, à Cavalaire, j’ai des amis avec
l’éternel déjeuner en appas, qui me sollicitent, mais les villes me semblent
plus affreuses encore ici qu’à Paris, plus pitoyables dans le soleil et la
poussière et je remets d’aller à Nice, je remettrai le plus possible, jusqu’à
exécution douloureuse et forcée.
Le cuirassé Jules Ferry est revenu mouiller sur rade
sous mes fenêtres – c’est un « béguin » qu’il a pour Raphaël, mais ce
petit mastodonte, avec ses tirs réduits, ne fait pas plus de bruit qu’une
barraque où l’on casse des pipes et les torpilleurs se promènent silencieux
comme des cygnes noirs.
Je ferai dire une messe anniversaire à la grande
église vendredi 24. Je ne t’attends guère avant la semaine suivante, du 26 au
29 – si tu peux arriver avant, tant mieux pour tous – Bien affectueusement.
Octave
[ref.
1908.9] Samedi 18 janvier 1908 [lettre datée par Joseph Uzanne au crayon].
Mon cher Joseph,
Je suis heureux de te savoir bien portant et cela, la
semaine avant ton départ. Je suis allé hier en balade à pied à Agay où j’ai
déjeuné chez cette petite sauvagesse de Polaire, qui, en intimité, est fort
gentille, pas banale du tout, et d’un cabotinage mitigé. Il n’y avait à table
que la maman – on s’est quitté bons vieux amis – Je la prie à déjeuner pour
lundi chez moi, à moins qu’elle ne préfère que je la promène à St Tropez ou au
Lavandou. Elle s’en va, le 23 au matin et je lui donne à choisir le repas chez
moi ou la petite course dans les Maures.
Le temps est toujours paradisiaque, trop beau pour la
saison. On redoute février, le plus sâle mois du midi affirment les indigènes,
celui que choisit Angélo, je me demande pourquoi (?) car mars est réputé
superbe. A propos de Mariani qui arrivera ici avant toi : mon intention
est de le laisser bien tranquille à la villa Andréa, s’installer avec son monde
et de ne le voir qu’à ton arrivée seulement, à moins qu’il ne vienne me voir en
promenade un matin – tu me diras si cette façon réservée d’agir, de ma part,
peut être appréciée par lui ou si tu penses que je doive me trouver à la gare
pour saluer S. M. Coca 1er – Si oui, et s’il arrive à des heures
diurnes, je ferai en sorte d’être protocolaire, mais je préfère m’abstenir
jusqu’à ce que tu sois vaslescureux. Tu dois me comprendre.
Il t’appartient de régler tout cela, au mieux de tes
intérêts.
Je t’embrasse bien affectueusement.
Octave
[ref.
1908.10] dimanche – (19 janvier 1908) [lettre datée par Joseph Uzanne au
crayon].
Je suis désolé de te savoir souffrant et j’espère
avoir bientôt nouvelles que ton malaise a disparu ou s’est atténué – le
changement d’air te sera fort salutaire et j’aime à penser que rien ne
t’empêchera de réaliser ton projet de départ le 24 pour être ici le 25 –
puisque tu emportes ce qu’il te faut pour achever tes travaux à Valescure, le
mieux est de t’arranger pour boucler toutes choses le 24. – les hommes les plus
occupés savent qu’on part toujours à la date qu’on se fixe, sauf quoi, il n’y
aurait plus d’affaires, de vacances, de rendez vous possibles dans le monde –
Ici le joli temps est affolant de beauté, j’en sui
souvent courbatu, car le soleil est très chaud et fatigant à force d’éclat – Je
souhaite que cela dure mais l’homme est changeant, un peu de pluie, de vent, ne
me déplairait pas, après ce calme enchanteur.
Ecris moi bientôt de tes nouvelles – Je t’embrasse.
Octave
[ref.
1908.11] vendredi [4 mars 1908 – lettre datée par Joseph Uzanne].
Mon bon frérot,
Je n’ai pu te lancer hier le mot ci-contre, car j’ai
du rester avec Sans jusqu’à 4 h 25 – les visites, ici, où je [me] sens si
bien, si heureux seul, me paraissent bien fatigantes et accaparent bien
inutilement des heures qu’il me serait plus agréable de dépenser à ma guise –
enfin, j’espère que tout cela tire à sa fin, malgré Rochard imminent et je
compte sur la seconde partie de mars et sur avril pour être paisible comme je
le désire –
Je t’écris sur une lettre de Jacques, demain ou ce
soir je téléphonerai à Angélo, mais je n’irai guère à Valescure que dimanche ou
lundi – si ce n’était toi, je lâcherais tout net sous prétexte de balade côté
d’Hyères ou autre.
J’espère que tu vas te remettre peu à peu à ta vie de
Paris – Je pense avoir une lettre de toi après midi. – Je pense avoir une lettre
de toi après midi. – Je te plains très sincèrement de ne pas être aussi
indépendant que moi, mais dans ta dépendance, tu as bien des garanties que je
n’ai pas et n’aurai jamais ; celles d’un fixe « quand même »,
d’un revenu régulier, même en cas de maladie – moi, je dois toujours et sans
cesse produire, travailler, m’ingénier à équilibrer mon budget annuel – Je ne
me plains pas, toutefois, car aujourd’hui je ne demande qu’une chose :
conserver mon indépendance absolue, jalouse, ma solitude dans le plein air avec
un agréable chez moi, même au prix de la médiocrité des moyens. Les villes, la
société, les hommes, les plaisirs, j’en ai plus que soupé.
Mille bonnes tendresses.
Octave
[ci-dessous
le verso du feuillet, lettre adressée à Octave Uzanne par Jacques Mariani]. 4
mars 1908.
Mon cher Monsieur Uzanne
Merci de votre lettre pleine de sympathie et de
philosophie reposante.
Comme je comprends bien le sentiment qui vous a fait
couper les centaines de fils parisiens qui font de nous de pauvres pantins,
s’étiolant, s’usant physiquement et moralement avec une rapidité navrante.
Vous venez, en quittant Paris, de prolonger votre bail
avec les Parques pour une vie plus large, plus noble, plus indépendante et
partant plus heureuse.
Je voulais téléphoner à votre frère pour vous donner
des nouvelles de son voyage car je sais quelle tendre et touchante affection
vous unit, mais je pense que votre frère ne voyage que le jour et qu’il n’est
par conséquent pas encore rentré.
Pour l’Antimmeose j’ai fait le nécessaire et soyez
bien persuadé que je serai toujours très heureux de vous être agréable car je
suis votre très sincère et très dévoué.
Jacques Mariani
[ref.
1908.12] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le 10 mars 1908.
Mon bon chéri,
Le chaud soleil étant revenu, depuis dimanche ;
j’en ai profité pour me dérouiller les jarrets dans les bois des Maures et,
hier, je fus déjeuner à pied à Agay – Les Bertnay m’avaient invité, dimanche, à
manger une dinde truffée. Je refusai. – Je n’ai pas encore revu les valescurois
depuis samedi ; je crois que le Dr. Marseillais part ce matin, que
Santelli demeure et que le Père Lumière immine. J’ai demandé à Angélo de venir
déjeuner samedi prochain à Nice chez les Chéret, il a accepté. J’attends la
réponse de Chéret à mon invite.
Je crois que Rochard va également s’annoncer –
Hélas !
Hier, Lord Anherst
est venu en personne me faire visite. Il m’a laissé une aimable lettre
de sa fille Margaret – J’y ai répondu car j’étais absent.
J’aurai sans doute mot de toi après midi, trop tard
pour y répondre – J’espère que ta santé est bonne et que tu n’as pas la sottise
de te fatiguer – c’est à toi de régler et doser ta vie. Si tu te surmènes, tu
en seras la victime, imbécile, je puis le dire, car personne ne reconnaitra tes
efforts. La vie est ainsi faite. Quand je vois l’indifférence profonde de ton
cher patron, je t’assure que je mesure avec pitié, ce que tu lui apportes et ce
que, lui, ne te prodigue pas comme jugement, de ce que tu lui donnes – en
dehors de Mme C rien ne vibre en lui – Tu dois donc te ménager, aller ton petit
bonhomme de chemin, sans surcharger et songer à ta peau, à ta santé, à ton
âge, tout cela avec logique, mesure, volonté, en te disant que rien n’est plus
bête que de se tuer et que les morts ont toujours tort aux yeux de ceux pour
qui ils sont morts. – amen – n’as-tu pas eu la rosette violette ? Je crois
deviner cela dans la métaphore d’une lettre que je reçois et où il est question
de ta boutonnière dévirginée – je n’ai rien vu dans les feuilles, tu me diras
ça.
Affectueux baisers.
Octave
Le Père Ducreux, auquel j’écrivis me prie dans une
lettre très cordiale de t’envoyer ses amitiés. J’irai déjeuner, dès que
possible, chez lui.
[ref.
1908.13] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le mercredi 11 mars 1908.
Mon chéri,
Toujours bien, joli temps un peu mistralé mais soleil
éblouissant qui chauffe ce papier et met des diamants dans la fluidité de mon
encre.
Encore sans nouvelles de Rochard que je n’ai vu hier
dans le rapide de 1 h – j’ai fait mes adieux hier à 4 h au Dr
Villeneuve-sur-Crasse, retournant diner à Marseille. Angélo et Santelli
remontaient à pied à Valescure. Toujours très chaleureuses invitations là bas,
mais je n’irai guère que vendredi matin P.P.C – Demain ils déjeunent dehors.
Santelli part fin de la semaine, dit-il. Chéret m’écrit qu’il ne peut nous
recevoir Mariani et moi que lundi prochain à Nice avec Mme Stern, ses enfants,
les préfets etc. Angélo à qui je téléphone d’abord ravi d’être libre samedi et
qui, je le pensais, allait décliner pour lundi, veille de mon départ,
l’invitation des Cheret, me semble hésiter devant le menu des préfets, de Mme
Stern etc – Il se décidera sûrement, je le crois. Peut-être retardera-t-il son
retour. Par téléphone il m’apprend que Paoli vient d’arriver ce matin à la
villa Andréa, venant de Paris, affaire curieuse qu’il ne peut confier au
téléphone et qu’il me dira ce soir vers 4 h à la gare ; le dit Paoli allant
à cette heure là vers Cannes.
Je te tiendrai au courant de toutes choses, mais
demain si tu peux vendredi ou samedi envoyer Filleul chez Durel, il pourra
demander les prix d’adjudication de mes livres (par n°) pour les ventes du 5 et
du 12 courant. Je ne sais rien encore et j’attends la seconde vente qui a lieu
demain après midi.
Affectueusement, bon souvenir à Mme Millon.
Octave
[ref.
1908.14] [papier filigrané ayant servi pour le Dictionnaire
Biblio-Philosophique] ce 13 mars vendredi 1908.
Mon bon chéri,
Hier après midi, je suis allé à Anthéor chez les
Bertnay, retour à pied à 4 h au soleil, avec froid au passage de la rivière et
au nord de la gare d’Agay – ça m’a suffit pour me réveiller cette nuit avec un
commencement de grippe qui, ici, ne sera rien. J’espère en être libéré en 2 ou
3 jours – mais combien fragile et combien ces visites à ces Paulotte, qui, eux,
ne bougent jamais, sont dures et inutiles – on ne m’y repincera.
Ce matin, je n’ai pu aller à Valescure, Mariani, à qui
j’ai fait téléphoner, est venu me serrer la main en conduisant le Père Lumière
à la gare (il y passe sa vie) pour le train de 10 h 58. Il y devait retourner à
1 h pour les Santelli qui ne « dépiquassiettent » qu’aujourd’hui.
Rochard est encore à Paris – il m’a télégraphié et il
a écrit aux Bertnay.
Ta lettre que je reçois à l’instant me dit que tu n’as
pas, comme je l’ai ici, un soleil merveilleux, un air salutaire et un horizon
infini et si bleu.
Je n’irai pas chez les Chéret – je leur écris – Tout
ce qui est visite déjeuner chez les autres, est une fatigue de commande –
Jamais un voyage avec repas à l’hôtel ne m’est une fatigue et ne me fait mal et
tout ce qui est chez autrui m’énerve, me lasse, m’endolorit – je suis fait pour
la plus absolue indépendance et l’entière anti-sociabilité des tables servies
et réceptions. C’est pourquoi je conformerai de plus en plus ma vie à mes goûts
réels – Travaux et plaisirs dans la solitude réconfortante.
Merci de la découpure Casanova – Je l’avais détachée
en mai dans le Figaro.
Je compte sur toi pour m’envoyer le bordereau de mes
ventes du 5 et du 12 mars par Durel.
Affectueux baisers – ne t’inquiète pas de ma grippette
– à Paris j’en serais inquiet, ici ce ne sera que peu de chose je l’espère
bien.
Octave
[ref.
1908.15] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le samedi 14 mars 1908.
Mon bon chéri,
J’ai été fort touché par ce froid d’Agay – à Paris,
j’aurais eu ma quinzaine de plumard, ici je crois avoir vaincu la grippe, coupé
la fièvre, arrêté le mal – une nuit un peu agitée, mais bon réveil, avec temps
incomparable qui m’a donné de la joie, même au lit, où je restai jusqu’à midi –
je me sens bien et je re-sortirai demain ou lundi probablement.
Ce qui me charme dans ma nouvelle vie, c’est que [la]
maladie même ne prend pas l’importance qu’elle a dans le chez soi parisien où
tout fait apprécier la nécessité absolue d’être bien portant et donne l’âpre
ennui d’être souffrant.
Ici, cela n’importe guère et je me sentais heureux ce
matin de n’avoir aucune de ces attaches qui rendent le mal si lourd dans les
villes où l’on doit gagner son pain.
Je n’attends plus Rochard qui peut s’éterniser de jour
en jour à Paris, où ses affaires l’enlisent. Mariani parti, je ne veux me
préoccuper d’autre chose que de déterminer mon séjour ici en toute indépendance
et bonheur – je ne rentrerai pas à Paris pour le 14 avril, j’ai écrit à Huc qui
exceptionnellement confiera le compte rendu de la Nationale à Geffroy à la
Dépèche. Pour 200 f de copies ça ne valait pas la peine d’aller me glacer au
Grand Palais.
Je resterai ici jusqu’au 27 avril – irai diner à
Marseille par le petit express de 2 h ½ qui arrive à 5 h à Marseille. Le
lendemain le rapide de 9 h 20 me laissera à Dijon à 5 h ½ où je dinerai et
coucherai, et le 29 ou 30, j’arriverai chez moi par le train de Pontarlier,
possiblement vers 2 h ½ après midi – ainsi aucune fatigue et retour
confortable.
Je ne sais si Angélo viendra me voir
aujourd’hui ; je tâcherai soit de l’inviter, si il est enfin seul !
pour pardi ou mercredi : sinon j’irai à Valescure P.P.C.
Quant aux Bertnay, je leur en veux d’habiter si loin
et je pense les inviter un jour à l’auberge d’Agay avec Rochard et une autre
fois les voir aux Pins où Emile les conviera – ce sera tout.
Quant aux balades d’après midi à Anthéor – zut et
rezut. C’est dangereux, sans intérêt et difficultueux. Est-ce que tu as dans ta
bibliothèque les Sœurs Vatard - A vau l’eau – la Cathédrale et l’Oblat ?
de Huysmans. Si oui, pourrais-tu me les envoyer tous les 4 pour peu de jours. Je
te les retournerais avec soin – Je prépare mon étude sur J. K. H. pour le
Mercure et m’aperçois que je suis peu pourvu de ses livres ici et même pas du
tout. Si tu ne les as j’écrirai à mon libraire. Mon ami Huc part cet après-midi
pour Naples, de Marseille. Rien ne me pousse donc de ce côté marseillais – Mais
bientôt, j’irai faire une petite balade de 3 jours au Lavandou, Hyères,
Porquerolles, et peut-être descendrais-je jusqu’à Marseille.
Affectueux baisers.
Octave
Je t’envoie recommandé les pellicules et photos de Mme
de Suzy. 16 épreuves à 20 c = 3 f 20, je crois – J’irai payer.
[ref.
1908.16] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le dimanche 15 mars 1908.
Tout à fait défiévré ce matin, en bon état, avec un simple
reliquat de mal de gorge et de coryza, mais je me sens guéri – ici, ce ne
pouvait être bien sérieux dans ma « serre chaude ».
Rochard me télégraphie qu’il a quitté Paris – je le
verrai peut-être à la gare à 1 h si je crois sage de sortir, ce qui n’est pas
encore prouvé –
J’ai reçu et lu le discours de Ytier – ce banquet
aurait été agréable, mais, je ne crois
guère être désormais parisien en mars, pour y assister –
Mariani n’est pas venu hier ; il a rencontré
Louise, a pris de mes nouvelles, a regardé sa montre avec ennui et hâte et dit
« je n’ai pas le temps d’aller le voir » - Il doit être seul
pourtant ; (j’en doute toutefois) – lui seul, ce lui semblerait la mort –
Il est probable qu’il Paolise plutôt que de se reposer solitaire. Je sais que
demain il déjeune chez les Bouloumnié avec les Bertnay – j’attendrai sa venue.
Il doit partir jeudi soir – voir Mistral vendredi, refiler sans doute samedi si
bien que je ne pense pas que tu aies à le voir avant lundi, si tu as l’habileté
de luis écrire que tu es dans l’obligation d’aller hors Paris près d’un ami de
samedi à lundi, là où tu voudras – il serait stupide d’aller à la gare de Lyon
à 9 ½ prendre froid puisqu’il affirme n’y tenir et que tu peux te dégager sans
avoir à le contrarier.
… Pendant que je t’écris, « Joseph » de
Valescure, téléphone pour demander de mes nouvelles – on les lui donne
excellentes –
Tu ne me dis pas comment tu as trouvé Mme M … Si
toutes traces de son accident ont disparu, ni ce qu’elle devient – j’espère
bien pour elle qu’elle ne « chapellera » plus, à moins qu’elle ait
plaisir à s’étourdir chez cette chabraque affolée qui court à sa ruine – mes
amitiés cordiales à ton amie –
Bien affectueux baisers.
Octave
[ref.
1908.17] ce lundi 16 mars 1908 [l’année a été ajoutée par Joseph Uzanne].
Mon chéri,
Je vais tout à fait bien – à vrai dire ce qui aurait
été une grave grippe à Paris ne fut ici, pour moi, qu’un fort rhume, car ce qui
complique les choses c’est toujours l’air ambiant, les poussières, le peu
d’action réconfortante de l’oxygène des villes, l’humidité, etc – je n’ai
d’ailleurs pris qu’un cachet Faivre le 1er jour car je redoute
l’abus des drogues. Je n’ai guère eu de fièvre, ce fut insignifiant.
J’ai vu Rochard hier, au passage du rapide ; je
restai pour n’avoir froid dans la cabane de l’aiguilleur, mon ami, jusqu’au
passage du train – Emile, en quelques minutes m’assourdit de ses affaires, de
son obligation probable de retourner là bas (à Paris) d’ici 8 jours ; de moi
pas un mot, de toi non plus – il m’écrira, mais je ne me gênerai pas dans mes
projets, car ce brave garçon abuse de l’égotisme, il n’y a que ses affaires,
ses propriétés qui comptent, c’est rasant et c’est être dupe que de laisser
ainsi faire la barbe par un ami dont l’amitié consiste à vous prendre comme
confident de ses uniques tracas ou comme la boîte poubelle de ses déboires –
Il fait beau – j’irai peut être téléphoner à Mariani
qui ne vint pas hier. En voilà encore un qui s’indiffère de tout, sauf de ceux
qui le dépouillent et se moquent de lui – un peu comme Rochard – Il n’a pour la
dignité de ceux qui se tiennent à leur place et ménagent vraiment ses intérêts
qu’une gêne visible – c’est bien le parvenu qui n’apprécie que ceux qui le
flattent et le plument, l’homme habitué aux consommations sophistiquées de
l’amitié, ne peut plus sentir l’affection saine et honnête et discrète – vive
les tapeurs ! eux seuls ont raison vis-à-vis de telles natures – quant à
toi profites en au lieu de t’esquinter au-delà de tes forces – un jour jour
plus ou moins tardif, tu reconnaitras combien tu fis du zèle pour en être dupe.
As-tu reçu tes photos recommandées – Je t’ai écrit
tous les jours –
La note de Durel est d’une vieille canaille – ses
frais de vente pour le 12 mars où j’avais 8 n° sont de 139 f 95 soit 17 f 50
par numéro. Je vais engager la lutte. Si
j’ai besoin de toi pour un homme d’affaire je te le ferai savoir – je préfère
toujours les transactions aux procès, mais, de là à me laisser tondre comme une
poire, ah ! non –
Il me tarde d’être complètement sorti de cette forêt
de Bondy parisienne et de vivre indépendant loin des canailleries qui causent
de l’indignation et rendent malade – Heureusement ici, je suis calme et solide
et philosophe et je réduis les choses d’argent à leur juste mesure.
Cordialement.
Octave
[ref.
1908.18] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (mardi) 17 mars 1908.
Je viens de t’envoyer – (expédition d’hier soir lundi)
quelques fleurs pour la St Joseph, mon chéri – Elles doivent t’arriver demain
sans faute, tu auras de quoi « Emméridionaliser » ton logis.
J’aurais voulu t’envoyer un rasoir Gillett, mais il me
fallait aller à Cannes et, comme le temps, tout ensoleillé qu’il soit, est
indécis et a des sautes d’équinoxe, je ne puis bouger ayant d’ailleurs à
travailler. En tout cas ces fleurs te porteront mes sourires affectueux pour ta
fête
Ma santé est bonne ; ma grippe ne fut qu’un
rappel des temps sombres – c’est en mars et avril, et même au début de mai,
qu’il faut se garder à carreau – ce sont les pires mois de l’année, les plus
traitres, les plus perfides – fais en sorte de te garer jusqu’à mi mai –
souviens toi de mon aventure à Auxerre fin août l’an dernier – le printemps est
pire que l’hiver pour l’influenza –
Mariani hier est venu me donner, le bonjour avant
d’aller déjeuner chez Bouloumnié avec les Bertnay – Il m’a dit jouir de sa
solitude, mais tout démentait son dire. Il semble comme un corps sans âme, il
reçoit les femmes Rivière, les Khune et aujourd’hui est parti à Cannes voir son
Roty-bouilli – son Roty brûlé.
Demain, j’irai déjeuner avec lui, en tête à tête –
(m’a-t-il assuré) à Valescure – Il n’a pu se résoudre à accepter mon invitation
chez moi, prétextant la veille de son départ, ses affaires, etc – il arrivera à
Paris le samedi à 9 ½, comme je te le disais.
Evite les salamalecs de la gare à tout prix –
J’ai écrit à Durel de ma bonne plume, nous verrons ce
que ce sale normand répondra –
Je suis divinement heureux chez moi, si soleillé et
loin des fatigues des villes, des sollicitations, visites des gens tenaces et
égoïstes – cette bonne petite vie, huit mois de l’année m’agréerait
parfaitement, avec les travaux immédiats de gagne pain et d’autres de plus
longue haleine, comme j’en ai actuellement. L’idée de rentrer, si tôt, fin
avril m’ennuie un peu, mais cette année il me faut bien songer à régler mes
affaires domestiques, logis, etc. et à me préparer si possible une vie future
conforme à mes goûts.
J’ai une grande correspondance quotidienne et je te
quitte pour la mettre au point –
Merci pour ce que tu as envoyé à la pauvre petite
Chevillard, qui continue à faire sa princesse dorlotée et ne se décidera
jamais, la malheureuse, à voir la vie telle qu’elle est. – je ne puis ni ne veux
plus rien faire pour elle – tout est inutile, conseils, logique, secours
matériels, elle échappe à tout par sa nature veule et son énergie à ne pas
vouloir ce qui ne lui plait pas.
Le nommé Duranton (Directeur de l’hôtel terminus de St
Raphael) m’a prié de demander 1 ou 2 albums Mariani pour son salon d’hôtel –
voici qui est fait – agis comme il te conviendra – je juge inutile d’en parler
à Angélo.
Affectueusement, mon chéri, et bonne fête.
Octave
[ref.
1908.19] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (jeudi) 19 mars 1908.
Mon bon chéri,
Déjeuné hier à Valescure, avec Mariani et Paoli qui
arrivait de Cannes à 1 h 27 – ce vieux Javert ne fut pas gai, il fait montre
d’un cerveau de sergent de ville de 3eme classe. Il est fort embêté de végéter
à Cannes et de n’être plus près d’Edouard, il se lamente qu’on le laisse comme
en disgrâce auprès d’une « grande Duchesse » qu’il n’a pas même vue –
il fut grippé et a piètre mine – je ne serais pas étonné qu’on l’ait trouvé
rasant et collant à Biarritz et qu’on ait prié Clémenceau de le semer pour un
moment. –
En tout cas c’est un acéphale qui ferait paraître
Angélo comme un phénomène d’intellectualité et de causerie auprès de lui – Et
quel égoïste sans amitié, intérêt, sentiment pour personne !
Angélo ne part que vendredi soir – demain – il
couchera à Marseille et rentrera à Paris samedi tout de même à 9 h ½ du soir –
Maintenant je ne le verrai guère qu’à la gare – il
semble vouloir rester seul bien que ses gens s’en aillent ce soir – il n’a pas
voulu venir déjeuner avec moi préférant sa liberté. Au retour j’ai été rasé par
Cazalis qui heureusement va aller se faire soigner au sanatorium de la Croix
(Cavalaire) – ah ! la barbe ! J’ai bien eu ton télégramme – tu as du
avoir chaque jour une lettre de moi – je n’ai rien encore reçu de Durel – si
d’ici 8 jours pas de réponse à ma lettre un peu verte, je verrai à te donner
des instructions pour flageller un peu cette fripouille de normand.
Bien affectueusement.
Octave Uzanne [signature complète]
Je ne reçois que ce matin jeudi ta lettre du mardi 17
6 h du soir – je ne sais où je verrai Angélo aujourd’hui – je monterai peut
être à Valescure ou lui téléphonerai pour lui dire qu’il trouvera lettre de toi
demain soir à Marseille –
J’ai aussi une lettre de Durel mais qui naturellement
ne m’apporte que peu d’éclaircissements et promesses de rabais. Je répondrai
sans violence – crois le bien – le temps est merveilleux.
Tendresses.
Octave
[ref.
1908.20] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le dimanche 22 mars 1908.
Mon chéri – Pas pu t’écrire hier – je suis allé à
Cannes le matin à 9.23 par le luxe, avec une pluie férocement continue, un ciel
gris, mais un temps doux, bien que très humide, pénétrant tant l’air était
saturé d’eau –
Rochard était à la gare – nous sommes allés nous
réfugier au café du Splendide Hôtel. Il sortait de son lit, ayant été grippé,
avait des frissons et se sentait froid aux côtes, il disait avoir le squelette
gelé. J’ai pris son pouls : 90 à 96 – je lui ai fait acheter des cachets
Faivre et lui ai conseillé un thé chez Nègre, etc – puis l’ai quitté.
Le pauvre diable est comme un enfant, incapable de se
soigner ou de se faire soigner. Grelottant, il a voulu prendre sa sale voiture,
munie d’une bâche, qui l’attendait à la gare – je me demande en quel état il a
du rentrer aux Pins !! Il prendra un jour une fluxion de poitrine, une
violente congestion, et, sanguin comme il est, il sera vite troussé ! –
Il ne sait toujours rien de ses affaires et attend une
dépêche – il m’a l’air illusionné et me parait aux mains de forbans qui se
jouent de lui – Toute son affaire d’Ambigu n’est pas – je le crains, près de
finir, et il est fort possible que tu le voies maintenant avant moi. S’il ne
tombe pas malade – je pense qu’il reprendra le train pour Paris lundi ou mardi.
C’est un brave garçon, mais affreusement borné ; il n’a ni lectures, ni
philosophie, ni observation, ni jugement ; la conversation est donc courte,
et pénible – je souhaite, je te l’avoue, qu’il reprenne sa santé, ce qui est
probable solide comme il est, et qu’il soit de nouveau obligé de retourner à
ses affaires parisiennes, car vrai … de vrai, les journées seraient longues
qu’il me faudrait passer avec lui ; la vie a creusé entre nous des abîmes
intellectuelles trop profondes.
Je suis arrivé à midi moins ¼ chez le « Bonhomme
jadis » Heureusement qu’il y avait de bons feux, car cette balade sous un
parapluie, ruisselant en Niagara, m’avait mis des aiguilles de glace dans les
bronches et mes ripatons étaient imbibés d’eau. – je me croyais rincé, fichu.
Ce bon père Ducreux, s’il n’était devenu encore plus sourd en raison du temps
humide, me plairait mille fois mieux à la causerie que le « Seigneur des
Pins ». Nous avons fait le bon petit déjeuner que tu connais, même menu,
et je me suis époumoné à crier dans sa trompe d’Eustache tous les propos
possibles – Des Dames, de la villa Corbelle, sont venues le voir, en voisines
et je l’ai quitté, à 2 h ½ pour faire une petite tournée à Cannes et prendre,
toujours sous la pluie, le train de 3.25 qui me ramena ici à 4 h sain et sauf.
Tu as du savoir le retour de Mariani, parti à 4 h
vendredi, accompagné du dolent Xavier chargé de boîtes de cigares dont il avait
cambriolé son vieil ami et des deux commères Rivière qui préparaient déjà les
moyens de régler les frais d’une seconde villa en construction.
La terrible Barroil n’a plus donné signe de vie – je
lui ai fait vendredi partir une lettre lui disant que je n’avais ni le désir,
ni le vouloir de la rencontrer, que j’étais venu à Raphaël pour être seul et
caché et que rien ne me serait plus désagréable que d’être dérangé. J’ajoutais
que j’avais tous les moyens d’éviter les indiscrets et les ennuyeux, et que si elle
brûlait, elle, de l’espoir de se promener avec moi, je me trouvais fort opposé
à de pareilles combinaisons. Le mieux donc, pour elle, était de comprendre que
son égoïsme ne devait pas chercher à se satisfaire au détriment de ma quiétude,
et qu’à la moindre tentative de sa part, je prendrais le train pour me délivrer
de sa présence –
Je veux donc espérer que cette raseuse n’opérera plus
sur ma peau – Mariani l’a vue avec son gaga, je crois : elle lui a dit
qu’ils étaient à Valescure pour 2 jours et qu’ils allaient plus loin en pays
plus chauds.
J’ai écrit à Durel pour lui proposer comme transaction
de me défalquer les 15% de frais de vente sur les n° rachetés par moi et de
prier le commissaire priseur de me retirer 5% sur les frais des dits rachats –
cela me ferait une réduction de 153 frs sur les frais des deux ventes – je ne
crois pas que ce terrible normand accepte, je suis même presque sûr du
contraire – alors je verrai à agir et te prierai de demander conseil à l’effet
de savoir ce que je puis faire en la circonstance – attendons.
Les Bertnay m’écrivent – ils recoivent les Bouloumnié
mardi … et m’invitent – ils peuvent se fouiller – je le leur fais savoir –
quant à la vente de la maison des Pins. Je ne m’en occupe plus, Rochard a l’air
de se trouver si peu empressé de profiter de l’aubaine et si peu reconnaissant
qu’on ait pensé à lui que, le mieux, est de laisser aller les choses, sans
faire aucun zèle –
D’ailleurs, s’il vendait, il ferait de pires bêtises
et les Debay-Dupré voyant le ratelier se remplir viendraient le grignoter à
dents féroces. Le pauvre bougre est insauvable – c’est toujours à recommencer.
Affectueux baisers.
Octave
Le père Ducreux prend toutes les nuits des cachets de
magnésie et de poudre de souffre anglais bien lavé contre la constipation – il
en est ravi depuis 20 ans déjà.
[ref.
1908.21] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (jeudi) 26 mars 1908.
Mon chéri,
Hier passé une bonne journée à Nice, sur la hauteur,
sans fatigue – rentré à 6 ½ un peu en retard, remorquant le cercueil du Duc de
Devonshire, mort à Cannes.
Au retour, trouvé dépêche de Rochard m’annonçant qu’il
arriverait déjeuner ce matin avec moi aujourd’hui – sans indication d’heure de
train – encore souffrant, ajoutait la dépêche – et incapable d’excursion.
Tu sais combien ce brave garçon est accaparant – je
prépare mon dos, ma résistance, sachant que je ne pourrais t’écrire aujourd’hui
l’ayant avec moi, c’est pourquoi je te lance ce mot avant d’aller faire mon
marché –
Bonne santé – ciel gris aujourd’hui –
Aucune nouvelle de la Barroil – sauvé merci, mon
dieu !
Baisers affectueux, en hâte et tendresses, t’écrirai
demain après cette dure journée d’ambigu tenace.
Octave
Je viens de voir passer sous mes fenêtres l’éternelle
jeunesse de Bonvoisin (mars) toujours seule et vieille « côte
d’azur » du temps de Marcellin.
[ref.
1908.22] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (vendredi) 27 mars 1908.
Mon chéri, - La journée Rochard, hier, fut la lourde
corvée, plus déprimante encore que je ne le pensais. Emile arriva à 9.50,
encore fatigué, fiévreux mais toujours fumant, toussant, agité, gesticulant –
ce fut la longue audition de l’affaire-ambigu, au milieu de mots mâchés, de
vagues grognements, de mimiques sans paroles, que je ne pus arriver à
comprendre – Ce que je débrouillai, c’est qu’on doit se jouer de lui et
qu’alors qu’il suppose l’affaire en voie d’arrangement et de versement d’argent
à son compte, à Paris, les sous preneurs s’entendent comme larrons en foire et
que rien ne sera fait, peut-être comme il l’espère – Pendant le déjeuner, ce
fut le long récit de la femme vierge et autres histoires du « monde des
poires » ; le temps, au dehors, était gris et brumeux ; je puis
lui faire faire une petite promenade qui me fit constater son état d’emphysème
et sa lourdeur de vieillard à la marche – Enfin, après la tasse de camomille à
la maison, je le mis dans le train à 4 h 20 – j’étais fourbu d’avoir du ouvrir
les oreilles à tant de folies, sentimentalités, naïvetés, enfantillages, etc.
Ce pauvre garçon, étranger à tout ce qui n’est pas lui et ses affaires
personnelles est vraiment terrible à supporter toute une journée et je bénis le
ciel qui me priva de sa présence de décembre à mars. Je ne m’en serais relevé,
autrement qu’en cherchant des biais pour l’éviter –
Il ne m’a plus invité à monter aux Pins, où il a
convié la femme vierge … qui a voulu s’empoisonner pour lui et qui viendra
peut-être bientôt. Il parle si peu de son désir de consentir à vendre les Pins
que je ne serais pas étonné qu’il ait déjà engagé sa propriété au-delà des
hypothèques et qu’elle soit en gage –
La moralité, c’est qu’il est pénible de fréquenter un
camarade tel que lui, aussi différent de mentalité, aussi incorrigiblement
gogo, aussi vieux physiquement et gosse moralement, aussi désintéressé de tout
le monde, avec de très superficielles tendresses si vite oubliées – Il ne m’a
même pas dit un mot de toi – c’est un instantané – le dos tourné c’est fini, il
oublie tout. Pas méchant pour un sou, mais aussi pas constamment bon avec suite
et jugement. Je m’efforcerai d’ici mon départ à renouveler le moins fréquemment
possible ces petites entrevues qui me donnent plus de fatigue physique qu’un
raid de 20 kilomètres à pied et qui me sont moins salutaires.
Je n’ai aucune nouvelle de Paoli, et n’irai guère à
Cannes que plus tard, pour aller dire adieu au papa Ducreux, que je prie de me
faire signe quand son petit neveu Camille viendra le voir.
De la môme torpille, aucune nouvelle – Je respire et
je crois que la bande Cazalis a quitté Valescure avec ces agitées que j’espère
ne plus jamais rencontrer –
Demain, il y a bataille de fleurs ici – mon boulevard
est couvert de barricades et de tribunes, c’est ignoble – Je serai aux
premières loges, mais je n’en serai pas plus fier pour ça –
Je vais rester cette fin de mois au travail avec joie
et, quand je sentirai une période de beaux jours bien assise, j’irai faire une
petite promenade vers Hyères, Porquerolles, 2 ou 3 jours, pour voir ce qu’on
trouve de ce côté-là pour hiverner, l’an prochain, sans rien déterminer, mais
seulement pour fixer mon jugement.
Le temps est très beau aujourd’hui –
Je suis déjà anxieux, l’heure approchant du retour, de
mon futur chambardement locatif. Je serai vraiment heureux quand je ne
trainerai plus de lourdes charges trimestrielles, et que je ne serai plus
attaché à tant de superfluités ruineuses à transporter et combien fatigantes à
ranger – Je verrai à faire pour le mieux pour sortir avant l’hiver d’une situation
encore indécise mais que je désire simplifier au gré de la sagesse de la
nouvelle vie inaugurée, et qui, seule, peut me conduire au bout de ma dernière
étape sans soucis, fatigues, dépressions, surmenages et sottises sociales. Je
verrai où loger et comment régler mes saisons, voyages, etc.
Affectueuses tendresses.
Octave
[ref.
1908.23] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le dimanche 29 mars 1908.
Mon cher frérot,
Hier, fête des fleurs, sous mes fenêtres, c'est-à-dire
grand gala Raphaëlois avec un temps soleilleux mais à fond d’air frais –
J’avais Mme Rouveyre sur mon balcon, son mari était
revenu de Paris un peu grippé – la fête fut intime et familiale – 25 à 30
voitures et autos, très bien décorées, sans prétention mais vraiment jolies –
de l’animation et de la gaité – la fanfare du 7e alpin venue
d’Antibes et la « municipale » - naturellement la Princesse
Clémentine – Tout cela beaucoup mieux que je ne l’aurais cru possible, très
très supérieur aux horreurs que nous avons vues à Cannes. De 2 ½ à 4 ½ cela
dura, mais j’aurais pris froid à rester sur mon balcon et je rentrai tôt pour
ne me glacer – J’avais naturellement ma provision de fleurs et j’ai offert le
thé à Mme Rouveyre –
Je me suis mal remis de la journée Rochard. Il m’avait
tellement rasé que j’ai eu tout le jour hier un embarras gastrique, dont je ne
suis encore que partiellement remis.
Je suis bien décidé, d’ici mon retour, à vivre en
quiétude et à voir le moins de monde possible car ça m’embête ferme d’avaler
les soliloques égoïstes mâchonnés par des êtres tels que Rochard, qui ne
s’occupent que d’eux, rattachent tout à eux, n’ont aucune indépendance morale
et vous laminent impitoyablement le cerveau, des heures durant, avec une
inconscience de leur moi dominant, vraiment excessive –
D’ailleurs Emile n’a pas de conversation en dehors de
ses propriétés et théâtre, ce sont ses horizons bornés - … alors, zut !
Oui, il faut se garer de la grippe ce mois ci et avril
– je sens qu’il me faut aussi de grandes précautions et que je serai pincé
vivement si j’étais plus social, car je me refroidis en un rien de temps et
quand je suis chez les autres, qui, tous, sont imprudents, je dois subir
courants d’air, mauvaises installations, cafés servis dehors au jardin,
promenades à l’ombre et autres folies –
Physiologiquement je suis fait pour vivre seul, sauf
quoi ça ne serait pas long, la bonne rechute grippale – c’est peut-être
déplorable ; sans doute ma dégénérescence sénile apparaît à autrui, mais
tout ça m’est égal, je ne m’embête jamais seul et la fréquentation des autres
c’est la porte sûrement ouverte sur le mal possible : « la voiture
perfide, le logis mal chauffé, la nourriture équivoque, le courant d’air
imprévu » etc, etc. – Le jeu n’en
vaut vraiment pas le sacrifice –
J’ai su par le cocher de l’omnibus de Rickel que
Cazalis était parti lundi pour La Croix (Cavalaire) et que les Barroil s’en
étaient allés vers Monte-Carlo, dimanche dernier. Alors, tout va bien – plus de
craintes.
J’ai terminé avec Durel – ce fut dur et long – mais il
vient de m’envoyer un chèque de 98 francs qui constitue le rabais obtenu sur
mes rachats – Donc aussi de ce côté plus de soucis – Il me règlera au retour à
Paris –
Je t’embrasse bien tendrement mon chéri.
Octave
[ref.
1908.24] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (mardi) 31 mars 1908.
Mon bon chéri,
Il a fait également délicieusement beau ici dimanche,
hier également, mais il y avait un peu de fraîcheur dans l’air. – Je suis allé
me promener du côté de Fréjus-Valescure ; c’était une vraie journée de
printemps chaud. La campagne était superbe.
Je me suis mis au lait dimanche pour me débarrasser
l’estomac fort encombré, soit par la journée niçoise, soit par celle de
Rochard. Maintenant je vais un peu vivre loin des amis. Je ne fais plus signe
aux Bertnay, ni à Emile. Si je puis aller bientôt à Hyères & à Porquerolles
je le ferai – je guette le temps pour cela. Il me semble un peu « Lune
Rousse » c'est-à-dire imbu de froideur sous le soleil qui arde. Déjà avril
– j’en suis chagrin et grognon – J’aurais tant aimé rester ici mai tout entier
– Enfin il faut savoir se borner quand même – l’année prochaine, j’espère bien
pouvoir m’accorder plus de loisirs au soleil –
Je n’ai eu hier ta lettre du dimanche que le soir à 6
h – l’express de midi ayant eu 3 h de retard.
Je t’approuve de lâcher les dîners du soir - Dans les très grands jours, en mai et juin, ça
peut aller encore, sans fatigue, mais s’exposer en hiver, sans raison valable,
c’est inepte –
Je me couche ici toujours vers 8 ½ à 9 et lis tant que
je ne sens pas la fatigue – ces deux derniers jours ayant été fatigué d’estomac
je me suis mis au lit à 6 ½ et à 7 ½ sans le moindre ennui, heureux de le
pouvoir faire et de sentir mon indépendance à ces détails ; ainsi quel
repos et quelle sérénité de pensée, de philosophie ! quel détachement de
ces plaisirs si vides et si nuisibles ! de toutes ces sottises collectives
qui sont la vie de tant de citadins.
Je t’envoie un petit mot sur la fête des fleurs – ce
fut vraiment charmant et familial – je t’enverrai des photos que Bandréri
carte-postalise.
Cette pauvre Mme M. n’a pas de chance ; je te
prie de lui dire combien je prends part à cette suite de mistoufles. J’espère
bien qu’elle se remettra vite – des frictions à l’huile d’Eucalyptus font
beaucoup de bien dans ce cas.
Je t’embrasse bien tendrement.
Octave
[ref.
1908.25] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le (jeudi) 2 avril 1908.
Mon bon chéri, - J’avais comme un pressentiment de ta
grippe, te sachant si sensible et délicat et redoutant ce néfaste début de
printemps toujours si ironiquement glacial, humide et sâle à Paris.
J’espère bien que ce mot te trouvera tout à fait mieux
et que ce sera ta dernière attaque, car vraiment tu n’as pas de chance tu
trinques à toutes saisons.
Ici, il a fait, depuis deux jours, un violent mistral,
très lumineux ciel et, chose étrange, avec ce vent, une température de Sirocco,
donnant de 22 à 25 degrés à l’ombre – je suis allé me garer hier dans les bois
de St Aygulf où j’ai passé une délicieuse après midi – ce grand parc solitaire
est très à mon goût –
Ma santé est bonne, mais je continue un régime demi
lacté pour me remettre l’estomac qui depuis six jours fut nerveux, fécond en
bâillements, en gaz, en éructations, en intolérance alimentaires. – je bois du
quassia amara et comme j’ai du lait délicieux, et désormais plus aucun repas à
accepter chez autrui, j’en profiterai pour me recaler tout cela – ça va déjà
mieux.
Je ne saurais te dire mon angoisse de songer à
retourner à Paris d’ici 25 jours – Hélas ! tout arrive ; mais, je
sens bien à quel point je me sens hostile à cette ville de cannibalisme, de
lassitudes, d’égoïsmes collectifs, de laideurs morales, de ciels sâles, de
vanités et de sottises aveugles – Enfin, j’agirai pour régler mon exode et
consolider mon indépendance.
Affectueusement à toi.
Octave
[ref.
1908.26] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (samedi) 4 avril 1908.
Je veux espérer que tu es sorti de cette fâcheuse
grippe qui sévit ferme à Paris, si j’en crois certains échos de lettres – Mme
Dommartin et son fils sont rentrés de Paris à Bruxelles affreusement malades.
Cela va sévir jusqu’au 15 mai au moins – c’est l’époque terrible.
Tâche de te remonter et de ne sortir que tout à fait
recalé – quant à Hélène, je pense bien qu’elle n’aura été que frôlée et que ce
ne sera pas grave. Elle est vite déprimée, mais courageuse et bientôt remontée.
– son énergie me rassure –
Ici, le temps est printanier, chaud, délicieux. Je
suis allé, ces derniers jours, sur la côte des Maures faire quelques promenades
– J’étais las d’admirer cette mer pure et bleue, ces bois de pins verts, ces
bruyères géantes blanches de fleurs et cette griserie de l’air et de la lumière
– Et il va falloir quitter tout cela pour ce nord humide, triste, si rarement
soleillé et aussitôt étouffant, j’en suis fort désolé –
Ma santé est bonne et je fais tout pour la conserver
et l’améliorer, car je la sentirai vite fragile, si j’en mésusais – nous ne
pouvons nous mettre à l’unisson, ni toi ni moi, de nos contemporains qui vont
aux fêtes, banquets, dîners en ville, qui fument, voient des femmes et
continuent à croire à l’illusoire jeunesse. La façade dure quelque temps et
puis ils s’effondrent.
Je ne me compare pas d’ailleurs, j’y ai renoncé, je
les trouve résistants, incompréhensiblement résistants mais je ne les envie pas
et ne demande qu’à continuer ma petite vie solitaire, méditative, hygiénique et
ménagère de mes forces.
Je n’ai aucune nouvelle de Rochard qui très
probablement barbotte dans la purée qu’on lui fait à Paris – Rien non plus des
Bertnay, mais peu importe ! Je ne veux donner signe de vie et prolonger le
silence autant que possible – je ne redoute qu’une chose : les
distractions imposées, les réceptions, les longues journées gâchées contre son
gré avec les amis, loin de ses habitudes et de ses soins.
Je t’envoie une postale de voiture fleurie
représentant la carriole du marquis du Refuge avec sa femme – je te porterai
les autres au retour. Il y en a beaucoup –
Mes souvenirs à Mariani. – que devient Javert ?
Je vais aller ce matin au Trayas déjeuner et promener – c’est un coin
merveilleux incomparable –
J’attends nouvelles de ta lente mais sûre
désintoxication et je t’embrasse affectueusement, mon chéri.
Octave
[ref.
1908.27] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le (samedi) 4 avril 1908. Soir.
Mon chéri,
Je vais toujours bien, avec un temps agréable bien
qu’insuffisamment beau pour le midi, mais du soleil, du bleu, pas de
pluie : il ne faut pas être exigeant –
Je prépare ma petite vitesse, ma chambre sent déjà le
déménagement, le départ qui immine.
Je quitterai sans doute Raphaël le lendemain ou
mercredi après Pâques pour ne filer un 13. D’ici là beaucoup à travailler et à
courir à Cannes, à Anthéor, etc.
Tu me demandes où parut mon article sur la fête des
fleurs ici ? Dans le petit marseillais mais je ne le signai – c’est sans
importance.
Je suis toujours sans réponse du Figaro
illustré ; il y a déjà cinq jours que je leur répondis – avise en de
Malherbe – une fois en Italie les lettres ne me suivront plus tout de go –
Je t’envoie un chèque de 250 frs sur ma société de
Paris que tu mettras en compte à ton crédit rue de Rennes, en échange de cette
somme envoie moi 250 frs en billets de banque par lettre recommandée tout
simplement vers lundi ou mercredi, peu importe c’est pour n’être point trop ric
à rac en Italie – Ici j’ai toujours reçu de ce que je gagnais à la Dépêche.
Je ne vois rien de spécial à te conter.
Je t’embrasse bien affectueusement, mon bon chéri – ne
te fatigue pas, crois moi, tu en feras toujours trop pour ton inconscient
patron – Pense à toi d’abord et ne te dépense pas plus que tu ne le dois pour
le peu relatif que tu en retires.
Bien à toi encore.
Octave
[Post Scriptum] Tu as du voir dans le Mercure la tête
de vieux youpin que Rouveyre y publia sous mon nom - ça m’est égal, je t’assure
(Mercure de France du 1er avril)
[ref.
1908.28] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Lundi matin. Le 6 avril 1908.
J’espère avoir aujourd’hui des nouvelles tout à fait satisfaisantes
de ton état de santé, et apprendre que tu te sens tout à fait hors de grippe –
Samedi, je fus déjeuner chez Sabe, après belle
promenade au Trayas, par un temps superbe.
Cette nuit, après une journée assez belle, hier
dimanche un long et terrible orage, qui commença à 4 h du matin pour ne se
terminer qu’à 8 ½ - une grêle terrible tomba deux heures durant qui à l’heure
actuelle 10 h n’est pas encore fondue et blanchit le sol et les toits – cela a
du tout faucher dans les jardins fruitiers et autres – le soleil est revenu
aussitôt – il ne boude vraiment pas longtemps dans ce pays privilégié –
Je devais aller au Lavandou – Je remettrai ma
promenade à jeudi, car mercredi je dois donner à déjeuner à Brokhaus, de
Leipzig, qui est à Monte-Carlo et désire m’entretenir de Casanova.
Ma santé est bonne, mais mon estomac fatigué malgré ma
sobriété extrême – cela m’ennuie, car si peu que je dîne le soir j’ai souvent
des digestions qui m’éveillent avec palpitations, sensations nerveuses
généralisées et angoissantes – J’irai sans doute voir le Dr Bontemps cet après
midi pour lui parler un peu de mon état général, très bon mais avec excès de
facilité à me refroidir et à ne pas tolérer mes alimentations cependant
délicates.
Hier, pour une heure passée chez les Rouveyre le soir,
cependant près du feu, je rentrai les mains glacées comme un mort et tout
réfrigéré. Toutes les visites un peu prolongées me font cet effet – aussi j’en
fais peu … mais toujours même résultat.
Rochard m’écrit qu’il ne sort pas de ses « dépêches »
et que ses affaires sont toujours à la veille d’être traitées, mais que
l’argent n’est jamais versé – comme je le lui écris, les choses de théâtre sont
pleines de dessous pourris et il est et sera aux mains de gens peu scrupuleux
qui connaissant son désir impatient de se libérer de l’Ambigu lui joueront tous
les vilains tours possibles – c’est mon opinion, et je ne vois pas pourquoi je
la dissimulerais à ce doyen des jobards. Je lui dis de m’inviter du 13 au 18
aux Pins avec le Bertnay, ce qui me ferait d’une pierre deux coups car je ne
puis guère songer à recevoir ici les Bertnay et je ne veux plus aller à Anthéor
–
Je pense aller de jeudi à samedi au Lavandou, Hyères,
Porquerolles et rester 3 jours absent – puis, j’irai sans doute lundi chez
Ducreux, je ferai ma visite P.P.C. à Marny – et je m’arrangerai de façon à ce
que tout soit réglé pour Pâques, voulant l’absolue quiétude du 20 au 26 pour
préparer mon retour et m’aérer à ma guise.
Je partirai le 27 pour ne rentrer chez moi que le 29
ou le 30, voulant coucher à Marseille et Dijon ou bien ailleurs.
Il me semble que tout cela soit demain, tellement
c’est proche et je sens déjà l’angoisse de tout ce que j’aurai à faire.
Ah ! la folie d’avoir accumulé, de m’être plu aux bibelots, aux
appartements onéreux, je l’expie, car je sens si bien que moins l’on a, mieux
on est.
Comme je serais à mon aise, si j’avais été moins bête
de toute manière avec logis excessifs, femmes arrosées plutôt largement de
pensions, frais de toutes sortes, tout cela pour avoir été, pour m’être,
condamné à la vie recluse, aux travaux forcés, à la neurasthénie qui me tient
encore un peu – Regrets superflus, yeux trop tard ouverts à la vérité – enfin,
espérons que je saurai vivre plus sainement les derniers jours qui me sont
encore dévolus – je ferai tout pour cela.
Je t’embrasse affectueusement, mon chéri.
Octave
[ref.
1908.29] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] (mardi) Le 7 avril 1908.
Mon bon chéri,
Je viens d’écrire un mot affectueux à Javert qui doit
s’embêter comme un vieux perroquet royal, loin des cours familières – je lui
dis, ce qui est vrai, que je vais aller quelques jours vers Hyères et la côte
de Toulon et que j’essaierai de lui aller donner le bonjour lundi 13 à Cannes
dans la matinée (en allant chez M. Ducreux).
Le temps est redevenu merveilleux.
Je fus hier voir le Dr Bontemps – j’ai causé à un peu
avec sa femme plutôt très sympathique et après quelques mots sur mon état
général, il m’a fixé de me voir chez moi, le soir, à 4 h sur mon pieu.
Cet homme a une toquade fixe qui lui fait voir de
l’intoxication intestinale partout et quand même et des « tonnes de
matières fécales accumulées dans l’intestin », après m’avoir brassé le
ventre fortement il me déclara que j’avais des « matières considérables
qui m’encombraient – Oh ! Molière ! ) – cependant mon ventre était
souple comme un gant et nullement douloureux – Il m’ausculta cœur et poumons –
résultat – vous êtes un ralenti – pouls 60 pulsations, insuffisance, donc insuffisance
de flux sanguin dans les poumons, mauvaises fonctions générales … conséquences
d’intoxications de l’intestin – d’où régime omnibus que tu connais :
manger, boire de tout copieusement, exercice de promenade, pas plus, tous les
jours le matin la cuillerée à café d’huile de ricin, puis lavage du rectum avec
100 gr. d’eau tiède – avec ça, tout doit disparaître – voilà pourquoi votre
fille est muette – Je sais bien, moi, que je fais surtout de la stase
pylorique, que tous mes gaz et ferments viennent de l’estomac qui les fabrique,
etc etc, que j’ai de la dyspepsie nerveuse, etc etc, je vais toutefois essayer,
en bon mouton, le fameux traitement que tu suis et a suivi ; mais je
crains de devoir y renoncer d’ici peu de jours. Je serai toutefois
consciencieux et te dirai ce qui en est – ce brave garçon est aimable, mais
léger comme un feu follet … il était convaincu que tu avais eu le ventre ouvert
et que, seul, il t’a mieux guéri que les chirurgiens – O !
Suggestion ! – je l’ai détrompé sur l’opération, mais peu importe, a-t-il
dit … et j’ai compris qu’il préférait sa version et pour lui tu as été opéré,
ça lui va mieux comme ça. Ah ! puis Vittel, Vittel pour moi ! Il n’y
a que ça – Je le reverrai avant mon départ – à ce sujet, je dois partir de chez
Simon fin avril et je crois que le fils arrivera pour me remplacer à l’expiration de mon contrat – de toute façon,
je filerai le 27 ou 28 quitte à m’arrêter en route plus ou moins.
Quant à mon appartement à Paris, je suis bien décidé à
ne pas me fatiguer – j’ai en tête une combinaison qui me porterait à en céder
la moitié en meublé, petit salon, salon et salle à manger transformés en 2
chambres à coucher et salon, loués à l’année et je garderais ma chambre à
coucher – la pièce du fond mon boudoir & la cuisine –
En louant la chambre de bonne à part, je pourrais
facilement retirer mon loyer et avoir une installation presqu’à l’œil, sans
autre fatigue que celles d’un déplacement mobilier et d’une réinstallation
facile à combiner –
Je verrai ça sur place au retour –
Je ne t’écrirai pas demain car j’aurai ici Brockhaus
de Leipzig à déjeuner –
Tendresses bien affectueuses.
Octave
Je te dirai le résultat de l’huile de ricin, du
massage abdominal au lit fait par moi-même, et le petit clystère d’eau tiède de
100 gr. comme lavage du rectum.
Le premier jour, ce matin, cela a assez bien marché,
attendons.
Je partirai sans doute jeudi pour Hyères,
Porquerolles, etc.
Octave
Ci-contre un billet que tu utiliseras ou déchirera, à
ta guise. [le billet manque].
[ref.
1908.30] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] (mardi) Le 7 avril 1908.
Mon bon chéri,
Hier, à Cannes, promenade avec Rochard, deux heures
durant, sur la croisette. Toujours même situation ; ce brave garçon
inconscient d’être roulé, n’y comprend plus rien – c’est le jobard phénoménal
que rien ne rendra clairvoyant et l’être le moins ouvert qui soit sur la vie
réelle et les nombreux intérêts qu’il y a à vivre, moins bêtement qu’il ne le
fait. – la conversation est affreusement bornée avec lui, aussi bornée que son
esprit qu’il meuble si mal et de façon si pitoyable. Il pense à me recevoir
avec Bertnay le mardi de Pâques, mais avec ses affaires louches, il se peut
qu’il parte et je n’en serais pas fâché – je n’ai, somme toute, pas encore mis
les pieds aux Pins – J’ai prié les Bertnay pour le lundi de Pâques, où il y
aura ici une seconde bataille de fleurs. J’ignore s’ils viendront – Politesse
en tout cas sera faite – jeudi, j’irai déjeuner chez les Amherst, peut-être
irai-je mercredi ou vendredi saint à Marseille. En revenant de Cannes, j’ai vu
guignoler à portière du rapide qui me ramenait « La Flandreyssy » qui
rentrait à Paris, très documentée sur les faits et gestes de Mariani et même
sur les miens par le dit Angélo.
Ma santé est infiniment meilleure – je continuerai ma
cure de ricin encore 8 à 10 jours, puis j’alternerai avec la médecine de
Ducreux – le souffre est un désinfectant et je suis convaincu que la longévité
de notre vieil ami est due à cette excellente préparation qui lui fut donnée
par un remarquable docteur lyonnais. J’ai fait un bon petit déjeuner avec ce
brave homme, fort aimable malgré sa surdité, athanase était à Monte-Carlo mais
trois voisines très gentilles sont venues prendre le café, dont une anglaise
charmante – J’ai fait mes adieux et suis rentré par le rapide de 3 h 22,
lâchant Marni vraiment trop poseuse, à mon gré, avec son jour et son
« tout Cannes ». Oblige moi d’envoyer au Père Ducreux mes 5 ou 6
derniers articles de la Dépêche, si tu le peux –
Très chargé de lettres à écrire. Mes affectueux
baisers.
Octave Uzanne [signature entière]
[ref.
1908.31] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] (vendredi) Le 17 avril 1908.
Mon bon chéri,
J’ai reçu la visite du père Sauteron et de son gars St
Cyrien – il fait un temps gris de vendredi saint, ma santé est bonne et
j’éprouve grand bien de mes prises d’huile chaque nuit, me donnant des selles
faciles et souvent fort odorantes, indiquant que l’intestin demande à être
purifié –
Je crois que les pilules du Dr Nepper sont à la longue
intoxiquantes et nuisibles – il en faut trop prendre, tout cela doit faire un
sâle mastic dans les boyaux.
Les Bertnay viennent, tous les 3 déjeuner, lundi – la
fête des fleurs leur plairont ; il y a déjà 25 voitures engagées, fanfare
d’alpins, etc – Sur mon balcon, ces anthéoriens exulteront. J’ai passé hier
quatre heures fort agréables « en Angleterre », ches les Amherst, qui
me plaisent infiniment – déjeuner, promenade, etc avec le vieux lord et sa fille
aînée – la vieille petite miss Sybil a failli mourir de l’influenza – comme il
faisait un terrible vent d’est, le landau de Paul Séquier m’a conduit à Lou
Casteu et est revenu m’y prendre à 3 h ½.
Je continue mes préparatifs de départ ; je
laisserai ici mes livres et beaucoup d’effets, car je suis à la veille de louer
à St Raphaël un appartement que je n’espérais jamais pouvoir obtenir sur le
cours Jean Bart – c’est tout une histoire. La destinée m’aura bien servi –
je l’espère du moins. Je signerai sans doute demain un bail de 6 et 9 ans – Le
logis est tellement vaste, haut de plafond et relativement bas de prix que
c’est une occasion unique ici – si je n’avais pas laissé flairer en moi – avec
roublardise – un acquéreur de tout l’immeuble, je n’aurais pu faire donner
congé au parisien qui s’y plait depuis déjà neuf ans et qui a failli me dévorer
de rage lorsque je lui ai fait déclarer qu’il ne faudrait céder. Il récalcitre
toutefois et ce sera dur. – Tout cela est encore compliqué : il ne veut point
partir avant avril 1909, il invoque la tacite reconduction, etc, en tout cas je
m’arrangerai à l’étage au dessus en attendant et je me considère déjà comme
citoyen raphaelois …
Je te conterai tout cela par le menu – cette location
ici est nécessaire à mes projets, sois de cession de mon logis parisien, soit
de location du dit en meublé – je dois savoir où mettre le surplus de ce que je
garderai et, si je veux faire également ici, hiver ou été, de la sous location
en meublé, rien ne me sera plus aisé – je gagnerai peut être sur l’ensemble.
Je pense à tout régler dès mon retour chez moi et tout
est bien fixé en ma tête, bien précis. Je désire regarder l’ensemble de mon
logis à Paris (meubles et installation de détail) comme un capital à faire
fructifier au mieux de mes intérêts, après avoir vendu la superfluité
bibelotière et œuvres d’art. Je commence à bien voir clair dans le processus à
suivre – à ce propos – je te prie d’entrer un jour, avenue de l’Opéra, chez
Bernheim et de lui demander ce qu’il a comme Carriès – après avoir vu ce qu’il
te montrera, et lui avoir demandé les prix ; tu lui diras que ce que tu
recherches surtout ayant beaucoup du reste, c’est le Guerrier et tu lui
diras : « Pensez-vous pouvoir vous procurer une belle épreuve bien
patinée, quel prix faudrait-il envisager – etc – Bref tu joueras l’amateur – ça
me servirait à amorcer une nouvelle et dernière affaire au début de mai –
penses-y – tu m’obligeras – à la rigueur tu peux y aller comme chaperonnant une
autre personne de belle apparence – fais pour le mieux – ce truc peut me servir
puissamment –
Merci pour l’envoi au papa Ducreux – je te tiendrai au
courant de toutes mes petites affaires.
Ici le soleil chante dans les nuages.
Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1908.32] Pâques – Dimanche 19 avril (1908).
Mon chéri,
Je vais bien – la fête-bataille des fleurs s’organise
sous mes fenêtres, les Bertnay arrivent demain à midi, tous les trois, je les
recevrai très somptueusement, au point de vue culinaire et boisson - … et fleurs.
Le mardi j’irai déjeuner aux Pins avec les dits
Bertnay et P.P.C. à Emile, dont je ne sais rien que par un télé brutal. Je le
crois toujours dans sa marmelade de poire sérieusement tapée. Je te conterai la
suite de mon projet de bail locatif. J’ai le logis en perspective, sans avoir
rien à signer – les circonstances m’ont servi. Je ne déciderai rien avant
l’automne. Je puis toujours revenir ou je suis – Je connais la merveilleuse
situation, l’agrément du dit logis où je fus si paisible et si heureux – Il me
faudra surtout un coin pour les livres que je garderai et quelques objets
mobiliers – car je me déciderai plutôt à sous louer en meublé tout mon
appartement. Ce sera plus facile, plus productif, avec facilité de ne l’avoir
plus occupé aux seules heures qui seront à ma convenance à Paris, du 15
septembre au 15 novembre qui sont les mauvais moments pour étrangers et les
seuls bons pour moi à Paris – En juin, je ne resterai que peu à Paris et j’irai
fort bien à l’hôtel meublé, ou même en pension à Versailles où l’on est très
bien.
J’espère que ta santé est parfaite, mon intestin se
vide, s’amollit, s’améliore, je crois, avec l’huile – J’irai voir le Dr
Bontemps mercredi et le remercierai – je prends le ricin de 2 à 3 heures dans
la nuit –
Je t’embrasse affectueusement – je ne pourrai t’écrire
que demain, car mes journées de lundi et mardi seront très remplies. – A
bientôt.
Octave
[ref.
1908.33] [carte-lettre à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin,
Saint-Raphaël (Var)] Le (mardi) 21 avril 1908.
Mon bon chéri,
Je t’écris pendant la bataille de fleurs un peu
mistralisée mais soleillée à fond – beaucoup plus populaire et moins réussie
que la première – Les Bertnay sont arrivés à 9 h 53 ce matin ; nous avons
du déjeuner à 11 h, car ils devaient rentrer à 2 h à Anthéor pour rencontrer
Coquelin aîné qui va pêcher, diner et coucher chez eux –
Ils ont été ravis de mon déjeuner et y ont fait
honneur. Je puis dire qu’il était complet, varié, parfait – Je n’ai pas été
fâché de leur départ un peu hâtif, d’autant que demain je les retrouverai aux
Pins, où je partirai à 9 ½. Toutes mes correspondances s’achèvent, aussi mes
caisses et paquets. Je m’en vais sans enthousiasme ce prochain lundi, mais il
faut toujours en arriver au départ – j’ai tout préparé pour mener hâtivement
mes affaires à Paris. Si je veux me libérer pour octobre, il ne faut pas que je
m’endorme, j’espère bien arriver à tout faire –
J’ai une autre affaire de location en train que je ne
pourrai terminer qu’à Paris – la maison contiguë à la mienne – quelque chose
d’extraordinaire – je suis allé hier chez le Dr des carrières de porphyre du
Dramont pour arranger cela – tout cela est à te conter par le menu –
Selon le résultat, j’agirai dès le 5 mai dans le sens
du meublé ou de la cession de bail à Paris.
Affectueux baisers. J’ai écrit à J. Ducreux P.P.C. lui
disant que j’irais peut-être à Tourville.
Octave
[ref.
1908.34] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le 22 avril 1908. Mercredi.
Un bon jour, mon cher Joseph, je sais chaque jour les
nouvelles de la veille, comme température de Paris, par l’Eclaireur de Nice et
je vois que la lune rousse sévit dans la capitale … et même ici un peu – mais
que sera-ce, si comme on le prétend, la vraie lune rousse ne commence qu’au
début de mai pour se terminer fin juin … alors, alors ce serait à fuir en
Egypte ou au Soudan.
J’ai passé une bonne journée aux Pins, hier, après
avoir été voir le matin un magasin d’ameublement d’art à Cannes, où j’avais
donné rendez-vous aux Bertnay –
Nous n’avons trouvé Rochard qu’à midi ½, une heure
après nous, aux Pins – avec de mauvais indicateurs il avait trouvé le moyen d’attendre
en vain tous les trains qui n’étaient pas ceux susceptibles de nous amener.
Ce brave garçon est toujours dans le même état, sans
solution, toujours se croyant à la veille de traiter, d’un optimisme
indémontable – Nous avons tous bien mangé, bu, été très gais, porté ta santé,
et avec les Bertnay sommes revenus par le train omnibus de 4.46 qui les laissa
à Agay tandis que je revenais à Raphaël – Emile viendra peut-être déjeuner ici,
mais, moi, je ne quitterai plus mon patelin, avant mon départ lundi matin 27 –
Maëterlinck me supplie d’aller déjeuner à Grasse et de
faire une belle balade en auto, mais si je veux arriver à tout faire en bon
ordre, je ne dois plus m’absenter et je décline tout –
Quant à mon local du quai, le locataire évincé était
si consterné de s’en aller après 9 ans, qu’il a signé un bail au dessus de 800
f et que je n’ai plus à y compter, ce dont je me félicite parce que la Garonne
était voisine, porteuse de pestilences estivales, de moustiques, etc – et que
les pêcheurs étaient bruyants dès 4 h. du matin et le soir après cabaret –
enfin parce que le quartier n’était pas coté.
Je verrai, dès que rentré, comment m’arranger c’est un
problème difficile à résoudre et qui demande beaucoup de réflexion, de
combinaisons, de jugement, pour tout régler au mieux et sans fatigues – quand
je serai sur place que j’aurai vu les agents, mis des annonces, attendu une
solution, je déciderai.
J’écris à Quantin, mais pour lui parler et non pour me
lier ; tout dépendra de ce qui s’offrira et de ce que je saurai pour le
logis du Bd Félix Martin, maison contigüe à la mienne. Je serai fixé le 5 mai –
Tout cela approche et m’intéresse assez pour donner un
peu de fièvre nécessaire à mon retour à Paris – sauf quoi mon désir de revoir
l’Alma est bien morne –
Merci pour la visite à Bernheim – Tu me diras ce que
tu auras entendu de ce youpin.
Le temps ici fut beau hier et aujourd’hui mais les
montagnes couvertes de neige au loin ont rafraîchi la température – l’eau n’a
guère que 11 ou 12 degrés.
Louise a pris pendant que j’étais à Cannes son 25e
bain – Elle est jeune et a du sang chaud – Je ne m’y aventurerais pas encore.
Tandis que depuis mars elle n’en manque pas un jour. Je t’écrirai vers
vendredi, samedi –
Je t’embrasse mon chéri – Bien affectueusement.
Octave
Dès que j’aurai le papier Chavance que tu m’annonces,
je le signerai et expédierai à son destintaire à Auxerre –
J’irai voir P.P.C le Dr Bontemps après déjeuner –
Ci-contre une lettre de cet excellent Père Ducreux
reçue ce matin –
La température actuelle dans le nord me rappelle celle
que je dus subir à Auxerre il y a un an et qui me grippa si fort.
[ref.
1908.35] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le jeudi soir 8 h ¾ nuit – (23 avril 1908).
Mon cher Joseph,
J’arrive de me promener à Ste Maxime – ma petite
vitesse est partie, mes malles seront expédiées directement pour Paris dimanche
avant midi et je partirai avec presque rien à la main, pour Marseille lundi à 8
h ½ du matin –
Je ne m’inquiète pas du chauffage de mon appartement
de Paris, où j’arriverai vers 3 h ½ - je ferai allumer le calorifère par la
concierge, et Alphonsine qui m’approprie tout depuis plusieurs jours, déjà
tiendra le feu prêt – je connais mon local très tiède, facile à tenir en bonne
température et chauffé par les voisins – je n’y ai eu jamais froid et ai
toujours pris mes grippes dehors. Je n’ai plus comme toi de pièces glaciales,
telle ta chambre à coucher – J’espère bien, d’ailleurs que la température se
relèvera – l’anormal ne peut s’éterniser –
Ici j’ai toujours fait du feu dans mon cabinet, j’en
fais encore avec joie, ça ne me changera pas de tisonner en mai à Paris où il
ne fait jamais beau avant la mi juin.
Je t’écrirai pour mon arrivée en t’envoyant mon
bulletin de bagages de façon que tout puisse être chargé sur une auto ou un
omnibus de 4 à 6 places – je n’aurai que deux malles de dimensions moyenne et 3
autres petits colis peu lourds.
[ref.
1908.35bis] Vendredi 24 avril 1908 [date ajoutée par
Joseph Uzanne].
Rochard vient déjeuner ce matin, ici pour me faire ses
adieux, je serai donc avec lui jusques à son départ à 4.26 et avec ses façons
d’être, je ne trouverai guère le temps de t’écrire après déjeuner.
Il faudra que je le promène et surtout que j’écoute
toutes ses histoires du Boulevard du crime. – Je suis prêt à cette dure fatigue
–
J’ai fait mes adieux avant-hier au Dr Bontemps qui te
guette et nous guette à Vittel – Je crois que je me déroberai surtout, si la
croisière réussit à mon gré sur le Charles Roux.
Ce Dr B. est un bonhomme, mais d’une légèreté
fabuleuse, il voit tout à la grosse, choses et gens et se montre optimiste sur
tout – Sa toquade intestinale, heureusement, n’est pas mauvaise – il a pris une
bonne formule sans avoir eu à l’inventer et c’est le pionnier des matières
fécales, le terrassier des agglomérations intestinales –
Je t’écrirai une dernière fois dimanche mon chéri – Je
te ferai toutes mes recommandations pour le retour et peu à peu après ma
réinstallation je te dirai mes projets et ce que j’ai fait ici.
Je rentre sans illusionner sur le rôle de liquidateur
de mes propres encombrements que je vais avoir à jouer – je veux me rendre
libre, tout à fait, couper mes attaches, mais je sais toutes les difficultés et
obstacles qui m’attendent – ventes aux enchères médiocres, sous locataires
réfractaires au beau, mauvaise ordonnance pour le meublé – je sais que de
quelque façon que je me retourne il y aura des épines très dures et des
problèmes pénibles à résoudre. C’est par une volonté tenace d’en sortir et par
des sacrifices que je parviendrai à tout régler avant l’hiver prochain. –
A bientôt, mon chéri, bien tendrement.
Octave
[ref.
1908.36] [papier à en-tête imprimé au 35, Boulevard Félix-Martin, Saint-Raphaël
(Var)] Le 26 avril 1908 – Dimanche.
Mon chéri,
Je viens d’expédier mes colis ce matin directement
pour Paris, car demain lundi, fin des vacances de Pâques, il y aura poussée de
voyageurs et tous les trains seront dédoublés :
Je t’envoie mon bulletin de bagages.
Il y a cinq colis, presque tous étiquetés à mon
nom :
1° 2 malles – moyennes.
1 – dite de cabine –
2° - 1 revêtue de parchemin –
3° - un panier plat – (panier à poules rempli de
couvertures et effets)
4° - une grande caisse de bois légère pour chapellerie
5° - un sac de toile cirée ficelé de cordes –
Ces 5 colis seront en gare de Lyon demain soir lundi
au plus tard –
Voici ce que je te prie de faire =
Si Filleol n’a pas de services urgents à te rendre
mardi, donne lui quelqu’argent et envoie le à la gare vers 9 à 10 h le matin.
Il frétera un grand coupé de la compagnie ou bien un
petit omnibus 4 places et trottinera avec tout mon baluchon 5 place de l’Alma,
où il fera décharger les 5 colis -,
Ces colis pourront être montés au 5e soit
successivement en 3 fois par l’ascenseur et là haut, Alphonsine, qui sera dans
l’appartement aidera à les rentrer ou à laisser les grosses malles à la porte.
Soit, ce qui serait plus pratique par le grand
escalier, avec l’aide du commissionnaire pied bot qui se tient près du débit de
tabac sinon l’un des marlous à tout faire qui se tiennent toujours sur mon
trottoir.
Les 2 malles et le panier seuls seraient à monter à
dos d’homme – environ 2.50 à 3 f pour l’Hercule qui les montera. – Le sac noir
et la grande chapellerie trouveraient place dans l’ascenseur. Je préviendrai Alphonsine
et tout pourrait être porté chambre du fond.
Ceci est une 1ère hypothèse dans le cas où
ce service fait par Filleol ne te dérangerait en aucune façon, au cas
contraire : seconde hypothèse.
J’arriverai mercredi en gare de Lyon venant de Dijon,
à 2 h 40, dans ce cas, tu me garderais et ferait retenir un omnibus sur lequel
avant mon arrivée seraient chargés mes 5 colis et je n’aurais qu’à partir pour
l’Alma –
Je préférerais la 1ère hypothèse – et en
cas de la première hypothèse exécutée, un bon fiacre fermé ou un petit coupé de
la Compagnie me suffirait à mon arrivée pour regagner mon domicile – je
n’aurai, ainsi que Louise qui arrivera avec moi, qu’un petit colis à main, un
simple sac, sans importance – En tout cas, fais pour le mieux, sans te déranger
– voici mon bulletin.
Quant à toi, mon chéri, ne viens à la gare mercredi
que si ça ne te gêne en rien, si tu as à faire, s’il fait mauvais temps ne te
dérange pas – à la rigueur je pourrais rentrer en tramways. Tu pourras m’écrire
ou télégraphier mardi matin hôtel de la Cloche à Dijon ce que tu auras fait. –
Toutes mes affaires achevées, tout parti, même un 6e
article du mois pour la Dépêche. Je vais pouvoir aller me promener aujourd’hui
n’ayant plus rien à faire qu’à partir demain matin à 8 ½ pour Marseille.
Tendresses affectueuses.
Octave
[ref.
1908.37] [carte postale – Avignon – Les remparts] 28 avril 1908. [adressée à
Joseph Uzanne au 172 Boulevard St Germain, Paris VIe].
Cours de route. 28 avril 08.
Execellente journée hier à Marseille. En cours de
route sur Dijon où je dinerai et m’arrêterai avec plaisir – Il fait un chaud
temps orageux, même à Lyon.
Je serai donc comme convenu à Paris demain à 2 h 20
gare de Lyon – Tendresses.
Octave
[ref.
1908.38] [papier libre] ce dimanche (3 mai 1908 ?)
Mon chéri,
Je vais bien, mais je souffre pitoyablement de Paris,
de ses atmosphères ignobles, de son bruit, de son insécurité dans la promenade
et de tout ce qui vous y guette de malsain, d’inconfortable, de laid, etc –
Comment peut-on voir cette ville en beau !!! –
Je continue à préparer mes ventes, à écrire à des
commissaires priseurs et experts, à tout préparer chez moi pour faire du meublé
ou de la cession totale de logis avec mobilier complet, sauf menus bibelots
réservés aux enchères prochaines.
Tout cela est long – J’expie ma maladie décorative à
outrance … je l’expie de façon dûre, car toute ma folie m’apparait avec les
esclavages qu’elle me causa et me cause encore pour liquider aux mieux de mes
intérêts –
Heureusement je me crois encore débrouillard, actif,
énergique, capable des efforts nécessaires, d’ici cinq ou six ans, tout cela
aurait été plus pénible et je frémis à l’idée, qu’en cas de décès, je t’aurais
laissé tout cela à liquider – quel travail ! que de tracas tu aurais eu
pour en sortir convenablement avec ton caractère moins impétueux que le mien
pour brusquer les choses dans la passion d’en finir rapidement, décisivement –
Hier, avec ce sale temps d’orage, je fus à Auteuil
voir ce que locativement il y avait. J’ai visité 20 à 25 logis à prix moyens –
Quels horreurs ! faut-il que ces pauvres ilotes de Paris soient peu
difficiles pour accepter le logement de pareilles turnes à des prix
effrayants ! Quelles misères parisiennes !
Je te verrai donc mardi chez la Flandr … ça ne me dit
guère d’aller chez cette oie de Provence, mais j’irai t’y voir, car je ne veux
diner dehors le soir, même chez toi – je désire concentrer mes efforts vers une
issue favorable de ma situation, activer les choses, de façon à ne pas vivre
ici de juin à août – oh ! non ! –
Je verrai Quantin aujourd’hui ou d’ici peu, mais je ne
veux pas m’engager avec lui – Je crois que mes avantages sont ailleurs et je le
lui dirai.
Affectueusement.
Octave
[ref.
1908.39] [papier à en-tête imprimé au 5, Place de l’Alma à Paris VIIIe] Ce 15
mai 1908.
Mon bon chéri,
Je pars demain matin à midi 05 pour Melun – Barbizon –
Je resterai chez Mme Hervy à me reposer et à prendre des forces pour le coup de
collier de mes nouveaux envois à l’hôtel et travaux divers du 21 au 30 courant
– J’ai beaucoup à travailler de ma plume, une préface pour un livre de
d’Aurevilly, des articles, des corrections de catalogues. Je ferai tout cela
dans le calme rustique – Je resterai jusqu’à mercredi soir « aux
Jasmins ». Je n’ai pas besoin de te dire que si ça te chantait de venir
dimanche, je te recevrais avec plaisir, mais tu as immobilisé ton temps avec
cette petite serine de Cladel ce qui t’est moins salutaire qu’une promenade en
plein air – Je le regrette pour toi, Barbizon eut mieux valu –
Moi, je ne me laisse plus aller à ces choses, je crois
avoir raison ; je tâche de diriger ma vie dans les voies essentielles de
la santé, les plus jolies et les plus intelligentes des femmes ne m’en
détourneraient pas … et pour cause, c’est que je n’en veux et que je m’en fous,
ne voulant les foutre –
Je suis retourné hier à St Cloud, mais je n’ai rien
signé ni terminé avec l’architecte. Je veux voir l’appartement libre, imposer
mes réparations et ne me lier qu’à bon escient – mais, en principe c’est
entendu.
J’irai à Fontainebleau voir ce qu’on y trouve. Quantin
est revenu hier avec ses 2 filles ; il est resté près d’une heure ½ - Il
consent à me reprendre 1600 frs d’objets et me donnera solution nette jeudi à
mon retour – je ne compte pas sur lui car il lui faudrait s’entendre avec mon
proprio qui veut augmenter à dater de 1910 –
L’écriteau est mis sur mon balcon ; je fais
marcher les agences – j’attendrai les résultats, car je laisserai mes clefs
pour la visite pendant mon absence –
J’ai parfois des heures de mélancolie dans le
chambardement de ma vie ; vieil atavisme de français conservateur, mais je
me reprends vite. Je songe à la folie de ce que j’avais réuni et entassé, à la
suprême sagesse de l’homme comme d’Aurevilly vivant et oeuvrant dans un tourne
bride … Sans en arriver là, la simplification de mon mobilier, de mon loyer me
sera très salutaire. Il était temps de me libérer, plus vieux c’eut été moins
aisé à tous points de vue – Il ne fait pas beau, mais peu importe, il fait
toujours beau hors Paris –
Donne moi de tes nouvelles à Barbizon.
Bien cordialement.
Octave
[ref.
1908.40] Barbizon = Les Jasmin : Samedi 16 mai 08.
Mon chéri,
Bien arrivé ici à 2 h, parti à 11.55 et déjeuné à
Melun – J’avais besoin de repos. Je sens en pleine campagne la fatigue qui me
remonte à la peau – Ah ! comme je vais bien me reposer 4 jours durant.
Mais je suis bien parti, mon appartement sous loué, dans des conditions
incroyables, tout réglé, deux secondes avant mon départ, avec la femme d’un
ingénieur-administrateur de Suez, qui raffolait de mon installation, l’ayant
vue hier, aussitôt l’écriteau posé, et qui, ayant mon tempérament emballé,
était chez moi avec son frère, son père et mon propriétaire ce matin dès 8 h ¾
après être revenue 3 fois hier dans la journée – à 11 h ¼, tout était réglé, au
mieux de mes intérêts, et je pouvais partir sans laisser mes clefs pour visiter
filer à toute vitesse d’auto vers la gare P.L.M. en 12 minutes de trajet. Mes
deux catalogues sont également corrigés, relus, retouchés – Je ne laisse rien
d’argent à Paris – J’ai sous loué à ½ terme pour le 1er septembre,
ce qui me donnera toute latitude pour déménager. Ma sous locataire, me prendra
pour 2.500 à 3.500 d’objets installés au minimum – Je pense donc que toutes mes
affaires iront à mon gré – d’après mes catalogues mes ventes produiront au pis
aller de 11 à 15000 – Je retrouve ici, avec le calme, ma petite maisonnette, mon
toutou affolé d’affection, une propriété qui me fait plaisir et mes braves
Hervy très accueillants. Je rentrerai mercredi après déjeuner ayant à voir mes
sous locataires de 5 à 7.
Il fait un bon soleil et un temps fort doux et
agréable – Ah que je me retrouve loin de Paris et des intérieurs chargés
d’inutilités – Tendresses et bons baisers.
Octave
J’écris à cet indécis de Quantin qui va pleurer de
n’avoir su se décider – (heureusement pour moi) – et aussi à ces tortues
d’agences si peu serviables pour un appartement comme le mien – j’en avais vu 6
qui se préparaient à marcher ; mais, par devination j’avais refusé toute
insertion de publicité payante dans leurs journaux. J’ai loué sans agence et
sans bourse délier – Je te conterai ça.
[ref.
1908.41] Barbizon – Ce 17. Dimanche (mai 08)
Mon bon chéri
Temps superbe – Je crois depuis que je suis ici, et,
bien que parti en hâte de Paris, au milieu des manœuvres locatives de la
dernière heure, avec l’oubli de la moitié de ce qui m’est nécessaire, je me sens
heureux et dans cette douceur de vivre à l’air et dans la verdure et le calme
qui me sont désormais indispensables –
J’ai retrouvé en promenade, ce matin, tout mon monde,
me sentant vraiment chez moi partout, ce qui a son charme – Je ne rentrerai à
Paris que mercredi, après déjeuner, ayant rendez-vous de 5 à 7 avec mes
nouveaux sous locataires –
C’est aujourd’hui la fête de Barbizon à l’orée de la
forêt – le temps est délicieux – J’ai repris mes balades avec mon petit Fox,
fou de joie de me retrouver – Et quelle nuit reposante, quelle quiétude, quels
bon draps fleurant bon … décidément je suis mûr pour la seule vie loin des
villes ! C’est la seule qui m’apporte les ivresses que je recherche
aujourd’hui.
Occupe toi de regarder dans tes adresses, les noms de
nos amis ou relations à qui je dois envoyer le catalogue de mes 2 ventes du 30
– Il s’agit d’assurer le succès de ces 2 ventes – Je vais m’y employer la
semaine prochaine par la publicité et par tous moyens.
Songes-y à ces moyens et vois où par ta situation tu
pourras m’aider dans les journaux – moi je ne vois guère que l’Echo et la Libre
Parole.
J’espère bien retirer de toutes ces ventes et d’autres
(cessions de mobilier, d’installation, d’autographes, de tableaux qui me
restent encore en grand nombre) de quoi faire un capital m’apportant une rente
égale, sinon supérieure, au prix annuel de mon nouveau logis – de la sorte que
je réaliserai au moins 4 à 5000 frs d’économies annuelles, et serai hors de
tout souci pour l’avenir.
Mon effort actuel était donc sage et en valait la
peine – plus tard j’aurais été peut-être moins ardent et moins vaillant, avec
l’âge –
Octave Uzanne [signature complète]
[ref.
1908.42] Barbizon ce 19 mai 08 – Lundi soir [papier à en-tête du 5, Place de
l’Alma, Paris VIIIe].
Mon bon chéri,
Aujourd’hui lundi, journée miraculeusement belle ici,
je me sens déjà reposé et prêt à reprendre mes affaires d’attaque. Je rentrerai
mercredi, ayant écrit mes articles, fait une préface sur un livre de
d’Aurevilly et écrit une cinquantaine de lettres. Tout cela avec promenades et
bons repos.
Ce n’est pas une chance inespérée que la location de
mon appartement, c’est la première personne qui le vit qui le prit, mais toutes
celles qui sont venues à la suite se le disputaient déjà. Il y aurait eu luttes
et surenchères, car il est unique à Paris et exceptionnel comme prix. Je te
l’ai toujours affirmé. Ce qui est une chance c’est que le père de la dame en
question, Mr Delahaye, soit au 3 place de l’Alma le locataire de la maison
contigüe à la mienne, depuis 19 ans, laquelle maison appartient au même
propriétaire, ce qui seulement favorisa la transmission pure et simple de mon
bail. Quantin m’écrit une lettre désolée – tant pis pour les indécis et les
tergiverseurs – En dehors de la dame, j’aurais pu sous louer à 1000 frs sans
tarder, mais je préfère ne conserver aucune responsabilités et passer la main
sans frais de remise en état – Je m’en tirerai avec une cinquantaine de francs
de peinture tout au plus. Je m’étonne que tu puisses croire que j’aie loué sur
une route d’automobiles à St Cloud – on m’aurait donné un logis sur route que
je l’aurais refusé – Je suis sur les jardins, la seine, le bois – Verhaeren
n’habitait pas là, quant à Mourey il s’était fait bâtir une villa « Le
verger » très éloignée qu’il sous loue meublée et qui était fort incommode
–
J’ai rendez-vous à Cloud avec l’architecte samedi
prochain, si le locataire auquel je succède a déménagé, dans le cas contraire,
j’attendrais son départ, car c’est un supplice que de visiter un logis occupé
où l’on ne peut tirer aucun plan sérieux, mètre en main.
Vendredi je suis pris par les rendez-vous divers. Je
désire ne faire provisoirement aucune relation à Saint Cloud et pouvoir au
début pour le moins, vivre sans y être visité et embêté.
Les relations on en a toujours trop pour son malheur,
ce sont elles qui nous empêchent de vivre heureux ; je les écarte donc
plutôt que je ne les recherche – après mon installation je compte travailler
ferme et vivre en pleine hygiène physique et morale, ce n’est donc pas
compatible avec des relations St Clodoviennes. Donc, ne me mets en rapport avec
personne.
J’ai trouvé ici cette pauvre Mme Menard en très
pitoyable état – Elle fut à la veille de trépasser, l’air seul la relève et lui
rendra la santé –
Je ne pense pas revenir vivre ici cette année. C’est
encore trop banlieue à mon gré et puis l’air y est insuffisamment vif. Mon
tempérament ne s’accommode que d’air largement brassé, même de mistral. La mer
seule me donne ma suffisance de brise et d’oxygène pur et véhément – à St
Cloud, je crois que l’air à la hauteur de 68 mètres au dessus de la Seine sera
aussi à ma convenance. Nous verrons.
Je rentre mercredi – pour voir ma sous locataire, son
frère et retrouver mon courrier, car je n’ai rien fait suivre, et aussi préparer
mes ventes.
J’espère te voir bientôt – Je serai en tout cas, chez
moi mercredi de 4 à 6 si tu sors – je te fixerai, si je ne te vois, rendez-vous
quelqu’autre jour, sitôt que je serai renseigné sur mon courrier, car Huc,
Dommartin, nombre d’autres amis attendent mon retour – Je tâcherai d’évincer
déjeuners et diners – Je considère ces corvées comme des traquenards dont je
veux de plus en plus me garer.
Bien cordialement, mon chéri, à bientôt.
Octave Uzanne [signature complète]
[ref.
1908.43] Ce 22 mai 08 [papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe].
Mon bon chéri,
Ouf ! ça y est – après bien des entrevues hier
soir, ce matin, au milieu des travaux matériels et autres, tout est réglé à ma
convenance – 2.500 f de reprise mobilière … auxquelles, en dernier lieu,
s’ajouteront d’autres choses – Tout convenu, écrit, engagé, signé par le frère
et la sœur.
Me voici donc délivré de ce souci – Je puis me donner
entièrement aux préparatifs de vente. C’est long et dur –
Je vais aussi pouvoir brusquer les choses avec St
Cloud – J’ai déjà fait toutes conditions avec Bedel – pour le déménagement.
Tâche de te chercher quelque chose, si tu as le
courage et le déterminisme de quitter vraiment ton grenier si dur à gagner,
pour octobre prochain – J’ai bien peur que tu diffères encore et longtemps.
Bien affectueusement.
Octave
Je ne te donne aucun rendez-vous. D’ici le 30 je ne
serai pas abordable ni engageable – après ça, on se verra – Je vais à la Cie
Transatlantique – Chez Ollendorff, etc. –
[ref.
1908.44] [papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe] ce dimanche soir
[24 mai 1908].
Mon chéri,
Donc à mercredi soir, au Pineau – c’est dit et rentrée
de bonne heure – à 9 h –
Moi, je continue à vivre électriquement et avec la
volonté tenace de métamorphoser ma vie à bref délai et sans languir –
Le 29 exposition et le 30 mai autre vente faite de mes
bibelots, tapis, statuettes, etc par Couturier, salle n°I – Je pense faire 9 à
10 000 dans les deux ventes – environ – sinon ça m’est égal.
Alors, chez moi, tout est de nouveau par terre,
décroché, prêt à l’inventaire et aussitôt les murs sont retapés, remastiqués,
remis en état – c’est effroyable ce que j’avais amassé, c’est fou !
Entre temps je travaille, articles, lettres, notes
pour mes ventes, préfaces pour lesdites ventes. De plus chaque après midi, je
visite des logis – J’ai déjà fait Auteuil, Passy, le Boulevard autour du Bois,
le quartier Henry Martin à Neuilly … tu vois la besogne accomplie – ajoute à
cela Versailles, le quartier St Louis, de la Paroisse, les Bds de Sceaux, de
Paris, l’avenue St Cloud … Partout des horreurs.
J’arrive des hauteurs de St Cloud et je crois, à 3
minutes de la gare, avoir déniché le Rêve … ce que je rêvais dans l’air et la
verdure, sans quitter la proximité de Paris –
Je te dirai ça – Demain après inventaire, la vente
faite avec Lambquin, le matin ; je refilerai à St Cloud ; alors, si,
ça marche, si mètre en main, tout s’arrange, je tâcherai de colloquer mon logis
de l’Alma à A. Quantin pour juillet.
Je pourrai m’installer en juin dans mon nid neuf – Tu
conviendras alors que j’aurai conduit à bonne fin un travail qui de loin
semblait devoir me prendre près d’un an – Et il y a treize jours à peine que je
suis ici – Mais, je suis fait pour l’action rapide qui me fatigue moins que
l’attente et l’indécision.
Quant à St Cloud … si je ne m’emballe pas ; prix
du loyer 1300 frs – ce sera supérieur à l’Alma et comme vue, verdure, air,
exposition, confort – je ne te dis que cela – Tu verras. Enfin tout cela est
encore en l’air – mercredi je te dirai ce qui sera fait –
J’ai hâte de quitter cette ville homicide, ignoble,
laide où tout est souffrance et fatigue – C’est une évasion que je prépare,
avec toute l’angoisse, la fougue, l’ardeur des évasions vers la verdure, l’air,
l’indépendance et l’éloignement des esclavages et des charges. –
A mercredi soir 7 h Bd Poissonnière.
Bien tendrement à toi.
Octave
[ref.
1908.45] Ce mardi 26 mai 08 [papier libre].
Mon bon chéri,
Rien de nouveau ce matin ; j’ai heureusement très
bien reposé, je suis solide au poste pour cette journée fatigante – j’ai à
coller 200 n°, à faire l’inventaire de tout ce qui est à emporter, à réparer
mes bibelots, à faire des paquets, tout ordonner, repatiner les Carriès, les
Meunier, etc.
L’expert m’a retourné hier soir la lettre indignée que
je lui écrivis dimanche avec un mot digne disant qu’il n’en acceptait pas les
termes et qu’il me retournait la lettre peu habitué à en recevoir de
semblables. Tout cela est excellent pour mon dossier – Je t’envoie deux échos
pour le Journal et le Figaro. Je ferai passer les autres où je pourrai – Je
compte bien sur toi.
Amitiés aux Jaros et à Mariani ce soir – Je me porte à
ravir, je déteste diner en ville, et pour le moment, j’ai tous prétextes de
refus. Quand je serai à « Cloud » autres excellents prétextes – on
nous invite à nous intoxiquer chez les autres – je récalcitre – c’est fini, ça
m’embête et m’empêche de me coucher tôt et de vivre ma vie – Affectueusement.
Octave
Pour Mme Million je mettrai de côté tout ce que je
pourrai comme décor(ations). Tu pourras faire prendre tout cela d’ici huitaine.
[ref.
1908.46] Ce mercredi 4 h ½ - 27 mai (08) [papier à en-tête du 5, Place de
l’Alma, Paris VIIIe].
Ouf ! ça se tire … Depuis ce matin 8 ½, les
déménageurs de l’hôtel – quelle besogne ! quel fouillis !! mais
quelle joie de voir filer tout cet « aria », les vieilleries, ces
décorations, ces meubles ! Hier, je n’eus un quart de seconde pour tout
ordonner, préparer, numéroter, coller plus de 600 étiquettes, seul, tout
classer – Ah ! Je me suis démené de 7 h du matin à 9 h du soir. Mais,
comme j’étais au lit à 9 h, que je dormis bien, que je n’eus pas, ce qui me
fatigue le plus, les « distractions du dehors », ce matin j’étais
d’attaque – ce soir, ce sera la fin du plus gros souci – les trois quarts de
mon évasion de Paris sera opérée …
Le déménagement, la réinstallation, tout cela ne sera
rien, de la façon dont je prépare l’opération avec méthode et division des
labeurs –
Je te verrai peut-être vendredi salle 1 jour
d’exposition –
Tu me diras SVP ce que tu as pu faire de sérieux au
Figaro et au Journal. Je vais tâcher vers 5 h, ce soir, de courir à l’Echo de
Paris et à la libre Parole pour deux notes à faire passer –
Dis moi aussi comment, pour samedi, les choses sont
arrangées avec Filleol pour l’annotation des enchères sur tes catalogues et si
je dois m’occuper de trouver quelqu’un pour l’une ou l’autre des ventes :
sinon je donnerai 10 f à F et 10 à son ami –
C’est déjà clair et plus gai chez moi, sans tout ce
qu’on emporte – Les déménageurs me disent qu’il n’y paraît pas. Si, il y paraît
et en mieux –
La semaine prochaine je pourrai faire remettre à qui
tu m’enverrais un petit chargement de voiture à bras, ou bien un panier de
plâtres et bibelots pour Mme Million – à toi d’y songer et d’organiser ce petit
déménagement. Je serai prêt à l’heure que tu me fixeras et le plus tôt, sera le
mieux.
Tendresses.
Octave
Hier retapé mon Guerrier et les Constantin Meunier –
tout est très brillant et de bel aspect.
[ref.
1908.47] [papier libre] ce samedi (30 mai 1908 ?)
J’espère que tu es mieux, mon chéri –
Tu aurais du aller ces 2 jours à la mer, ça t’aurait
remis. Il te faut de l’air, du repos, tu n’as et tu n’auras jamais vraiment ça
à Paris, surtout là où tu es et d’où il te faudrait quitter pour vivre
confortablement avec ascenseur et dans un coin paisible et moins poussiéreux et
plus vaste. Si tu n’as l’énergie de te décider à bref délai, plus tard, plus
fatigué, plus abattu parce que plus vieux, ça te sera difficile de déménager.
C’est qu’un déménagement est un des actes les plus
importants de la vie et des plus fatigants. Je le sais : je travaille 14
heures par jour chez moi et ailleurs à St Cloud, etc, et je sens le poids et
l’embarras de tout ce que j’ai accumulé et dont il m’est si difficile de me
défaire –
J’ai souri quand tu m’as parlé de Londres ;
comment pourrais-je quitter Paris en ce moment ? J’y ai un travail fou et
je vais déménager le 20 – une première fournée – puis le 27, seconde tournée –
4 voitures à 2 chevaux de chez Maple, forfait convenu –
M’absenter, après oui, mais pas pour aller dans une
ville – ce ne serait me reposer.
En juillet j’espère bien me rendre en Normandie … mais
encore, le pourrais-je ? Je veux tout terminer au plus tôt et
enfin !! enfin !! vivre ma vie en toute indépendance et sans charges
imbéciles.
Tu me diras si tu vas à Fontainebleau – on y étouffe –
Il n’y a que la mer en cette saison – ou les altitudes – à Barbizon c’était
affreux il y a quinzaine comme chaleur. Ma santé est bonne – je suis bien ici à
l’Alma – pas trop chaud –
J’ai furieusement à faire, car j’ordonne tout pour le
présent et l’avenir – Je distribue les besognes pour n’avoir que peu à
déménager – mais encore 4 voitures à 2 chevaux !!
Entendu pour mardi soir chez Ledoyen, nous causerons –
soigne toi.
Tendresses.
Octave
Je file à St Cloud voir mes peintres -
[ref.
1908.48] [papier décoré à marges décorées fleuries – papier de La Nouvelle
Bibliopolis] ce mercredi 3 juin (1908).
Mon chéri,
J’espère que tous mes bibelots sont arrivés sans trop
de dégâts chez Mme Million –
Je suis allée à St Cloud, surveiller mes travaux, hier
après midi, puis commander mes papiers au retour à Paris, chez Barbedienne –
J’ai signé ma location à St Cloud I an 3.6.9 – et donné le denier à dieu à la
concierge – ça y est je pourrai m’installer du 15 au 18 courant, je
collectionne les devis de déménageurs divers avant de me décider.
J’ai vendu hier matin à Bernheim, le Guerrier et ma
sale épreuve du Bébé endormi, que j’avais envie de jetter aux ordures, le tout
pour 1200 frs – quel soulagement ! je puis enfin déménager sans le souci
de ce Guerrier déjà fort endommagé et médiocre entre nous.
Bernheim n’a vendu aucun de mes Carriès.
J’irai demain régler avec Couturier ; je
m’attends à des canailleries et peut-être à un règlement judiciaire – Je verrai
ça – Je vais faire peut-être une vente de tableaux pour Bernheim – Peut-être
pourrais-tu y contribuer – ça serait en juin – Tu sais que je marche vite –
penses-y – Affectueusement.
Octave
[ref.
1908.49] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées),
avec 2 reproductions photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et
rue] Eaux-Bonnes, le 29 juin 1908.
Mon chéri,
Dure journée en Wagon-Hamman samedi dans le
Paris-Bordeaux – Je suis arrivé en loque mouillée et fripée.
Hier matin à 7 h de Bordeaux à Pau, le temps rafraîchi
par un orage était supportable mais je sentais tout ma fatigue de ces derniers
temps et j’étais courbattu, vanné, éreinté – De Pau à Laruns le paysage
merveilleux me fouetta la curiosité ; de Laruns aux Eaux-Bonnes je frétai
en superbe landau attelé de 4 chevaux fringants en flèche, en compagnie d’un
charmant Dr anglais de Pau : F. Léonard Brown, et j’arrivai à l’hôtel de
France, où je m’installai avec peine où tout était retenu pour juillet.
Enfin, j’ai pris un petit logis, grande chambre,
cabinet de toilette, entrée, placards, dégagement, 2 fenêtres sur le Parc,
pension à 13 frs prix exceptionnel. La nourriture hier m’a semblé exquise et ce
matin le café de même – Il y a électricité et le bon vieux confort d’autrefois.
Le vieux Dr Marcellin Cazeaux, auquel je fis visite
avant de m’installer, m’a ausculté, trouvé un point râleux dans le poumon droit
et prescrit un traitement de boisson, bain de pied à 42 et douche en palette –
J’ai pris aussitôt un bain délassant, ¼ de verre, etc –
J’en ai pour mes 21 jours.
Il fait frais, le pays est calme, beau, reposant.
J’ai dormi comme une marmotte dans le calme absolu, le
silence rigoureux, l’obscurité absolue.
Ce matin je me sens mieux, mais la fatigue me suivra
quelques jours en réaction de la vie de surmenage physique du mois dernier.
Je t’embrasse, j’ai beaucoup de lettres à écrire, un
article à faire et mon traitement – la 1ère poste part à 9 h du
matin, c’est celle là que je choisis ce matin pour que tu aies mon mot demain
avant d’aller chez Angélo.
Tendresses.
Octave
[ref.
1908.50] [carte postale – Eaux-Bonnes – Grand Hôtel de France – Octave Uzanne
indique par une croix à l’encre ses fenêtres en façade de l’hôtel] Eaux-Bonnes
30 juin 08 – 8 h du matin.
Bien eu ton mot, hier vers 3 h ; je me sens déjà
très reposé après des nuits délicieusement calmes et des sommeils d’enfants
tels que je n’en eus depuis longtemps. Je crois à l’efficacité de ces eaux qui
te seraient à cette heure plus salutaires que Vittel pour t’assurer contre les
grippes qui te sont si fréquentes et pénibles –
Je vis jusqu’ici très solitaire et très heureux de ne
connaître personne. Je ne parle qu’aux braves béarnais qui me servent – Je
reverrai demain mon docteur – Tendresses.
Octave
[ref.
1908.51] [papier libre] Ce mercredi 1er juillet (1908).
Mon chéri,
Ça va parfaitement – je prends ma petite vie régulière
et douce avec plaisir, traitement le matin et vers 5 heures, promenades,
travail, repos, tout cela s’organise à souhait.
Le temps est agréable et sans chaleur. Hier même il y
eut succession de 8 orages dans l’après midi, mais ça se passait la haut sur la
montagne et en bas il n’y avait qu’un peu de pluie, aucune chaleur ni
dépression physique –
Les eaux sont bonnes ; j’en verrai le résultat
par la suite et pourrai en user à domicile.
Le pays est admirable, peu à peu je le
pénétrerai ; le vieux Dr ne m’a pas conseillé la marche mais la promenade
modérée.
L’hôtel se peuple, déjà 35 personnes, à mon
arrivée il y en avait dix –
Je t’écrirai demain – aujourd’hui un bécot, j’ai un
article et nombre de lettres.
Octave
[ref.
1908.52] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées),
avec 2 reproductions photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et
rue] Eaux-Bonnes, le 2 juillet 1908 – Jeudi.
Mon bon chéri,
Les journées passent vite, calmes, sereines,
aucunement accablantes de chaleur et cependant pas fraîches. Il me semble que
je suis déjà un vieil eau-bonnais – je suis mon traitement avec
ponctualité ; je ne fréquente personne à l’hôtel, mais je connais quelques
braves gens du pays – le pharmacien Cazaux, frère du Docteur, un certain Dr
Batbedat qui a connu le monde et eu des aventures étranges, et de bons
bourgeois sans conséquence – ajoute à cela une petite modiste gracieuse que je
vais amuser dans son échoppe, près des bains, un cordonnier le père Broca dont
les fils sont directeur du théâtre du Capitole à Toulouse et un autre principal
du lycée de Calais ; moyennant une paire de bottines vernies – (on le dit
remarquable chausseur) – nous sommes une paire d’amis – Il y a aussi les petits
sculpteurs montagnards de la promenade horizontale, les conducteurs guides, la
pâtissière, ces dames de la poste, les mendiants et le paralytique de la
promenade de l’Impératrice avec qui je fais de bonnes causeries. Tout ce petit
monde m’intéresse davantage que les snobs à autos de l’hôtel, les millionnaires
d’Oloron ou de Pau qui posent, dieu sait comme ! – En vieillissant les
humbles sont mes préférés ; je les trouve plein de sens, d’esprit même, en
tout cas ils disent moins de sottises que les gens du monde.
Je verrai le Dr papa Cazaux après midi – Je suis
merveilleusement reposé, mes nuits dans un silence de désert son favorisées
d’un vrai sommeil profond de bébé.
Ce climat est sédatif – c’est remarquable comme repos
– à l’hôtel la nourriture est délicieuse, saine, vraiment digne des délicats
estomacs et gourmets –
Je me couche le soir à 8 ½, et, le matin, la brave
Marie, une vieille béarnaise de 48 ans m’apporte à 7 ½ mon café, très bien
fait, et fait la causette – excellente femme conne toutes celles de ce pays de
Béarn où se trouvent les derniers bons domestiques courageux, dévoués et gais.
Je regrette de te savoir ainsi souffrant de l’estomac
– Paris est une ville où il est si difficile de vivre en paix avec ses organes.
Eté, comme hiver, on y souffre pitoyablement, car tout nous y blesse, nous y
accable, le mauvais air, l’humidité, les senteurs, les poussières, les chaleurs
anormales étouffantes, c’est miracle qu’on y résiste encore.
Si j’étais resté à Paris, me dit ma grosse bonne
Paliotte (de Pau), j’y s’rais claqué ! Monsieur, ça c’est sûr !
Certes elle a raison ! –
Je m’applaudis d’aller vivre à St Cloud où je
baignerai dans le silence, l’air vif, la quiétude, près ou loin de Paris, à ma
convenance.
Je voudrais que tu puisses partir sans délai ce mois
ci – Tu manges tes vacances au lieu de précipiter tes départs en concordance
avec ceux d’Angélo – Tu dois songer à ta Pau (sic) avant de te sacrifier à des
affaires dont, en somme, tu peux et dois très relativement, te contre fichtre
(sic) – Si tu venais à disparaître, ça continuerait quand même, à peu près – il
faut penser à soi, surtout à nos âges et ne pas se domestiquer trop étroitement
à ceux dont dépend notre vie – Pars le plus tôt possible et reviens le plus
tard que pourras.
Un séjour ici te ferait grand bien, mais tu as tes
habitudes à Vittel où le climat est inférieur et la vie moins quiète –
Je t’embrasse tendrement – J’ai eu ta lettre ce matin
à 10 h –
Octave
[ref.
1908.53] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées),
avec 2 reproductions photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et
rue] Eaux-Bonnes, le 4 juillet 1908.
Il fait un temps radieux, j’arrive des eaux chaudes
tout seul en une petite carriole ; cette route le long de la gorge et du
gave d’Ossau m’a rappelé, avec une vague précision, mes souvenirs de jeunesse –
Le Pont du Diable surtout et aussi l’établissement des eaux chaudes et le petit
village – Rien ne semble avoir changé –
Ici le vieux Lanusse est mort chargé d’années il y a 2
ans ; plus de vestes rouges ni de guides romantiques. La vie balnéraire
commence du reste à peine – plus tard j’irai à Gabas et excursionner au loin,
pour le moment la cascade du gros hêtre, la promenade horizontale suffisant à
mon bonheur.
En te disant de venir ici, je n’avais pas la pensée
égoïste de te faire venir pour moi et afin d’y rester quelques journées. Je
pensais que les eaux te seraient plus salutaires que celles de Vittel, qu’elles
te fortifieraient gorge, poumons et tout le corps et j’estimais que si tu étais
venu vers le 14, j’aurais eu le temps de te mettre au courant, pas plus et de
te laisser dans un milieu réparateur et moins torride que Vittel.
Les journées passent vite et je n’ai que le temps de
me soigner, de travailler un peu et de me promener.
J’ai appris la mort de Glassier, notre camarade de
Rollin, décédé à 56 ans aux frères St Jean de Dieu.
Je t’embrasse tendrement, mes bon souvenirs à Mariani.
Octave
[ref.
1908.54] [papier libre] Eaux Bonnes, Dimanche 5 juillet 08
Mon cher frérot,
Depuis hier matin dans le brouillard et la pluie,
après un orage, là haut, dans la région des pics, cela donne un jour gris, une
lumière de fond de cuvette et une humidité qui seraient affligeants à la
longue. Il parait que c’est général – Tous ces étés fatigants, inconsistants,
accablants de lourde chaleur et de froids subits me font regretter les hivers
du littoral, si clairs, si soleillés, si glorieux de constante lumière –
Mon traitement consiste le matin à 10 h - ¼ de verre à
boire, un gargarisme d’un verre, à 10 ½ autre ¼ verre, puis douche en palette,
pulvérisée de 20 minutes, ce qui me mène à 11 ou 11 ¼ - libéré pour la matinée
– à 5 et 5 ½ - 2 ¼ de verre, gargarisme et bain de pied à 42 deg. – 1 ou 2
grands bains par semaine, jusqu’ici c’est tout.
Je vais toujours bien – il est possible que je reste
ici jusqu’au 21 et peut-être 22 courant, pour ne rentrer à Paris que le 24 ou
25 – Je ferai mon 1er transport mobilier à St Cloud le 29 et le 2e
et dernier le 3 ou 4 août, mes bibliothèques y étant déjà installées –
Une quarantaine de personnages à l’hôtel, où je ne
fréquente personne, tous ces riches bourgeois d’Oloron, de Pau, de Suisse ne me
disent rien. Il y a un vieux richard le père Renouard, administrateur de toutes
les banques de France, qui vient, à 70 ou 75 ans, y roucouler de vieilles
amours avec la baronne Séguier, la femme d’un vieux préfet de l’Empire – Je me
trouve très heureux et très bien de mon isolement – Parler, dire des politesses
et des banalités est chose que je ne puis faire – c’est inutile et fatigant –
or les relations d’hôtel 90 fois sur cent, ce n’est que ça –
Affectueuses tendresses,
Octave
[ref.
1908.55] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées),
avec 2 reproductins photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et
rue] Eaux-Bonnes, le mercredi 8 juillet 1908.
Le temps s’est amélioré, avec les nuages sont partis
mes rancœurs contre la montagne ; mon docteur, qui est un bien brave
homme, très rond, très érudit, très supérieur aux « sommités » et aux
pontifs de la Faculté ; un vieux médicastre d’autrefois – minutieux,
éveillé, chercheur, a modéré, tout simplement mon breuvage ; d’un verre
par jour qui me faisait sursauter, je suis revenu à ¾ et le sommeil d’enfant
fut de nouveau bienfaisant pour moi –
Ce pays est vraiment beau, grandiose et incomparable
par ces fortes chaleurs – Jamais plus de 22 à 23. – mais les nuages sur les
pics ont l’air de fumées sur des volcans, le ciel attique, pur, sans menaces
est rare –
J’aurai somme toute, passé heureusement ces journées
de lourdes chaleurs qui accablent les gens des plaines et je n’aurais trouvé
nulle part, sauf en Norvège, près du Cap Nord, température plus agréable –
Mon temps passe paisible, je vis toujours solitaire à
l’hôtel où je me loue de ne connaître personne – c’est l’art de faire ce que
l’on veut – Je dine et déjeune seul à une petite table et vis en plein silence.
J’apprécie beaucoup cela, dont tant de gens seraient malheureux jusqu’à en être
malades d’ennui –
J’ai de longues correspondances et des travaux pour
les heures de chambre – Dès que le beau temps sera établi solidement j’irai
visiter les cols, les vallons et les petites cimes et découvrir les sites
célèbres.
Je serai ici environ 24 jours, partirai le 21 ou 22
pour être à Paris le samedi 25 – Je m’arrange avec Maples Déménageur pour être
à mon 2e convoi, installé le 5 août à St Cloud – Je ne pourrai ainsi
aller à Auxerre – J’ai mieux à faire tu le comprends. Affectueusement.
Octave
Mes bons souvenirs à Mme Million –
[ref.
1908.56] [papier à en-tête du Grand Hôtel de France à Eaux-Bonnes (Pyrénées),
avec 2 reproductins photographiques : montagnes et façade de l’hôtel et
rue] Eaux-Bonnes, le 11 juillet 1908 – Samedi.
Mon chéri,
Il fait un temps merveilleux, ciel sans nuage, soleil
éclatant et forte brise exquise, aucune sensation de chaleur opprimante.
Hier, je fus tout seul à Oloron, ville curieuse que je
désirais connaître et visiter à fond – J’ai trouvé, à ces altitudes, plus
basses de 3 à 350 mètres, une chaleur qui me fit regretter ma montagne où je
suis rentré à 6 ½ pour boire et baigner. Il n’est rien de tel que les
contrastes pour faire apprécier les favorables conditions de son existence –
Ici c’est vraiment l’oasis –
Ma santé est parfaite – J’ai déjà quatorze jours de
tirés – Je suis à peu près acclimaté.
Je ne me presserais certes pas de rentrer, n’était
qu’il faut bien en finir, avec mes deux logis et donner le coup de collier
final – le plus fort est fait – Il n’y a plus que la manœuvre à ordonner
maintenant et peut-être des jours de pesante lourdeur d’atmosphère à supporter.
Je n’ai plus beaucoup à payer de ma personne – Je ne t’écrirai plus qu’à ton
Vittel Palace – la semaine prochaine – quand tu reviendras je terminerai à
peine mon déménagement. Le dernier convoi partira de l’Alma le 5 août – J’aurai
donc difficulté à te revoir à Paris, car je serai pris 8 à 10 jours d’affilée à
mon installation, mais tu pourras toujours venir déjeuner ou diner dans mon
fouillis – Je t’envoie mes affectueuses tendresses.
Octave
Tu me diras ce que tu auras fait pour ma carte de
changement d’adresse ; si tu es trop pressé, envoie la moi, j’arrangerai
cette litho et tirage aussitôt de retour.
[ref.
1908.57] [carte-lettre à l’adresse imprimée du 62 Bd de Versailles à St
Cloud-Montretout (S & O)] Ce (vendredi) 31 juillet soir (1908).
Mon chéri – ce furent deux terribles journées que
celles de mercredi (emballage) et hier jeudi 1er déménagement à St
Cloud –
J’en suis affalé ce matin et las à fonds de nerfs. Ce
que j’ai accumulé est fou – Malgré mes 4 voitures à l’hôtel, j’ai eu deux
fourgons à 2 forts chevaux, hier – tout n’a été terminé qu’à 8 h ½ du soir à St
Cloud – J’ai diné avec Louise au Terminus St Lazare à 9 ½ - Dans quel état de
tenue et de lassitude ! –
Demain samedi je vais faire procéder au déballage des
50 caisses que j’ai fait mettre dans un appartement en face, inoccupé du Bd de
Versailles – ce sera encore une dure journée, puis, mardi, 50 nouvelles caisses
livres, bibelots, seront faites ici et mercredi dernier déménagement, si c’est
possible – j’en doute, tant j’ai encore de choses malgré le salon vide, la
salle à manger démeublée, le petit salon id(em) –
Mais la cuisine, la cave, les chambres, les bibelots,
ça fera plus de 2 grands wagons, j’en ai peur – Enfin, je prépare tout pour
subir l’assaut de ces pirates. Je ne crois guère te pouvoir embrasser à ton
passage ici. – Tendresses.
Octave
[ref.
1908.58] [papier libre] St Cloud (jeudi) 6 août 08
Mon chéri,
Tout est terminé – Déménagement hier, 60 caisses
déballées aujourd’hui – Je n’en suis pas mort et même pas trop démoli ; ma
satisfaction d’avoir réalisé ce que je m’étais promis de faire et d’être en ce
bon air réparateur me compense la fatigue – Il est 9 h du soir – Je suis levé
depuis 5 h du matin – Je vais dormir avec ivresse dans ce calme avec le bruit
lointain des trains et quelque ballon dirigeable au réveil dans mon immense
horizon –
Je viens de faire une œuvre formidable pour mon âge –
seul – je sais ce que j’ai remué de choses et travaillé de toute manière depuis
fin avril.
Affectueusement – je ne sortirai guère avant lundi ou
mardi – Dimanche je serai là et tout au turbin.
Tendresses.
Octave
[ref.
1908.59][papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe – utilisé à
l’envers] St Cloud (jeudi) 13 août (1908).
Mon bon chéri,
Je pensais pouvoir te téléphoner de chez mon
quincailler, en bas de chez moi, hier mercredi, mais la besogne ne me permit de
sortir.
Comme je dors merveilleusement, je me repose assez
confortablement pour poursuivre au bon air mon installation – D’ici quinzaine
tout sera à peu près en ordre – ça avance déjà et ça prend belle figure – Je
serai mieux qu’à l’Alma, plus à mon goût.
Je me sens à ravir dans ce nid haut perché avec une
vue que les éclairages solaires métamorphoses à toute heure – La nuit c’est
féérique – et j’apprécie ce silence, ces bruits si lointains, cette paix
bienfaisante.
Je te souhaite bon voyage et bon temps. Tu me diras ce
que tu fais – J’ai écrit à Jaros – J’irai déjeuner rue Scribe vers le 20 ou 22
courant –
Affectueusement. Bien portant malgré les fatigues,
mais je reste dix et onze heures au lit – à bientôt.
Octave Uz. [signature incomplète]
[ref.
1908.60][carte-lettre à l’adresse de St Cloud] 15 août (1908).
Mon chéri,
Je continue à me porter à merveille, malgré un labeur
continu de 7 à 7 chaque jour, mais, je m’alimente bien, l’air est vivifiant, il
me semble que je suis sorti de l’enfer en quittant ce Paris où j’étais si mal à
l’aise depuis des ans – Ici, je serai idéalement heureux et bien plus
confortablement que je ne fus jusqu’ici parce que plus intime – Je m’y sens déjà
on ne peut mieux – D’ici huitaine tout sera tout à fait en place et sauf
détails, je serai installé – et très bien – ce logis est très meublable – quand
tu viendras déjeuner tu verras ça en ordre. Certes, nous serons un peu plus
éloignés qu’à l’Alma, mais encore, ce n’est pas un voyage – Dans mon désir de
quitter la ville crevante et de mettre au point mon budget, je pouvais aller à
Fontainebleau, à Rambouillet – St Cloud c’est encore Paris –
Tâche de prendre bon vent, bon air, au Crotoy, mes
affectueux souvenirs à Mme Million que j’espère voir ici un jour avec toi dans
mon ermitage installé – à bientôt – Ecris moi. Bons baisers.
Octave Uz. [signature incomplète]
[ref.
1908.61][papier à en-tête du 5, Place de l’Alma, Paris VIIIe – utilisé à
l’envers] St Cloud – mardi 18 août 08.
Très heureux de tes bonnes nouvelles du Crotoy, mon
chéri, j’espère que tu en reviens tout à fait bien.
Moi, je suis allé faire des courses à l’Alma, au
Louvre, etc, hier et jamais Paris ne me sembla plus sale, plus lamentable comme
ciel, lumière, air, ambiance – etc – j’en revins accablé et, seul, l’air de mon
aéroplane me rafistola – mon logis de l’Alma ne me parut point regrettable,
ah ! non ! – quel escalier de cave, noir, quel air défectueux et le
logis même, les pièces sur cour ! – J’aimerais mieux payer 4000 où je suis
aujourd’hui que 1500 place de l’Alma – Alors à jeudi matin – prends à St Lazare
le train de 11 h 10 direct ou celui de 11 h 22 également direct, mais 11 h 10
vaut mieux pour être à table à midi précis ou 11.40 –
Je ne sais si nous ne serons dérangés par
quelqu’apport de bibliothèque ou autre, mais, je ne me gênerai avec toi – je
suis toujours en plein coup de feu – je ne commençai guère à être tout à fait
hors du fouillis que fin courant –
Mes tendresses.
Octave Uzanne
[ref.
1908.62][papier libre] ce 25 août 08.
Mon chéri,
Je reçois cette note du plombier de la rue Dauphine
avec des prix de rachats que je ne veux pas envoyer tant ils sont
inacceptables. Mon compteur est excellent, parfait ; il est inutile de le
faire remettre à zéro ce qui est onéreux et inutile ; tu peux en user tel
quel en faisant accepter par la Compagnie sa marque de consommation avant pose
–
Je serais heureux qu’il soit chez toi, ce qui est
encore chez moi – fais le prendre en faisant régler cette note faite au prix de
demande et qui peut être réglée avec 20%, j’en suis sûr.
Le compteur ne te coûtera que cette dépense. Il me
sera agréable que tu t’en serves et économise une location mensuelle excessive.
Donc fais le prendre de ma part.
Mes tendresses.
Octave Uzanne
Je vais bien ce matin, après bain hier, coucher à 6 ½,
diner de laitage au lit.
[ref.
1908.63][carte-lettre à l’adresse imprimée du 62 Bd de Versailles à St
Cloud-Montretrout (S & O)]. Ce 2 septembre 08.
Mon bon chéri,
Je vais beaucoup mieux ; tout s’arrange et
s’installe. Mes efforts touchent à leur terme et je commence à me sentir bien
chez moi, dans un bain de vrai bonheur, jouissant de mon patelin, de la
solitude, du calme ambiant, de ma vue exquise, du grand air et de l’indifférence
que je puis avoir ici, en matière de mauvais temps.
Envoie moi le moins de monde possible, je t’en prie,
les visites me rasent, n’étant encore installé, et en dehors des très intimes,
je n’éprouve que fatigue à causer avec ceux qui se dérangent pour venir
échanger des niaiseries, c’est la majorité.
Samedi, le Dr Laffont et son amie doivent venir me
voir à l’heure du déjeuner, cela me force à te dire que je ne pourrai te
recevoir ce matin là ! Mais, si tu veux venir le soir vers 5 ½ ou bien dimanche,
nous pourrons causer de ton voyage.
Quant à Jaros qu’il m’avise à l’avance du jour où il
viendra, car j’aurai des sorties fréquentes j’espère, dès la semaine prochaine
dans la campagne, à Paris, etc – et je désire être fixé.
Affectueusement – A bientôt – je serai à l’église vers
8 ½ vendredi à St Cloud.
Octave
[ref.
1908.64][papier libre] Ce 5 septembre 08.
Alors, mon chéri, c’est entendu – Je t’attendrai
demain, et si le temps est moins pisseux, nous pourrons aller faire un petit
tour de Parc – après que je t’aurai documenté sur ton voyage –
Je suis reposé, débarrassé de mes crises nerveuses
& stomacales, j’ai été tout à fait à bas il y a quelques jours – maintenant
tout est fini – Sauf détails, je suis installé et je vais pouvoir travailler –
Toutefois je pars le 18 pour Liège – Cologne – Hanovre
– Berlin, ce sera tôt venu – à demain et tendresses.
Octave
[ref.
1908.65][Papier à en-tête du Carlton Frankfurt Hôtel – Allemagne] Frankfurt A.
M., Ce mardi 29 septembre 1908.
Mon cher Joseph,
Je t’écris à Paris où tu dois revenir, je crois bien,
cette semaine tout au début d’octobre – Je suis à Francfort depuis deux jours,
au Carlton Hôtel, dans un Palais, dont je connais le manager qui était au
Carlton de Londres –
Le Congrès est disloqué, parti à Wiesbaden où je ne
vais ; j’ai eu toutes les peines du monde à éviter des compagnonnages,
tous les français amis, voulant se coller à moi pour visiter Darmstadt,
Heidelberg, etc – Heureusement me voici seul –
Ma santé est admirable, résistante, tout à fait bonne
– Je vais aujourd’hui à Darmstadt visiter l’exposition – Demain j’irai coucher
à Heidelberg, puis je verrai Wurzbourg, Karlsrhue, etc, pour revenir par
Strasbourg samedi soir à St Cloud.
J’aurais bien pu prolonger, mais je préfère revenir
ici au printemps, bien que le temps n’ait cessé d’être merveilleux, idéal et
soleillé – L’Allemagne est devenue un pays ravissant, formidable, inouï,
comparable à la seule Amérique – Les villes y sont toutes d’incroyables
capitables faciles à vivre, propres à l’extrême et qui se développent chaque
jour comme des cités des Etats Unis – C’est stupéfiant et grandiose.
Je te conterai tout cela bientôt – Tu me diras si tu
peux venir à St Cloud dimanche –
Je ne sais rien de ton itinéraire de retour si bien
que je n’ai pu t’envoyer lettres ni cartes postales – Je t’en ai toutefois
lancé une de Weimar à Venise avant d’aller visiter le tombeau et les maisons de
Goethe –
Je serai à Strasbourg vendredi mais il est probable
que j’irai coucher à Nancy pour prendre le train du matin et être à Paris vers
midi ½ à 1 h samedi.
Bien affectueuse accolade, mon chéri.
Octave
[ref.
1908.66][papier libre] St Cloud ce 5 octobre 1908.
Mon chéri,
Je suis rentré samedi à 2 h à St Cloud, selon mon
programme, m’étant arrêté un jour à Heidelberg et une journée à Karlsruhe, je
n’ai traversé Strasbourg que vendredi, de 10 h du matin à 3 h après midi, et y
ai cueilli ta lettre à la grande poste, trop tard pour t’écrire à Milano – J’ai
couché vendredi soir à Nancy – combien sale et relâchée et laide cette première
ville de France au retour. Arrivé bien portant, je me sens un peu grippé, même
assez fort pour n’aller aussitôt à Paris ; j’ai aussi beaucoup à faire
chez moi – J’ai été si heureux de ne pas rester à Paris qui me parut si ignoble
et si sale à mon passage, comme Nancy d’ailleurs – ce temps sans vent est
nuisible, prends garde à la grippe – affectueux baisers.
Octave
[le
verso de carte est imprimé à la marque du Savoy-Hotel à Berlin et contient le
post scriptum suivant :]
PS. Je viens de recevoir ta lettre de
« Milan » alors à bientôt – mais ma grippe semble tenace et
fiévreuse, je ne sais quand j’en serai délivré.
C’est de la déveine, juste à mon retour, moi qui ai
tant à faire, à sortir et qui me sentais si vaillant en Allemagne -
Ce temps est archi malsain – J’ai dû prendre cela en
traversant Paris.
[ref.
1908.67][papier libre] Ce mercredi 7 octobre 08.
Mon chéri,
Je vais bien mieux et puis travailler et ranger mes
affaires. Hier encore j’étais à vau l’eau – flasque, fiévreux, incapable.
Je te verrai avec joie quand tu pourras et voudras –
tu peux venir déjeuner ou diner à la fortune du pot –
Louise est toujours bronchitée et à piètre mine – Je
l’envoie chez le remplaçant de mon médecin, un jeune interne marié, à la veille
de s’établir et qui a pris la place du Dr Aguinet pendant les vacances de
celui-ci. A bientôt, soigne toi, ce sale temps est perfide surtout à Paris noyé
dans un brouillard profond et qui est biffé de ma perspective – y compris la
tour Eiffel … et cela en plein midi – Bien affectueusement.
Octave
Mon pauvre pays, au retour d’Allemagne, m’a semblé en
ruines, dès la gare d’Avricourt, je sentais sa pourriture, son je m’en
foutisme, sa saleté, sa débandade – Il n’y a rien à faire – ce que j’ai vu
outre Rhin m’a retiré toute illusion sur la possibilité de nous relever jamais
au niveau des allemands – L’Allemagne a fait des prodiges, c’est devenu un pays
merveilleux, agréable, policé, confortable, propre à l’extrême où je me sentais
tout à fait bien.
Hélas ! quel retour ! Dès Nancy je fus
assommé par la comparaison !
[ref.
1908.68][Carte-lettre à l’adresse de St Cloud] St Cloud 25 octobre (1908)
Jeudi.
Mon bon chéri,
La grippe me travaille encore, mais toutefois je vais
mieux et j’espère que j’en aurai, quand ce sera terminé, pour tout mon hiver –
ça me sera bien du.
J’espère te voir lorsqu’il te conviendra ici, car je
ne sortirai guère avant la semaine prochaine.
Paris avec ses foules de faux chic, ses bousculades,
ses poussières me répugne vraiment et je suis heureux de m’en être évadé – Je
me trouve plus riche ici de ce que j’aime, salubrité, indépendance, quiétude
que je ne le fus aux heures les plus prospères de ma vie. Donc à bientôt –
Dimanche si tu veux et peux – Louise est encore très bronchitée et patraque mais
toutefois un peu mieux.
Je vais sortir un peu avec ces derniers sourires
solaires de l’année en ce septentrion avare de lumière. Affectueux baisers.
Octave
Ton supplément du Figaro est tout à fait bien très
sincèrement.
[ref.
1908.69][papier libre] Mardi 27 octobre 08. (St Cloud).
Mon chéri,
J’ai eu ton envoi ce matin – Je dois faire mon article
Dépèche, ce qui m’est bien difficile, car je n’ai pas un quart d’heure de vraie
tranquillité, puis, demain, je reverrai ton article, ce sera tôt fait et je te
l’enverrai.
La malade a un peu dormi, même assez bien, elle a
relativement peu toussé, elle rend des crachats plutôt noirs, ce qui est bon
signe et elle avait hier soir 38,4 de fièvre, ce matin 37 ½ seulement –
Je veux ne pas désespérer, sans trop espérer, car une
nouvelle crise est encore possible, mais je ne prends plus rien au tragique
même le dramatique, j’attends les évènements et suis prêt à m’y plier et
soumettre avec tout le calme dont je pourrai disposer, ayant la conscience
d’avoir agi comme je le devais et mieux que quiconque à ma place.
Quant à moi, naturellement, la réaction m’a conduit à
l’insomnie – la nuit dernière ni Valérianate, ni Mélisse n’ont pu réduire mon
impuissance à m’assoupir, j’ai donc pris du Bromédia pour obtenir 5 heures de
sommeil. C’est toujours ça – mais la tête n’était pas excitée – une suite
d’ébranlements nerveux seulement paralysaient le sommeil – Alors, si Faisans te
fixe un jour une heure, tu me la diras pour que je sois sous les armes et que
je prévienne le Dr Aguinet – Je tâcherai de sortir si le beau temps persiste
aujourd’hui.
Mes tendresses.
Octave
Et ne t’inquiètes, je me suis bien repris et j’ai
conscience de ce que je dois à ma santé et à ma perdurance –
[ref.
1908.70] Dimanche – Toussaint. [1er novembre 1908 – date écrite par
Joseph Uzanne].
Mon cher Joseph,
Hélène te dira que Louise va beaucoup mieux – Je suis
bien rentré hier, ma santé est bonne, mais je sens que je la dois soumettre à
la seule vie qui me convienne moralement et physiquement, c'est-à-dire une vie
de recueillement, de solitude, sans aucun des aléas que comportent les sorties,
les fatigues mondaines, les plaisirs en commun et toutes les autres blagues
sociales –
C’est pourquoi, cet hiver, je me déterminerai à vivre
à St Raphaël et à répudier les hôtels, quoiqu’il puisse advenir de Louise en
bien ou en mal –
Je voulais t’envoyer ce mot pour Hélène, mais, de
Gourmont est venu avec Dumur et je n’ai pu t’écrire – cette visite m’a plutôt
rasé, ayant fait tous les frais de la conversation – ces gens ne comprennent
pas que j’ai quitté Paris, mais quand je vois, moi, ceux qui viennent de Paris
et, que je subis l’ennui de ces échanges de mots sans utilité ou sincérité,
combien je me félicite d’avoir lâché la ville où j’étais à leur portée constante
et ou je gaspillais tant de temps à des entrevues sans portée.
Je n’ai pu, ces jours de fête, travailler pour toi –
ton article, somme toute, est à refaire entièrement – tel qu’il est, il manque
d’intérêt totalement pour le public et son but apparait trop ou trop mal, on ne
sait à quoi il vise, s’il est une réclame du vin Mariani ou aux Albums, tout
cela est vague, indéterminé – mal emmanché et présenté.
Je te demande de m’en déterminer l’intention réelle –
Sur quel point veux tu attirer l’attention du lecteur
et faire appel direct ou déguisé à sa bourse – voilà ce qu’il faut préciser
puisque c’est de la publicité – Pourquoi cet article, en un mot et quand doit
il paraître – Est-ce à l’occasion du tome XII – dis moi tout cela – Demain je
ferai mon article pour la Dépèche, et, quand je serai sur ce que ton article
doit viser – je le ferai en entier car je ne puis remanier celui qui est trop
mal venu –
Mes tendresses.
Octave
[ref.
1908.71] [Papier libre] Mercredi 4 novembre 08.
Mon chéri,
Je n’aurais toujours pas pu déjeuner avec toi ;
je suis resté chez Trepka jusqu’à midi ½, il m’a arraché 2 énormes molaires et
des chicots avec douleur malgré les anesthésies locales – J’ai saigné comme un
bœuf et je n’ai pas déjeuné car ma mâchoire était une loque rouge endolorie –
J’ai fait quelques courses et suis rentré par le train de 2.25 me soigner. Je
souffre encore vivement de mes 3 trous dans le bec.
Je retournerai demain jeudi chez Trepka 2 h ½ à 4 h ¼
environ – Toujours mieux chez moi.
Je t’embrasse bien tendrement.
Octave
[ref.
1908.72] [papier libre] ce lundi (9 novembre 08 – date ajoutée par Joseph
Uzanne).
Mon cher Joseph,
Je ne t’ai pu parler hier de ton article laissé en
plan durant mes rages dentaires. Je te le ferai dare dare aussitôt liquidées correspondances,
articles, etc.
J’essaie de me dégager de mon engagement vis-à-vis de
Marcelin Simon à St Raphaël – Je lui envoie une lettre recommandée ; la
vie d’hôtel avec chambre au midi avec chauffage central – (Hôtel de la plage)
me semble plus reposante et plus agréable dans ma solitude, sans obligations
aucunes – Je ne prendrai le logis des Simon que si j’y suis contraint et pour
éviter des discussions – J’ai réfléchi à tout, même au cas où Louise remise au
mieux, me rejoindrait dans le midi, elle serait mieux assurément dans un hôtel
modeste en février ou mars que chez moi où tout l’inciterait au travail –
Je te prie de n’oublier de me faire acheter pour 10 ou
12 frs de poudre de viande Favrot par la maison Mariani – Prière aussi de
prendre date pour aller chez Faisans du 16 au 18 courant – car à dater du 18 ou
20 je serai en préparatifs de départ – le jour choisi et accepté par Faisans –
(à 1 h après midi a-t-il dit, nous déjeunerons chez toi avant d’y aller –
Je suis pris cette semaine, un jour pour déjeuner avec
Alphonsine et lui dire adieu, un autre P.P.C. à la môme Chevillard, puis samedi
je déjeunerai chez Paul Margueritte.
Je t’embrasse tendrement.
Octave
[ref.
1908.73] [papier à en-tête de la Compagnie des Chemins de Fer P.L.M. – Hôtel
Terminus et Buffet de la Gare de Lyon Perrache]. Ce jeudi – Lyon, Gare de
Perrache, le 26 novembre 1908.
Mon bon chéri,
Mon calvaire est achevé de gravir – ce matin j’ai été
reconnaître le beau frère de Louise à la gare – un parfait brave homme, franc,
plutôt distingué et intelligent – J’ai pu me convaincre qu’il comprenait sa
charge et que Louise serait, chez lui, au mieux, soignée par ses sœurs et très
bien surveillée pour les menus soins de son état. J’ai emmené ce brave homme
déjeuner dans une grande brasserie de la place Bellecour et suis revenu vite
prendre Louise pour la rouler au train de Chambéry, l’installer avec son beau
frère et lui faire des adieux précipités.
Ce fut bien un peu âpre et émotionnant pour moi car on
s’attache encore plus par les soins que l’on donne que par ceux que l’on reçoit
- mais il y avait un tiers heureusement et tout fut étouffé, mais non moins
pénible et angoissant. Me voici enfin seul – Je t’écris du salon de lecture du
Terminus ou j’attends une servante lyonnaise, veuve et, remarquable, m’a dit
Sallès et qui ne viendra peut être pas au rendez-vous, mais je m’en fiche –
En tout cas, je me sens heureux d’être à bout de ma
tâche et délivré du gros souci de cette malade, de sa toux, de tous les menus
soins qui m’incombaient – J’ai fait plus qu’il n’était de mon devoir de maître
et d’ami et je suis épuisé de forces morales, d’émotions et de dépenses
matérielles un peu excessives pour le cas – enfin l’argent c’est secondaire. Je
veux donc me reprendre tout entier et me refaire santé, morale, existence
totale – crois bien que d’ici 48 heures, je serai déjà redevenu moi même.
Ce soir, je coucherai à Marseille et demain à St
Raphaël où je ne ferai que passer pour y régler mes affaires, quitte à y
revenir peu après – J’irai sans doute chez Emile, samedi au Cannet pour n’être
point tout de suite isolé, pui, je chercherai dans les entours de Cannes.
J’irai ensuite voir comment je pourrais m’arranger au Trayas, puis à Agay aux
Roches Rouges, et je ne me déciderai qu’après mûres comparaisons et sans hâte –
Ma santé est bonne – Elle se sera davantage, sorti de
cet enfer et surtout de ce lugubre cauchemar de St Cloud qui me hante encore –
femme de ménage, sœur, médecin, toute cette affreuse période –
Enfin, tout est bien qui bien s’achève et, maintenant
je me considère comme tout à fait irresponsable de Louise et de son avenir – Je
lui écris encore pour lui donner conseils, mais, peu à peu les choses
reprendront leur place et tout sera pour le mieux –
Je ne sais qu’augurer de Louise, mais je ne veux
m’inquiéter de ce qui peut advenir.
Merci de ta lettre de ce matin – Affectueux baisers et
à bientôt.
Mille tendresses.
Octave
[ref.
1908.74] [Papier à en-tête du Terminus Hôtel et des Négociants Duranton à St
Raphaël] Vendredi 27 novembre 08.
Mon chéri,
J’ai eu ta dépêche au Terminus Marseille à minuit ½
c’est te dire qu’elle m’éveilla dans mon premier sommeil – Je suis parti ce
matin à 7 h 05 et j’étais à St Raphaël à 10 h ½ environ – Je suis descendu au
Terminus indécis si je prendrais ce soir ou demain le train pour Cannes – Puis
St Raphaël, son soleil, son indolence m’ont séduit de nouveau – J’ai visité des
maisons, des logis, revu Simon et reconcilié avec lui sans relouer mon logis
toujours à louer, j’ai été voir Titine paradère (sic), tous les hôtels de St
Raphaël, en un mot, je suis fixé sur ce que je pourrai faire ici et je crois
que, le mieux, ce sera le Beau Rivage où je serai à merveille pour 12 f avec
une chambre et 15 avec deux.
J’avais, à la poste, un chargement de portefaix.
Lettres, livres et journaux, je dépouille tout cela – naturellement ton mot
m’est arrivé à 3 h après midi –
Emile m’écrit la lettre ci-jointe – J’irai demain à
Cannes et je monterai avec lui au Cannet et une seule malle, en voiture donc,
je resterai 2 ou 3 jours avec lui afin de voir les alentours et ce que j’y
pourrais faire, mais je crois bien que je reviendrai ici au Beau Rivage – Je ne
ferai suivre mes lettres et journaux que jusqu’à mardi –
Toute ma mésaventure s’évanouit, peu à peu – ici,
naturellement, on me demande nouvelles de La Pauvre Louise, dont je n’ai encore
aucune nouvelles. – J’espère toutefois qu’elle est bien dans sa famille – ici
le soleil merveilleux chaud, l’air sec, l’ivresse ambiante l’auraient peut-être
guérie assez vite, mais aussi peut être anémiée, qui peut savoir !
En tous cas, je vois la nécessité de ma reprise et de
m’occuper de moi et de ma santé – J’ai déjà vu tout St Raphaël et j’y ai été
accueilli à merveille – ce midi est bien prenant.
Je t’écrirai du Cannet – Je t’embrasse bien
tendrement.
Octave
[ref.
1908.75][papier à en-tête de Les Pins, Le Cannet (A-M)] Ce dimanche 29 novembre
08.
Mon chéri,
Je suis arrivé hier chez notre cher Emile pour l’heure
du déjeuner et me suis installé déjà dans le but d’établir aux Pins mon
quartier général et d’aller et venir, au cours de l’hiver, dans les petits
hôtels du littoral estérélien et d’y résider avec diverses valises, pourvues de
ce qui me sera strictement nécessaire comme vêtements et papiers et livres pour
le travail, durant ces diverses périodes.
J’irai sans doute passer une ou deux semaines à Beau
Rivage (St Raphaël) après le départ d’Emile, puis je reviendrai, j’irai gîter à
Anthéor, au Trayas, à Agay, etc – toujours avec retour aux Pins pour m’y
pourvoir du nécessaire et y séjourner plus ou moins – Lors de ton séjour à
Valescure j’irai m’installer près de toi – J’ai eu d’excellentes nouvelles de
ma pauvre Louise qui est arrivée dans sa famille en bon état, et me déclare se
sentir tout à fait mieux, heureuse d’être entourée de l’affection des siens –
peut-être va-t-elle vivement regrimper ver la pleine santé, en grande chèvre
maigre et solide qu’elle est – Je le souhaite – mais, en tout cas, je me sens
sorti d’une effroyable impasse et suis heureux d’être seul, de me retrouver et
de sentir tout mon indépendance reconquise.
Je t’écrirai mieux ces jours prochains, quand je serai
installé et que j’aurai ici tous mes colis Raphaëlois et ma petite vitesse dont
tu m’envoyes le bulletin – merci.
Le temps soleillé est toujours exquis ici. Hier, le
ciel s’était voilé, mais ce matin il est clair et lumineux.
Emile ne sait encore le jour de son départ, il sera
fixé mercredi, après la nouvelle pièce de l’Ambigu qui doit passer mardi. Je
t’envoie toutes mes tendresses et encore mes merci de tes fraternels secours et
gentillesses dans mon récent passage à tabac par le destin –
Ton Octave
Mariani peut m’envoyer ici son pot [mots illisibles].
Voici
la lettre d’Emile Rochard citée plus haut : [à transcrire]
[ref.
1908.76] [papier libre] Les Pins – 1er décembre 08.
Mon chéri,
Je commence à m’installer ici – La maison est tout à
fait inconfortable au point de vue lumière du soir, calorique, intimité, bien
être délicat, mais je tâcherai d’y remédier de mon mieux, peu à peu, surtout
lorsque l’ami ne sera plus là et que je pourrai diriger toutes choses à ma
guise et vivre en silence et repos.
Pour le moment, il m’était nécessaire d’avoir une
demeure pour caser l’excédant de mes bagages, livres, papiers, vêtements, etc,
un endroit où je puisse venir m’approvisionner puis repartir – Ici, à la
rigueur, Emile n’y étant plus, je pourrais être paisible et indépendant – lui
présent, c’est dur et très barbant souvent, mais si, à la fin de cette semaine,
il ne partait point à Paris, je ferais une valise et je filerais loger à Beau
Rivage à St Raphaël pour un long temps. J’irai de toute façon passer 15 jours
ou 3 semaines ce mois ci et aussi aux Rochers Rouges à Agay, à l’Estérel au
Trayas, etc. – J’ai écrit aux Bertnay –
Je crois que, malgré les inconvénients que je pourrai
peut-être aplanir en exigeant ma quiétude chez moi, dans ma chambre et ne me
laissant pas raser par ce brave ami, ma combinaison est excellente car elle me
permettra d’être partout heureux à l’hôtel et d’en quitter à ma fantaisie,
sachant où retrouver semblant de home. Je préfère – Oh ! de Combien !
– St Raphaël au Cannet. Moi qui n’aime pas revenir je suis revenu avec joie à
St Raphaël et y ai retrouvé mes habitudes avec agrément. C’est bien le coin
pour moi – et si commode – Je pense que Louise va toujours mieux.
Je ne puis demander de ses nouvelles trop fréquentes
ni la fatiguer à écrire. J’ai bon espoir pour elle, s’il n’y a pas
d’imprudences. Sa lettre de ce matin dissipe toute inquiétude. Quant à moi, ma
santé est bonne, mon moral excellent et je pense bien me maintenir ainsi tout
l’hiver – Quant à mes ennuis, je les au oubliés, effacés, je ne pense plus à
ces jours sombres, le bon soleil a tout égayé, éclairé en moi. C’est si doux ce
midi !
Je t’envoie mes affectueuses tendresses – Je t’écrirai
bientôt – aujourd’hui c’est jour d’article et j’ai déjà dépensé un temps
précieux en correspondance - à bientôt – soigne toi et ne fait pas plus que tes
forces. Il ne faut te surmener.
Octave
[ref.
1908.77] [papier libre] Les Pins – Ce 3 décembre 08.
Mon bon chéri – le grand soleil m’a pris à la gorge et
je suis un peu grippé. Hier, je suis resté à la chambre, descendant pour les
repas et me refusant aux inconscientes invites à sortir, d’Emile, qui ignore ce
que c’est que d’être malade, de se recueillir, de se soigner. – Rien n’est
difficile comme de demeurer seul avec ce vieux brave garçon, affreusement
personnel, aucunement altruiste et compréhensif, qui vient fumer chez moi sans
se douter qu’il me gêne et m’irrite les bronches, et qui bavarde toujours de
lui, qui m’assomme de ses œuvres, de ses projets de modifier son logis, de ses
lectures poétiques … et quelles poésies !!! et de ses naïvetés
phénoménales, de ses crédulités de gosse – Il ignore tout de la vie, des
livres, des gens et des choses – Je ne regrette toutefois point de m’être logé
ici, avec toutes mes réserves de chez Simon – Je mettrai Emile peu à peu au
pas, inéxorablement et je l’habituerai à respecter mes heures de solitude, de
travail, de retraite – Il doit partir d’ailleurs la semaine prochaine pour un
mois – Il restera bien semaines à Paris, sinon davantage, car ses affaires sont
comme la bouteille à l’encre, peu transparentes ; il est aux mains des
pires canailles, à mon avis –
Je quitterai les Pins le lendemain de son départ, ou
même avant lui s’il ne part pas lundi ou mardi prochain et j’irai pour dix ou
quinze jours vivre à l’hôtel Beau Rivage à St Raphaël où je crois, je serai
fort bien, mieux même qu’ici au point de vue de la température intérieure, de
la luminosité électrique, etc.
Je reviendrai m’installer aux Pins avant la Noël et
alors, seul, j’y serai tout à fait bien, car je manierai aisément Henri et
Thérèse qui sont tout à ma dévotion – Ce pauvre Emile plus que tout me gâte ici
la vie – lui parti, je remédierai à l’inconfortable prodigieux de sa maison
théâtrale si peu habitable –
J’espère que tu vas bien, que tu te soignes et te
ménages – Prends bien garde aux grippes et aux travaux prolongés – Les
nouvelles de Louise me semblent fort bonnes –
Bien affectueux baisers, mon chéri, de ton Octave
[ref.
1908.78] [papier libre] Les Pins – Ce 4 décembre 08.
J’ai eu ton mot ce matin – J’espère que ta coupure au
pouce n’aura été qu’une alerte et que tu vas déjà mieux.
Ici, le temps est toujours soleillé, ardent, mais j’en
jouis infiniment moins voluptueusement qu’à St Raphaël, où le voisinage de la
mer, l’horizon, l’air même, tout me convenait meixu et me charmait davantage –
Je n’aime décidément pas le Cannet, où le paysage des
oliviers, ni la vue de Cannes, ni le Trianon de notre ami que sa présence
commence à me rendre insupportable. Je pense pense qu’il filera lundi sur
Paris, en tout cas, moi je ne manquerai pas d’aller dès mardi prochain
m’installer à l’hôtel Beau Rivage à St Raphaël, où je retrouverai mes 2 colis
de petite vitesse et ma douce vie solitaire.
Ce soleil du Cannet qui n’a pas de brise de mer, m’a
grippé à fond, et, depuis deux jours, je me soigne, ça va déjà mieux, mais la
présence de ce pauvre demi-gâteux dont je ne partage ni les idées, ni l’égoïsme
absolu et vaniteux, ni l’incompréhension de tout ce qui est d’être aimé, et qui
toujours chantant à faux, gueulant plutôt son ennui, faisant craquer ses
doigts, etc, vient me raser dans ma chambre et ne peut vivre seul, cette
présence, ses causeries déjà données, ses projets fous de nouvelles
transformations chez lui, ses lectures poétiques, son éternelle préoccupation
exclusive de lui, de ses œuvres, de sa maison, son jobardisme, etc, tout cela
m’horripile à crier, et je crois que je ne me trouverai à mon aise ici que
lorsqu’il en sera parti et bien parti. Je plains jusqu’à ses domestiques.
Lorsqu’il sera séans, je ne restérai jamais plus de 3
ou 4 jours, ce sera un maximum, je viendrai prendre ce qui m’est nécessaire
pour fuir vivement ailleurs. Je te l’assure.
Note bien que je ne regrette pas ma décision – J’avais
besoin d’un coin où me débarrasser de ce qui m’aurait encombré à l’hôtel, je
l’ai fourré ici pour gagner mon indépendance. C’est fort bien. Si ce malheureux
Emile se laisse rouler, comme il est probable, durant des mois ou des semaines
à Paris, comme un niais qu’il est, par la Direction de l’Ambigu, par Elzéar,
par les femmes, etc, il ne reviendra guère qu’en février et ce sera autant de
gagné pour ma quiétude quand je viendrai prendre pied à terre ici – Entre 2
hôtels. Dans le cas contraire je le distancerai et le plaquerai – c’est
toujours le même pauvre garçon tout orgueil, aveugle sur tout ce qui n’est pas
lui, incapable de s’intéresser à autrui, d’aimer ses amis pour eux-mêmes sinon
pour les raser seulement avec ses imbéciles folies et ses élucubrations
dépourvues de toute valeur littéraire – alors zut ! je me rebiffe – je me
soulage. J’ai à travailler, à penser, à écrire – avec ce rasoir ébréché,
impossible – donc, je filerai, qu’il parte ou non, mardi matin sans doute pour
St Raphaël – où toutes mes correspondances continuent à être centralisées et où
je retrouverai la vie que j’aime, solitaire, libre.
Si je te demande des petites fioles Mariani, ce sera
lorsque je serai à St Raphaël installé, je t’écrirai ça – merci, en tout cas,
de la proposition et de tes gentillesses.
Je ne crois pas que le Cannet soit sain pour moi et je
déteste le Trianon qui est plutôt un Casino, une mairie, qu’une maison privée
confortable – Si je ne m’y soignais dans ma chambre, j’y gèlerais, encore, ne
puis-je obtenir que le calorifère le soir – le feu dans la cheminée semble
consterner patron et larbin et il n’y a pas de bois – Je me chauffe avec mes
journaux – c’est la barraque la plus bête, la plus invraisemblable qui soit –
Enfin, j’y dors bien, j’y mange à peu près à mon goût – c’est déjà ça et toute
ma pacotille de chez Simon y est casée – Dès que j’aurai repris mon vol vers
les hôtels, je ne reviendrai guère que pour m’approvisionner et refiler – à
moins que ce maboule d’Emile ne reste en panne à Paris – ce que j’espère – Le
pauvre diable est bien emphysémateux, congestionné, épaissi, alourdi – Je ne
crois pas qu’il atteigne une vieillesse persistante – Je le trouve très menacé
– Et dire que ce crétin laissera tout son bien aux hôtes de Valrose qui
guettent son trépas et le dépouillent déjà vivant – voir cela est déjà
enrageant – mais qu’y faire ?
Affectueux baisers de ton
Octave
[ref.
1908.79] [papier à en-tête Les Pins, Le Cannet] Ce dimanche 6 décembre 08.
Mon chéri,
Merci de ta lettre reçue hier soir aux heures tardives
où parviennent les courriers au Cannet.
Ma grippe évolue lentement – Tout la maison est
pincée, plus ou moins, y compris Emile – ça se conçoit, avec ces pièces
monumentales, ces ouvertures démesurées, cet escalier en tirant d’air, le logis
de notre ami est particulièrement glacial ; il n’y a que deux cheminées
qui marchent dans sa chambre et la mienne. Rien ailleurs, et impossible de faire
allumer la mienne – Il n’y a pas de bois à la maison et on fait sourde oreille
quand je prie d’en faire venir – cheminées décoratives. Alors la ressource,
l’unique ressource est dans cet ignoble calorifère qui congestionne et ne
dégage qu’une chaleur malsaine – Donc ma chambre seule est chauffée, la salle
de billard, les galeries d’en bas sont froides, les transitions dangereuses. Et
ce gros volcan congestif qu’est notre ami ne peut tolérer qu’une température
archi fraîche pour moi – autrement il râle –
Enfin, je me rattraperai à l’hôtel, sur le
confortable, j’en fais espoir et je serai n’importe où mieux qu’ici, avec un
chauffage central – Si je ne trouve pas à Beau Rivage j’irai aux Roches Rouges,
etc, je découvrirai mon nid sois en sûr –
Je ne reviendrai guère aux Pins que passagèrement
surtout lorsque l’ami n’y sera plus et pour y chercher ce dont j’aurai besoin –
Emile part lundi pour Paris ; je ne pense pas
qu’il aille te voir avant 8 à 10 jours au plus tôt et il te sera facile de le
voir chez Mariani en lui écrivant à l’Hôtel Moderne où il sera lundi soir,
demain.
Le mardi matin, je filerai sur St Raphaël Beau Rivage
et je tâcherai de bien m’y installer afin d’y demeurer le plus de temps
possible, si je m’y trouve tout à fait à ma guise et bien protégé –
Je serai enfin le roi chez moi, le matin, au lieu
d’être obligé à 7 ½, comme ici, d’aller dans la salle de bain d’Emile chercher
le petit déjeuner – Il est impossible de l’avoir chez soi, et, d’ailleurs pas
de table de nuit commode, des consoles imbéciles – impossible de se dorlotter
au lit – tout est décor –
Donc, mon chéri, ne t’inquiète – ma grippe n’est pas
féroce, mais le Cannet n’est pas sain et je retrournerai avec joie à St Raphaël
d’où je t’écrirai mardi ou mercredi, heureux d’y avoir tout sous la main,
postes, fournisseurs, gare, voitures, etc, au lieu d’être isolé comme on l’est
ici de toutes transactions directes –
J’ai écrit aux Bertnay – J’irai les voir quand je
serai bien installé, mais sans hâte et avec prudence –
Soigne toi bien avec le brouillard et le froid – Tu as
encore près de six semaines avant de venir dans le midi, tâche de ne pas
t’enrhumer ni d’être malade auparavant. Ce serait pitoyable.
Affectueuses caresses et à bientôt.
Je pense que Louise va toujours mieux. J’attends lettre
d’elle et de son beau frère qui m’a promis de me renseigner avec sincérité et
exactitude sur son état. Comme me l’écrit Aguinet il faut attendre plusieurs
mois avant de se prononcer –
Adresse désormais tes lettres
à St Raphaël (Var)
sans autre mention
je m’arrangerai à la poste
J’y serai après demain mardi – à midi.
[ref.
1908.80] [carte-lettre à l’adresse de Saint Raphaël (Var) – 35, Bd Félix Martin
(rayé)] Lundi 7 décembre 08 – après midi.
Mon chéri,
Emile parti ce matin par le côte d’azur rapide. Je
suis aux anges et presque reconcilié avec les Pins depuis que son encombrant,
bruyant, excessive personnalité n’est plus bourdonnant dans la maison et ne me
tracasse plus –
Je serai demain Hôtel Beau Rivage à Raphaël, et te
dirai comment je m’y trouve et si j’y demeure –
Ma grippe se dissipe – Elle fut assez profonde et
conséquente à mes tracas de Paris – St Cloud – Je te remercie de me donner des
nouvelles de Louise, je n’en ai pas eu depuis huitaine.
J’ai reçu une lettre du rédacteur en chef de Comoedia
me demandant sans conditions, des articles passagèrement – cela sans
explication. J’ai répondu que je ne travaillais qu’avec un nombre d’articles à
périodicité déterminée – Je proposais des programmes séduisants – Depuis lors,
aucun mot, la seule question : combien payez-vous ? fait fuir ces
gens là –
Je t’écrirai dès qu’installé à St Raphaël pour Henry
Simond – Quant à Durel j’attends son mot.
Je prends toutes précautions, rassure-toi et je ne
commets aucune imprudence sois en sûr.
Un affectueux baiser ; bien heureux de me sentir
délivré de notre rasoir d’ami qui, lorsqu’il ne parle pas de lui, de ses
femmes, de ses prétentions à être aimé, de sa propriété, de ses œuvres
( !!) est incapable de soutenir une conversation ou de s’intéresser à quoi
que ce soit qui ne se rapporte à lui – L’affaire Steinheil ne l’intéresse que
parce qu’il dit gâteusement : je donnerai bien 25 louis pour me payer
cette femme là ! – Pauvre vieux !!!
A bientôt – de St Raphaël – Tendresses.
Octave
[ref.
1908.81] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] St Raphaël 8
décembre 08 – mardi soir.
Mon chéri,
Rentré ce matin à St Raphaël que j’ai retrouvé avec
plaisir – admirablement installé à Beau Rivage, au 3e, en plein
midi, avec vaste fênêtre à balcon.
J’ai fait arranger la chambre à ma guise. J’ai demandé
table, bureau, bibliothèque et je serai mieux certes que dans ce Cannet où je
me sens mal et trop aisément grippé –
La nourriture, ici, me semble supérieure – Je paie 13
f par jour. Je crois que je serai très bien – Le simple changement d’air
achèvera de me dégripper – Maintenant je suis vacciné pour tout l’hiver je
l’espère – Mais le Cannet m’est hostile et la maison de ce pauvre Emile est
mortelle et imbécilement distribuée – Lorsque j’irai seul, ça ira encore, mais
avec lui, zut ! – Ce demi-gâteux inconscient, et congestionné par
l’égoïsme et la vanité, n’est pas fait pour recevoir – aussi, en dehors de
nous, n’a-t-il aucun ami –
Je viens d’écrire à Durel qui ne m’écrivit pas. Je
tâche de rattraper cette affaire – Je t’enverrai une lettre jeudi pour Henry
Simond. Affectueusement à toi et baiser. – Cet alcoolique de Paul Sequier
m’affirmait tout à l’heure que Mariani arrivait ce soir pour 3 jours.
[ref.
1908.82] [carte postale – St Raphaël, le Port et la nouvelle Eglise] Jeudi 10
décembre 08.
Mon chéri – Je reçois ton mot de mercredi – Je
t’écrirai demain. Je vais bien – Je suis heureux et reposé par mon heureuse
solitude et ma vie paisible loin de l’ami rasoir –
Après dix jours de soleil glorieux, je subis une
petite éclipse, mais si faible ! le temps est doux, le ciel à peine gris –
Mille affectueux baisers
Octave
[ref.
1908.83] [papier à en-tête du 35 Bd Félix Martin (rayé) Saint Raphaël (Var)]
Vendredi le 11 décembre 1908.
Mon chéri,
Depuis que ma vie est archi-solitaire, que je vis seul
dans ma chambre, au restaurant, et en promenade, la sérénité m’est revenue, et
je songe aux journées des Pins et aux allocutions satisfaites, aux coups de
gueule vaniteux, aux rires et gestes excessifs de ce pauvre imbécile qui est
notre ami, comme à un cauchemar réel –
Je me trouve à l’hôtel, paisible avec un confort
suffisant, une nourriture vraiment excellente et le peu de monde que j’aime,
nous sommes 13, à cette heure qui dinons par petites tables, sans bruit, face à
la mer et je suis seul à mon étage au 3e, avec ascenseur,
c'est-à-dire tout à fait tranquille.
Je n’ai vu que peu de monde à St Raphaël, mais juste
assez pour causer. J’ai rencontré la jeune dame Rouveyre, (son mari encore à
Paris -) je pense l’aller voir – Jean Aicard qui doit rester ici 3 semaines,
dans une bicoque où il vit avec sa sœur, et qui me rasa ferme avec son élection
possible (?) à l’Académie … et puis les fournisseurs, tout le petit monde que
j’aime à faire causer au passage – ça me suffit – Giraud le quincailler, qui
fait le chauffage central chez Mariani avait affirmé qu’Angélo allait venir
mardi dernier pour visiter ses installations nouvelles. Cela avait ému ce
poivrot de voiturier Paul Sequier qui m’avait arrêté consterné pour s’informer
de ce qui en était et qui croyait plutôt Giraud que moi –
La Creusette m’a dit, ce matin, que les Amherst ne
viendraient qu’en janvier – le pauvre vieux Lord vient encore de perdre 25 à 30
millions – Sa bibliothèque mise en vente à Londres cette semaine a produit
environ 1,750 000 francs. Mais ce malheureux bonhomme est très atteint dans sa
fortune ; il a vendu son château en Angleterre, sa maison de Londres et
tous ses biens, sauf ceux de Valescure, sont hypothéqués –
La Creusette m’a dit aussi que ton confrère et rival
sergent, ton ami, avait et remercié par Lord Rendel – Il aurait eu toutes
sortes d’histoires désagréables cet hiver ici – St Raphaël –
Tous ces potins à seule fin que tu les répètes à
Mariani, à l’occasion pour l’amuser.
J’apprends que Louise est infiniment mieux ; son
beau frère m’écrit qu’elle n’est plus reconnaissable depuis qu’il l’a prise à
Lyon, et, dans ses lettres, elle me parait tout à fait remontée – J’ai écrit à
son médecin de Chambéry, dont j’attends la réponse – c’est un Dr Schalle, jeune
et savant, je lui demande son diagnostic et son pronostic.
Tout ce cauchemar de St Cloud me parait si loin
maintenant, si loin – et je n’y puis penser sans angoisses. Il était temps que
ça finisse. J’oublie toujours de te prier de présenter à Mme Million mes
affectueux souvenirs et amitiés sincères – Comment va-t-elle ? Sa fille
est-elle entrée en pension ? J’aurai plaisir à recevoir de ses bonnes
nouvelles, car je plains ceux qui sont attachés au sol parisien en cette saison
âpre et redoute leurs bobos.
En vieillissant, le décor vert et bleu, le soleil, la
tiédeur, la sécheresse me sont indispensables. Je me réfrigère si vite que je
claquerais sûrement en un climat frais & humide. Je trouve que ce soleil,
ici, est supérieur à ceux de l’été dans le nord ; on s’engrise, il n’est
point lourd & orageux, il baigne, il dore, il exalte sans blesser – c’est
divin. Je m’y sens en paresse de vivre – J’ai beaucoup à travailler : des
articles, des préfaces, tout un livre sur d’Aurevilly pour le Mercure de France
que je voudrais écrire et faire paraître en mai – Mais j’aime ces besognes et
je ne m’en plains pas.
Dupré, le voisin de Rochard, a vendu sa maison à ce
qu’il m’écrit – c’est le commencement de l’abandon du Cannet par ceux qui y
firent venir le malheureux crétin des Pins – L’hiver prochain il sera
seul ; Jeanne sous louera Valrose pour aller à Cannes et Emile se laissera
encore davantage conduire comme un vieux gaga par ses domestiques qui le
traitent déjà comme un ramolli qui serait privé de toutes conscience de ses
actes –
Ceci est à la lettre – ce sont eux les maîtres – lui
c’est le mioche abruti qui rit et qu’on tarabuste –
J’ai écrit aux Bertnay que j’irai déjeuner dimanche ou
lundi, à leur choix, à Anthéor, j’irai par le chemin de fer et visiterai les
Roches Rouges où je pense aller gîter quelque jour.
J’ai aussi écrit au pauvre père Ducreux à Cannes, pour
savoir s’il est là – Peut être n’était il plus transportable – s’il y est,
j’irai déjeuner d’ici quinzaine environ.
Je t’envoie la lettre ci-jointe pour Henry Simond qui
verbalement te donnera réponse – ne pas insister – si ça colle, ça va bien,
sinon zut ! Je m’en moque j’ai suffisamment de travail – Tu iras le voir à
ta guise la semaine prochaine – de 3 h à 4 est la bonne heure.
Affectueuses tendresses.
Octave
[ref.
1908.84] [papier à en-tête de l’hôtel Beau Rivage à St Raphaël] Lundi 14
décembre 08.
Mon chéri ; je t’ai écrit presque tous les
jours ; je crains que nos postes déplorables n’aient égaré quelques
missives – c’est possible.
La journée hier fut superbe. Je visitai les Roches
Rouges, à la veille de faillite, puis à pied d’Agay à Anthéor où je m’attardai
à l’hôtel – (ignoble et sale) – Beau Rivage à Raphaël est bien à ma convenance.
Le déjeuner chez les Bertnay agréable, avec Maurice Donnay, sa femme et Claude
Terrasse et le père Lumière toujours personnel, mais bien fatigué et
démoli ; il voulait me louer sa bicoque n’importe à quel prix – mais,
j’aime plus que jamais les centres, les facilités de communication et Anthéor,
c’est l’exil de tout et de tous.
Revenu à pied à Agay, avec Donnay et Terrasse,
rencontré l’éternel Marsi sur la route – (il est à Cannes) séjourné à l’hotel
d’Agay et reparti par le train de 5 h 25 – ce sont journées fatigantes et je me
sens toujours affreusement fragile des bronches et enrhumable pour un rien –
Donc vie paisible et solitaire me conviennent au moral et physique – Dimanche
prochain je dinerai chez les Donnay à Agay avec Lucien Descaves.
Tendresses.
Octave
[ref.
1908.85] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] Mardi 15
décembre 08.
Mon chéri, merci de ta lettre – aujourd’hui ciel gris,
mais temps doux, aucune sensation hivernale et je me sens, comme toujours,
idéalement heureux à l’hôtel, délivré de tout souci, bien servi, pas dérangé,
chauffé sans tracas de feu à faire – Bref si bien, si ravi dans ma solitude,
que je me demande pourquoi je n’y vivrais pas, comme ce fut toujours mon rêve
huit mois par an pour le moins –
Tu as du voir Henry Simond, pauvre petit être superficiel,
sans consistance ou décision, il t’a donné quelques paroles aimables, mais rien
de ferme, de net, de précis – je déteste cet esprit des directeurs de journaux
parisiens, qui sont ou des fripouilles, ou des gens qui ne savent pas ce qu’ils
veulent si ce n’est de ne pas s’engager.
Rochard, oui, tu le crois bon, généreux, affectueux,
c’est de la surface. Sa personnalité l’aveugle sur tout ce qui n’est pas
lui ; sa propriété, ses œuvres. Il m’horripile, son cerveau s’est arrêté à
1876 et, depuis cette date il ignore tout de la vie, des gens, des hommes qui
se sont produit … tout absolument tout. Il appartient aux flatteurs, à eux
seuls et ne s’intéresse aucunement aux autres. Ses yeux et ses oreilles sont
fermées à tout ce qui ne se rapporte pas à lui – Jamais il ne s’informe ni de
ta situation matérielle ni de mes ressources, ni de ce que je pensais faire ou
écrire – son intelligence est noyée, submergée dans un océan d’égoïsme – en
définitive c’est un pauvre être qui marche au gâtisme. Mes projets consistent à
aller aux Pins, de la Noël au début de janvier, puis à revenir m’installer ici
pour janvier et partie de février afin d’y écrire mon livre sur d’Aurevilly,
des articles pour le Mercure, etc. Vers la fin de février, si je suis satisfait
de mon travail, j’irai en Italie à petites journées et séjournerai à Rome 2 ou
3 semaines – Je rentrerais alors vers le 12 ou 15 avril, pour faire le salon et
me réinstaller à St Cloud ou à l’hôtel à Paris provisoirement. Je ne me hâterai
pas de faire revenir Louise – Son médecin ne m’a pas encore écrit – J’ai
demandé à Durel 200 f pour la préface de son catalogue, si son client
n’accepte, je ne ferai rien – aujourd’hui, grâce à mon activité pour mettre ma
vie au point matériel voulu, en réduisant mes dépenses locatives, etc, je puis
vivre aisément, même en voyageant, avec 8 à 9000 francs par an. Je ne veux donc
travailler qu’en raison d’un bon gain, ne pas forcer ma production et dédaigner
tout ce qui m’apporterait fatigue, heures passées à la chambre, pour un maigre profit
– à Comoedia on ne m’a plus écrit – Ils paient 20 à 25 f l’article et ne
veulent pas écrire de pareilles conditions – ça se conçoit –
En janvier, viendront peut être ici Paul Margueritte
et sa fille et sa femme, Lady Mary, sa fille et son gendre – je suis sûr
qu’après un nouveau séjour au Cannet, dans la glacière de Rochard, où il est
presqu’impossible de ne pas s’enrhumer dans ces halles imbéciles, je reviedrai
vivre à Beau Rivage avec joie – la nourriture ici est incomparablement bonne –
princière – et j’y fais honneur. Et puis il me faut la mer – c’est mon horizon
préféré, mon air privilégié –
Je t’embrasse tendrement et espère te lire très
prochainement.
Je t’ai parlé hier de ma course à Anthéor, tu as du
recevoir mon billet bleu te disant mon déjeuner Bertnay.
Octave
J’envoie à la Dépèche un article – le 4e du
mois, que je crois bien : Vers l’Académie. Il passera de samedi à lundi
prochain.
[ref.
1908.86] [carte-lettre à l’adresse du 35 Boulevard Félix Martin à St-Raphaël
(Var)] Le 16 décembre 1908.
Je reçois, en addition à une lettre de Mme Pauline
Lorrain Duval, cette requête que je te transmets. La dite requête me rappelle
que je me proposais de te demander 12 fioles marianiques pour mon logis
hivernal. Le bon Canal pourra me les expédier, avec quelques petites fioles
échantillons agréables à distribuer – Le soleil rutile et éclabousse ma table –
Je vais sortir.
Je t’ai fait expédier ce matin 1 pot – on dit ici un
toupin – de 1 livre de miel – si ça te goûte je t’en enverrai d’autres – matin
et soir, c’est exquis.
Baisers affectueux.
Octave
Je t’ai lancé une carte postale ce matin qui doit
t’arriver avec ce mot, t’avisant de ta méprise qui me fit avoir ce matin 16
décembre ta lettre du mardi 10 –
[ref.
1908.87] [papier libre] Ce vendredi 18 décembre 08.
Mon chéri ; je viens de rentrer d’une promenade à
Ste Maxime où j’ai visité par curiosité, villas, appartements, hôtels et
auberges. Rien ne m’a séduit de façon à m’arrêter un instant à bâtir des
projets. Je suis revenu à Raphaël avec l’habitude déjà prise qui constitue une
préférence.
Il faisait aujourd’hui un temps à crier de joie de
vivre – un temps radieux indicible, si pur que les montagnes roses étaient
irréelles dans l’horizon – Je me suis payé une bonne promenade le matin
également, me réservant au travail avant et après midi, de 4 à 7, et de 8 ½ à 9
½ … et encore, le soir, ça dépend.
J’irai donc à Agay, chez Donnay, dimanche et vendredi
jour de Nöel je me suis engagé pour Anthéor, fêter avec les amis dont les Donnay
la sainte fête de la nativité – Je quitterai St Raphaël, samedi matin 26,
laissant sans doute ma chambre en état actuel pour la retrouver, du 10 au 12
janvier, et je m’en irai à Cannes où Henri, le larbin d’Emile, transportera mes
petits colis aux Pins dans sa carriole inhospitalière.
Moi, j’irai, ce samedi, déjeuner chez le brave papa
Ducreux dont je t’envoie la lettre et, vers 3 h je grimperai au Cannet pour m’y
installer et y diner – Je pense bien y rester 5 ou 6 jours avant que « le
Commandant Ramollot » ne revienne de son Paris ambigu, et en ce peu de
jours, je styllerai ses gens, couchant seul, dans cette villa reliée aux
communs par de simples sonneries, mais j’ai pris le revolver de Rochard et l’ai
armé pour faire du potin en cas d’alerte.
Puis, si ça ne va pas, si je m’embête aux Pins, je n’y
ferai pas feu qui dure, tu peux le croire – Je suis si bien ici, que vraiment
vivre au Cannet ne me chante qu’à moitié – ce qui m’y attire ce sont les choses
que j’y laissai et aussi les livres dont j’ai quelques uns à consulter – mais
il est possible qu’après 5 ou 6 jours je ne m’en aille vivre au Trayas avant de
revenir ici –
Prends de grandes précautions, mon chéri, pour ne
tomber souffrant avant de venir ici – ça serait si bête de te trouver au lit au
moment où tu pourras venir – Donc prudence le soir et lâchage de tous diners et
banquets d’ailleurs si inutiles et si contraires à la santé –
Je pense demain avoir ta lettre, après visite à Simond
– J’en vois la réponse - aucun
engagement ferme, des amabilités, des grâces et un premier article que je ferai
et qui ne passera peut-être jamais. Enfin on verra – Tendresses bien cordiales
de ton Octave
Les Lady Mary Lewal and Co = au château de Hucligny,
près Vendôme, Indre et Loire.
[ref.
1908.88] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] Samedi soir 19
décembre 08.
Merci, mon chéri de ta visite à Henry Simond – Jamais,
il ne m’écrira, et jamais je ne te prierai de passer chez lui de nouveau – je
te l’ai dit ; il ne veut s’engager et il aime l’anarchie actuelle de son
journal, fait à la diable, avec des passants – ayant d’ailleurs de la besogne,
je n’insisterai pas, c’était un coup de sondage – c’est fait et je suis
satisfait du résultat –
Il fait toujours un temps admirable – ce matin je suis
allé à Valescure voir l’hôtel des anglais, avec Bickel – Les chambres sont
médiocres, très petites, sans lumière électrique ni chauffage central – le prix
est cher. Toutefois, au rez de chaussée, j’ai vu une grande chambre qui
pourrait faire mon affaire, si, fin janvier je voulais me rapprocher de toi
pour ton séjour et m’éloigner de la mer qui m’énerve un peu – je m’en aperçois
parfois à mes premiers sommeils qui sont tardifs. J’ai vu aussi cet après midi
le Grand Hôtel de la Boulerie [Boulouris] – Il est perdu au loin, triste …
ah ! non ! malgré des bas prix, jamais de la vie –
J’irai demain à pied en partie chez Donnay et partie
en voiture et reviendrai par chemin de fer car il n’y a plus de voitures
fermées ici – sauf des autos et des landaux – Sequier a bazardé son petit coupé
– c’est idiot mais c’est ainsi –
La mère d’Alphonsine se plait à la Salpêtrière elle
est ravie – La fille se lamente mais je n’y peux rien. Elle a trouvé moyen de
s’aliéner tout le monde et se plaint maintenant de la solitude, mais il faut
bien qu’elle s’y fasse, car je ne penserai jamais à vieillir avec des vieux ou
des vieilles – c’est trop attristant et embêtant – chacun sa vie.
Je t’embrasse bien affectueusement – Soigne toi et
gare toit des Rhumes afin que je te voie bien portant d’ici cinq semaines –
Ton Octave
[ref.
1908.89] [papier libre] Ce lundi matin 21 décembre 08.
Mon bon chéri,
La journée hier se passa fort bien à Agay chez les
Donnay. Paul Séquier me conduisit au Drammont, de là je fus à pied, et, après
déjeuner, avec le ménage Donnay, Claude Terrasse et Lucien Descaves, nous fîmes
une belle promenade à pied, je pris le thé en enfin le train de 5 h ¼ où ce
brave Terrasse m’accompagna – le temps fut superbe – J’aime beaucoup les
Donnay, ça marche très bien ensemble – Aujourd’hui, je vais travailler à la
préface Durel, tout en me promenant quelque peu. Je retournerai peut être à
Agay mercredi en promenade et vendredi chez les Bertnay –
Ça m’embête bien un peu de remonter à Cannes, ou
plutôt au Cannet, samedi, je remettrai peut être ça au lundi suivant – J’irai
en tout cas, déjeuner chez le papa Ducreux samedi – mais les Pins, même de
loin, ça ne me chante guère, affectueuses tendresses.
Octave
[ref.
1908.90] [papier-enveloppe à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St-Raphaël] Ce
lundi (en réalité mardi) 22 décembre 08.
Mon cher frérot,
Je viens de terminer la longue préface du catalogue
que j’avais à faire – ça y est, me voici libéré de mes besognes urgentes.
Le temps est indiciblement beau. Demain j’irai au
Trayas voir l’Hôtel de l’Estérel. Je reviendrai déjeuner à Agay, verrai
peut-être les Donnay au passage et rentrerai à pied ou en chemin de fer.
Santé bonne malgré nuits un peu insomnieuses, mais ça
ne me gêne je repose tout de même. T’écrirai bientôt. Affectueux baisers.
Octave
[ref.
1908.91] [papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël] 25 décembre
Noël 08. Soir.
J’arrive de chez les Bertnay avec un temps de
Tempête-Est – pluie vent, raffales, etc. Ce matin, j’ai eu une voiture
découverte, j’ai pensé m’en tirer, mais en pleine carrières du Drammont, le
vent et la pluie faisant rage, j’ai du descendre, marcher à pied dans la
tourmente, gelé dans la guimbarde qui n’était pas même de chez Sequier – Il y
avait eu confusion inexplicable par téléphone – Je me suis arrêté transi chez
les Donnay pour prendre un grog chaud au punch et je suis reparti dans ma
voiture chez les amis d’Anthéor, avec le brave Claude Terrasse, pour y arriver
enfin sans encombre vers 11 heures –
Repas monstre de Noël avec les Bertnay, les deux
Donnay, Descaves, Terrasse, un nommé Schneider et son amie, cantatrice youpine,
le dit Schneider journaliste que je connais de longue date et qui arrivait de
Paris avec Pedro Gaillard filant sur Monaco – J’ai retenu le coupé qui
l’amenait à Anthéor, un coupé du frère de Séquier et je viens de rentrer sans
encombre et en bon état – J’ai lâché la compagnie à Anthéor, à l’heure du café,
et suis revenu chez moi en plein jour, avec un temps toujours déchainé. Pas
drôles ces ballades à Anthéor – ah ! non ! –
Je quitterai St Raphaël demain pour le Cannet chez Mr
Ducreux avant de remonter aux Pins, d’où je t’écrirai dimanche ou lundi au plus
tard.
Hier, je n’ai pu t’écrire ayant mon article, le 6e
du mois pour la Dépèche, et puis j’avais été rasé par le jeune Rouveyre qui
était venu me montrer son nouvel album ignoble, obscène, inconscient,
dégoûtant, qu’il intitule Le Gynécée – une pure ordure sans aucun talent –
Je serais bien resté ici, mais devant remonter au
Cannet, je préfère le faire avant le retour d’Emile dont je n’ai d’ailleurs
aucune nouvelles. Je verrai si je m’y puis installer, lui n’y étant pas et je
ne tarderai guère à revenir ici, du moins, je le crois – je suis si bien ici –
Rien de nouveau à te faire connaître – J’ai de bonnes nouvelles de Louise – Je
t’embrasse bien tendrement.
Octave Uz. [signature incomplète]
[ref.
1908.92] [papier libre] Les Pins. 28 décembre 08.
Mon chéri – Mon dimanche, hier, se passa bien au
Cannet, parce que heureusement seul – j’ai mis Henri et Thérèse au pas ;
je suis parvenu à obtenir de 18 à 20 degrés dans ma chambre (de 10 ½ à 11 à mon
arrivée) et a entretenir le feu en cheminée tout le jour. Je crains que le
bouillant Emile ne vienne gâter ma quiétude, ce qui me ferait fuir dare dare,
si je ne puis parvenir à lui faire respecter mes longues retraites dans ma
chambre pour travailler et mes promenades solitaires à Cannes et au Cannet.
Mon voisin de St Cloud, Monsieur Pagès, le marchand de
dentelle, est ici villa « La Retraite » et nous avons fait une bonne
promenade. C’est un homme de 58 ans, veuf, soignant son entérite, intelligent,
réfléchi, instruit. Il connaissait toutes les histoires de Rochard célèbre dans
le pays par son jobardisme. Il était abruti de cette caricature théâtrale
qu’est sa propriété, qui lui semblait celle d’un monsieur aimant recevoir des
vingt et 30 personnes et jouissant d’environ 100 000 francs de rente –
Dans le pays on dit que c’est une propriété faite surtout pour ses domestiques.
Ce pauvre Emile va commencer à voir clair et à juger de sa solitude – Dupré a
vendu ; Jeanne cherche à vendre au plus tôt – Rochard sera seul dans
l’hostilité générale, malmené par ses larbins, sans personne à
fréquenter ; alors il vendra lui aussi, à n’importe quel prix, incapable
de vivre seul ou bien amènera ici quelque drôlesse qui le grugera, le gâtisera
plus qu’il ne l’est déjà – Pitoyable destinée ! – Et ça va marcher
vite ! Je vais aller souvent à Cannes et être indépendant – même si l’ami
revient – mais je doute qu’il parte aujourd’hui de Paris, il doit se délier de
ses amis, en annonçant ses faux départs pour se donner à quelque femme, car son
érotisme imbécile est une véritable maladie d’inconscient vaniteux –
J’attends de tes nouvelles à midi ou ce soir – les
heures des courriers en ce lointain Cannes ne facilitent pas la correspondance
– ah ! non ! – Mille tendresses de ton
Octave
[ref.
1908.93] [papier libre] Les Pins. Mardi matin 29 décembre 08.
Mon chéri, j’ai bien eu ton mot, à midi hier lundi
(l’autre à 5 heures), j’ai eu aussi une lettre très affectueuse de cette
excellente Marie Million qui m’a fait un très vif plaisir et que tu
embrasseras, je te prie, très affectueusement pour moi.
Hier, le temps fut frais et il y eut un orage avec
tonnerre et pluie lente l’après midi. Je gardai la chambre avec un bon feu.
Ainsi seul, les Pins sans être gais, sont supportables. Les domestiques sont
souples, braves gens et si peu habitués, les pauvres diables, à être guidés par
un être sain, conscient, sachant ce qu’il veut, qu’ils semblent ravis de
s’employer et de n’avoir plus un demi gaga à supporter et à traiter en vieux
bébé qui bave –
Les folies de ce pauvre Emile, égoïste monstrueux et
dont la bâtisse, ici, comme à la Ruelle, est la révélation d’un homme qui ne
pense exclusivement qu’à soi - qui ne
chauffe que la pièce où il habite, qui se contrefiche de tout ce qui n’est pas
lui, cette folie apparaît toute aussi bien à Jeanne, qui m’en a parlé avec plus
de clairvoyance que je ne lui en supposais, qu’à ses domestiques très honnêtes
gens au fond, mais qui ne peuvent pas se faire à ses sottises, à son
inconscience, à toutes les mêmes histoires qu’il leur raconte aussi bien à eux
qu’à nous, même les plus intimes, celles de femmes, d’intérêt, etc – Ils
n’ignorent rien.
De plus, partout, ce pauvre garçon, qui marche
vraiment au gâtisme érotique, laisse traîner des images immondes, des cartes
transparentes, photographies obscènes, qu’il regarde le soir sur sa table de
nuit – c’est pitoyable – c’est bien la monomanie de l’impuissant qui cherche
l’éréthisme.
Un mot de lui où il ne me parle que de lui, m’annonce
son retour pour le 30 ou 21 … heureusement c’est 2 ou 3 jours de gagnés et de
quiétude – Fasquelle l’a envoyé baller, lui et ses vers ; j’en étais sûr –
Il est allé chez Lemerre où avec un billet de mille, on pourra sans doute
imprimer ses parodies de Musset, de Daudet, de Banville, si dépourvues d’esprit
et d’originalité. Je suis malade d’avoir à préfacer ces panarités mais je suis
décidé de l’aviser de ce que je compte dire – Je tournerai la difficulté pour
ne me rendre ridicule. C’est pas commode.
Je ne pense guère demeurer ici plus de six ou 8 jours
après sa venue. Ce sera un maximum. J’irai peut être quelques jours au Trayas,
hôtel de l’Estérel – En tout cas, pas d’Italie avec Rochard en ce moment –
Ah ! non ! moi, j’ai à travailler et préfère attendre mars et, sans
ce raseur apoplectique, aller sur la côte, en Ombrie et à Rome –
Tu me dis qu’il fait aussi mauvais ici qu’à Paris –
quelle erreur !! mais il fait clair, gai, malgré la pluie ; le temps
est doux, le ciel joli – Peut-on comparer cette cave parisienne sale, sombre,
avec ces jours sulfureux, le pays merveilleux qu’est celui-ci !
Mes amitiés à Angélo – Santelli, lui aussi m’a dit
qu’il était attendu le 6 décembre dernier – étrange – enfin, peu importe – Tu
me diras quand tu comptes venir, j’espère que tu ne t’attarderas pas et que tu
arriveras avant le 25 janvier.
Je t’embrasse bien tendrement – Je vais aller à Cannes
– Je retournerai bientôt déjeuner chez Monsieur Ducreux.
Octave
[ref.
1908.94] [papier à en-tête Les Pins Le Cannet (A.-M)] Jeudi soir (31 décembre
1908 – date ajoutée par Joseph Uzanne).
Ce jeudi – 31 décembre – Emile devait arriver par le
rapide à 1 h 29 – je fus donc, en train, faire mes affaires à Cannes, je m’y
fis tondre, déjeunai fort bien au Splendid Hôtel, fis visite à l’excellent M.
Ducreux qui m’avait invité pour samedi à déjeuner et à qui j’allais dire que
j’irais, si Maëterlinck ne me demandait pas d’aller à Grasse ce jour là – ce
brave vieillard très touché m’accueillit très gentiment, me montra ta carte
japonaise et me pria de te remercier.
A la gare, j’appris que le rapide avait par suite des
neiges 2 h de retard, je fis une petite promenade au soleil et je remontai au
Cannet travailler – mais dépèche du dit Emile annonçait
6 heures de retard « de Valence ». Henri et
la voiture sont rentrés. Je n’attends guère « le Patron » que ce soir
à 9 ou 10 h environ –
Il aura mis 24 heures à réintégrer les Pins.
Tous les trains du nord ont de semblables retards,
l’azur rapide hier avait 2 heures et est arrivé couvert de glaçons et de
stalactites de glaces. Ici le temps est splendide – délicieux.
La terrible catastrophe de Messine, je l’avais
devinée ; la Sicile me causait depuis plusieurs mois des appréhensions,
j’attendais cet effroyable bouleversement qui pourrait bien atteindre le
littoral méditerranéen et renverser tant de maison en pacotille –
J’ai vu, hier, au Cannet, Brillet, l’ex huissier,
notre ami du Pingau, qui est installé à la villa Luciole avec sa femme et ses
filles, juste au dessous de Valrose – J’ai fait une petite promenade avec lui,
mais je ne le verrai qu’occasionnellement, tout comme mon voisin de St Cloud.
J’ai également rencontré un attaché d’ambassade Monsieur Castellino qui vient
de faire construire au Cannet et m’invite à l’aller voir ainsi que sa femme
avec laquelle j’avais diné chez le Dr Tissier – mais j’aime mieux ma solitude
que tout ce monde là. Il m’est odieux de rencontrer des relations.
Rochard va revenir avec sa personnalité envahissante
et son absolue inconscience du travail et de l’indépendance des autres car tout
ce qui n’est pas lui n’existe pas – je suis bien décidé à lui dire ses vérités,
de tâcher de protéger, mon travail, mon indépendance et de le remettre à sa
place vertement s’il me rase. Dans le cas où je n’y arriverais pas je ne
tarderais pas à quitter le Cannet. Emile n’a aucun ami – sauf nous, car il est
impossible à vivre, ne s’occupant jamais du bien être des autres, raseur
terrible – Personne ne veut ni ne peut rester chez lui, ça se conçoit. Jeanne
elle-même s’est éloignée – sa vanité, son incapacité à prendre intérêt à ce qui
ne le touche pas, lui ont aliéné tout le monde – Sa mentalité est déplorable et
sa conversation inexistante lorsqu’elle ne roule pas sur ses affaires de cœur (?)
de propriété ou d’intérêt. Je le crois plus faible que bon. Je ne veux donc pas
me laisser raser et je m’imposerai à lui sans le laisser s’imposer à moi, comme
il le fit trop souvent. J’agirai comme jusqu’ici, depuis que je suis seul pour
le chauffage, la distribution de mon temps, le petit déjeuner chez moi – s’il
ne comprend pas, est de mauvaise humeur ou crampon, je fais mes malles et file
- . Tu vois si je m’apprête à le recevoir avec des idées conciliantes – c’est
que toute sa pauvre nature se dévoila à moi cette première partie de décembre
ici – Jamais il ne m’a dit un mot de mes travaux, n’a essayé de lire quoi que
ce soit de ce que je faisais, n’a même pris la peine de répondre à mes
préoccupations du jour ou du lendemain, alors qu’il me barbait sans cesse avec
ses affaires grotesques, ses histoires de gâtisme en amour (?) – ses folies de
propriétaire, ses poésies pitoyables, sa sous littérature populaire, ses
projets imbéciles – etc. Vraiment ce serait payer durement une hospitalité –
Déjà payée 10 f par jour que de laisser raser encore et toujours sans
protester. Tu comprendras cela – Tu me diras quand tu comptes partir en janvier
– Je t’embrasse tendrement. J’espère bien que tu n’as pas pris froid avec ces
sales temps parisiens – si tu savais combien je te plains – ce Paris quelle
horreur et quels gens !!
Octave
(*) Source Fonds Y. Christ (1 J 780), Archives de L'Yonne, Auxerre. L'ensemble des lettres de la Correspondance entre Octave Uzanne et son frère Joseph (lettres d'Octave à Joseph uniquement) a été entièrement relevé par nos soins. Nous avons retranscrit l'ensemble que nous livrerons ici lettre par lettre. L'ensemble formera un corpus de 67 lettres pour l'année 1907, 95 lettres pour l'année 1908, 50 lettres pour l'année 1909, 22 lettres pour l'année 1910, 38 lettres de diverses années et 36 fragments ou lettres entières non datées, soit un ensemble de 308 lettres ou fragments de lettres. Notre projet arrêté dès fin 2012, début 2013, est de publier l'intégralité de cette correspondance avec notes explicatives. Espérons que nous pourrons mener à bien ce projet prochainement. La mise en ligne pour tous ici sera un premier pas permettant de juger au mieux de la relation fraternelle entre Octave et Joseph pendant les années 1907-1910, connaître l'intimité des deux frères ainsi que les pensées les plus intimes d'Octave Uzanne dans sa vie privée et publique. Mise en ligne Bertrand Hugonnard-Roche | www.octaveuzanne.com
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